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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Andre TAFI

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Andrea TAFI
Peintre florentin, né vers 1250, mort après 1320

De même que les peintures de Cimabue n’avaient pas été sans provoquer une grande admiration chez ses contemporains accoutumés à ne voir que des œuvres exécutées d’après la manière grecque, de même les mosaïques d’Andrea Tafi, qui vécut à la même époque, furent très admirées, et il fut regardé comme un maître excellent, presque divin, par ces hommes qui, habitués à ce que l’on produisait alors[1], ne croyaient pas que l’on pût faire mieux dans ce genre. En réalité, sans être le maître par excellence dans cet art, mais voyant que la mosaïque, à cause de sa durée, était plus estimée que la peinture, il se rendit de Florence à Venise, où quelques mosaïstes grecs travaillaient à Saint-Marc. Il se lia d’amitié avec eux, et, à force de prières, de promesses et d’argent, il parvint à conduire à Florence maître Appollonius, peintre grec[2], qui lui apprit à cuire les verres de mosaïque et à composer le stuc pour les assembler. Il travailla en sa compagnie à la mosaïque supérieure de la tribune de San Giovanni, où se trouvent les Puissances, les Trônes et les Dominations. Puis, se sentant plus fort, il exécuta tout seul le Christ qui est sur la paroi de la grande chapelle. Mais, puisque j’ai parlé de San Giovanni, je ne passerai pas sous silence que ce temple très ancien [3] est entièrement revêtu en marbre, dans le style corinthien, à l’extérieur et à l’intérieur. Non seulement il est parfaitement proportionné dans toutes ses parties et d’une construction très soignée, mais encore il est orné de portes et de fenêtres fort bien entendues ; chaque face est divisée en trois par deux colonnes de granit, hautes de onze brasses et supportant les architraves sur lesquelles porte la masse de la double voûte, justement admirée par les architectes modernes. Elle a, en effet, montré tout ce que l’art savait déjà faire à Filippo di Ser Brunellesco, à Donatello et aux autres maîtres de cette époque, qui s’instruisirent par la vue de ce temple, comme de celle de l’église de Sant’ Apostolo, à Florence. Le style en est si bon, qu’il se rapproche de la vraie beauté antique. Je ne raconterai pas son origine qui a été rapportée par Giovanni Villani et par d’autres historiens, mais, après avoir dit que ce temple fut la première création de la bonne architecture qui fut ensuite en usage, j’ajouterai que, d’après ce qu’on en voit, la tribune a été faite ultérieurement. A l’époque où Alesso Baldovinetti, et ensuite Lippo, peintre florentin, restaurèrent ces mosaïques, on s’aperçut que la voûte avait été anciennement peinte et dessinée en rouge, et entièrement travaillée en stuc. Andrea Tafi, donc, et Apollonius divisèrent la tribune en cercles qui, partant de la lanterne, allaient en s’élargissant tomber sur la corniche inférieure [4]. Le premier renferme tous les ministres et exécuteurs de la volonté divine, c’est à dire les Anges, les Archanges, les Chérubins, les Séraphins, les Puissances, les Trônes et les Dominations. Le second, traité à la manière grecque, comprend les principales actions de Dieu, depuis la Création de la Lumière jusqu’au Déluge. Le cercle suivant, qui va en s’élargissant le long des huit faces de la tribune, représente l’histoire de Joseph et de ses onze frères. Ensuite, viennent d’autres cercles de la même grandeur où se trouve traitée la vie de Jésus-Christ, depuis le moment où il fut conçu dans le sein de sa mère jusqu’à son ascension au ciel. Puis, sous les trois frises, la vie de saint Jean-Baptiste, depuis l’apparition de l’Ange à Zaccharie jusqu’à la décollation et l’ensevelissement du saint par ses disciples. Toutes ces mosaïques sont grossières, sans dessin et sans art, et, comme il n’y a en elles que la manière grecque de cette époque, je ne les loue que eu égard au mode de faire de ces temps et à l’imperfection où se trouvait alors l’art de la peinture. Toutefois le travail est solide, et les morceaux de verre sont très bien assemblés ; en outre, les dernières parties de cette œuvre sont bien meilleures, ou, pour mieux dire, moins mauvaises que les premières. Le tout, comparé à ce qu’on fait à présent, excite plutôt le rire que l’admiration. Finalement, Andrea Tafi exécuta, sans l’aide d’Apollonius, le Christ haut de sept brasses qu’on voit encore maintenant sur cette tribune, au-dessus de la plate-bande de la grande chapelle. Étant devenu célèbre par ces travaux dans toute l’Italie, et considéré dans sa patrie comme un maître excellent, il mérita d’être grandement honoré et récompensé. Il en arriva de même à Fra Jacopo da Turrita[5], franciscain ; ayant fait les mosaïques qui sont dans le chœur [6] de San Giovanni, derrière l’autel, bien qu’elles fussent médiocres, il en retira de riches récompenses, et fut ensuite appelé à Rome comme un maître excellent. Il y exécuta quelques œuvres dans la chapelle du maître-autel, à Saint-Jean-de-Latran, et dans celle de Sainte-Marie-Majeure[7]. Appelé ensuite à Pise, il fit, dans la tribune principale du Dôme, les Évangélistes et les autres choses qu’on y voit, et qu’il exécuta dans la même manière que ses autres œuvres, toutefois avec l’aide d’Andrea Tafi et de Gaddo Gaddi. Ces mosaïques furent terminées par Vicino, Turrita les ayant laissées assez imparfaites dans leur ensemble. Andrea vécut quatre-vingt-un ans et mourut avant Cimabue, en 1294[8], ayant eu la gloire de perfectionner le premier la mosaïque en Toscane, et d’avoir préparé la voie de cet art à Gaddo Gaddi, à Giotto et aux autres. Il eut pour élèves le facétieux Buonamico Buffalmacco, et Antonio, qui fut peut-être son propre fils et dont le nom se trouve mentionné dans l’ancien livre de la compagnie des Peintres[9], mais je n’ai pu trouver aucune œuvre de sa main.


  1. Vasari paraît oublier toutes les mosaïques de Ravenne, Rome, Palerme, etc.
  2. Inconnu. Un contrat de 1297 mentionne un certain Magister Appollonius, pictor florentinus.
  3. On suppose qu’il remonte au VIe siècle siècle ; il fut construit en grande partie avec des fragments antiques.
  4. Toutes les mosaïques du Baptistère existent encore ; leur attribution à Andrea Tafi est très incertaine.
  5. Vasari a probablement confondu sous ce nom deux artistes différents.
  6. Ajouté en 1200. Dans cette mosaïque qui est de 1225, se trouve le nom de JACOBUS SANCTI FRANCISCI FRATER.
  7. Ces mosaïques existent encore ; celles de Sainte-Marie-Majeure, datées MCCXCV représentent le Couronnement de la Vierge. Celles de Saint-Jean, signées JACOBUS TORITI, représentent la Croix mystique entre la Vierge et différents saints. Toutes ces mosaïques furent commandées par Nicolas IV qui y est représenté
  8. Après 1320. La Matricule des Médecins et Pharmaciens, où se faisaient inscrire les peintres, le mentionne a cette date : Andreas vocatus Tafus, olim Ricchi.
  9. De la manière suivante : Antonio di Andrea Tafi, 1348.