Lettre à M. Victor Hugo

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Lettre à M. Victor Hugo
Mme Noëllat (p. 1-2).

LETTRE À M. VICTOR HUGO




Mimande (S.-et-L.), à la campagne, ce samedi 14 juin, 1851.



Une goutte d’eau de plus dans la mer, est toujours une goutte d’eau.


Monsieur,


Dieu ne me permet pas d’oublier ni le bien ni le mal qui m’est fait.

Je me souviens donc que, le 1er juin 1848, j’eus l’insigne honneur de recevoir de vous une bien précieuse lettre en réponse à des strophes au grand Empereur de l’île d’Elbe et de Sainte-Hélène, que je m’étais permis de vous adresser en communication[1].

Aujourd’hui je me pose cette question simplement : parce que, depuis que je suis un des plus sincères admirateurs de M. Victor Hugo, j’ai le sentiment douloureusement pénible d’être en opposition diamétrale avec ce grand homme ; au sujet de la peine de mort en matière civile, s’en suit-il de là que je doive me taire sur le grand événement de ses magnifiques paroles en cour d’Assises que je lis dans son journal, et sur la condamnation sévère qui le frappe dans la personne de son cher fils, rejeton si remarquable déjà d’une souche qui continue de s’illustrer par son immense génie ?

Assurément non ! mille fois non ! Car il n’y a plus ici, pour moi, que l’enfant condamné, et que le père qui souffre !…

L’Idée, en ce moment, cède entièrement sa place au cœur, pour que ce cœur serre à tous deux la main, s’ils veulent bien tous deux la mettre dans la nôtre ; ne pouvant nous empêcher de nous dire, à l’occasion de la tristesse profonde que doit ressentir, malgré tout, l’illustre poète : — Si un assassin fouillait avec un fer homicide les entrailles de sa bien-aimé Charles, ou de sa vénérable mère, s’il l’a encore, cet assassin eût-il, en commettant son crime, tracé, sur les chairs palpitantes des victimes, une image de la croix du Christ, l’homme qui jurait avant-hier devant ce Christ qu’il poursuivrait toute sa vie et de toutes ses forces humaines la peine de mort ; cet homme, après avoir combattu contre ce châtiment terrestre, aurait-il le courage de soutenir sa foi ; ne demanderait-il pas alors à grands cris que le sang du meurtrier infâme coulât à son tour, pour appaiser, pour soulager un peu les déchirements affreux dont son âme serait oppressée par celui, répandu sur elle, de sa mère ou de son fils !!?

J’ai commencé, Monsieur, ces quelques lignes par-Dieu ; — je les terminerai de même par-Dieu ; ce grand juge de toutes les questions, de tous les problèmes : qu’il vous garde longtemps, vous et les vôtres !


Xavier FORNERET.

  1. Cette lettre et ces strophes paraîtront en leur temps et lieu. — (Inutile de dire que ce renvoi ne fait pas partie de la lettre à M. Victor Hugo.)