Lettres de Jules Laforgue/075

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Lettres. — II (1883-1887)
Texte établi par G. Jean-Aubry, Mercure de France (Œuvres complètes de Jules Laforgue. Tome Vp. 47-48).
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À M. CHARLES HENRY

Tarbes [22 août 1883][1].
Mon cher Henry,

Je vous écris dans un lourd lendemain de chaleur accablante de petite ville. Je ne fais rien. Je ne sais que faire. Le premier jour, repos ; le second, visites ; le troisième, promenade à Bagnères : toutes les villes d’eaux se ressemblent. Je vais tâcher maintenant de me faire un coin et d’y noircir consciemment, et non peu richement, des feuilles blanches.

Je fume des pipes. Je lisotte et je regarde les gens.

Je m’amuse avec des chats aux yeux gris.

J’irai vers le 24, 5, 6, à San Sébastian voir une vraie corrida de toros. Connaissez-vous la chose ?

Que faites-vous ? Tous ces jours passés à Paris, vous m’avez vaguement paru ne rien faire. Attelez-vous donc à un roman. Entre nous, je le souhaiterais avec la plus singulière et la plus sincère curiosité. À votre âge vous avez un énorme passé de science, de bibliothèque et de vie ; mettez-vous au roman ; donnez-nous des choses riches et absolument tirées de votre fonds et arrière-fonds. Mais vous y avez songé et le tout est de s’y mettre. D’ailleurs, vous savez qu’il n’y a que ça au monde et vous avez conscience d’être de la race.

Si vous voyez Henry Cros, dites-lui de ma part tout ce que vous trouverez de mieux.

(On m’appelle pour déjeuner.)

Votre
Jules Laforgue.
Tarbes, rue Massey.

  1. Cette lettre avait paru d’abord avec la date [octobre 1882] qui ne peut être qu’erronée, les indications que donne Laforgue dans cette lettre coïncidant exactement avec son emploi du temps pour août 1883, tel que nous le montre l’Agenda déjà cité.