Les secondes oeuvres de mesdames Des Roches, de Poictiers, mère et fille/Dialogue de Placide et Severe

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Les secondes oeuvres de mesdames Des Roches, de Poictiers, mère et fille
Nicolas Courtois (p. 35-43).

DIALOGVE
DE PLACIDE ET SEVERE.


Placide.


VOICI noſtre voiſin Seuere, qui s’en vient ayant la face merueilleuſement refrongnée : il a veu dans ſa maiſon quelque perſonne qui luy fâche, & s’en plaint tout a part luy.
Seue. O la grãd peine que c’eſt d’auoir Femmes, ou Filles a gouuerner ! Vray’ment ie ne m’eſtonne point, dont vn renommé Philoſophe, penſe les deuoirs tenir au rang des Animaux ſans raiſon. Et ſi iamais pauure homme s’eſt trouvé affligé de leurs importunitez, ie ſuis ce miſerable. I’ay vne Femme rioteuſe, facheuſe, dédaigneuſe : i’ay vne Fille éventée, affetée, éfrontée : Ce-pendant il faut que ie ſoufre en deſpit de moy, le chagrin de l’une, & la vanité de l’autre. Mais ie voy le vieillard Placide venir en ça, lequel ayant en ſa maiſon méme charge inutile que moy, d’vne Fille ennuyeuſe, me pourra biẽ dire cõmẽt il ſe deporte enuers elle, afin que ie prenne ſon exẽple, s’il me ſẽble bon. Or ie m’en vais le ſaluer, combien que ce ne ſoit pas ma couſtume d’acoſter gueres de peuple. Bonſoir Placide. Pla. Dieu vous contẽte, Seigneur Seuere, vo9 & tout ce que vo9 aymez. Sev. Croiez que tel ſalut n’eſt pas vniuerſel : Car ie n’aime perſonne en ce monde que moy : auſſi n’ay-ie occaſion d’aimer aucun. Pla. Hé dea ! n’auez vous point cauſe de tenir voſtre Fẽme chere ? Sev. Ah ! qu’il vous eſt aiſé à dire pour-ce que vous n’en auez plus. Que ie voudrois de bõ cueur eſtre auſſi heureux cõme vous ! la voſtre eſt morte & la miẽne ſeulemẽt abſente : qui par ſa déplaiſante vie me fait mourir a toute heure. Pla. Nous auõs les opiniõs fort diuerſes de nos Femmes, qui eſtoient peut eſtre encore plus diferentes entre elles. Sev. Ie ne ſçaurois pẽſer qu’il y ait diference :

Car toutes ſont des Hommes aduerſaires.

Pla. Mais toutes ſont aux Hommes neceſſaires.

Et ſi ce neſtoit que ie voi le deſiderable pourtrait de mon Eſpouſe en la face & aux coutumes de ma Fille, ie languirois en cete penible vie. Sev. O le bon mari, que vo9 auez été ! Mais a propos de voſtre Fille, dites moy comment elle ſe maintiẽt. Pla. Comme ie veux, & qu’il me ſemble qu’elle doit. Sev. La miẽne fait au cõtraire de ſon deuoir, & de ma volonté. Iamais ie n’ay vu ſi grãd’ trotiere : elle voudroit voir en vn iour l’ũ & l’autre my-ciel, cõme les grües. Combien que ie luy cõmande ſur tout d’arreſter au logis, d’auoir ſoing du ménage : il n’eſt poſſible de la retenir. Ie ne ſuis pas ſorti pluſtoſt qu’elle eſt a la feneſtre, a la porte, en la rüe, en viſite, elle n’a point de repos, ny moy non plus. Or dites moy, Que fait la voſtre maintenant, ou eſt elle ? Pla. En ſa chãbre. Sev. Seule ? Pla. Non, elle eſt auec des ames ſans cors, & des cors ſans ames, faiſant marcher les premiers dãs vn chariot ailé, dõnant aux autres eſpritz & mouuemẽs. Sev. Il ſẽble que vous veuilliez repreſãter quelque Medée. Plac. Non pas : mais bien vne Fille auſſi douce & debõnaire a ſon Pere, que Medée a voulu eſtre cruelle & mauuaiſe au ſien. Sev. Quelz Enigmes dites vous donc ? ie ne puis les entendre. Pla. Si ferez, ilz ſont faciles. Ces Cors animez par elle ſõt des Lutz & Violes que ſa main fait reſonner : les Ames élevées dans le chariot ailé ſont les belles Sentẽces de Plutarque, & de Seneque volantes ſur les ailes de ſes pẽſers, & propos. Sev. Commẽt Placide ? luy permetez vous bien de lire telz Auteurs ? Et ne craignés vous point de les profaner, laiſſant paſſer leurs noms ſeulement par la bouche d’vne Fille. Plac. Ces philoſophes auoient opinion, que les perſonnes moins polues eſtoyẽt plus capables des diſciplines. S’il eſt ainſi les Fẽmes & Filles ſõt plus dignes des letres que les Hommes, pour eſtre plus ſobres, chaſtes & paiſibles. Sev. Vous me faites deſeſperer tenant ces propos : comme ſi l’Imbecillité de ces petites Beſtioles deuoit eſtre comparée à la grande ſufiſance, qui iournellemẽt ſe connoiſt en nous. Et outre cete preference leur permettant de lire, ce qu’il leur plaiſt, vous donnez licẽce de faire tout ce qu’elles veulẽt. Plac. Ie l’entends ainſi. Mais eſtant guidées par les bonnes letres, elles ne voudront rien faire, qui ne ſoit raiſonnable. Sev. Comme ſi la raiſon auoit place en elles.

Placide.

Ceux qui ont vn peu de raiſon
L’accroiſſent bien par la Sçience,
Mais elle quite ſa maiſon,
Aux maux que traine l’Ignorance.

Soit que les Femmes vous ſemblent ſottes, ou ſages : pourtant ie ſerois d’auis qu’on leur permiſt touiours de lire, afin que les vnes ſe puſſent diminuer la ſottiſe, les autres acroiſtre la ſageſſe, par le moien des liures, qui leurs ſont tres-neceſſaires, quãd ce ne ſeroit que pour les retenir ſolitaire en la maiſon, ſans eſtre oyſiues. Sev. O quel mal-heur de voir vne Femme ſçauante ! Plac. He ! quel eſt-il ? dites ie vous prie.

Sev. C’eſt vn monſtre. Plac. Si ſont bien quelque fois les plus excellentes choſes du Monde. Les mõſtres ne ſont pas touiours teſmoins de l’erreur de Nature, mais ilz demonſtrent ſouuent cõbien ſa puiſſance est grande. Les monstrueuses Beautez, Graces, Vertus, & Sciences d’Iocasie, la rendirent admirable entre les Hommes, & luy donnerent moyen de se passer d’eux toute sa vie, demeurant en perpetuelle virginité. Sev. Ha ! vraiment je suis contant, que toutes les sçavantes demeurent encore ainsi, & jamais ne conseilleray aux Hommes de les rechercher. Pla. Or dites moy, Seigneur Severe, vous trouvez vous bien en mariage ? Sev. Autant mal qu’il est possible. Pla. Et votre femme est elle sçavante ? Sev. Ho, ce n’est qu’une grosse beste, qui ne sçait pas honorer son mari, ny ordonner son ménage, ce que je veus qu’elle aprenne seulement, & non pas a frequenter les livres. Il ne luy faut autre Docteur que ma voix. Pla. Voire mais ainsi que vous dites, il y a long tans que vous prenez peine a la persuader, & ny avez pas encore beaucoup advancé : de sorte que vos labeurs sont inutiles, ou vos plaintes fauses. Sev. Mes plaintes ne sont point fauses, mais ouy bien les Femmes, comme j’en fais ordinaire preuve. Pla. Ce mal vous est justement deu, puis que la guerison estant en votre puissance, vous ne voulez pas la recevoir. La Femme d’Ischomache aprendroit a la vostre a faire son devoir, si vous luy commandiez de lire la Menagerie de Xenophon. Sev. Hen hen, si je l’avois trouvée en tel empéchement, je luy ferois sçavoir que sa main doit toucher la quenouille non pas le livre. Pla. L’un de ces exercices aide l’autre. Pallas les avoit tous deux. Sev. Ce sont fables abusives. Les Femmes ne doivent jamais étudier. Plac. Pourquoy haissez vous tant les innocentes Muses ? Et qui vous meut a les vouloir chasser de vostre chambre, de vostre table, de vostre feu, vu qu’elles ny despendent rien, & profitent beaucoup ? Sev. Je sçay que les lettres sont entierement inutiles aux Femmes. Plac. Comme elles sont aux Hommes ! Seve. Vous moquez. Aprendront elles la Theologie, pour se presanter en chaire, faire un Sermon devant le peuple, aquerir des Benefices ? Plac. Non, mais elles aprendront la parole Divine, pource qu’elle commande aux Femmes d’obeïr a leurs maris, ainsi que l’on peut voir dans Genese. Aiant des Enfans, il leur sera plus facile aussi de les maintenir en la crainte de Dieu, de leurs Peres, & d’elles mémes. Davantage elles se guident heureusement par les preceptes des vertus, qui sont les plus riches Benefices, que l’on puisse aquerir. Sev. J’aimerois mieux une Femme simple, qu’une qui voudroit subtiliser ses opinions. Aiant apris ce que vous dites elles s’estiment trop fortes. Pla. Les Femmes simples & de foible entendement ressemblent ces rares nüées, qui craignant de fondre vont fuïant l’Astre journalier, ou s’il passe au travers d’elles, il n’y reste aucune trace de ses raions, mais comme la nue espaisse reçoit la clarté du Soleil, redoublant plusieurs fois en elle cete belle face, qui la rend illustre : Ainsi la Femme prudente, aiant rendu son Esprit fort par les discours de la Philosophie morale, reçoit humblement tel image, que luy veut donner son Mari, de qui le bien-aimé pourtrait paroist toujours en ses pensées, en ses paroles, & en toutes ses actions. Sev. Vous dites merveilles : de sorte que je permetz a ma Femme & a mes filles de lire l’Escriture sainte, pourveu qu’elles ne passent point outre. Pla. Je vous dy que toutes letres leurs sont necessaires, aussi bien qu’à nous. Sev. Elles n’estudieront pas aux loix. Pla. Elles n’en doivent pas estre du tout ignorantes. Sev. Ha ha, vous gâtez tout Placide : vostre peu de jugement sera cause dont je revoqueray mon dernier propos, interdisant a leur sottise, ce que j’avois permis a vostre affection. Pla. Et voulez-vous reprendre le peuple de Dieu pour s’estre laissé juger à Debore ? Sev. Je ne parle point des Loix Hebrieues, mais du Droit Romain. Pla. Voire, mais une Femme s’obligeant pour son Mari, doit elle renoncer au Droit Velleien sans l’entendre ? Héé, ceux qui ont Femmes riches en ce pays, leurs font bien sçavoir qu’elles peuvent donner leurs meubles et acquestz, avec le tiers de leurs heritages aux maris sur-vivans : pource que la loy de la coutume le permet.

Seve. Les hommes font profession de trois sortes de sciences, avec lesquelles ilz pratiquent, de la Theologie, la Jurisprudence, & la Medecine. Je suis d’advis, que vous apreniez aux Femmes encore le moyen de guerir les maladies, afin que de tous ars elles soyent en commun avecque nous. Pla. Celle qui fut disciple du sçavant Hierophile, monstra bien qu’elle aprenoit la Medecine pour le salut des autres. Il y en a encor aujourd huy, qui seules aident leurs petis enfans, allegent leurs voisines, guerissent leurs servantes, usant de certains remedes domesticz, que l’Experience fait connoistre. Sev. Celles qui sçavent tant de belles choses communément sont glorieuses, & dédaignent leurs maris, faisant des sufisantes. Comme j’apris l’autre jour d’une Tapisserie, qui estoit davant la cheminée d’Achariste, mon voisin. Il y avoit au milieu de la piece, une Femme pompeuse, assise en throne, tenant une plume en la main, un livre souz ses piedz : autour de la Tapisserie estoit écrit :


Quand une Femme sçait bien dire
Et fait profession d’écrire,
Elle dedaigne tous Auteurs,
Qui des ars furent inventeurs.

Rien ne luy plaist, chacun la fâche.
Tousjours pensive elle remâche,

Quelque parole de grand poix,
Qui se doit merquer sur ses doits.

Elle dit que sa Mere est folle,
Son Pere n’a point de parole,
Son Frere ne sçait aucun bien,
Sa Seur n’aprendra jamais rien.

Si sa voisine est un peu belle,
Ce n’est rien pourtant au pris d’elle,
De qui la grace & le sçavoir
Passent tout ce que l’on peut voir.

Quand elle sera en ménage,
Lon verra qu’une Femme sage
Gouverne beaucoup mieux les siens,
Que les Hommes plus anciens.

Fuiez donc la Femme sçavante,
Recherchez plustost l’ignorante.
L’une pourroit vous mespriser,
L’autre se laisse maistriser.


Voila Placide ce que j’apris, & qui me semble bien digne d’estre noté. Plac. Ainsi vous recueillez soigneusement les enfumées authoritez des devants de cheminées ? Sev. Faut-il pas recevoir enseignement de tout ? Pla. Il faut rechercher la verité de tout : mais ce que vous raportez est une erreur, que la raison & l’experience font connoistre pour telle. Sev. L’experience monstre que les Femmes qui excedent la Commune, aiment peu leurs maris. Pla. J’en appelle a témoins ces deux excellentes Romaines, Emponine, & Arrie, qui ne pouvant survivre leurs espoux les acompagnerent courageusement a la mort. Seve. Il seroit dificile d’en trouver de telles maintenant. Pla. Ouy, pour-ce que, défandant les livres, vous dérobez a leurs yeux ces exemples, qui les pourroient émouvoir a sentir pour vous, cette extréme affection. Sev. Mais celles qui sont tant habiles veulent souvent parler, & je me fâche de tant de caquet. Pla. Il me souvient d’avoir ouy dire une Chanson a ma Fille Pasithée, qu’elle disoit avoir été faite pour un jeune Homme qui tenoit mémes propos des Femmes que vous, disant le Silence devoir séeler leurs bouches. La Chanson est telle.


Je pense bien que le Silence
Est l’ombre du vrai ornement,
Comme la discrete Eloquence
Lumiere de l’entendement.

Quand la parole gracieuse
Qui sçait doctement deviser
Peut d’une vie vertueuse
En tous se faire authoriser.

Les Dames qui veulent bien vivre,
Desireuses d’aprendre & voir,
Hantent les vertus & le livre,
Mariant les meurs au sçavoir.

Si le naturel de l’exemple
A pouvoir de gaigner a soy,
Tirant celuy qui le contemple
Forcé par une douce loy :

Voiez les filz de Cornelie,
Qui rendent leur nom immortel,
En suivant la Philosophie
Du rare exemple maternel.

Et regardez Cleobuline,
Qui persüade sagement
Son Pere de se monstrer dine
D’un si riche gouvernement.

Voiez la fidelle Porcie,

Recueil de toutes les vertus,
Qui a la mort comme en la vie,
Voulut suivre son cher Brutus.

Lors, vous connoistrez que les Dames
Sont dignes de philosopher,
Voiant ce beau nombre de Femmes
Entre les hommes triompher.

Si pourtant vostre gentillesse
Veut suivre le commun erreur,
Puisse quelque sotte Maistresse,
Bien tost vous dérober le cueur.

Qu’en tout ce que vous pourrez faire,
Soit pour servir, prier, crier,
Jamais vous ne puissiez luy plaire,
Ny de ses mains vous délier.


Voiez Seigneur Severe, la seule punition que demandent les Dames gentilles pour ceux qui les ont offencées. Sev. Veritablement elles ont de moy la desirée vengeance : Car je suis aux liens d’une sotte, qui me gourmande incessamment. Pla. Guerissez vous tous deux : Chassez la cholere de vostre esprit, & l’ignorance du sien. Sev. Je craindrois qu’apres avoir leu, elle me voulut commander. Pla. Les preceptes de Mariage, & les vertueux faitz des Femmes luy aprendront a vous obeir. Sev. Étant plus fine, elle pourroit me tromper. Pla. De quelle tromperie vous sçauroit elle user, qui ne fust a son dommage ? Connoissant mieux ce que vaut l’honneur, elle craindra plus la honte, qu’elle auroit en vous decevant : davantage vous sçavez que les pensées oysives, causent les volontez lascives. Et les Femmes qui s’adonnent aux bonnes lettres, ne sentent ny l’un ny l’autre. Apres avoir veu ce que les livres enseignent sans courroux & sans flaterie, (car ilz sont maistres qui monstrent franchement) elles tâchent de faire leur devoir envers leurs espoux, leurs ménages, leurs familles, leurs parens, se maintenant humbles, modestes, & officieuses envers tout ce qui leur apartient. Elles n’ont pas loisir de recevoir une affection impudique. Sev. Je le croy bien, aussi les femmes que l’on voit mal-famées par leurs fautes, n’ont point d’esprit, & ne sçavent rien que satisfaire aux deshonnestes sentimens. Mais soubz ombre de céte chasteté bien gardée les, sçavantes contredisent brusquement a leurs maris, s’ilz entreprennent quelque chose qui ne leur plaise. Pla. Moins que les autres, je vous en asseure : & qu’ainsi soit, si vous frequentez la jeunesse vous entendrez dire à toute heure, Mon Pere veut bien cecy, mais ma Mere ne le veut pas, qui toujours s’en fait croire. Toutefois ces Meres sont tres-ignorantes. C’est un plaisir d’ouïr les plus badines se louer elles mémes disant, Cete Maison étoit ruinée sans moy, mon Mari s’en alloit belistre, ma Belle-Mere coquine, par faute de sçavoir ménager. O comment j’ay été nourrie au pris ! Aussi, dépuis que je suis ceans, j’ay mis les terres en valeur, j’ai retiré des rentes, acquis des moulins. Et pourtant celles qui disent ces lourderies ne sçavent rien que passer le tans inutilement en Banquetz & en Festes. Sev. Vous me donnez un sentiment de la Verité, que je ne connoissois point, méme la voiant tous les jours, de sorte que je delibere changer la nourriture de ma Fille Iris, pour luy faire aprendre quelque bien. Ses façons variables ont merité le nom qu’elle ha : Mais peut étre qu’a vostre persuasion elle sentira un heureux change, pour-veu que sa Mere ne si oppose, car elle m’a dit autres-fois parlant des Filles mieux aprises. Que sert il a une Femme d’entendre les letres, & la Musique ? Je n’ay point sceu tout cela & suis aussi sage qu’une autre. Je ne veus pas que ma Fille en sache plus que moy. Dequoy luy pourroit il profiter ? seroit elle plustost mariee ? Pla. Ho ho, voila de beaux discours, elle pense donc que le sçavoir des Filles ne doit leur servir sinon a l’Avarice & a l’Amour. Vraiment si l’on estime utile tout ce qui est honneste, elles font assez de gain suivant des exercices tant louables. Au demeurant il ne faut croire que les Filles vertueuses veulent composer de leurs graces & perfectons aucuns liens amoureux, pour surprendre les Hommes. Car elles sçavent bien, que

Femme qui cherche Amour merite qu’on la fuie.

Aussi les modestes ne voudroient rien entreprendre qui fust indecent. Toutes leurs gentillesses ne servent pas à gaigner des Maris, mais font que sans en avoir, elles se déportent honnestement, ou en aiant les gouvernent paisiblement : Mémes les plus farouches sont moderez par la douceur, la douceur devient grande par la Raison, la Raison par la Science, la Science par les Livres. Et pource je maintiens qu’ilz doivent estre permis aux Femmes, comme la plus fidelle compagnie qu’elles puissent avoir. Sev. Je m’étonne dont vostre Fille les aime, puis que vous les approuvez tant, & pensois qu’elle deust suyvre la coutume des autres, qui est de se formaliser en tout contre les desirs de leurs Peres. Pla. La mienne est heureusement nee pour moy. Aussi luy veus-je donner instruction digne de son bon naturel. Sev. Vous en voulez faire un miracle. Pla. Je ne veus rien entreprendre sur la Divinité. Miracle est un euvre de Dieu, & non pas d’Homme : Seulement je veus nourrir ma Fille, en une chaste-gaie solitude, lui donnant pour exemple les illustres vertus des Dames excellentes, que je desire qu’elle ensuyve. Seve. Comme ces Sibylles qui se faisoyent renommer au tans passé.

Pla. Mais comme les sages sçavantes, qui se font renommer de nostre tans. Je ne recherche point a luy mettre devant les yeux celles que les anciens ont honorées. Je laisse la sage Eumetis, Arete la grande, la belle-gentille Eudoxie, la savante Theodore, bien que la sincérité de leur espritz, & subtilité de leurs écris les ayent rendues admirables. Il me sufit de representer celles dont notre siecle est riche : comme la docte Sigée, de qui le beau poeme appelé la Ceintre, doit ceindre l’agreable sejour des Muses, & Laure Terracine, de qui le nom volant jusques aux poles ne peut jamais estre atterré. Mais que diray-je de céte Morata, qui receut meritamment du Ciel le nom d’Olympe ? Et comment representerai-je la reverence que je porte a la memoire de la belle, gentille & vertueuse Hippolyte Taurelle, de qui les plaintives Elegies, donnoient tant de plaisir & de peine a son mari absent ? En quelle mode pourrai-je dignement estimer la Sincere Probe, laquelle pillant les vers de l’excellent Poete, en accommode les plus belles sentences aux mysteres divins ? Faisant voir celle qui dérobe plus juste, & celuy qui est dérobé plus riche. Je ne doy oublier non plus Clémence Isore, de qui la devotion liberale donne tous les ans a Thoulouse la belle fleur de l’Æglantine, a celui qui le mieux compose un hymne Chrestien. Sev. Avez-vous tantost dit ? Pla. Nenny, je n’ay point encore parlé de celles qui decorent la France : aussi je crains que ma voix tant basse offense leur haute valeur. Si me souvient-il bien pourtant d’y en avoir remerqué beaucoup de qui les graces infinies sont dignes d’infinis honneurs : Comme celles qui sont vivantes feront connoistre a la posterité, empéchant leurs renommées de mourir, par la perfection de leurs vertus & sciences. Autres, que le temps & la mort ont fauchées en fleur, resembleront l’Amarante, qui ne pert jamais sa beauté. Mais quel est cet image qui se presente a moy avec une douce melancholie ? Ha ha ! c’est la claire Diane, de qui la gracieuse face a peine avoit paru en sa rondeur, quand la cruelle Parque la fit disparoistre d’un Eclipse perpetuel.

O belle chaste & savante Diane, puisse ta vive lumiere long tans eclairer les tenebres de mes propos, que je finiray avec un triste soupir, causé par le juste regret de ta mort. Seigneur Severe excusez moy, s’il vous plaist, la nuit & l’ennuy m’elongnent de vostre compagnie. Sev. Bien, bien, une autre fois, je vous demanderay qui étoit celle que vous regretez. Ainsi cependant je me recommande a vos graces : demain j’envoiray ma Fille voir la vostre, s’il vous est agreable au moins.

Pla. Elle y sera la bien venue. A Dieu.