Les jours et les nuits/III/I

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Société du Mercure de France (p. 109-111).

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ô juste, subtil

Sengle était allé une fois voir un ami dans un hôpital. C’étaient des vagues de dunes blanches — et la même chose, par le gros bout de la lorgnette, si l’on inspectait un bocal, sur une table centrale, plein d’ouate hydrofuge. Les figures blanches n’étaient pas délimitées de ce blanc, et il n’y avait de couleur vivante que le buste du fondateur, en bronze vert.

Des genoux se retournant activaient la mer.

Et il semblait que la cave de champignons blancs fût abandonnée depuis très longtemps, à la quiétude des billettes au bout de leurs fils.

On comprenait que les malades étaient très sales, lavés que de leur sueur, mais l’iodoforme, comme la lune les nuages, mangeait les relents.

C’était la salle des amputés. Il est extraordinaire comme tout malade ressemble à un amputé, tout le sang quitte la face vers les jambes, réelles ou virtuelles, sous les draps qui pansent pour lui, cachent pour les autres.

Et puis il fut une heure. C’est vers cette heure-là que les opérés du matin se réveillent du chloroforme, et ce fut un cri grondant et grandissant, sirène de steamer épouvantable.

Sengle partit entre les tas d’écume, sillages d’enragés qui lui demandaient de les tuer. Mais ce n’étaient pas des amputés que Sindbad, dans l’oubliette marine, assommait avec l’os de leurs propres membres.


L’hôpital militaire est le plus gai des bâtiments militaires, parce qu’il y a très peu d’uniformes dedans.

Les infirmiers sont civils — quand l’hospice est mixte — et les majors ont la pudeur — certains — d’y venir en médecins.

Les sœurs et les médecins vivent en noir, avec un peu de blanc, et les malades végètent en gris.

L’hôpital s’ouvrit à Sengle tout plein du gris pommelé que l’on chevauche dans l’encens d’une fumerie d’opium.


Et le caporal infirmier, devant le guichet liminaire, fit demi-tour et remporta toute l’armée.