Lettres à Sixtine/Communions

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COMMUNION




AVANT d’avoir aimé, voudrais-tu donc haïr ?
Pourquoi par de tels mots nous créer des tristesses,
Perpétuer en nos cœurs l’amer souvenir
Où le Doute se fait un lit pour ses faiblesses ?


Voudrais-tu donc haïr avant d’avoir aimé ?
Voudrais-tu que, manquant aux divines promesses,
L’écrin mystérieux des sens restât fermé ?
Donne-moi, chère, les joyaux de tes caresses,

Répands tous les saphirs et tous les diamants
Sans les compter, comme un fleuve ardent de tendresse
Afin que sur la nef des purs enchantements,
S’embarquent radieux nos jours et nos jeunesses.


Mais l’heure t’appartient : à toi de l’évoquer ;
C’est à toi de céder au baiser qui te presse,
Ou de roidir ton corps ; c’est à toi d’abdiquer
Ou de barder ton cœur d’une triple sagesse.


Qu’elle sonne aujourd’hui, qu’elle sonne demain
Cette heure que parfois j’attends avec détresse,
Je ne faiblirai pas ; ma vie est en tes mains :
Seule, de nos bonheurs tu restes la maîtresse.


O chère, gardons-nous des doutes, qui sont vils ;
Que rien de nos amours n’entame la noblesse ;
Les arguments du cœur ne sont jamais subtils :
On aime et sans réserve on répand sa richesse.

Chère, je crois en toi, je crois en tes yeux bleus,
En ton cœur droit, en ta voix douce, en tes caresses ;
Je crois en ton sourire, en l’éclat radieux
De ton corps, en ton âme, ô chère, en ta tendresse.


Nous, haïr ? O blasphème ! Et les baisers promis ?
Non, l’âme veut sa joie, et la chair, ses ivresses,
Des plaisirs où les sens vibrent sans compromis,
Et la communion sous les doubles espèces.


Mardi 28 juin 1887.