Les tendres épigrammes de Cydno la Lesbienne/10

La bibliothèque libre.
(pseudonyme)
Traduction par Ibykos de Rhodes (pseudonyme).
Bibliothèque des curieux (p. 44-48).


X

LES MYSTÈRES DE SAPPHÔ


Sapphô n’est pas seulement notre inspiratrice, notre guide et la prophétesse de notre amoureuse religion. Elle est aussi notre déesse tutélaire et nous l’adorons sous l’aspect de la lune.

Chaque année, au printemps, par une belle nuit de pleine lune, Cydno et ses disciples célèbrent les Mystères de Sapphô.

Les violettes sacrées emplissent la maison.

Toute image virile — peinture, statue, figurine — se cache, honteuse, derrière un voile hermétique, à moins que la bonne déesse n’ait saisi l’une de nous et ne lui ai fait jeter dans la mer l’objet sacrilège.

J’ose à peine continuer. J’ai peur d’outrepasser mes pouvoirs de grande prêtresse. Il y a des choses dont la divulgation me coûterait la vie ou, posthume, déshonorerait ma mémoire.

Nous avons fait les lustrations et les sacrifices expiatoires. Nous avons accompli nos ablutions rituelles en psalmodiant un hymne que je dois taire.

Nous sommes réunies dans la grande salle d’amour.

Des abat-jour spéciaux atténuent la lumière des lampes électriques ; c’est la clarté de la lune qui règnera, cette nuit, dans le temple de Sapphô.

Les violettes sacrées me couronnent et m’embaument. Hiérophante du Sapphisme, je m’assieds sur un trône blanc, drapé de satin glauque.

Seule, je suis entièrement nue : toutes les autres sœurs portent une ceinture de violettes.

La mystagogue — celle de nous toutes à qui le suffrage universel décerna le prix de luxure pour l’année scolaire écoulée depuis la dernière Fête — introduit une aspirante et l’agenouille devant mon trône.

J’interroge l’enfant, avec une douceur sévère. Je scrute ce cœur tremblant.

Mais je souris et je mets une fleur de ma couronne dans les cheveux de l’aspirante.

Alors, la mystagogue dit le credo, les préceptes et la formule terrible du nouveau serment : l’enfant, défaillante de joie, fait la réponse prescrite.

L’épreuve est finie. Je proclame initiée l’enfant qui se relève, et j’accorde le baiser rituel au trésor qu’elle me présente.

Une fenêtre s’ouvre.

J’arrache ma couronne de violettes sacrées et je la lance, en hommage, vers la pleine lune. C’est le signal de l’orgie.

Les cymbales et les tambourins retentissent. Les clarinettes se lamentent. Les tribades se ruent sur leurs épousées et dénouent les ceintures. Mais, chut ! La mort ou le déshonneur me guettent…