Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Nanni d'ANTONIO di BANCO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 280-282).
Nanni d’ANTONIO di BANCO
Sculpteur florentin, né en 13..., mort en 1412

Nanni d’Antonio di Banco[1], qui, n’étant pas d’origine plébéienne, et possédant un riche patrimoine, s’adonna à la sculpture, non seulement ne rougit pas d’apprendre et d’exercer un pareil métier, mais encore s’en fit grand honneur. Sa carrière fut assez brillante pour qu’il en retirât une renommée éternelle, d’autant plus qu’il l’embrassa, non par besoin, mais par amour de l’art. Bien qu’il fut élève de Donato[2], j’ai placé son histoire avant celle de son maître, parce qu’il mourut longtemps avant lui. Il était d’un caractère grave, modeste et bienveillant. On lui doit la statue en marbre de saint Philippe [3], qui est sur un des pilastres extérieurs de l’oratoire d’Or San Michele. Cette œuvre avait d’abord été allouée à Donato par l’Art des Cordonniers, mais comme ils ne tombèrent pas d’accord sur le prix, ils la lui retirèrent, pour en charger Nanni qui leur promit de se contenter de ce qu’on lui donnerait. Mais la chose ne se termina pas ainsi, car la statue finie et mise en place, il demanda un prix beaucoup plus élevé que celui de Donato. Les deux parties ayant confié l’estimation à Donato, les consuls de l’art des Cordonniers croyaient fermement que, par envie, et pour se venger de ne pas avoir eu la statue, il fixerait un prix bien inférieur à celui qu’il avait demandé pour lui. Mais ils furent bien désappointés quand Donato jugea que la statue de Nanni devait être payée beaucoup plus que Nanni n’avait demandé, et ne voulant pas accepter cette décision, ils s’écrièrent : « Pourquoi, toi qui l’aurais faite pour un prix moindre, l’estimes-tu plus étant de la main d’un autre et veux-tu nous forcer à lui donner plus qu’il n’en demande ? Tu reconnais cependant avec nous que cette statue serait meilleure si elle était sortie de tes mains. » Donato leur répondit, en riant : « Ce bon homme n’est pas, comme sculpteur, ce que je suis, et peine beaucoup plus que moi en travaillant ; aussi il vous faudra, pour le récompenser, lui payer le temps qu’il a dépensé, si vous êtes des hommes justes, comme j’aime à le croire. » Le comphment de Donato eut plein effet, car les deux parties s’étaient engagées d’avance à accepter sa décision. Le saint Philippe est heureusement posé ; la tête est pleine de vivacité et de naturel. Les draperies ne sont pas raides et se plient, au contraire, bien aux mouvements du corps. À côté de la niche qu’il occupe, on en voit une autre contenant quatre statues de saints en marbre[4], qui furent demandés à Nanni, par l’Art des Forgerons, des Menuisiers et des Maçons. On raconte que, quand elles furent terminées, comme il les avait sculptées séparément, il n’en put faire entrer que trois dans la niche, d’autant plus qu’il en avait exécuté quelques-unes les bras ouverts. Désespéré, Nanni pria Donato de lui venir en aide, et de réparer sa maladresse ; celui-ci lui dit en riant de sa mésaventure : « Si tu me promets de me payer, ainsi qu’à tous mes jeunes élèves, un bon dîner, je me fais fort de faire entrer, sans difficulté, tous les saints dans la niche. » Ce que Nanni ayant promis bien volontiers. Donato l’envoya à Prato prendre quelques mesures et traiter certaines affaires qui devaient l’y retenir plusieurs jours. Pendant son absence, il se mit à l’œuvre avec tous ses élèves, réduisit une épaule à l’un, un bras à l’autre, les rapprocha, fit passer le bras de l’un sur l’épaule de l’autre et, en un mot, les agença si bien qu’il répara la bévue de Nanni et que maintenant il est impossible de s’en douter. Le groupe en effet est tel que ces statues montrent des signes manifestes de concordance et d’unité. Nanni, à son retour, le remercia vivement et lui paya de bon cœur un riche dîner. Au dessous de ces quatre saints, dans l’ornement du tabernacle, il y a un relief en marbre qui représente un statuaire sculptant une figure d’enfant, et un maître maçon qui travaille, aidé par deux ouvriers ; toutes ces petites figures sont bien disposées et paraissent appliquées attentivement à ce qu’elles font.

Quand on entre dans Santa Maria del Fiore, et par la porte principale, on voit, à gauche, un Evangéliste[5] de la main de Nanni et qui, pour cette époque, est assez remarquable. On lui attribue encore le saint Ėloi, que la Compagnie des Maréchaux a fait placer à l’extérieur de l’Oratoire d’Or San Michele, et le tabernacle en marbre, au bas duquel on voit saint Eloi, ferrant un cheval possédé du diable[6]. Nanni en retira de grands éloges, et sa renommée aurait été en grandissant s’il n’était mort étant encore jeune. Ses œuvres, bien que peu nombreuses, lui assurent un rang honorable parmi les sculpteurs et, comme il était citoyen florentin, il remplit plusieurs charges dans sa patrie[7]. Il s’y comporta, comme dans toutes ses autres affaires, en homme juste et raisonnable, aussi fut-il très aimé. Il mourut d’un mal d’entrailles, en 1430[8], à l’âge de 47 ans.



  1. Porté à la Matricule des tailleurs de pierre, le 2 février 1405. Son père était maître tailleur de pierre, au service de l’Œuvre du Dôme, en 1400.
  2. Appelé généralement Donatello.
  3. En place.
  4. En place.
  5. Saint Luc, dans l'abside de San Zanobi, deuxième chapelle à droite.
  6. Existe encore.
  7. Il n'est nommé dans aucun document.
  8. Mort en 1421 ; son testament est du 8 février