Lettre de Pariset sur l’Égypte

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LETTRE DE M. LE DOCTEUR PARISET SUR L’ÉGYPTE.

La lettre suivante a été adressée à M. le comte de T…, pair de France. Nous en citerons les morceaux les plus intéressans parmi ceux qui nous ont été communiqués.


Au Caire, 18 décembre 1829.

… Le Nil a été fort grand cette année. Or, lorsqu’à une forte inondation succède un hiver tiède, la peste est presque inévitable. C’est un sentiment universel en Égypte ; et par là se trouverait suffisamment réfutée, selon moi, l’opinion de ceux qui veulent que la peste soit toujours apportée de Constantinople, de Smyrne, de l’Archipel, ou de la Syrie. Si donc l’hiver est chaud, comme il sera nécessairement humide, nous aurons la peste ; et je puis vous dire que, dans le cours du mois passé, j’en ai vu et touché des préludes manifestes. J’ai vu des sujets attaqués de douleurs de tête, de fièvre et de bubons, tantôt aux aines et sur l’hypogastre, tantôt aux aisselles, au cou, etc ; d’autres sont pris tout à coup de douleurs de tête, de vomissemens, et meurent après huit, dix, douze et quatorze heures de maladie. Un de ces derniers sujets (petite fille de sept à huit ans) a été couvert, sur le point de mourir, de taches noires, livides, violettes, sur la poitrine, sur les flancs et sur tout l’hypogastre ; et ce dernier signe est mortel. Voilà ce que j’ai vu et touché. Dans les premiers jours de décembre, j’ai vu, à l’hôpital d’Abouzabel, un cas non moins significatif ; mais toutes ces ébauches de peste n’auront aucune suite, si le froid qui règne ici depuis quelques jours vient à persévérer. Il en serait autrement, s’il cesse, si des pluies tombent en janvier ; si février a des chaleurs prématurées, etc. : car, pour avoir une peste, il faut encore bien des façons. Dans les premiers jours de mars, on saura très-positivement à quoi s’en tenir. Toutefois, je puis vous dire que, même dans les années ordinaires, où il n’est pas question de peste du tout, rien de plus commun que d’en rencontrer des centaines d’exemples, dans les villages du Delta. Ces pestes sont bénignes : elles ne se communiquent pas : et cependant il est telle petite population, celle de Mit-Gamar, en particulier, où elles enlèvent jusqu’à douze et quinze personnes par jour. À quoi tient qu’elles ne prennent pas constamment le caractère contagieux ?… problème qu’on ne résoudra jamais.

Supposé que la peste se taise en 1830, c’est en avril que nous retournerons en France. Quoi qu’on s’avise de dire sur ce voyage, j’aurai la consolation de revenir avec la certitude que toutes mes conjectures sur ce pays n’étaient point chimériques. Je suis plus que jamais dans la conviction que l’ancienne pratique des embaumemens était une pratique d’hygiène. Le seul embarras est de comprendre où l’ancienne Égypte a pu cacher tant de matières animales. Mais si l’on veut bien songer à tout ce qu’en peuvent contenir plusieurs centaines de lieues carrées, prises sur le désert et dans l’intérieur des montagnes, la difficulté s’évanouira. La plaine des Momies, à Saquarals, est de quarante-neuf lieues carrées à elle toute seule, puisqu’elle a sept lieues sur chaque côté. J’ai parcouru en partie des rues de vingt pieds de large, sur trente de haut, ouvertes par le ciseau, dans le sein de la chaîne Lybique, dans une longueur de pus de six lieues, toutes remplies d’ibis et de singes ; j’ai vu dans le cœur de la chaîne Arabique, une grotte naturelle dont on ne saurait trouver la fin après quatre lieues de marche, et dont les grandes salles sont bourrées de grands crocodiles et d’une certaine pâte résineuse, où l’on a jeté pêle-mêle et à profusion des oiseaux, des grenouilles, des serpens et de petits crocodiles à peine éclos ; mélange bizarre, qui prouverait assez que ces animaux étaient traités tout autrement que ne le sont les divinités. J’en envoie un échantillon, dans deux petites boîtes, à M. Darcet. Le second point que je pense avoir vérifié est que l’Égypte est un foyer de peste spontanée, j’oserais presque dire l’unique foyer qui soit au monde. Outre les vingt-cinq lieux de sépulture habituels que le Caire renferme dans son intérieur, il a, de plus, un quartier de deux ou trois cents maisons, lesquelles ont un, deux, trois, quatre, jusqu’à huit caveaux remplis de morts, et sans cesse alimentés par les décès journaliers. Ajoutez-y une fosse comblée de plusieurs centaines de cadavres. Jamais pays ne fut naturellement plus salubre ; jamais pays n’est devenu, par la bêtise de l’homme, plus sale et plus dangereux : et je persiste toujours à croire que l’ancienne Égypte n’ayant point connu la peste, l’Égypte moderne ne la connaîtrait pas davantage, si elle reprenait les premiers usages, ou adoptait quelques usages équivalens. Un de nous est parti pour Smyrne et Constantinople. J’oserais répondre d’avance qu’il trouvera la confirmation de ce qu’on dit à Paris et ailleurs, savoir que la peste ne vient pas d’elle-même, et qu’elle y est toujours apportée par les navires ou les caravanes de l’Égypte. Toute la Syrie ne pense pas autrement par rapport à elle-même. Enfin, nous verrons. Dans tous les cas, je crois me rendre justice en soutenant que la recherche qui m’occupe est très-digne d’occuper les meilleurs esprits, et même, avant tout, la sollicitude des gouvernemens. À l’égard des chlorures, c’est une chose démontrée pour nous, qu’ils décomposent tous les virus, au moins tous les virus animaux. Je me prépare à faire, sur ce point, diverses expériences. Nous avons ici des scorpions, des cérastes, etc., etc. Tout cela sera mis au net dans le courant de janvier.

Pariset.