Lettre du milieu 1650 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 367-368).
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1650

* 16. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ[1].

(Paris, vers le milieu de 1650.)

Je n’avois pas tort hier, Madame, de me défier de votre imprudence ; vous avez dit à votre mari ce que je vous dis : vous voyez bien que ce n’est pas pour mes intérêts que je vous fais ce reproche, car tout ce qui m’en peut arriver est de perdre son amitié ; et pour vous, Madame, il y a bien plus à craindre. J’ai pourtant été assez heureux pour le désabuser ; au reste, Madame, il est tellement persuadé qu’on ne peut être honnête homme sans être toujours amoureux, que je désespère de vous voir jamais contente si vous n’apprenez qu’à être aimée de lui ; mais que cela ne vous alarme pas, Madame : comme j’ai commencé de vous servir, je ne vous abandonnerai pas en l’état où vous êtes. Vous savez que la jalousie a quelquefois plus de vertu pour retenir un cœur que les charmes et que le mérite ; je vous conseille d’en donner a votre mari, ma belle cousine, et pour cela je m’offre à vous si vous le faites revenir par là. Je vous aime assez pour recommencer mon premier personnage de votre agent auprès de lui et me faire sacrifier encore pour vous rendre heureuse, et s’il faut qu’il vous échappe, aimez-moi ma cousine, et je vous aiderai à vous venger de lui en vous aimant toute ma vie.


  1. Lettre 16. — Sur cette lettre, que Bussy pourrait bien avoir composée après coup pour son Histoire amoureuse des Gaules, voyez la Notice, p. 47, 50 et 51.