Lettres à Lucilius/Lettre 37

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Lettres à Lucilius
Traduction par Joseph Baillard.
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LETTRE XXXVII.

Le serment de l’homme vertueux comparé à celui du gladiateur.

Le plus solennel engagement de bien faire, tu l’as pris : tu m’as promis un homme vertueux. Tu es enrôlé par serment. Il serait dérisoire de te dire que cette milice est douce et facile ; je ne veux pas que tu prennes le change. Ta glorieuse obligation est la même quant à la formule que celle du vil gladiateur : souffrir le feu, les fers, le glaive homicide. Ceux qui louent leurs bras pour l’arène, qui mangent et boivent pour avoir plus de sang à donner, se lient de façon qu’on puisse même les contraindre à souffrir tout cela ; toi, tu entends le souffrir volontairement et de grand cœur. Ils ont droit de rendre les armes, de tenter la pitié du peuple ; toi, tu ne rendras point les tiennes et ne demanderas point la vie : tu dois mourir debout et invaincu. Que sert en effet de gagner quelques jours, quelques années ? Point de congé pour qui est entré dans la vie. « Comment donc, diras-tu, me dégager ? » Tu ne peux fuir les nécessités d’ici-bas ; mais en triompher, tu le peux. Ouvre-toi un passage, pour te l’ouvrir tu auras la philosophie. Livre-toi à elle, si tu veux avoir la vie sauve, la sécurité, le bonheur, et, pour tout dire, le premier des biens, la liberté : tu n’arriveras là que par elle. La vie sans elle est ignoble, abjecte, sordide, servile, soumise à une foule de passions et de passions impitoyables. Ces insupportables tyrans qui l’oppriment parfois tour à tour, parfois tous ensemble, la sagesse t’en affranchit, car elle seule est la liberté. Une seule route y mène, et tout droit : point d’écarts à craindre ; va d’un pas résolu. Veux-tu te soumettre toutes choses, soumets-toi à la raison. Que d’hommes tu gouverneras, si la raison te gouverne ! Tu sauras d’elle ce que tu devras entreprendre et par quels moyens : tu ne tomberas pas tout neuf au milieu des difficultés. Me citera-t-on personne qui sache de quelle manière il a commencé à vouloir ce qu’il veut ? Aucune réflexion ne l’y a conduit : c’est de prime saut qu’il s’y est jeté. Nous courons nous heurter contre la Fortune aussi souvent qu’elle contre nous. Il est honteux d’être emporté au lieu de se conduire, et tout à coup, au milieu du tourbillon, de se demander avec stupeur : « Comment suis-je venu ici ? »