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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Gentile da FABRIANO et Vittore PISANELLO de Vérone

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Gentile da FABRIANO
et Vittore PISANELLO de Vérone
Peintres, le premier, né en 1370 (?), mort en 1428 ; le second, né en 1380, mort en 1456

Pisano, ou Pisanello, peintre véronais, qui resta de longues années à Florence, auprès d’Andrea dal Castagno et qui termina ses œuvres restées inachevées, en retira un tel crédit, après la mort de son maître, que le pape Martin V, étant venu à Florence[1], le ramena avec lui à Rome. Il lui fit faire, à Saint-Jean de Latran, plusieurs fresques, qui ont tout le charme et toute la beauté possibles, parce qu’il y mit abondamment un certain outremer que le pape lui donna et d’une si belle couleur qu’on n’a pas encore pu trouver le pareil. Concurremment à Pisanello, Gentile da Fabriano, au-dessous de ces fresques, en peignit d’autres que Platina a mentionnées dans sa vie de Martin V. Il raconte que le pape ayant fait refaire le dallage de Saint-Jean de Latran, ainsi que le toit et le plafond, Gentile y peignit différentes choses[2] ; parmi d’autres peintures faites en camaïeu, il y a entre les fenêtres quelques Prophètes peints en clair-obscur, qui sont considérés comme la meilleure partie de toute l’œuvre.

Gentile fit une quantité de travaux à San Giovanni de Sienne, dans l’État d’Urbin, dans la Marche et particulièrement à Agobbio, où l’on voit encore quelques-unes de ses productions[3]. À Florence, dans la sacristie de Santa Trinità, il représenta, sur un tableau, l’histoire des Rois Mages et y introduisit son portrait au naturel[4]. À San Niccolo, près de la Porta a San Miniato, il fit, pour la famille des Quaratesi, le tableau du maître-autel qui, selon moi, est la meilleure des œuvres que j’ai vues de lui, car, sans parler de la Vierge et des saints qui l’entourent, on ne peut rien désirer de mieux que les sujets de lavie de saint Nicolas, traités en petites proportions, sur la prédelle[5]. À Santa Maria Nuova de Rome, au-dessus du tombeau du cardinal Adimari, florentin et archevêque de Pise[6] il représenta, dans un arc, la Vierge tenant l’Enfant Jésus, entre saint Benoît et saint Joseph[7], que le divin Michel-Ange estimait singulièrement ; il avait coutume de dire, en parlant de Gentile, qu’en peinture il avait la main semblable à son nom. À Pérouse, il fit un tableau[8] fort beau dans l’église San Domenico, et, à Sant’Agostino de Bari, on voit de lui un Christ tordu sur la croix, entre trois demi-figures fort belles, au-dessus de la porte du chœur[9].

Pour en revenir à Vittore Pisano, il avait un goût particulier pour les animaux. Dans l’église de Santa Nastasia de Vérone, il peignit, dans la chapelle de la famille Pellegrini, saint Eustache caressant un chien tacheté de blanc et de roux qui, dressé et les pattes de devant appuyées sur la jambe du saint, tourne la tête, comme s’il entendait du bruit[10]. Le mouvement de ce chien est d’une telle vivacité qu’au naturel il ne serait pas mieux. Au-dessous est tracé le nom de Pisano, qui signait tantôt Pisano et tantôt Pisanello, comme on peut le voir sur ses tableaux et sur ses médailles[11].

Après la figure de saint Eustache, qui est une de ses meilleures et vraiment très belle, il peignit toute la façade extérieure de cette chapelle[12]. D’un côté, saint Georges, revêtu d’une armure d’argent [comme le représentaient non seulement lui, mais encore tous les peintres de cette époque], vient de tuer le dragon et, voulant remettre l’épée au fourreau, lève la main droite qui tient l’épée dont la pointe est déjà engagée dans le fourreau ; il abaisse la main gauche de façon que la distance plus grande lui permette de remettre facilement au fourreau l’épée qui est d’une grande longueur. Et ses gestes ont tant de grâce, avec une si belle manière, qu’on ne saurait voir mieux. Au-dessus de l’arc de cette chapelle, saint Georges, ayant tué le dragon, délivre la fille du roi ; elle se tient près du saint, revêtue d’une robe longue, selon l’usage du temps.

Dans cette fresque, non moins admirable est la figure de saint Georges, armé comme ci-dessus, qui, prêt à remonter à cheval, se tient tourné du corps et de la tête vers le peuple. Ayant mis un pied à l’étrier et la main gauche sur la selle, on dirait qu’il va monter sur son cheval qui a la croupe tournée du côté du peuple et se montre en entier, quoique en raccourci, dans un si petit espace.

À San Fermo Maggiore de Vérone, église des Franciscains, il peignit une Annonciation[13], dans la chapelle des Brenzoni, à main gauche en entrant par la porte principale de l’église, et au-dessus du tombeau, sur lequel est sculptée une Résurrection de Notre-Seigneur. Les deux figures de la Vierge et de l’Ange, rehaussées d’or selon l’usage de cette époque, sont très belles, ainsi que des édifices bien mis en perspective, de petits animaux et des oiseaux, aussi vifs et naturels qu’il est possible de l’imaginer.

Vittore fit en médailles quantité d’images de princes et d’autres personnages de son temps, d’après lesquelles on a depuis peint une foule de portraits. Monsignor Giovo, dans une lettre en italien[14] adressée au seigneur duc Cosme, s’exprime ainsi, en parlant de Vittore Pisano : « Celui-ci fut encore très habile dans les œuvres en bas-relief, genre de travail regardé comme très difficile par les artistes parce qu’il tient le milieu entre le plan de la peinture et la rondeur des statues. De plus, on voit de sa main quantité de médailles de grands princes, très estimées et du plus grand module, de la dimension de ce revers que le Guidi m’a envoyé, et qui porte un cheval armé. J’ai, entre autres, celle du roi Alphonse V, en cheveux longs, sur le revers de laquelle est un casque de capitaine ; celle du pape Martin, avec les armes de la maison Colonna pour revers, et celle du sultan Mahomet, qui prit Constantinople ; il est à cheval, vêtu à la turque, et tient un fouet à la main. Je possède encore un Sigismond Malatesta, avec le revers de Madonna Isotta d’Arimini ; un Niccolo Piccinino, la tête couvert d’un bonnet long, et le même revers du Guidi que je vous renvoie ; de plus, une très belle médaille de Jean Paléologue, empereur de Constantinople, avec ce bizarre chapeau à la grecque que les empereurs avaient coutume de porter. Cette dernière médaille fut faite par le dit Pisano, à Florence, au temps du concile du pape Eugène, auquel assista l’empereur ; elle a pour revers la croix du Christ soutenue par deux mains qui signifient l’Église grecque et l’Église latine, etc… »

Vittore fit en outre les médailles de Philippe de Médicis, archevêque de Pise ; de Braccio da Montone, de Giovan Galeazzo Visconti, de Carlo Malatesta, seigneur de Rimini ; de Giovanni Caracciolo, grand sénéchal de Naples ; de Borso et d’Ercole d’Esté, de maints autres seigneurs et hommes fameux dans les armes et dans les lettres. Finalement, étant devenu vieux, il passa à une meilleure vie.

Gentile, ayant exécuté de nombreux travaux à Citta di Castello, se comporta de telle manière, étant atteint de paralysie, qu’il ne produisit plus rien de bon. À la fin, accablé de vieillesse, il mourut à l’âge de 80 ans[15]


  1. En 1419, mort en 1481, par conséquent avant Andrea dal Castagno qui mourut en 1457.
  2. De janvier à juillet 1427 ; Gentile avait 25 florins par mois. — Aucune de ces œuvres n’existe plus, Pisanello y peignit en 1481.
  3. Ibid.
  4. Actuellement, à l’Académie des Beaux-Arts, signé : OPVS. GENTILIS DE FABRIANO MCCCC.XX.III. MENSIS MII. — Une partie de la prédelle est au Louvre et représente la Présentation au temple. — Tableau commandé par Palla Strozzi et payé 150 livres.
  5. Les volets de ce tableau sont aux Offices ; la Vierge du milieu et la prédelle ont disparu.
  6. Ce tombeau est à côté de celui du pape Grégoire IX.
  7. Peinture détruite.
  8. Qui représente l’Adoration des Mages : actuellement à la Pinacothèque, attribution incertaine.
  9. Existe encore.
  10. Cette fresque n’existe plus.
  11. Aucune œuvre n’est signée Pisanello.
  12. Il reste une partie de ces fresques. Le seul tableau authentique de Pisano est à la Galerie nationale de Londres, et représente saint Georges et saint Antoine. Signé : PISANUS PIS.
  13. Existe encore (peinte vers 1420) de même que le tombeau, dû à Giovanni di Bartolo Rosso, sculpteur florentin.
  14. Du 12 novembre 1551.
  15. Mort en 1428. (Archivio Storico dell’Arte, 1898.) Gentile, né à Fabriano, dans la Marca d’Ancona, inscrit à la Matricule des Peintres, à Florence, le 21 novembre 1422 ; Magister Gentilis Nicolai Johannis Massi de