Les principaux monuments funéraires/Mercœur

La bibliothèque libre.

ÉLISA MERCŒUR.




Mercœur (Elisa) naquit à Nantes (Loire-Inférieure), le 24 juin 1809. La première de ses poésies date du mois d’octobre 1825, lorsqu’elle avait à peine seize ans. Ce ne fut pas seulement dans sa ville natale que ses rares dispositions furent remarquées : en 1826, l’Académie provinciale de Lyon, qui venait d’être établie, admit Mlle Mercœur au nombre de ses membres-correspondants. La jeune académicienne, pour exprimer sa reconnaissance à cette Société, lui fit hommage de la pièce intitulée la Pensée, qu’elle accompagna de la lettre suivante : « Rivaliser de gloire avec ces Muses aimables et célèbres dont la patrie s’enorgueillit en adoptant leurs succès, n’a point été mon espérance ; mais j’ai éprouvé un sentiment d’orgueil en songeant que mon nom pourrait trouver une place auprès de leurs noms chéris. Cette espèce de rapprochement est la première feuille de ma couronne littéraire. Puissent, à l’avenir, des suffrages mérités joindre quelques lauriers à cette feuille précieuse. Union et Tolérance, telle est la devise qu’a choisie l’Académie provinciale : un sourire et son indulgence, telle est la prière que je lui adresse aujourd’hui ! »

Au mois de mai 1827, Mlle Mercœur reçut le diplôme de membre-correspondant de la Société académique de la Loire-Inférieure, qui dérogea en sa faveur à ses règlements, puisqu’aucune femme résidant à Nantes n’avait jusqu’alors obtenu cette distinction. Après la publication de ses poésies, la Société Polymatique du Morbihan ajouta un nouveau lustre aux succès littéraires de Mlle Mercœur en la recevant au nombre des membres de cette Société.

De nouveaux encouragements et d’illustres suffrages accueillirent ce premier recueil de poésies : M. de Chateaubriand, à qui l’auteur l’avait dédié, comme au plus illustre de ses compatriotes, lui adressa des remercîments, en ajoutant que si la célébrité était quelque chose de désirable, on pouvait la promettre à l’auteur des vers charmants qu’il avait reçus.

Un autre hommage rendu au talent de notre jeune poète dut toucher bien différemment son cœur : M. de Lamartine écrivit de Florence, en date du 9 octobre 1827, à un littérateur de ses amis qui lui avait envoyé les poésies de Mlle Mercœur : « J’ai lu avec autant de surprise que d’intérêt les vers de Mlle Mercœur, que vous avez pris la peine de me copier. Vous savez que je ne croyais pas à l’existence du talent poétique chez les femmes. Cette fois je me rends, et je prévois, mon cher, que cette petite fille nous effacera tous, tant que nous sommes. »

Un pareil jugement suffit pour donner une idée de la haute réputation à laquelle Mlle Élisa Mercœur serait parvenue, si une mort prématurée ne l’eût enlevée aux admirateurs de son génie et de ses brillantes qualités personnelles. Jamais le crayon n’a tracé sur aucune tombe d’aussi nombreux témoignages d’affliction et de regrets que sur celle qui renferme ses restes précieux. Elle est décédée le 7 janvier 1835, et a été inhumée au cimetière du Père-Lachaise. Son monument se compose d’un simple sarcophage en pierre, élevé sur un soubassement, aux quatre faces duquel sont gravées des inscriptions tirées du recueil de ses poésies.

Sur la façade principale, on lit :


ÉLISA MERCŒUR,
née à Nantes, le 24 juin 1809,
décédée à Paris, le 7 janvier 1835,
rue du Bac, N° 43.




Déjà de frais lauriers ombrageaient sa carrière,
Mais ces jours si brillants devaient trop tôt finir.
Plus beau que le talent qui nous la rendait chère,
Ce trait, comme ses vers, vivra dans l’avenir :
Elle adorait, servait et nourrissait sa mère.

Par Mme la Comtesse d’Hautpoul.


Au livre du destin s’il essayait de lire,
L’homme verrait à peine une heure pour sourire,
Un siècle pour pleurer.

Élisa Mercœur, à 16 ans.


Sur la façade latérale de gauche, on lit :


LA GLOIRE ET L’INDIGENCE.
Ode.

……? Ici-bas le poète,
Chaque jour repoussé par la pitié muette,
N’a jamais que de loin contemplé le bonheur ;
Et de gloire et d’oubli s’abreuvant tout ensemble,
Sans le trouver, cherchant quelqu’un qui lui ressemble,
N’a pas un sein ami pour appuyer son cœur.

Du mortel indigent coupable de génie
C’est, hélas ! au tombeau que le crime s’expie ;
La pierre du cercueil est son premier autel :
Il existe, on l’insulte ; il expire, on le pleure ;
Il commence de vivre à cette dernière heure…
Sous la main du trépas il devient immortel.
Aigle si près des deux, dans ton vol arrêté,
Réponds » toi qui le sais, combien coûte la gloire ?
Combien s’achète un mot d’histoire ?
Combien as-tu payé ton immortalité ?…

Élisa Mercœur, à 17 ans.


Sur la façade postérieure sont gravés ces vers :


Quand descendra sur moi l’ombre de la vallée,
Qu’on verse en me nommant sur ma tombe isolée
Quelques larmes du cœur.

Mais ces larmes, hélas ! qui viendra les répandre ?
Et, plaintif, tristement imprimer sur ma cendre
Le pas de la douleur ?

Mais le ruisseau demain rafraîchira les roses,
Elles retrouveront son mobile miroir,
Et moi, comme les fleurs qui s’effeuillent écloses,
La mort va me cacher sous les ailes du soir.
J’ai froid, et je voudrais m’attacher à la vie ;
De ce cœur pour t’aimer ranime la chaleur,
Tel, après ses adieux, un tremblant voyageur
Jette un dernier regard vers la douce patrie.

Élisa Mercœur, à 16 ans.


Sur la façade latérale de droite :


LE CIMETIÈRE.


Tranquillement ici dort une ombre isolée :
Cette humble croix l’indique, et vous passez, hélas !
Un riche monument ne la renferme pas :
Ah ! celui qui n’est plus, quand un ami le pleure,
Ne peut avoir besoin d’une vaine demeure ;
Dort-on plus doucement sous un marbre orgueilleux ?
Un souvenir, des pleurs, voilà ses derniers vœux ;
Et son ombre à la vie échappant consolée,
Dans le cœur qui l’aima trouve son mausolée.
Mais soudain quels accents dans le séjour de deuil ?
Ce sont des chants d’adieu consacrant un cercueil.
Toi que dans cet instant on vient rendre à la terre,
Peut-être enviais-tu la paix du cimetière ?…
Ah ! tout est froid déjà : ton cœur, jadis brûlant,
N’a pas même un soupir, un léger battement.
Peut-être aussi la mort achevant son délire
Sur ta bouche entrouverte a glacé le sourire !
Peut-être espérais-tu de longs jours de bonheur !
Le bonheur est-Il donc où le cherche l’erreur ?
Quand l’âme fuit la terre en rejetant son ombre,
C’est une étoile unie à des flambeaux sans nombre ;
Mais dans la nuit du monde, en voilant sa clarté,
C’est un pâle rayon perçant l’obscurité.
La nuit bientôt s’écoule, et d’un réveil tranquille
L’homme jouit enfin, dans son dernier asile.

Élisa Mercœur, à l’âge de 16 ans.


Comme un enfant chéri pose-moi sur le bord.
Mon cœur ressemble au ciel lorsqu’il est sans nuage ;
Il n’a pas de remord.


Lorsque la mère d’Élisa Mercœur aura cessé de pleurer
Sa fille, on la déposera dans ce caveau

Priez Dieu pour sa pauvre enfant !


Le monument a été construit par M. Lefèvre, sculpteur marbrier.