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Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint3

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De la peinture : chapitre III

Chapitre III. — Des figures eu raccourci, de bas en haut, et dans le plan horizontal.


Nos artistes ont montré une très grande attention dans l’art de faire les figures en raccourci, c’est à dire dans le fait qu’elles apparaissent plus grandes qu’elles ne le sont en réalité, le raccourci étant une chose dessinée de peu d’étendue, de manière que la figure s’allongeant dans le devant du tableau n’a pas la longueur ou la hauteur qu’elle paraît avoir. Toutefois, sa grosseur, les contours, les ombres et les lumières font en sorte qu’elle paraît venir en avant, et c’est pour cela qu’on dit qu’elle est en raccourci. Dans ce genre de peinture, il n’y eut jamais de peintre ou de dessinateur qui fit mieux que notre Michel-Ange Buonarroti. D’ailleurs, personne ne pouvait le surpasser, car il a divinement exécuté les figures en relief. Il faisait d’abord à cet effet des modèles en terre et en cire, et il tirait de ceux qui étaient les plus vivants, les contours, les lumières et les ombres. Les raccourcis donnent à ceux qui ne s’y entendent pas une peine incroyable, parce que leur esprit ne leur permet pas de résoudre de pareilles difiicultés ; c’est la plus grande qu’il y ait en peinture. Certes, nos anciens maîtres, amoureux de leur art, trouvèrent le moyen de les faire, en se servant de lignes tracées en perspective, ce que l’on ne pouvait pas faire auparavant, et ils amenèrent ce procédé à un point qu’aujourd’hui nous avons toute facilité pour nous en tirer. Parmi les artistes de notre temps, ceux qui les blâment sont des gens qui ne sauraient pas en faire autant, et pour s’élever eux-mêmes, ils vont abaissant autrui. Nous avons quantité de maîtres-peintres qui, bien que pleins de talent, ne se soucient pas de faire des raccourcis. Néanmoins, quand ils en voient de beaux et de difficiles, non seulement ils ne les blâment pas, mais encore ils leur décernent de suprêmes louanges. Les artistes modernes en ont fait quelques-uns qui sont difficiles et pleins d’à-propos ; par exemple, sur une voûte, les figures qui regardant en haut fuient et se raccourcissent. Ce sont de celles-ci que nous voulions parler par le titre, et qui ont tant de vigueur qu’elles paraissent percer la voûte. On ne saurait les faire, si on ne les copiait sur le vivant, ou d’après des modèles placés à des hauteurs convenables, de manière à donner l’attitude et le mouvement voulus. Certes, les difficultés de ce genre présentent, une fois résolues, une grâce extrême et une grande beauté ; c’est un art vraiment terrible. On verra, en lisant les Vies de nos artistes, qu’ils ont donné un relief considérable à de pareilles œuvres, et qu’ils les ont amenées à la dernière perfection ; aussi en ont-ils retiré de grandes louanges. On appelle raccourcis de bas en haut les figures qui sont dressées, et que pour voir il fout lever les yeux, au lieu de s’étendre vers la ligne d’horizon. Comme il faut lever la tête pour les regarder, et qu’on découvre d’abord la plante des pieds et les parties inférieures du corps, ce nom leur a été justement donné.