Les mystères du collège/III

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Gustave Havard (p. 26-42).


III


LA CLASSE

Les élèves sont dans les classes et nous voyons tour à tour avec eux, mais presque jamais en même temps, le professeur dans sa chaire, et le maître d’études ou le pion dans l’attitude

d’un homme toujours content de lui, c’est-à-dire tendant le jarret et promenant un œil scrutateur sur tout ce qui l’entoure. En un mot, la classe appartient au pion en l’absence du professeur ; là, il est roi… ou il croit l’être. Il examine, surveille, et à la moindre parole, au moindre mouvement, prononce ce fameux mot stéréotypé sur ses lèvres : SILENCE ! mot qui s’est incorporé à lui, mot avec lequel il s’est identifié.

Mais l’écolier en classe est un ressort que l’on essaie vainement de comprimer, de réduire ; il faut, à quelque prix que ce soit, que son espièglerie se fasse jour ; il faut, à quelque prix que ce soit, qu’il taquine, qu’il ruse.

L’écolier né malin, ne rêve… que malice.

Ainsi d’une part nous voyons la gravité, c’est le professeur dans sa chaire ; de l’autre l’homme-silence, c’est le pion, qui voudrait tenir captifs les langues, les coudes et les pieds d’une multitude de jeunes gens qui, en faisant une de ces plaisanteries qui deviennent traditionnelles dans le collège, en méditent une nouvelle qui reçoit son exécution avant que l’on ait prononcé le châtiment mérité par la première.

De cette sévérité d’un côté de la part d’hommes faits, et de cette gaieté souvent excentrique, et naturelle après tout, de la part de tous ces collégiens rassemblés, naît un contraste qui n’échappe pas à l’observateur, et d’où ressort, il faut le dire, ce comique qui provoque le rire de tout l’auditoire… c’est-à-dire de tous les collégiens… Le professeur et le pion ne rient pas en classe… à moins que ce ne soit de la bouche en cœur, c’est-à-dire en dedans ; et nous ne pensons pas qu’il se passe un jour, un seul jour, sans que cela leur arrive.

Abandonnons pour un instant le pion, et ne voyons que les élèves avec les professeurs.

Les professeurs, composés, en général, d’hommes de savoir, d’instruction, de goût, d’hommes versés dans le monde et qui le connaissent, ne sont pas ceux qui, en général, essuient le plus le feu du collégien ; aussi ces messieurs ont trop d’esprit pour croire un seul instant que nous ayons voulu, en quoi que ce puisse être, diminuer la considération, le respect que doit avoir l’élève pour le maître ; de même que nous serions désespéré de diminuer le moins du monde l’intérêt que doit inspirer l’élève au maître.

Ceci posé, nous pouvons laisser courir notre plume et redire quelque chose de ce que nous avons entendu en écoutant aux portes des classes, et de ce que notre œil a aperçu au travers des vitres de leurs croisées.

Nous voilà près d’une classe… approchons… regardons et écoutons bien.

Le calme y règne : le professeur est en train d’interroger un jeune élève sur l’histoire grecque.

LE PROFESSEUR. — Qu’est-ce que c’était qu’une olympiade chez les Grecs ?

LE JEUNE COLLÉGIEN. — Une olympiade. (Il reste court.)

LE PROFESSEUR. — Oui, une olympiade.

UN ÉLÈVE, soufflant. — Espace de quatre ans.

L’ÉLÈVE, vivement. — Monsieur, c’est une espèce de cadran… solaire, ajoute une voix confondue dans la masse.

Et chacun de rire de toute la force de ses poumons.

De cette classe nous allons à une autre.

Le collégien, et c’est une incontestable preuve de son bon naturel, aime les animaux. L’anecdote suivante ajoutera à notre assertion :

Un jeune externe passe rue Saint-Jacques. Il est muni de sa gibecière. Il s’arrête à un rez-de-chaussée, à l’une des fenêtres duquel est placée une cage contenant un écureuil.

Le jeune élève donne à l’intéressant animal la plus grande partie des comestibles qu’il possède ; mais à la fin un des fils de fer de la cage se rompt et l’animal engage la moitié de son corps. Notre étourdi lui prête secours, au risque de s’en faire mordre ; il s’en empare, l’enferme dans sa gibecière. En compagnie de l’animal il se rend au collège, plus heureux que s’il avait trouvé un trésor.

Il entre en classe ayant plus son écureuil dans la tête que la leçon qui lui avait été donnée.

Mais la pauvre bête, tenue captive en un sac de cuir, travaillait des griffes et des dents à son évasion. Elle fait tant et tant qu’elle en vient à ses lins. Le sac est rongé, troué.

Alors l’écureuil, libre, s’élance dans la classe, gravit la chaire du professeur, y pénètre, et pendant une seconde on vit l’écureuil et le professeur côte à côte.

Le professeur, surpris, regarde et reconnaît dans l’individu



qui a envahi son domicile le joli écureuil qui lui appartient, et à la recherche duquel sa femme s’est bien certainement livrée.

Et chacun, avec une figure rubiconde de joie, de raconter l’aventure à qui veut l’entendre.

Nous continuons notre petite excursion et nous voyons un tout jeune élève devant la chaire d’un professeur.

Il est interrogé sur l’histoire romaine.

LE PROFESSEUR. — Sur quoi écrivaient les Romains ?

L’ÉLÈVE. — Monsieur, les Romains écrivaient.

LE PROFESSEUR. — Eh, parbleu ! je le sais bien qu’ils écrivaient. mais je vous demande sur quoi. Allons donc.

UN ÉLÈVE, soufflant. — Sur du papyrus.

L’ÉLÈVE interrogé, élevant la voix et d’un air satisfait de lui-même. — Monsieur, les Romains écrivaient sur du papier russe.

LE PROFESSEUR, retenant une envie de rire. — Comment ! sur du papier russe… Ah ! vous êtes fort sur la chronologie des empires.

Comme on le pense bien, la journée ne se passa pas sans que le mot fût répété dans tout le collège. Et si nous sommes bien informé, le proviseur, un jour qu’il avait société, en égaya beaucoup son monde.

Le jeune Francisque met tout son bonheur à faire des pantins en carton lisse, et à les colorier avec un soin tout particulier. Et quand il les fait danser, Dieu sait s’il a toujours un nombreux auditoire ! Un jour qu’il voulait donner une nouvelle preuve de son talent à toute la classe assemblée,



il attache un joli petit pantin sur le devant de la chaire du professeur, et au moyen d’une ficelle fixée au pantin, et qui correspond à son pied, il le fait danser à ravir, pendant que le professeur l’interroge. Le jeune audacieux répond tout de travers à ce qu’on lui demande, et la classe entière étouffe des éclats de rire. Le professeur croit bonnement que l’on se moque du pauvre enfant, et s’écrie : « Messieurs ! c’est mal, très-mal de se moquer ainsi. » Mais on rit plus fort… Le pantin avait redoublé d’ardeur dans ses évolutions. Enfin le professeur n’y tenant plus, sort de sa chaire pour admonester un petit gaillard qui riait plus fort que tous les autres… Grand Dieu, que voit-il ? ô désolation ! qu’il avait été dupe, et que la classe était métamorphosée en un théâtre de marionnettes.

Alors on ne rit plus ; le professeur, courroucé, va prononcer une terrible sentence. En effet, Francisque fut mis au cachot et les autres condamnés au pain sec… Et le pantin ? Ah ! ma foi, on assure que le professeur le mit soigneusement dans sa poche et qu’il s’en est amusé longtemps avec son plus jeune enfant.

Être miope et rempli de mérite sont deux choses qui, malheureusement, ne se rencontrent que trop souvent.

Un professeur d’un collège de Paris est dans ce cas.

Un jour que nous avions trouvé le moyen d’arriver près de sa classe, nous y avons remarqué une malice collégienne dont le professeur, nous garantissons le fait, a beaucoup ri lui-même… hors la classe, s’entend. Ce professeur respectable et très-aimé de ses élèves avait, contre son habitude, quitté un instant ses lunettes, et au lieu de les placer dans la poche de son gilet, il les laisse tomber à terre.

Un collégien les aperçoit et les ramasse. Il ignorait, gardez-vous bien d’en douter ! qu’elles appartinssent au professeur, autrement… Son premier mouvement fut de braquer les lunettes sur son nez… Et tous ses camarades d’étouffer leur envie de rire.

Le professeur cherche dans toutes ses poches. Pas plus de lunettes que sur la main… cependant, il a besoin d’y voir clair.

Enfin, il se hasarde. « Messieurs, n’auriez-vous pas trouvé mes lunettes ?



— Non, monsieur, répond hardiment celui qui les avait sur son nez.

— Diable ! c’est étonnant, » ajouta le professeur, dont la vue ne pouvait rien distinguer à quelques pas devant lui.

Mais un sourd bourdonnement se fait entendre. On entend de tous côtés : il faut les rendre, il faut les rendre !

Si malice et bonté ne sont point incompatibles, c’est sur la gibecière des collégiens que l’on pourrait incruster ces mots. Les lunettes furent adroitement placées sur la table du professeur… Mais s’il a la vue basse, il a l’oreille diablement fine… il se douta de l’espièglerie ; disons mieux, il la devina.

Que fit-il ? rien. Il aimait ses élèves et en était aimé. Et puis, il avait été collégien.

C’est une position grave que celle d’un professeur en face de jeunes hommes qui commencent, comme on dit, à se sentir vivre. Il faut apporter beaucoup de circonspection dans les questions qu’on leur adresse.

Un ancien professeur, occupant aujourd’hui un poste des plus éminents, adressait, à ce qu’on appelle au collége un grand, une question à laquelle il eût peut-être été fort embarrassé de répondre lui-même.

« Monsieur, lui dit-il, avec quelle matière ont été construites les murailles de la Chine ? (Le professeur, après avoir parlé, brandille sa jambe en signe de contentement de lui-même.)

L’ÉLÈVE. — Mais, monsieur, je ne saurais sans préparation, sans recherches assez grandes, répondre.

LE PROFESSEUR. — Vous ne connaissez pas l’histoire ?

L’ÉLÈVE, se recueillant de plus en plus et se parlant à lui- même. — Les murailles de la Chine… ah ! pardon, mille pardons, monsieur… Elles ont été construites… de pain d’épice. »

Le professeur, homme d’esprit, du reste, mais cette fois honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

Voyons maintenant le collégien en face de son maître d’étude, de son pion, comme il veut absolument l’appeler.

Un tumulte se fait entendre, et notre attention redouble… Le maître d’étude crie… les élèves rient de plus fort en plus fort… qu’est-il donc arrivé ?

Ce qui est arrivé ! ah ! je garantis que le collége ne l’oubliera pas.

Les naturalistes disent que le lézard est l’ami de l’homme, nous, pour être plus dans notre sujet, nous dirons que le collégien est l’ami du lézard.

Il y a dans le collège un mur à plate-forme, mur très-respectable par sa vieillesse, lequel est crevassé à tel point que je ne sais combien de lézards y élisent domicile.

À l’heure où le soleil darde ses rayons vivifiants sur le sommet du mur les lézards font leur promenade.

Le jeune Julien, au moyen d’un fourreau de parapluie placé au-dessus d’un des trous où se réfugient ces pauvres animaux, était parvenu à en attraper un d’une fort jolie dimension. Son lézard, auquel il avait donné le nom grec et parfumé de Théonis, ne le quittait pas… il lui avait fait un logement dans son pupitre.



Voilà que dans un moment où le pion cherchait à démêler sur la physionomie de tous les élèves si aucun d’eux ne lui préparait pas une mystification nouvelle, un élève se fait réprimander très-vivement ; plusieurs prennent la défense de celui-ci ; enfin il en résulte un mouvement, un froissement qui, ô malheur inouï ! fit sauver de sa cachette le lézard chéri.

En cet instant, le pion fait quelques pas et va s’appuyer le dos près d’une boiserie où le pauvre lézard croyait trouver asile ; l’infortuné animal, en désespoir de cause, prend une autre direction, et file de haut en bas justement à l’endroit où le pion s’était appuyé, et se précipite dans la poche de sa redingote, comme un nageur qui donne une tête.

Jusque-là le pion ne se doutait de rien, mais comme la fuite du pauvre Théonis excitait un peu trop l’hilarité, il se place au beau milieu de la classe et crie : Messieurs, silence ! ou toute la classe sera en retenue ; mais l’hilarité est à son comble.

Et grand Dieu, pouvait-il en être autrement ! Le malheureux lézard, craignant l’asphyxie dans la poche du pion, véritable cul-de-sac pour lui, se fait jour au travers un mouchoir et une tabatière, et prêt à s’élancer, passe la tête à l’orifice de la poche susdite.

Collégiens qui n’avez pas vu la scène, figurez-vous une classe tout entière riant aux larmes et la figure hébétée de celui qui, sans s’en douter le moins du monde, était le motif de cette joie, et vous aurez une idée de ce que nous venons de vous raconter, histoire qui, comme bien vous le pensez, eut une fin tragique, la mort du lézard Théonis, qui était, ma foi, fort beau… si nous en jugeons par l’animal empaillé que nous avons sous les yeux.

Au même instant nous apercevons un maître passé en espiègleries, qui sort de sa bouche une boulette de papier qu’il divise en deux parties, qu’il rejoint en leur donnant une forme plate.

La boulette, lancée avec vigueur par sa main, va se coller au plafond ; et aussitôt on voit se balançant au beau milieu de la classe un énorme bout de fil, à l’extrémité duquel est attaché un joli petit bonhomme découpé en papier, et auquel l’air agité fait faire toutes sortes d’évolutions… Malheureusement, et comme par une fatalité, il va presque toujours se jeter en plein sur le nez du pion. Décidément le pion est né sous une malheureuse étoile.



Cette aventure le dispose mal, comme bien on le pense, et le premier élève qui bougera… ah ! celui-là, suffit !

— Monsieur Edmond, encore une fois, vous tairez-vous ?

L’ÉLÈVE. — Mais, monsieur, je n’ai rien dit.

LE PION. — Vous me copierez huit cents vers.

L’ÉLÈVE, à son camarade. — Huit cents ; ce n’est rien du tout… prête-moi ta plume à huit becs.

— Eh bien, monsieur Léon, que faites-vous donc là sous la table ?

L’ÉLÈVE, avec assurance. — Rien du tout, monsieur.

LE CAMARADE VOISIN, en levant la main. — Monsieur, voulez-vous me permettre…


LE PION. — Allez.

Mais voilà que l’élève, qui veut partir comme un trait, ne peut démarrer sans entraîner cinq ou six camarades… ô espièglerie incarnée…

Le jeune Léon avait attaché, les uns avec les autres, tous les cordons des souliers de ses voisins… de sorte qu’il en résulta une bousculade dont la classe a gardé le souvenir.

Et pour ajoutera ce petit scandale, de petites boulettes de pain posées sur un élastique de bretelle comprimé avec la pouce et l’index, et qu’on lâche soudain, décrivent des courbes superbes et se croisent en tous sens. Oh ! c’est alors que la poitrine des collégiens est gonflée de joie, que leurs yeux brillent de bonheur et que… le pion bisque de toute son âme !

— Monsieur Charles, vous ne travaillez pas !

L’ÉLÈVE. — Mais si, monsieur.

LE PION. — Ah ! si… (il frappe avec une règle sur une baraque et le contre-coup fait ouvrir l’une des portes) ; c’est désespérant, monsieur…

En cet instant une nuée de hannetons s’envolent dans la classe, et c’est un bourdonnement à ne plus pouvoir s’entendre.

Collégiens et hannetons font chorus à qui mieux mieux, et dans sa colère, le pion ne serait pas éloigné de croire qu’il y a eu conspiration méditée, combinée des deux parts… et alors il médite à son tour une Saint-Barthélemi de hannetons… Le pion de collège hannetonicide ! Et pourquoi pas ?




dans sa fureur il eût mis le pied sur… un éléphant.

Une autre fois ce ne sera pas le tour aux hannetons conspirateurs, mais aux insolentes mouches qui, affublées d’un petit cornet de papier qu’on leur a enfoncé, non pas dans le cœur, le collégien n’est pas si cruel, mais ailleurs, voltigent en sens inverse dans toute la classe et ne se gênent pas pour aller se poser dans cet équipage sur la figure du pion.

Et pourquoi pas ? La mouche est audacieuse de sa nature ; ne la voyons-nous pas se carrer tour à tour

Sur la tête des rois et sur celle des ânes ?

« M. Félix, que tenez-vous là dans votre main ?



L’ÉLÈVE. — Monsieur, c’est un cornet de papier.

LE PION. — Qu’avez-vous besoin de cornet de papier ?… Vous mériteriez… Donnez-moi ça.

L’ÉLÈVE. — Voilà, monsieur. »

Le pion prend vivement le cornet et le froisse avec indignation ; mais il est rempli de vers à soie, et les pauvres animaux sont soudain à l’état de purée dans sa main.

Quelle fureur monstriforme de la part du pion ! Et comme elle redouble à cette naïveté de la part du jeune élève : Mes pauvres vers à soie, ils sont morts !

Le jeune Constant ne rêve que dessins, charges, caricatures. Il en fait sur toutes les marges de ses cahiers, sur les murs, voire même dans la paume de sa main, et cela avec une incroyable promptitude. Un jour qu’un pion s’était échauffé à faire de la morale à ses élèves, il choisit le moment où il était le plus animé, et crac ! en un clin d’œil, il lui fait en plein sur le dos la charge de M. l’économe du collège. On s’en aperçoit aussitôt, et le rire ne peut être contenu. Pour compléter cette scène, un audacieux crie : « Monsieur, vous ne pourrez savoir pourquoi l’ordre a été troublé qu’en ôtant votre habit. » Explosion générale ! On avertit monsieur l’économe, mais on assure qu’il adore les bonnes charges ; puis il avait donné la veille des haricots qui n’étaient pas cuits et des navets à l’état de bois de réglisse, moins le sucre de ce dernier, et l’on rapporte qu’il fut indulgent. Nous l’avons dit et le répétons :

L’écolier né malin, ne rêve… que malice.

Là nous bornerons nos récits sur les classes.

Nous n’avons pas, cependant, la prétention de croire qu’il n’y a plus rien à dire sur ce point-là ; chaque jour amène en quelque sorte son petit événement, son aventure, de nouvelles malices et espiègleries ; le dictionnaire des ruses du collégien n’est jamais fini ; il y travaille sans cesse, le pion dût-il de dépit en avoir la jaunisse depuis le 1er janvier jusqu’à la Saint-Sylvestre, qui est… le 31 décembre.