Lettres à Sixtine/L’âme en voyage

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Τή φιλή

L’AME EN VOYAGE

PROSE


24 septembre 1887.




SOUS la lampe rose, mes désirs se sont accomplis contre ses désirs : — et c’était la même ombre luciolée des mêmes reflets, les mêmes étoffes aux vagues papillotements ; c’était le même nid sous la lampe rose.


Mes désirs se sont accomplis et pourtant l’amie était absente : il n’y avait rien de ce qui fait d’elle l’amie, ni l’enveloppement des gestes conquérants : ceci est à moi ; ni le baiser qui mord ; ni le tressaillement de la moelle qui s’électrise depuis le cerveau jusqu’aux orteils ; ni les syllabes murmurées à peine, le cri doux et un peu fauve qui dit l’indicible ; et pourtant. — oh ! tristement ! — mes désirs se sont accomplis.


L’amie était absente, je l’ai cherchée en vain. En vain j’ai interrogé la chair en ses secrets : les secrets ont gardé leur secret. Sous la lampe rose, la même lampe rose, ce n’était plus la même amie. L’illusion m’a tendu ses lèvres, la chimère m’a livré sa beauté : l’amie était absente.


Je l’ai cherchée en vain : son âme était en voyage. Et c’était pareil à un songe charnel, quand les imaginations viennent rôder, fantômes, et s’offrir, succubes. Qui donc était là ? Qui avait pris sa place, sa forme, ses membres, sa grâce, quelle femme, puisque, elle, je l’ai cherchée en vain ?


Son âme était en voyage, quand mes désirs se sont accomplis. O statue, je t’offrais la mienne : pour t’animer, tu n’avais qu’à ne pas détourner la bouche. Une vie, c’est assez pour nous deux qui ne devons pas être séparés. Mais non : statue sous la lampe rose, son corps s’est donné seul ; son âme était en voyage.