Les trois cocus/Chapitre XX

La bibliothèque libre.
Librairie populaire (p. 131-138).


CHAPITRE XX

LA CONFESSION D’ÉGLANTINE


— Fichtre ! cette fois, nous verrons bien s’il entrera !

Celui qui parlait ainsi n’était autre une l’abbé Romuald Chaducul. Il était profondément mortifié toujours du tour que lui avait joué son curé.

Comment l’abbé Huluberlu s’était-il introduit chez lui ?

Ursule lui avait juré, par toutes sortes de cendres, qu’elle n’avait ouvert à personne qu’à Mme la présidente, que jamais, au grand jamais, elle n’avait prêté les clés de l’appartement au curé de Saint-Germain-l’Empalé. Ursule était incapable de mentir.

Néanmoins, l’abbé Chaducul se trouvait en présence d’un fait indéniable. Au moment où il se croyait seul avec la belle Marthe, son supérieur avait surgi d’un cabinet. Donc, l’abbé Huluberlu avait de fausses clefs.

Le lendemain même de sa promenade à Montparnasse en pompier, le vicaire avait fait changer toutes les serrures de son appartement. Et, le surlendemain, jour où il attendait Églantine, il se répétait, joyeux, cette phrase :

— Fichtre ! cette fois, nous verrons bien s’il entrera !

À neuf heures du matin, Églantine arriva. Elle était toute décontenancée. Ça l’ennuyait, d’avoir à se confesser.

Fille de la campagne, elle avait fait sa première communion et fréquenté excessivement peu l’église. À quinze ans, on l’avait envoyée à Paris, où elle s’était promptement dégrossie, et, depuis qu’elle avait foulé le sol de la capitale, elle n’avait pas mis une seule fois les pieds dans un confessionnal.

Ce coup-ci, il n’y avait pas moyen d’éviter la corvée.

L’abbé venait à peine de se lever ; il terminait sa toilette. Devant une petite glace, il achevait de se raser.

Ursule fit entrer la jolie bobonne.

— C’est cette demoiselle que vous attendez, dit-elle.

Chaducul s’empressa d’aller au-devant d’Églantine.

— Entrez, ma chère enfant ; asseyez-vous.

Il fit un signe. Ursule se retira.

— Çà, dit l’abbé tout en se rinçant avec de l’eau et du vinaigre parfumé, vous avez parlé hier d’un révérend père à qui vous vous confessiez…

— Oui, monsieur l’abbé.

— Quel est ce révérend père’?

— Un capucin.

— Tiens !… Un capucin non expulsé, alors…, car, depuis ces abominables décrets, les capucins se font un peu rares…

— Comme vous dites, monsieur l’abbé.

— Ut cela vous ennuie, de changer de confesseur, n’est-ce pas ?

— Bédame, puisqu’il le faut…

— Vous verrez, mon enfant, que je ne suis pas un confesseur bien méchant… Je vous fais peut-être l’effet d’un ogre… C’est ce qui trompe… Je suis un confesseur tout à fait bon enfant…

Il se tamponnait les joues avec de la poudre de riz.

— Voulez-vous un peu de poudre de riz, mon enfant ? lui demanda-t-il en lui offrant tout à coup son tampon.

Églantine était interdite. Ce confesseur lui paraissait bizarre. Elle balbutia quelques mots. L’abbé prit sa houppe et vint lui tamponner les joues…

— Les jolies joues fraîches ! disait-il ; ce sont des roses… Comment vous appelez-vous, mon enfant ?

— Églantine, monsieur l’abbé.

— Un nom de fleur !… Donnez-moi vos mains…

Il les lui prit.

— Elles sont mignonnes comme tout.

Puis, brusquement :

— Combien, fit-il, combien y a-t-il de jours qu’on ne s’est plus confessé, mademoiselle Églantine ?

— Dame, monsieur l’abbé… je ne sais plus bien… Il doit y avoir un mois…

— Oh ! oh ! il faudra à présent se confesser plus souvent que ça… Une filfetle gentille comme vous ne doit pas rester plus de huit jours sans venir auprès de son confesseur… Voulez-vous que nous commencions ?

— Oui, monsieur l’abbé.

— Il faut dire ; Oui, mon père.

— Oui, mon père.

— Très bien… Mettez-vous à genoux… sur ce coussin… Non, au fait, asseyez-vous près de moi sur le canapé… Nous a lions faire une confession à la bonne franquette… Vous verrez que je ne suis pas un ogre…

Il se plaça sur le canapé et l’entraîna à côté de lui.

— Voyons, dites le Confiteor

— Le Confiteor… Qu’est-ce que c’est ?

— Comment ! votre capucin ne vous faisait pas dire le Confiteor ?

Églantine était fort embarrassée. Elle avait complètement oublié, depuis le temps, les détails de ce ! exercice qui s’appelle la confession. À tout hasard, elle répondit :

— Non, mon précédent confesseur me faisait raconter tout de suite mes petits péchés…

— Soit, fit l’abbé Chaducul, très conciliant. Nous ferons comme lui. Supprimons le Confiteor et allons-y tout de suite… Êtes-vous menteuse ?

— Un petit peu, monsieur l’abbé…

— Dites : mon père… Depuis votre dernière confession, combien de fois avez-vous menti ?

— Diable ! j’ai perdu le compte.

— Et la gourmandise ?… Avez-vous commis le péché de gourmandise ?

— Oh ! oui… Madame a un vin de Xérès auquel je dis de temps en temps deux mots.

En disant cela, elle riait, montrant une superbe rangée de dents blanches.

— Vous avez de bien jolies dents, fillette… Montrez-les un peu encore… Riez… Tirez la langue… Elle est bien gentille, cette petite langue…

Églantine pensait qu’elle avait là un drôle de confesseur.

L’abbé Chaducul lui passa son bras autour de la taille.

— Parlez-moi sans réticence, sans feinte, reprit-il, et causons du péché mignon… Le commettez-vous quelquefois, le joli péché ?

Églantine rougit.

— Il ne faut rien cacher à son confesseur.

— Mais, monsieur l’abbé !…

— Il n’y a pas de mais qui tienne… Vous devez tout me dire… La main sur la conscience, vous n’avez pas d’amoureux ?

— Mais, monsieur l’abbé !…

— Appelez-moi : mon père, saperlotte !

— Mon père Saperlotte, le péché dont vous parlez…

— Dites : mon père, tout court…

— Mon père, tout court…

— Cristi !… Mon père… et rien de plus… Mon père !…

— Mon père, le péché dont vous parlez…

— Eh bien ?

— C’est, que…

— Vous ne le commettez pas de temps en temps ?

Églantine pensa que le vicaire était bien indiscret. Après avoir hésité, elle dit :

— Eh bien, non.

— Tralala… Fillette, il ne faut pas mentir en confession.

— Mon père, je vous assure…

— N’assurez rien… Vous n’avez pas d’amoureux ?

— Non, mon père.

— Pas le moindre pompier ? pas le moindre Philéas ?

Églantine bondit.

— Pompier… Philéas… murmura-t-elle… Comment le savez-vous ?

— Ma petite Églantine, votre confesseur est le représentant de Dieu… Dieu sait tout… ses représentants savent tout… Vous voyez qu’il est inutile de me cacher quoi que ce soit…

— Vrai ! vous m’épatez !

— Alors, vous avouez l’amoureux ?

— Oui, mon père.

— Friponne !… Et cet amoureux, que faisait-il ?… Vous a-t-il des fois dégrafé votre corsage ?

En posant cette question, le confesseur dégrafait le corsage de sa pénitente. Celle-ci opposa quelque résistance.

— Laissez-moi faire, dit le vicaire, il faut que je vous explique ce qui est péché et ce qui ne l’est pas.

— Cependant, mon père…

— Fichez-moi la paix avec vos cependant… Et écoutez votre confesseur, qui est le représentant de Dieu… Il ne faut pas confondre le péché mortel avec le péché véniel… Le péché véniel n’a pas grande importance… Ainsi, supposons que je sois votre amoureux… En ce moment, je vous embrasse entre vos deux seins, ce n’est qu’un péché véniel… Maintenant, je vous embrasse sur le nez, sur les yeux, sur le menton, sur la bouche… ce sont encore des péchés de peu d’importance…

Il embrassait comme il disait. Brusquement, il devint sérieux. Il venait de songer que ce n’était pas seulement pour s’amuser qu’il confessait Églantine.

— Et ce pompier, fit-il, vous l’avez reçu chez vous avant-hier au soir, n’est-ce pas ?

— Oui, mon père, répondit Églantine, ne comprenant rien à cette perspicacité de son confesseur.

L’abbé Chaducul se sentait bien à l’aise pour interroger. Il savait n’avoir pas été reconnu par la bonne lors de sa fuite en pompier. Églantine, d’autre part, ignorait complètement quel était l’homme en caleçon qu’elle avait palpé dans le cabinet obscur attenant au fumoir. Il se fit dire les prénoms du pompier, la compagnie à laquelle il appartenait ; il demanda à Églantine, sous la foi du serment, de lui promettre de le prévenir quand Grisgris reparaîtrait auprès d’elle. Il lui jura par contre qu’il lui fournirait les moyens de combattre la tentation.

— Un péché véniel, disait-il, c’est la moindre des choses ; mais un péché mortel, quelle horreur ! quand il est commis avec un civil ou avec un militaire !… Cette tache sur l’âme est très difficile à effacer… Avec un ecclésiastique, c’est intimaient plus simple, vu qu’on est toujours sur de recevoir une bonne absolution.

Il se disposait à expliquer à Églantine les détails du péché mortel. Tout à coup, la porte du cabinet s’ouvrit, la même qui avait donné entrée deux jours auparavant au curé Huluberlu et, comme alors, le curé Huluberlu parut, de plus en plus goguenard.

Comment, sacrebleu ! s’y était-il pris pour pénétrer cette fois encore chez lui ?

— Mon cher vicaire, dit le curé en faisant un pied de nez à Chaducul, vous allez avoir la bonté de me céder cette nouvelle pénitente.

Chaducul était devenu pourpre.

N’écoutant que sa colère, il se précipita sur l’abbé Huluberlu et lui asséna un vigoureux coup de poing en pleine figure.

Le curé, surpris parcelle attaque imprévue, riposte aussitôt en boxant à son tour. C’était un curieux spectacle que celui de ces deux prêtres qui cognaient l’un contre l’autre de toutes leurs forces, au grand ébahissement d’Églantine qui ne savait pas former un enjeu.

Huluberlu était grand et sec ; Chaducul était court et gros. Tous deux possédaient une belle force musculaire. La bataille fui donc assez longue. Tandis que le curé et son vicaire s’allongeaient des coups de poing à qui mieux mieux, Églantine, profitant du tumulte, s’esquiva, non sans prévenir la gouvernante de l’abbé Romuald de ce qui se passait.

Ursule arrive et se jette entre les combattants.

— Monsieur le curé ! monsieur l’abbé !… pensez-vous ?… Que diront les voisins, s’ils vous entendent ?…

Les deux ecclésiastiques s’arrêtent. Ils s’aperçoivent que la jolie fille, objet de leur convoitise, a disparu. Ils sont penauds.

Le curé a été le plus malmené.

Il se passe la main sur les côtes. Cristi ! il est tout moulu.

Chaducul est aussi pas mal contusionné.

Ni l’un ni l’autre ne se plaignent des coups reçus ; une seule chose les vexe : le départ d’Églantine.

— Sacré nom ! dit le vicaire au curé, vous êtes un drôle de pistolet !… Avec vos manières, vous êtes cause que ma pénitente est partie…

— Si vous aviez été raisonnable, riposte Huluberlu, elle serait encore ici, et vous auriez eu à votre tour la belle enfant.

— Pardon, je n’admets pas que, sous prétexte que vous êtes mon supérieur, vous preniez à tâche de me confisquer mes clientes…

— Oh ! si l’on peut dire !… Voilà une belle affaire !… Vous ne comprenez pas la plaisanterie…

— Je trouve la plaisanterie très mauvaise… et je suis décidé à ne pas la souffrir…

— Romuald, vous avez tort… Nous aurions pu parfaitement nous entendre… Au contraire, vous êtes d’une susceptibilité ridicule…

— Il n’y a pas de susceptibilité qui tienne… Est-ce que je vais chasser dans vos plates-bandes, moi ?

— Je ne vous en ai jamais empêché…

— Est-ce que je m’introduis furtivement chez vous pour vous troubler, lorsque vous êtes dans l’exercice de vos fonctions de confesseur ?

— Je ne dis pas cela…

— Eh bien, votre conduite, monsieur le curé, n’a pas de nom…

— Voyons, voyons, Romuald, revenez au calme… Je vous pardonne votre boxe… Hein ! suis-je assez bon diable ?

— Dame ! avouez que, si vous avez des bleus sur le corps, vous ne les avez pas volés… Et croyez-vous que je n’aie rien reçu, moi ?… Vous avez le poing bigrement sec !

— Alors, ne m’en veuillez plus… J’ai voulu rire ; je ne pensais pas que vous prendriez la chose si mal.

— Puisque c’est ainsi, je consens à faire la paix… Vous me rendrez cette justice : au fond, je n’ai pas mauvais caractère, je ne suis pas rancunier.

— C’est vrai.

— Topez là.

— Voici.

Les deux vobiscum se serrèrent la main.

— À la bonne heure, dit Ursule, que cela me fait donc plaisir de voir monsieur le curé et monsieur l’abbé réconciliés !… Savez-vous que vous n’y allez pas de main morte, quand vous vous y mettez !… Ah ! si vous aviez pu vous voir !… N’était le scandale que je redoute par-dessus tout, j’aurais bien ri…

Là-dessus, la gouvernante partit d’un grand éclat de rire.

Rien n’est, communicatif comme la gaieté. Le curé et son vicaire, oubliant leurs contusions, se regardèrent un moment et eurent à leur tour un bel accès d’hilarité. Pendant une minute, ce fut un rire général.

— Si nous prenions un verre de quelque chose pour nous remettre ? observa Romuald. Qu’en dites-vous, monsieur le curé ?

— Merci, ce n’est pas de refus.

Ils étaient devenus les meilleurs amis du monde.

Ursule alla prendre dans le buffet une bouteille de vieux madère premier choix, et l’on trinqua à l’amitié.

Comme le madère était succulent, on ne s’en tint pas à une rasade.

À la fin de la bouteille, les deux ecclésiastiques tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

— Ursule, dit le curé, ne préparez pas à déjeuner pour mon vicaire ; j’emmène Romuald…

— Je veux bien, repartit le vicaire.

— Je vais vous faire connaître, mon cher, un certain restaurant qui a une spécialité de canard saignant aux truffes… Vous m’en donnerez des nouvelles…

— Et après ?

— Après, pour sceller notre amitié d’une manière indissoluble, je vous présenterai à une de mes amies, madame la marquise de Rastaquouère.

— La marquise de Rastaquouère ? répondit Romuald… C’est drôle ! il me semble que je connais ce nom.

Les nouveaux amis rajustèrent leurs soutane que la lutte avait notablement tirepillées et quittèrent le domicile du vicaire.

Ursule se félicitait de ce que tout s’était terminé pour le mieux.

Quelques instants avant la sortie des deux prêtres, au moment où Églantine portait, un autre ecclésiastique passait devant la maison. C’était. Philéas qui, accompagné d’Irlande et de Scholastique, venait de prendre, chez un tailleur voisin, mesure d’une tunique de rechange. Il aperçut sa bien-aimée et détourna vivement la tête pour ne pas être reconnu. Églantine, en effet, ne prit point garde à lui. Quant à Philéas, il remarqua le logis d’où elle sortait et en acquit la certitude qu’il avait toujours été trompé par la bonne avec le vicaire dont il possédait le portefeuille précieux.