Les tendres épigrammes de Cydno la Lesbienne/31

La bibliothèque libre.
(pseudonyme)
Traduction par Ibykos de Rhodes (pseudonyme).
Bibliothèque des curieux (p. 102-107).


XXXI

SPORT EN PLEIN AIR


La Pension Cydno fait une partie de ballon.

Les deux équipes, nues, se distinguent par la couleur des sandales, jaunes chez l’une, vertes chez l’autre. Elles se tiennent dans l’attitude de la coureuse prête au départ, à égale distance d’une ligne blanche qui divise en deux moitiés la vaste pelouse.

Une rangée de petits drapeaux, bleus derrière les Jaunes et gris perle derrière les Vertes, marque les limites du jeu.

Fadima la négresse pose un ballon rouge sur la ligne blanche.

Je donne le signal, en baisant Prokné à pleines lèvres.

Les deux équipes bondissantes ont atteint la ligne blanche.

Une mêlée, farouche et gracieuse, compliquée de duels, s’engage.

Chacune des joueuses tâche à saisir le ballon et à le lancer au delà des petits drapeaux de l’équipe adverse.

On s’arrache le ballon rouge.

On le chasse du pied et du poing.

On fait des feintes.

On se pousse.

On s’étreint.

On se renverse.

Çà et là, le duel sportif devient un duo d’amour.

Mais la masse des joueuses ne s’aperçoit de rien, toute à l’émulation, au désir de vaincre, et les cris belliqueux étouffent les râles.

Une brise tiède agite les petits drapeaux en forme de croissant et nous évente, sous le grand parasol. Nous sommes quatre qui ne jouons pas : Cydno et Prokné, sa favorite de la semaine, et les deux arbitres, Monime et Salomé.

L’étroite Monime représente les Vertes et la masculine Salomé les Jaunes.

En cas de contestation, je dois départager les suffrages. Mais Prokné me distrait du ballon : je m’applique à lui enseigner l’art du baiser qui n’en finit pas. Deux pianistes, l’une anglaise et l’autre berlinoise, qui viennent de s’installer dans notre voisinage, à la villa des Amazones, appellent ce baiser épuisant le soul kiss.

Prokné comprend très bien. Je me délecte de ses progrès.

Tout à coup, Déjanire, générale des Vertes, s’écrie :

— « Nous avons gagné ! »

Des exclamations variées lui répondent :

— « Non ! »

— « Si ! »

— « Non ! »

— « Si ! »

— « Non ! Voyez ! Le ballon était resté sur une branche du grenadier, en deçà des drapeaux ! C’est Euryméduse qui l’a fait tomber, après coup ! »

— « Pas du tout ! Le ballon avait encore de la force ! C’est moi qui l’avais lancé ! »

— « Euryméduse a triché ! »

— « Non ! »

— « Tais-toi ! Sinon je dis où tu caches des instruments défendus !… »

Je me lève et j’ordonne le silence.

Hippolyte, générale des Jaunes, et Déjanire en appellent aux arbitres.

Malheureusement, la leçon de Prokné intéressa Monime et Salomé : elles faisaient la même chose que nous deux. Par suite, elles avaient les yeux dans les yeux et n’ont pas vu le coup en litige.

Déjanire pleure de colère.

Tant pis ! Je déclare la partie nulle et je termine la journée par un concours de soul kiss où Déjanire et Hippolyte, réconciliées, gagnent le premier prix.