Lettre du 23 juin 1656 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 408-409).
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1656

37. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MÉNAGE.

Vendredi 23e juin[1].

Votre souvenir m’a donné une joie sensible, et m’a réveillé tout l’agrément de notre ancienne amitié. Vos vers m’ont fait souvenir de ma jeunesse, et je voudrois bien savoir pourquoi le souvenir de la perte d’un bien aussi irréparable ne donne point de tristesse. Au lieu du plaisir que j’ai senti, il me semble qu’on devroit pleurer ; mais sans examiner d’où peut venir ce sentiment, je veux m’attacher à celui que me donne la reconnoissance que j’ai de votre présent. Vous ne pouvez douter qu’il ne me soit agréable, puisque mon amour-propre y trouve si bien son compte, et que j’y suis célébrée par le plus bel esprit de mon temps. Il faudroit pour l’honneur de vos vers que j’eusse mieux mérité tout celui que vous me faites. Telle que j’ai été, et telle que je suis, je n’oublierai jamais votre véritable et solide amitié, et je serai toute ma vie la plus reconnoissante comme la plus ancienne de vos très-humbles servantes.

La M. de Sévigné.

  1. Lettre 37. — i. Dans l’édition de 1818, cette lettre est placée au 23 juin 1668, année où parut la cinquième édition des Poemata de Ménage. Comme en 1668, le 23 juin est un samedi et non un vendredi, on avait, pour pouvoir la mettre à cette année, supprimé le mot vendredi, qui est dans l’autographe, et que nous avons naturellement rétabli. Nous ne voyons pas ce que ce billet perd à se trouver à sa vraie date, au vendredi 23 juin 1656 : c’est l’année où Ménage donna la seconde édition de ses poëmes (l’achevé d’imprimer est du 8 avril). Mme de Sévigné avait trente ans ; et ne va-t-il pas bien à cet âge, ce souvenir sans tristesse des premières années de la jeunesse, et du temps que lui rappelaient ces vers où le poète la nommait

    Des ouvrages du ciel le plus parfait modèle, etc. ?

    Le seul regret que nous donne cette transposition à laquelle l’original du billet nous oblige, c’est qu’elle renverse tout l’ingénieux édifice de conjectures que Walckenaer (tome III, p. 117) avait construit sur cette date.