Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/BENEDETTO da ROVEZZANO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (2p. 163-165).
BENEDETTO da ROVEZZANO
Sculpteur, né en 1474, mort peu après 1552

Je pense qu’elle doit être grande, la douleur de ceux qui, après avoir produit des œuvres de génie, se trouvent tout à coup privés de la vue par l’âge, la mauvaise fortune, ou quelque accident ; ils espéraient jouir dans leur vieillesse du fruit de leurs travaux, voir leurs œuvres refleurir dans celles d’autres artistes, mais ils ne peuvent plus apprécier ni les qualités, ni les défauts de ceux qu’on leur dit être vivants et s’exercer dans leur art. Et ce qui doit encore plus les attrister c’est d’entendre louer ceux qui leur ont succédé, et de ne pouvoir juger, sans envie, si cette renommée est juste et méritée. Pareille chose arriva à Benedetto da Rovezzano[1], sculpteur florentin, dont nous écrivons la vie, pour que le monde sache avec quel talent cet homme habile et expérimenté attaqua le marbre et créa des choses merveilleuses.

Parmi les premières œuvres qu’il exécuta à Florence, on peut citer, dans la maison de Pier Francesco Borgherini[2], une cheminée en pierre de macigno, sur laquelle sont sculptés de sa main des chapiteaux, des frises et d’autres nombreux ornements. Pareillement, dans la maison de Messer Bindo Altoviti, il y a de lui une cheminée et un lavabo en macigno, avec d’autres œuvres délicatement sculptées, mais faites, en ce qui concerne l’architecture, sur les dessins de Jacopo Sansovino, alors très jeune. Ensuite, en 1512, ayant reçu la commande d’un tombeau en marbre, avec un riche ornement, dans la grande chapelle del Carmine, pour Piero Soderini, ancien gonfalonier de Florence, cette œuvre fut exécutée par lui avec un soin incroyable[3] ; outre les feuillages, les sculptures funèbres et les figures, il jeta une draperie noire, en pierre de touche, d’un fini si précieux qu’on la croirait de satin noir. Comme il s’occupait aussi d’architecture, on restaura, sur son dessin, à Sant’Apostolo de Florence, la maison de Messer Oddo Altoviti, prieur de cette église ; Benedetto fit en marbre la porte principale, sur laquelle il sculpta les armes de la famille Altoviti, en pierre de macigno. Dans la même église, au-dessus des deux chapelles de Messer Bindo Altoviti, où Giorgio Vasari d’Arezzo peignit à l’huile le tableau de la Conception, Benedetto exécuta en marbre la magnifique sépulture de Messer Oddo[4]. Puis il fit, en concurrence de Jacopo Sansovino et de Baccio Bandinelli, un des Apôtres hauts de quatre brasses et demie, destinés à Santa Maria del Fiore ; c’est un saint Jean, évangéliste[5], figure d’un bon style, qui se trouve actuellement avec les autres dans l’Œuvre du Dôme.

L’an 1505, les supérieurs de l’ordre de Vallombrosa, ayant résolu de transporter le corps de San Giovanni Gualberto de l’abbaye de Passignano dans l’église de Santa Trinità, à Florence, qui est du même ordre demandèrent à Benedetto le dessin d’une chapelle et d’un tombeau et lui firent commencer les travaux. Il travailla dix ans avec l’aide de plusieurs sculpteurs, à ce tombeau qui coûta extrêmement cher à l’ordre ; ce travail terminé émerveilla Florence. Malheureusement, le tombeau fut détruit pendant le siège de 1530, et les têtes enlevées aux statues. Le tout fut tellement ruiné et saccagé, que les moines vendirent ensuite les débris à vil prix ; ceux qui voudront connaître ce qui en reste n’ont qu’à aller à l’Œuvre de Santa Maria del Fiore, où se trouvent quelques morceaux qui ont été achetés comme marbres brisés, il y a peu d’années[6].

La porte et le vestibule de la Badia de Florence sont également l’œuvre de Benedetto, et, pareillement, plusieurs chapelles, entre autres celle de Santo Stefano, faite pour la famille Pandolfini[7].

Enfin il fut appelé en Angleterre, au service du roi, pour lequel il exécuta de nombreux ouvrages en marbre et en bronze, en particulier son tombeau[8]. Grâce à la libéralité du roi, il put revenir à Florence et y vivre à l’aise le reste de ses jours. Il y fit encore quelques menus travaux, mais les vertiges qui, en Angleterre, avaient commencé à lui donner mal aux yeux, et d’autres infirmités causées, dit-on, pour être resté trop près du feu, à fondre des métaux, le privèrent complètement de la vue ; il cessa donc de travailler environ vers l’an 1550, et mourut quelques années après[9]. Benedetto supporta cette cécité, durant ses dernières années, avec une patience vraiment chrétienne, remerciant Dieu de lui avoir permis d’acquérir par son travail les moyens de vivre honnêtement.


  1. Né à Pistoia, comme il le déclare dans son testament ; fils de Maestro Bartolommeo di Ricco di Grazino. Il vécut et mourut à Rovezzano.
  2. Casa Rosselli, Borgo Sant’Apostolo. La cheminée existe encore.
  3. Existe encore, dans le chœur.
  4. Mort le 12 novembre 1507. Ce tombeau a été transporté à la paroi opposée.
  5. Commandé le 28 septembre 1512 ; estimé 300 florins le 30 octobre 1513. Placé à droite, dans le chœur.
  6. Actuellement au Musée National.
  7. Tous ces travaux existent encore.
  8. Il fit le tombeau du cardinal Wolsey, à Windsor. Détruit en 1646. Le sarcophage contient actuellement le corps de l’amiral Nelson, dans la cathédrale de Saint-Paul.
  9. Il s’était retiré au couvent de Vallombrosa en 1552. Mort en 1554 (?).