Les rues de Paris/Andrieux

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Bray et Rétaux (tome 1p. 22-25).


ANDRIEUX



Andrieux (François-Guillaume-Jean-Stanislas), né à Strasbourg, le 6 mai 1759, est connu surtout par des comédies, la pièce des Étourdis entre autres, et des contes en vers et en prose dont quelques-uns sont charmants. Qui n’a lu le Meunier sans souci ? Par malheur, plusieurs de ces récits ne sont point des plus louables, soit pour le fond, soit pour la forme : ainsi, l’Épître au Pape (1790) ; la Querelle de saint Roch et de saint Thomas (1792) ; la Bulle d’Alexandre VI (1802). Tout cela se sent trop de l’esprit du temps, de l’esprit du dix-huitième siècle dont le poète partageait les préjugés. Il est juste de dire que ces pièces, parues dans divers recueils périodiques de l’époque, n’ont point été comprises par Andrieux dans la collection de ses œuvres.

« Professeur pendant trente années au Collége de France, dit un biographe[1], il a formé plusieurs générations d’hommes qui, en diverses carrières, ont illustré la France. Il fut jugé intègre, législateur sans ambition, poète aimable, joyeux auteur. » C’est de lui ce beau vers inspiré par Ducis, son ami :

L’accord d’un beau talent et d’un beau caractère. Andrieux mourut à Paris, le 9 mai 1833. Quoique déjà malade, il se

refusait à quitter sa chaire :

― Un professeur doit mourir en professant, répondait-il au médecin qui lui parlait de repos. C’est mon seul moyen d’être utile maintenant : qu’on ne me l’enlève pas ; si on me l’ôte, il faut donc me résoudre à n’être bon à rien.

― Vous y périrez !

― Eh bien ! c’est mourir au champ d’honneur.

« Sa parole était simple, spirituelle, malicieuse quelquefois, jamais maligne et toujours empreinte d’une exquise urbanité », a dit M. Berville dans sa notice… « Nul ne contait mieux, ne lançait mieux une saillie, ne relevait mieux son discours par le charme du débit et par la vivacité d’une pantomime expressive… Aussi deux heures avant la leçon, toutes les places étaient prises. »

Cependant ni l’indépendance ni la fermeté ne manquaient au besoin à son caractère. Après avoir fait partie du Conseil des Cinq-Cents (1798), membre du Tribunat (1800), il fit dire de lui au premier Consul :

« Il y a dans Andrieux autre chose que des comédies. »

Un jour, Bonaparte se plaignant devant lui des hostilités du Tribunat, qui se montrait souvent opposé aux actes de son administration, Andrieux répondit avec son fin sourire :

« Vous êtes de la section de mécanique (à l’Institut), et vous savez qu’on ne s’appuie que sur ce qui résiste. »

Rendu à la vie privée par la suppression du Tribunat (19 août 1807), Andrieux s’en consola en disant : « J’ai rempli des fonctions importantes que je n’ai ni désirées ni demandées, ni regrettées ; j’en suis sorti aussi pauvre que j’y étais entré, n’ayant pas cru qu’il me fût permis d’en faire des moyens de fortune et d’avancement. Je me suis réfugié dans les lettres, heureux d’y retrouver un peu de liberté, de revenir tout entier aux études de mon enfance et de ma jeunesse, études que je n’ai jamais abandonnées, mais qui ont été l’ordinaire emploi de mes loisirs, qui m’ont procuré souvent du bonheur et m’ont aidé à passer les mauvais jours de la vie. »

Ces mauvais jours ils étaient pour Andrieux la conséquence de la suppression de son emploi, car sans fortune et père de famille, ayant à sa charge, avec de jeunes enfants, une mère et une sœur, il se trouvait dans une situation fort difficile. C’est alors que Fouché, ministre de la police, qui en fut instruit, l’ayant fait venir, lui offrit une place de censeur en ajoutant :

— On ne peut craindre avec moi que la censure dégénère en inquisition. Ce ne sera qu’une censure anodine. Je ne prétends nullement comprimer la pensée : les idées libérales se sont réfugiées dans mon ministère.

— Tenez, citoyen ministre, répondit Andrieux, mon rôle est d’être pendu, non d’être bourreau.

Et il sortit. À quelque temps de là eut lieu la proclamation de l’Empire. Un matin, une voiture à la livrée impériale s’arrête devant la modeste habitation dont Andrieux était un des locataires. Un personnage en descend, devant lequel la porte s’ouvre, et, à la grande surprise d’Andrieux, on annonce :

— Son Altesse le prince Joseph Napoléon !

Collègue d’Andrieux au Corps législatif, et d’habitude assis près du futur académicien avec lequel il aimait à s’entretenir, Joseph, dans la prospérité, ne l’avait point oublié. Allant à lui de l’air le plus affectueux et serrant sa main, il lui dit :

« Il me tombe sur les bras une grande fortune, il faut que mes amis m’aident à en faire bon usage. »

Andrieux fut nommé bibliothécaire du prince avec 6,000 francs d’appointements ; puis membre de la Légion d’honneur ; deux ans après, il devint bibliothécaire du Sénat et professeur de grammaire et belles-lettres à l’École polytechnique. En 1814, il fut nommé professeur de littérature au Collége de France.

Andrieux n’oublia jamais à qui il était redevable de son heureuse situation. Le portrait de Joseph avait la place d’honneur dans son cabinet, et tous les ans ses lettres venaient témoigner de sa fidèle et pieuse gratitude en portant au bienfaiteur le souvenir de l’obligé. Dans le Dialogue entre deux journalistes sur les mots Monsieur et Citoyen (1797), Andrieux parle ainsi de lui-même.

Mon esprit n’admet rien qui soit exagéré,
Et j’ai même eu l’affront qu’on me crût modéré.

On peut juger par ces deux vers de la nature de son talent et l’on ne s’étonnera pas si nous ajoutons, qu’aujourd’hui la forme chez lui paraît un peu démodée.



  1. Bibliographie Universelle