Les paysans (Jean Aicart)

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Les paysans (Jean Aicart)
Revue pédagogiquenouvelle série, tome VI (p. 303-304).

LES PAYSANS

Pour planter la nouvelle vigne,
Il faut d’abord caver profond,
Mais la terre est dure, et s’indigne
Contre les hommes qui le font :
Elle se défend, la rebelle !
Elle dit qu’elle ne veut pas !
… À coups de pioche, zou, contre elle !
— Les paysans sont des soldats.

C’est l’été, quand le soleil plombe,
Qu’il faut caver, pour faire bien ;
Le pic tombe, et la sueur tombe,
Car la terre ne donne rien !
Ah ! la gueuse ! il faut qu’on la force !
fl lui faut des bras et des cœurs
Pour frapper son cœur sous l’écorce…
Les paysans sont des vainqueurs.

Ils descendent dans la tranchée,
Et s’enterrant jusqu’aux genoux,
Le dos tors, la tête penchée,
Is vont piochant, ceux de chez nous !
Toujours avant, jamais arrière,
À chaque coup, à chaque pas,
Le pic fait fumer la poussière !
— Les paysans sont des soldats.

Si vous croyez que c’est pour rire,
Soupesez leurs outils pesants !
Ah ! la terre pourrait vous dire
S’ils sont braves, nos paysans !
Un seul contre celle en vaut bien quatre,
Et laissez causer les moqueurs,
La conquiert qui sait la combattre !
— Les paysans sont des vainqueurs.

Et quand le « bien », d’un bout à l’autre,
Motte après motte est retourné,
Alors, le « bien » est vraiment nôtre :
Il est conquis, il s’est donné !
Alors, c’est fini la souffrance !
Au beau mitan du champ, là-bas,
On plante le drapeau de France !
— Les paysans sont des soldats.


Cette chanson me fut payée,
Argent de France, six écus,
Pauvre somme, bien employée,
Car les six écus seront bus !
Je les ai donnés avec joie,
Un jour d’août, à des paysans
Qui savent comment on emploie
Au soleil, les écus luisants !

Ils les boiront, face allumée,
La main haute, comme il faudra,
À la Vigne leur bien-aimée,
À la mort du phylloxera !
Ils les boiront à l’Espérance,
À tout ce qui ne mourra pas,
À la Vigne, au Vin, à la France !
— Les paysans sont des soldats.