Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec/Chapitre XIII

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Imprimerie de « L’Événement » (p. 31-37).

XIII.


D’abord, de quel revenu doit-on tenir compte dans la répartition des taxes municipales ? Toute taxe légitime est fondée sur le principe qu’elle doit profiter à ceux qui la paient, en servant à payer certaines dépenses qui leur rapportent des avantages Nous ne devons donc faire contribuer à nos taxes municipales, que ceux qui retirent quelque utilité des dépenses qu’elles sont destinées à payer, c’est-à-dire, de notre organisation locale et de son fonctionnement. De plus, chacun doit contribuer dans la proportion de ses ressources et de l’utilité qu’il retire des dépenses communes.

À qui profitent les dépenses de la Corporation ? À ceux qui résident dans les limites de la ville ; à ceux qui, sans y résider, y exercent un commerce ou une industrie, y ont des propriétés foncières ou des capitaux. Tous ceux-là donc devraient payer des taxes. Mais, dans quelle proportion chacun d’eux devrait-il en payer ? Le contribuable domicilié ici y consomme généralement tout son revenu, de quelque source qu’il provienne. Plus ce revenu est élevé, plus grands sont les avantages qu’il retire de notre organisation municipale. On devrait donc tenir compte de tout son revenu.

Le contribuable non-résident en profite, lui, dans la protection et les avantages qu’il y trouve, soit pour les propriétés foncières ou les capitaux qu’il y a, soit pour la profession, le commerce ou l’industrie qu’il y exerce. On devrait donc tenir compte à son égard, seulement du revenu qu’il tire des propriétés foncières ou des capitaux qu’il a, de la profession, du commerce ou de l’industrie qu’il exerce parmi nous.

Voilà une solution dont personne, je crois, ne viendra contester l’équité. Nous savons donc quel est le revenu des contribuables, dont il devrait être tenu compte dans la répartition des taxes municipales. Voyons, maintenant, quels moyens il faudrait prendre pour constater ce revenu.

On pourrait l’établir en faisant une enquête minutieuse dans chaque cas. Mais, outre que ce moyen serait peu sûr, très-coûteux et très-long, il aurait quelque chose de vexatoire et d’incommode, surtout pour le commerce. Aussi, les adversaires de la taxe sur le revenu, supposant qu’on l’emploierait, en ont fait leur meilleur argument contre un système dont ils n’osent nier la justesse en théorie. Si donc nous voulons avoir quelque chance de voir la législature adopter la taxe sur le revenu, commençons par déclarer que nous n’entendons pas adopter ce moyen de constatation.

On pourrait encore constater le revenu de chaque contribuable par sa déclaration sous serment. Mais, outre que l’homme le plus honnête peut être dans l’impossibilité de dire le montant exact de son revenu, les honnêtes gens, avec ce système, paieraient pour ceux qui trouvent un parjure moins coûteux qu’un paiement.

Tout mode de constatation directe du revenu d’après lequel doivent être réparties les taxes, est donc impossible. Mais il est facile de trouver des moyens indirects, qui donneraient d’une manière au moins très-approximative — et l’on ne peut exiger davantage — le revenu de chaque contribuable.

J’ai divisé les contribuables en deux classes : résidents, non-résidents ayant des propriétés, des capitaux, faisant des affaires. Pour chacune de ces classes, ou peut trouver un mode très-sûr et très-approximatif de constatation indirecte.

Commençons par le contribuable résident. On sait, qu’en général, chacun vit suivant ses moyens : c’est sur ceux-ci que chacun règle ses dépenses de loyer, de domestiques, d’équipages. L’expérience enseigne que, pour qu’un homme puisse vivre sans entamer ses capitaux, il faut qu’il ne consacre pas aux trois objets que je viens de mentionner, plus qu’une certaine proportion de ses revenus. Cette proportion est d’autant moins élevée que le revenu est plus considérable. Il faudrait tenir compte de cette considération. Ainsi, celui dont le revenu ne dépasse pas mille louis, en dépense environ le quart pour les causes que nous venons de voir ; celui dont le revenu est entre mille et deux mille louis, n’en dépense pas plus du sixième de cette manière ; celui dont le revenu dépasse trois mille louis, en dépense ainsi au plus le huitième.

Ceci connu, voici ce qu’on peut faire. Il est facile de connaître la valeur locative de la maison qu’occupe un individu, ce qu’il dépense pour ses serviteurs et domestiques, et pour ses équipages. On additionnerait ces dépenses, et si elles ne dépassaient pas £250, le revenu de celui qui les ferait serait présumé quadruple de la somme à laquelle elles monteraient ; si elles se montaient à plus de £250, mais à moins de £375, le revenu serait présumé être de £2000 ; et si elles montaient à £375 ou plus, le revenu serait présumé être de £3000 au moins.

Le moyen que je viens d’indiquer, suffirait pour indiquer la proportion suivant laquelle les contribuables résidents devraient payer des taxes. Il dispenserait de savoir le revenu qu’ils peuvent tirer de leurs propriétés foncières, de leurs capitaux, de leurs industries, puisque l’on aurait ainsi leur revenu en entier.

Quant aux résidents qui ne tiennent pas maison, on sait qu’il doit exister une certaine proportion entre leur pension et leur revenu ; on pourrait donc prendre comme point de départ, le prix de la pension qu’ils ont, soit qu’ils la paient, soit qu’elle leur soit donnée gratuitement. Il s’agit, là encore, d’une chose dont la constatation est facile.

Voilà pour les résidents. Quant aux non-résidents, il faut distinguer entre eux, ceux qui ont des propriétés foncières, ceux qui ont des capitaux, et ceux qui exercent une profession, une industrie, ou qui font un commerce.

Commençons par ceux qui ont des propriétés foncières. Il est facile de déterminer le revenu probable de ces propriétés, Il suffit pour cela d’en prendre la valeur locative, et de déduire de celle-ci un certain percentage, pour frais d’entretien, usure, taxes et assurances.

Les capitaux des non-résidents sont placés en actions ou en bons de compagnies commerciales ou industrielles, ou bien sur hypothèques, ou bien en créances que n’assure aucune garantie réelle. Il n’est pas nécessaire de chercher le revenu des capitaux placés dans des compagnies de commerce ou d’industrie : nous savons que ces compagnies elles-mêmes doivent être taxées d’après leurs revenus, et nous verrons dans un instant comment on peut constater ces revenus. Il ne reste donc que les capitaux placés sur hypothèque, ou en simples créances. Le revenu des premiers peut être facilement connu, en recourant au bureau d’enregistrement. Quant au revenu des créances non assurées par des hypothèques, je ne vois, je l’avoue, aucun moyen de le connaître ; mais on sait qu’il est très-peu considérable, et d’un caractère trop transitoire pour servir d’assiette à une taxe.

Nous n’avons donc plus à trouver, que le moyen de constater le revenu provenant de l’exercice, soit par un individu non résident, soit par une société ou une corporation, d’une profession, d’un commerce ou d’une industrie. Et nous avons ici un mode très-simple de constatation. Nous savons que, dans chaque profession, commerce ou industrie, on ne peut, pour réussir, dépenser en frais généraux, plus d’une certaine proportion des recettes. J’entends par frais généraux, les frais de loyer du local destiné à l’exercice de la profession, du commerce, ou de l’industrie, de salaires des commis et employés. Il est facile de constater ces items de dépenses, sans se livrer à aucune enquête vexatoire sur les affaires de chacun. Quoi de plus aisé que de connaître la valeur locative d’un bureau d’affaires, le salaire d’un commis ? On sait, je le répète, que les sommes ainsi employées n’absorbent pas au-delà d’une quantité déterminée du revenu provenant des affaires. On sait aussi quelle est, dans chaque profession ou commerce, la proportion entre ces dépenses et le revenu. On sait enfin, que ces dépenses sont d’autant moindres relativement au revenu, que celui-ci est plus élevé. Nous avons donc ainsi tous les éléments nécessaires pour arriver à une constatation très-approximative.

Prenons un exemple. Je suppose que, dans le commerce en détail, les frais généraux dont j’ai parlé, montent au quart du revenu du commerce lorsque ce revenu est moindre de £1000, au sixième quand il est de £1000 à £2000, au huitième quand il est de £2000 ou plus etc. ; si nous trouvons qu’un marchand dépense, pour le loyer de son magasin et le salaire de ses commis, une somme qui ne dépasse pas £250, nous pourrons estimer à £1000 le revenu de son commerce ; si la dépense pour loyer et commis dépasse £250, mais ne dépasse pas £375, nous mettrons le revenu à £2000 ; si cette dépense dépasse £375, le revenu du commerce sera présumé être de £3000, etc.

Nous pouvons employer le même procédé pour les marchands en gros, les banques, les compagnies industrielles, les avocats, les notaires, les médecins. Il n’y aurait qu’à s’assurer d’abord, pour chaque profession, commerce ou industrie, de la proportion entre les frais généraux dont j’ai parlé et le revenu.

En résumé : répartition des taxes, pour les résidents d’après tout leur revenu, pour les non-résidents, d’après le revenu des propriétés foncières ou des capitaux possédés ici, des professions, commerces ou industries exercés ici ; constatation de ces revenus, pour le résident, au moyen de la valeur locative du local occupé comme résidence, jointe au salaire des serviteurs et domestiques, à la valeur de la pension de ceux-ci, et aux frais d’entretien des équipages ; pour les non-résidents, au moyen de la valeur locative de leurs propriétés foncières, des intérêts constatés par le bureau d’enregistrement de leurs capitaux placés sur hypothèques, de la valeur locative des locaux employés pour l’exercice de la profession, du commerce ou de l’industrie, jointe au salaire des commis et employés.

Je ne vois pas les objections fondées que l’on peut faire à ce système. On ne pourrait pas même lui reprocher sa nouveauté, puisqu’il est déjà pratiqué en France depuis 1791, au sujet de l’impôt mobilier, de l’impôt des portes et fenêtres et de l’impôt des patentes. Outre l’avantage de l’équité, il aurait ceux qu’ont tous les impôts de répartition : la certitude du montant qu’il pourrait produire. En effet, étant connu le montant du revenu dont on doit tenir compte, et le montant que l’on veut faire produire à la taxe, la répartition de celle-ci entre les contribuables se trouverait toute faite ; une simple règle de trois indiquerait la somme à payer par chacun. Ainsi, je suppose que le total du revenu sujet à la taxe est de $2,000,000, la somme à prélever de $4,000,000, chacun devrait payer un cinquième de son revenu imposable. Au lieu qu’aujourd’hui les taxes spéciales ne pèsent que sur la propriété foncière, elle pèseraient avec ce système sur toutes les sources de revenu. Enfin, un avantage au moins temporaire de ce système, c’est que ses données s’écartent si peu de celles du système actuel, que nous n’avons pas à craindre de difficultés dans son application. Il n’exigerait presque pas autre chose des cotiseurs que ce qu’ils font aujourd’hui : constater la valeur locative des maisons, etc.

Je ne puis développer ce plan avec tous les détails qu’il comporte, mais je crois en avoir dit assez pour le faire comprendre suffisamment.

Je n’ai pas parlé de la taxe pour l’eau de l’aqueduc, parce qu’à l’égard des propriétés où passent les conduits de distribution, ce n’est pas une taxe, mais le loyer d’une chose dont on tire un profit direct. Il est donc évident que, pour ces propriétés, cette taxe devrait être maintenue comme elle est aujourd’hui.