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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Antonio FILARETE et Simone

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Antonio FILARETE[1] et SIMONE
Sculpteurs florentins nés...., morts ....

Quand le pape Eugène IV résolut de faire exécuter en bronze les portes de Saint-Pierre de Rome, s’il avait pris le soin de rechercher les maîtres renommés en cet art, ce qui lui était facile, dans le temps où vivait Filippo di Ser Brunellesco, Donatello, et tant d’autres artistes excellents, il n’aurait pas obtenu l’œuvre médiocre que nous voyons à présent. Mais peut-être était-il semblable à quantité de princes, qui ne comprennent pas les beaux-arts ou qui en tirent peu d’agrément.

Ayant donc été nommé pape, l’an 1431, Eugène IV apprit que les Florentins faisaient faire par Lorenzo Ghiberti les portes de San Giovanni, et il lui vint la pensée d’orner également Saint-Pierre d’une porte en bronze. Mais comme il n’entendait rien à de pareilles choses, il en donna la charge à ses ministres, auprès desquels deux sculpteurs florentins, Antonio Filarète encore jeune et Simone, frère de Donatello[2], furent tellement en faveur, que l’ouvrage leur fut confié. Ils employèrent douze années à le terminer, et, quoique le pape fût forcé de s’enfuir de Rome et eût de nombreux démêlés avec les conciles[3], ceux qui étaient à la tête de l’œuvre de Saint-Pierre firent en sorte que le travail de la porte ne fût pas abandonné[4].

Filarète divisa la porte en simples compartiments, ornés de bas-reliefs. Dans la partie supérieure se trouvent deux figures en pied, le Sauveur et la Vierge, et au-dessous saint Pierre et saint Paul ; aux pieds de saint Pierre, on voit le pape à genoux. Les compartiments inférieurs représentent différents sujets[5], et sur la partie intérieure de la porte, Antonio plaça un bas-relief, où il se représenta lui-même, accompagné d’un âne chargé de victuailles, et allant à la campagne avec Simone et ses élèves. Pendant cet espace de douze ans, ils ne travaillèrent pas uniquement à cette porte, car ils exécutèrent plusieurs tombeaux de papes et de cardinaux, qui ont été détruits pendant la construction de la nouvelle église.

Après ces travaux, Antonio fut appelé à Milan par le duc Francesco Sforza, qui avait vu de ses œuvres à Rome, quand il était gonfalonier de l’Église. Le duc lui fit construire l’Hôtellerie des pauvres de Dieu, qui est un hôpital destiné aux hommes, aux femmes et aux enfants naturels. La partie réservée aux hommes forme une croix dont les bras ont cent soixante brasses de long, il en est de même pour les femmes ; la largeur est de seize brasses, et les quatre angles formés en dehors par la croix sont autant de cours entourées de portiques, de galeries et de chambres à l’usage du personnel de l’Hôpital. D’un côté, il y a un canal où coule continuellement de l’eau, pour les services de l’Hôpital et pour le moulin, ce qui est d’une grande utilité, comme chacun peut se l’imaginer. Entre les deux hôpitaux s’étend un cloître, long de quatre-vingts brasses dans un sens, et de cent soixante brasses dans l’autre, au milieu duquel se trouve l’église, disposée de façon qu’elle peut servir pour les deux parties de l’Hôpital. En un mot, cet édifice est si bien ordonné que je ne crois pas qu’il ait son pareil en Europe[6].

Une autre œuvre de sa main est la grande église de Bergame[7], qui n’est pas inférieure à l’Hôpital de Milan. Tout en conduisant ces travaux, il écrivit et orna de nombreuses figures un traité d’architecture, divisé en trois parties et en vingt-quatre livres. La première partie traite des mesures de tous les édifices et de tout ce qui est nécessaire pour bâtir. La seconde partie roule sur les procédés de construction et sur les monuments nécessaires à l’embellissement et à la commodité d’une ville. Dans la troisième partie, il décrit des formes nouvelles d’édifices, en s’inspirant tant des anciens que des modernes. Cet ouvrage fut dédié par Filarète[8], l’an 1464, à Pierre, fils de Cosme de Médicis ; il renferme peu de bonnes choses, mêlées à beaucoup d’inutilités, et ne fait que rarement mention des maîtres contemporains et de leurs œuvres.

En ayant assez dit de Filarète, il est temps de s’occuper de Simone, frère de Donato[9], qui, après la porte de Saint-Pierre, fit en bronze le tombeau du pape Martin V[10], et d’autres ouvrages également en bronze, qu’il envoya en France ou ailleurs. Dans l'église degli Ermini, à Florence, au coin aile Macine, il fit un Crucifix, de grandeur naturelle, destiné à être porté dans les processions, et pour qu’il fût plus léger, il le fit en liège[11]. À Santa Felicita, il y a de lui une sainte Madeleine pénitente, en terre cuite[12], haute de trois brasses et demie, dans laquelle il fit preuve d’une grande connaissance de l’anatomie. Dans l’église des Servi, il fit encore, pour la Compagnia della Nunziata, une pierre tombale en marbre, qui porte une figure en marbres gris et blancs assemblés comme une peinture[13], pareille à celles que Duccio de Sienne avait faites dans le Dôme de Sienne, ce qui a été raconté plus haut. Citons encore, à Prato, la grille de bronze et la chapelle della Cintola[14], à Furli, au-dessus de la porte du canonicat, un bas-relief renfermant la Vierge avec deux anges, et pour Messer Giovanni da Riole, à San Francesco, la chapelle della Trinità, en demi-relief. Ensuite la chapelle de San Sigismondo, dans l’église de San Francesco à Rimini, qu’il orna a la requête de Sigismondo Malatesti, de quantité d’éléphants, armes de ce seigneur. Il envoya à Messer Bartolommeo Scamisci, chanoine de la piève d’Arezzo, une Notre-Dame tenant son fils, en terre cuite et quelques anges en demi-relief, très bien exécutés : cette œuvre est dans l’église, appuyée à une colonne [15]. Sous le baptistère de l’évêché, à Arezzo, il exécuta pareillement un baptême du Christ[16], ainsi que d’autres bas-reliefs. Enfin, après avoir terminé, à Florence, dans l’église della Nunziata, le tombeau de Messer Orlando de'Mèdici[17], il rendit son âme à Dieu à l’âge de cinquante-cinq ans.

Peu de temps après, Filarète, de retour à Rome, mourut, âgé de soixante-neuf ans, et fut enterré à la Minerva, où il avait fait peindre le portrait du pape Eugène IV par le peintre Giovanni Foccora[18], artiste très estimé.


  1. Antonio di Pietro Averulino : Filarète, mot grec qui veut dire Ami de la vertu.
  2. Inexact ; voir plus loin.
  3. Celui de Bale.
  4. La porte est signée opus Antonii Petri de Florentia.
  5. Sous la Madone et le Sauveur, on voit : 1° le couronnement de l’empereur Sigismond par Eugène IV ; 2° l’audience donnée par le pape à des ambassadeurs d’Orient. Sous saint Pierre et saint Paul, deux autres sujets tirés de la vie du pape. Enfin dans la partie inférieure de chaque battant, et en plus grandes dimensions, le Crucifiement de saint Pierre et la Décollation de saint Paul.
  6. Filarète commença en 1456 l’Hôpital de Milan, fondé par le duc et sa femme Bianca Visconti [voir l’inscription]. Il n’exécuta que la partie de droite. Guiniforte Solari fit le bras qui est le long du canal. Le reste de l’Hôpital est bien postérieur.
  7. C’est le Dôme actuel, terminé par Carlo Fontana.
  8. L’exemplaire original est à la bibliothèque Magliabecchiana. Dans la dédicace, Filarète donne son vrai nom : Antonio Averlino fiorentino.
  9. Simone di Giovanni Ghini, orfèvre florentin, nullement parent de Donatello. Né en 1407, mort en 1491. Vasari a dû le confondre avec Simone di Manni Ferrucci da Fiesole, qui fut disciple de Donatello.
  10. À Saint-Jean de Latran.
  11. Actuellement sur le maître-autel de San Lorenzo ; l’église de San Basilio de frati Ermini a été supprimée.
  12. N’existe plus.
  13. N’existe plus.
  14. Fausse attribution.
  15. N’existe plus.
  16. Existe encore.
  17. Cinquième chapelle à droite... (attribué aussi à Bernardo Gamberelli.)
  18. Ce Giovanni Foccora n’est autre que notre Jean Foucquet, né à Tours entre 1415 et 1420, Fauteurdes miniatures du manuscrit d’Etienne Chevalier, actuellement à la bibliothèque de Munich, et des quarante miniatures du château de Chantilly, provenant d’un livre d’heures du même Chevalier. Son portrait par Foucquet est au musée de Berlin. Foucquet mourut vers 1485. Il est exact que, vers 1440, il peignit le portrait d’Eugène IV à Rome. La Bibliothèque nationale a encore de sa main onze miniatures dans un manuscrit de Flavius Josèphe traduit en français.