Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Alesso BALDOVINETTI

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Alesso BALDOVINETTI
Peintre florentin, né en 1427, mort en 1499

Alesso Baldovinetti[1], de sa propre volonté, abandonna le commerce dans lequel les siens, par une pratique constante et honnête, avaient acquis de grandes richesses et les moyens de vivre noblement, et se consacra tout entier à la peinture[2]. Il eut cette propriété de très bien imiter les choses de la nature, comme on peut s’en rendre compte par les peintures sorties de sa main. Dès son enfance et presque contre la volonté de son père qui aurait voulu le voir se destiner au commerce, il s’adonna au dessin et, en peu de temps, il fit tant de progrès que son père voulut bien le laisser suivre son penchant naturel. La première œuvre qu’il fit à fresque est, à Santa Maria Nuova, la chapelle de San Gilio[3]. Il fit également à détrempe le tableau du maître-autel et les fresques d’une chapelle à Santa Trinità, pour Messer Gherardo et Messer Bongianni Gianfigliazzi[4], riches et honorables gentilshommes florentins. Il y représenta des sujets de l’Ancien Testament ébauchés à fresque et retouchés à sec ; ses couleurs faites au jaune d’œufet mêlées de vernis liquides cuits au feu, qu’il croyait devoir résister à l’eau, se sont écaillés en maints endroits parce qu’il les mit en couches trop épaisses ; et ainsi il resta déçu quand il avait pensé trouver un rare et merveilleux procédé. Il laissa un grand nombre de portraits d’après nature et il en introduisis plusieurs dans ses fresques de Santa Trinità. Sur la voûte sont quatre Patriarches, et le tableau d’autel


représente une Trinité, avec saint Gualbert à genoux et un autre saint. Il consacra beaucoup de temps à cette œuvre parce qu’il avait beaucoup de patience et qu’il voulait exécuter ses œuvres tout à son aise. Il était très soigneux et il s’efforçait d’imiter toutes les minuties que la nature, mère nourricière, sait produire. Sa manière était un peu sèche et nue, particulièrement dans les draperies. Il se plaisait à peindre les paysages d’après nature et tels qu’ils sont ; aussi voit-on toujours dans ses tableaux des fleuves, des ponts, des rochers, des herbes, des fruits, des routes, des champs, des villes, des châteaux[5].

À la Nunziata de Florence, dans la cour et derrière le mur où est représentée précisément la Nunziata, il peignit à fresque retouchée à sec la Nativité du Christ[6], faite avec tant de soin que l’on pourrait compter les brins de paille qui forment le toit de la cabane. Il reproduisit également une maison en ruines avec ses pierres couvertes de moisissures et consumées par la pluie et la glace ; une grosse racine de lierre recouvre une partie du mur et il y a lieu de considérer avec quelle longue patience il fit de couleur verte le droit de la feuille et d’un autre vert le revers, non pas autrement que fait la nature. Outre les bergers, il peignit un serpent qui glisse sur le mur très naturellement.

On dit qu’il se livra à de nombreuses recherches pour trouver le véritable procédé de la mosaïque et que, n’ayant jamais réussi comme il voulait, il eut le bonheur de rencontrer un Allemand qui allait à Rome en pèlerinage et qui lui apprit entièrement le procédé et la théorie de cet art, en reconnaissance de l’hospitalité qu’il lui avait offerte. Il se mit alors courageusement au travail, dans le temple de San Giovanni, au-dessus des portes de bronze, et y fit à l’intérieur, dans les arcs, quelques anges tenant la tête du Christ. Cet ouvrage fut cause que les consuls de l’Art des Marchands le chargèrent[7] de réparer et de nettoyer les mosaïques de la voûte qui avaient été exécutées comme nous l’avons dit, par Andrea Tafi, et qui avaient besoin de restaurations étant gâtées en beaucoup d’endroits. Alesso exécuta ce travail avec un soin extraordinaire et se servit d’un échafaudage construit par le Cecca, qui fut le meilleur architecte de ce temps[8]. Il enseigna l’art de la mosaïque à Domenico Ghirlandajo qui plaça, dans la chapelle des Tornabuoni, à Santa Maria Novella, dans la fresque de Joachim chassé du Temple, à côté de son propre portrait, celui de son maître sous la figure d’un vieillard rasé et coiffé d’un chaperon rouge [9].

Il vécut 80 ans[10] et, quand il commença à sentir la vieillesse, il se retira, à l’exemple de beaucoup de personnes, dans l’hôpital de San Paolo, afin de pouvoir se livrer tranquillement aux études de son art. Pour être reçu plus volontiers et mieux traité, ou pour toute autre raison, il fit porter dans son logement un énorme coffre et fit croire qu’il était plein d’argent. Comme il avait fait donation à l’hôpital de tous les biens qu’il laisserait après sa mort[11], le directeur et les autres administrateurs lui faisaient les plus grandes caresses du monde. Mais, lorsqu’il mourut, on ne trouva dans le coffre que des dessins et un petit livre qui enseignait la manière de composer les verres de mosaïques, les stucs et de les travailler. Du reste on dut peu s’étonner de ne point trouver d’argent, car il était si généreux, dit-on, que tout ce qu’il possédait appartenait plus à ses amis qu’à lui-même.

Il mourut l’an 1448[12] et fut honorablement enseveli par ses parents et ses concitoyens.


    Lorenzo Ghiberti, dans son Commentaire (page XVIII) affirme que Giotto lavoro in muro, lavoro a olio, lavoro in tavola. Cennino Cennini, disciple d’Agnolo Gaddi, dans son Trattato della Pittura, écrit plusieurs chapitres sur la peinture à l’huile. Van der Mander cite des peintres flamands antérieurs à 1400 qui employaient déjà ce procédé ; Praeclarum hoc inventum plerique ad anno 1410 ; sed ante annum 1400 illud, in Belgis sallem, apud pictores quosdam in usu fuisse convincunt vetustiores tabellae coloribus oleo mixtis depictae, atque in his una quae in templo Franciscanorum Lovanii spectatur, cujus quidem auctor sive pictor an. 1400, notatum obiisse. Voir enfin l’édition française des Anciens Peintres flamands de Crowe et Cavalcasene, annotations de M. Pinchart.

  1. Né le 14 octobre 1427, d’après les Libri dell’Età, conservés aux Archives.
  2. Inscrit à la Compagnie des peintres : Alesso di Baldovinetto dipintore MCCCCXLVIII.
  3. Cette peinture n’existe plus.
  4. Peintures détruites en 1760, quand le chœur fut refait ; commandées le 1er juillet 1471, pour 200 florins d’or. Ce travail fut estimé, le 19 janvier 1497, par Cosimo Rosselli, Benozzo Gozzoli, Pietro Perugino et Filippino Lippi à la somme de 1000 florins d’or.
  5. Voir aux Offices ses deux tableaux [Madone et Annonciation], et une Trinité à l’Académie des Beaux-Arts.
  6. Presque effacée. Commandée le 27 mai 1460 par les frères della Nunziata pour 20 florins ; Alesso y travaillait encore en 1462.
  7. En 1482, pour 100 florins. Même travail en 1488. Il est nommé à vie conservateur de ces mosaïques avec une pension annuelle de 30 florins.
  8. Non essendovi uguale a lui, in simile cose [1482, livres des Consuls de l’Art] ;
  9. Portrait contesté. Ce serait celui du père de Ghirlandajo.
  10. 72 ans.
  11. Testament du 23 mars 1499. [Aux archives d’État, livres de l’Hôpital.]
  12. Le 29 août 1499. Son tombeau de famille existe encore dans les souterrains de San Lorenzo : S. Baldovinetti Alexii de Baldovinettis et suor, descend. Il avait écrit un livre de Souvenirs, ou Ricordi, dont le manuscrit est conservé aux archives de S. Maria Nuova et qui a été imprimé en 1868.