Lettre du 24 mars 1676 (Sévigné)

La bibliothèque libre.





518. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À MADAME DE GRIGNAN.
À Laval, mardi 24e mars.

Et pourquoi, ma chère fille, ne vous écrirois-je pas aujourd’hui, puisque je le puis ? Je suis partie ce matin 1676des Rochers par un chaud et un temps charmant : le printemps est ouvert dans nos bois. La petite fille a été enlevée dès le grand matin, pour éviter les grands éclats de sa douleur : ce sont des cris d’enfant qui sont si naturels qu’ils font pitié ; peut-être que présentement elle danse, mais depuis deux jours elle fondoit : elle n’a pas appris de moi à se gouverner. Il n’appartient qu’à vous, ma très-chère, d’avoir de la tendresse et du courage. Je me suis fort bien portée et comportée par les chemins. La contrainte offense un peu mes genoux ; mais en marchant cela se passe. Mes mains sont toujours malades ; il me semble que le chaud les va guérir : ce sera une grande joie pour moi ; il y a bien des choses dont j’ai une grande envie de reprendre l’usage. J’admire comme l’on s’accoutume aux maux et aux incommodités. Qui m’auroit fait voir tout d’une vue tout ce que j’ai souffert, je n’aurois jamais cru y résister, et jour à jour me voilà. Le bien Bon se porte bien. Je vous écrirai de Malicorne ; j’y trouverai vos lettres. Je vous prie, comptez les lunes de votre grossesse : c’est une ressource pour espérer la vie du petit garçon. J’embrasse le Comte ; et vous, ma chère enfant, que ne vous dirois-je point, si je vous disois tout ce que je pense et tout ce que je sens de tendresse pour vous !