Les rues de Paris/Flamel (Nicolas)

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Bray et Rétaux (tome 1p. 374-379).


NICOLAS FLAMEL



« Flamel l’aîné, écrivain, qui faisait tant d’aumônes et hospitalités, et fit plusieurs maisons où gens de métiers demeuraient en bas, et du loyer qu’ils payaient étaient soutenus pauvres laboureurs en haut. »

Voilà ce qu’un auteur à peu près contemporain, Guillebert de Metz, qui écrivait vers 1430, nous dit de ce personnage singulier, « complexe, comme s’exprime M. Vallet de Viriville, et qui par un côté appartient à la biographie et par l’autre touche au roman et à la légende. »

On n’est fixé ni sur le lieu ni sur la date de sa naissance, qui, selon toute probabilité et par induction, d’après des faits authentiques, ne saurait remonter au-delà de 1330. Ce qui n’est pas douteux, c’est que Flamel exerça de bonne heure la profession d’écrivain-libraire, laquelle, avant la découverte de l’imprimerie, regardée comme une profession libérale, ne donnait pas moins de considération que de profit. La calligraphie, à cette époque, était à son apogée ; le roi (Charles V) et ses frères, Jean, duc de Berry, et Philippe, duc de Bourgogne, ainsi que leur neveu, Louis, duc d’Orléans, faisaient exécuter à l’envi ces magnifiques manuscrits qui sont encore de nos jours l’ornement de nos plus riches bibliothèques. Les docteurs si nombreux de l’Université, d’autre part, multipliaient avec non moins de zèle les livres originaux.

Flamel qui, paraît-il, exerçait sa profession plutôt en commerçant, en industriel, qu’en artiste, visant surtout à l’utile, se trouvait déjà dans une position fort satisfaisante, lorsqu’il épousa, par intérêt, sans doute, autant que par amour, une bourgeoise de Paris, la dame Pernelle, deux fois veuve, et qui, possédant quelque bien, accrut l’actif de la communauté, tant par son apport que par ses talents de ménagère, sobre, laborieuse, active, économe, le modèle du genre en un mot.

Les époux habitaient d’abord deux modestes échoppes d’écrivain adossées à l’église Saint-Jacques-la-Boucherie. Ces échoppes, rebâties et agrandies, devinrent des maisons, et vis-à-vis, sur un terrain vague acheté par l’écrivain-juré, s’éleva une autre maison plus grande, un véritable hostel tout enrichi au dehors d’histoires (sculptures) et devises peintes ou gravées. Dans cet hostel, en sa qualité de calligraphe agrégé et émérite, Me Flamel instruisait dans son art des écoliers externes ; d’autres y demeuraient en bourse, c’est-à-dire comme pensionnaires. L’argent ainsi lui venait de tous les côtés à la fois, car les manuscrits, copiés par ses élèves les plus habiles, tout probablement se vendaient à son profit, au moins pour une partie. Riches de plus en plus, les deux époux s’honorèrent d’ailleurs par le bon emploi de leur fortune, en faisant construire une arcade au charnier ou cimetière des Innocents, ainsi que le petit portail de l’église en face de leur maison.

Quelques années après, Flamel devenu veuf, et qui avait hérité de sa femme, les époux s’étant fait donation mutuelle, était réputé le bourgeois le plus riche de Paris, et cette fortune considérable il ne cessait de l’accroître par son industrie. Il continuait aussi ses libéralités dont le sentiment religieux paraît avoir été le premier, le principal, sinon le seul mobile. Il fit élever une seconde arcade au charnier des Innocents, aida à la construction de nombreuses églises, monastères, maisons de charité, etc., et fit don en outre de dix-neuf calices aux églises ou chapelles. Sans doute un peu de vanité se mêlait à tout cela puisque sur tous ces calices on voyait son chiffre, en même temps que, sur la plupart des monuments, il avait soin de se faire représenter en image ou statue, ainsi que feue Pernelle, son épouse. Mais on ne peut douter cependant, qu’à part quelque ostentation peut-être, la piété, comme nous l’avons dit, ne fût son grand mobile ; cette conviction résulte en particulier pour nous de la lecture de son remarquable testament, commençant ainsi :

« Par devant, etc… a comparu, Nicolas Flamel, sain de corps et pensée, bien parlant et de bon et vrai entendement, et comme il disait et comme de prime face apparaît, attendant et sagement considérant qu’il n’est chose plus certaine que la mort, ni chose moins certaine que l’heure d’icelle, et pour ce que, en la fin de ses jours, il ne fit et ne soit trouvé importunité sur ce, non voulant de ce siècle trépasser en l’autre intestat, pensant aux choses celestiaux et pendant que sens et raison gouvernent sa pensée ; désirant pourvoir au salut et remède de son âme, fit, ordonna et avisa son testament ou ordonnance de dernière volonté, au nom de la glorieuse trinité du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, etc. »

Suivent les dispositions testamentaires qui sont toutes relatives à des legs pieux et fondations, et ne contiennent pas moins de seize pages petit texte dans le livre de Piganiol de la Force[1], où le testament est cité textuellement et tout au long. Nous savons par là le chiffre de la fortune de N. Flamel, chiffre que la rumeur populaire avait singulièrement exagéré. En effet, « tous les legs désignés pour une fois payés, dit l’abbé Vilain, se réduisent à 1,440 livres parisis ou 1,800 livres tournois, somme qui dans ce temps-ci serait représentée par celle de 12,234 livres 15 sols, et somme qui ne fut payée qu’en sept ans. Quant aux fondations perpétuelles, il resta pour leur acquit à peine 300 livres parisis de rente. »

Il y a loin de là, sans doute, à l’énorme richesse que la crédulité populaire attribuait à Nicolas Flamel et dont la source, au dire de tous ou de la plupart, ne pouvait être qu’étrange et mystérieuse. Cette réputation, non seulement survécut à Flamel, mais elle ne fit que s’accroître et pendant longtemps, plus de deux siècles après, même les érudits et les autres discutaient sur l’origine de cette fortune, attribuée par les uns à la découverte d’un trésor caché, par d’autres à celle de la pierre philosophale ou transmutation des métaux d’or pur. Cette opinion même prévalut, appuyée qu’elle était de passages significatifs tirés d’un petit livre sur la science hermétique qu’on disait, mais à tort, écrit par Flamel. Nous voyons qu’en 1742, un écrivain, homme de sens et de mérite, Piganiol de la Force, incline à ce sentiment insinué sinon formulé dans son second volume, quoique plus tard ébranlé, ainsi qu’il l’avoue, par la publication du savant ouvrage de l’abbé Vilain : Histoire critique de Nicolas Flamel, etc., il paraisse hésitant et même tout près de se rétracter : « Ce judicieux auteur (l’abbé Vilain), écrit Piganiol, a fait voir par un inventaire très-exact de tout ce que Flamel a eu de biens, que ce prétendu philosophe ne jouissait pas d’une fortune aussi immense que le veulent les alchimistes, et que les dépenses qu’on lui attribue n’étaient pas aussi considérables pour être au-dessus des facultés d’un écrivain (calligraphe) qui était fort occupé dans sa profession et qui, par conséquent, gagnait beaucoup. »

C’est l’opinion, aujourd’hui généralement adoptée et que formulait récemment M. Vallet de Viriville : « L’idée qu’on se fait, d’après ces renseignements authentiques, au sujet de Nicolas Flamel, n’est déjà plus celle d’un bourgeois vulgaire. On y voit : un homme sagace, habile au gain, amoureux de sa renommée, imitant la dévote et vaniteuse ostentation des princes de son temps, mais mêlant à ces travers le zèle du bien, du juste et de l’utile. »

Flamel mourut en 1418 ; il fut enterré dans l’intérieur de l’église Saint-Jacques-la-Boucherie, à laquelle (n’ayant point d’enfants), il avait légué la meilleure part de sa fortune.

En outre des constructions, dont nous avons parlé, Flamel, ayant acquis du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, dans le faubourg, un grand terrain, « fit construire en ce lieu, dit M. de Viriville, divers édifices d’un caractère mixte ; c’étaient à la fois des institutions utiles, des maisons de rapport et des établissements de charité. » Le produit des locations du rez-de-chaussée, notamment, servait à l’entretien de pauvres laboureurs auxquels l’âge ne permettait plus le travail et qui se trouvaient logés à l’étage supérieur. En récompense de cette charité, on ne leur demandait que de réciter tous les jours un Pater et un Ave Maria à l’intention des pécheurs trépassés. Aussi, sur la façade de la principale maison, dite du Grand Pignon, qui subsiste encore rue Montmorency, 51, on lisait en gros caractère cette inscription véritablement touchante :

« Nous, hommes et femmes, laboureurs demeurans ou porche (sur le devant) de ceste maison, qui fut faicte en l’an de grâce mil quatre cens et sept (1407), sommes tenus, chascun en droit soy, dire tous les jours une patenostre et j. Ave Maria en priant Dieu que de sa grâce face pardon aus povres pecheurs trespassez. Amen. »



  1. Histoire de Paris.