Lohengrin (Laforgue)

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Lohengrin (Laforgue)
Moralités légendairesÉditions de la Banderole (p. 73-102).

LOHENGRIN, FILS DE PARSIFAL


À côté de son cher corps endormi, que d’heures des nuits j’ai veillé, cherchant pourquoi il voulait tant s’évader de la réalité.

A. Rimbaud.

I



Oh, qu’ils sont irréparables, même en imagination seulement, les soirs de Grands Sacrifices !…

On avait naturellement choisi ce lever de Première Pleine-Lune implacable et divine, pour la dégradation de la Vestale Elsa, place du Parvis-Notre-Dame, toutes cloches carillonnant les glas de Nox Iræ, en vue de la mer éternelle des beaux soirs.

Sur deux estrades inviolablement drapées de linges, en vis-à-vis, le Concile Blanc et la Corporation des Vestales se tiennent ; une foule chuchotante entre ces deux institutions et toute cette assistance en demi-cercle, tous debout, et yeux bleus, verts, gris, effarés d’attente en vue de la mer surhumaine des beaux soirs.

Il fait grand jour encore ; nulle brise de clémence à taquiner les brèves flammes des cierges.

Oh, qu’est-ce qui s’apprête ?

Oh, de grâce ! que tout cela est blanc et barbare à cette heure, au bord de cette mer en solennel bassin !

Oh, que tout cela est loin de mon village !...

Or ça, à l’horizon tout enchanté, Notre-Dame d’apparaître.

Oh, en effet, la belle pleine-lune vieil-or, ahurie, hallucinante, palpable, ronde ! Si près, qu’on dirait un ouvrage des hommes de la Terre, quelque expérience aérostatique des temps nouveaux (oui, une lune naïve en son énormité comme un ballon lâché !)

Cela jette un froid, comme toujours.

Et comme toujours, les crayeuses façades de la place aux balcons pavoises des professionnels suaires, et la rosace en tombale efflorescence de la Basilique du Silence en prennent une intéressante pâleur ; et semblent de pauvres vieux bijoux de famille, dans cet enchantement tout neuf, les brèves flammes jaunes des cierges.

Salve Regina des Lys !

Hostie de Léthé ! Miroir transfigurant !

La Mecque des Stérilités polaires !

Oh, sur l’Océan-ciboire, Eucharistie à meurtrissures, Eucharistie mal cautérisée !

Et, à l’horizon, les flots jusque-là enchantés d’accalmies, exécutant vers elle un va-et-vient berceur, ostensiblement berceur, comme la suppliant de se laisser un peu choir, ce soir, pour voir, qu’on la dorloterait si nuitamment !…

Cependant les carillons sont à bout.

Et la foule, alors, d’ululer (tous, hommes, femmes, enfants, vieillards en chœur de soprani grêles) le Stabat de Palestrina, mais infiniment expurgé !

Et, à ce signal suraigu, la lanterne-volière du Phare de la Déesse de lâcher les mouettes consacrées !

Ah ! elles s’envolèrent, en piaulements sauvages, tels des oiseaux-phalènes, vers la Grand’Lune, et tournoyèrent à Son Égard ; et, après ces dévotions préalables, vaquèrent à leur petite pêche des beaux soirs.

On s’est assis, albement, ivre de ces préludes.

Quel silence !…

Le Grand-Prêtre aîné de Séléné s’est levé ; il accomplit les trois offertoires d’encensoir à l’égard de la Pleine-Lune, dans le silence polaire ; puis dit :

« Mes sœurs, comme ces soirs vont décidément à votre « beauté !

« Voici que nous vient sur les infranchissables lagunes de la mer, l’Immaculée-Conception (la seule) ! Je vous salue, Vierge des nuits, plaine de glace, que votre nom soit béni entre toutes les femmes, vous qui satinez leurs seins de distinction et y faites sourdre les laits nécessaires. »

Les Vestales se lèvent, et, sauf le dernier rang des plus jeunes, encore consacrées au silence, répètent l’invocation, — et toutes alors (en trois temps, mais non sans une certaine lenteur de coquetterie bien excusable) rejettent leur cachemire pâle, défont leur guimpe de lin, et exhibent à l’Astre bienfaisant leurs jeunes poitrines, — oh ! comme autant d’hosties, comme autant d’aspirantes lunes ; — les novices grelottant un peu à sentir durcir leurs amandes sous la caresse du rayon sacré venu de si loin à travers les infranchissables lagunes de la mer.

Or, une d’entre elles, isolée au premier rang, est restée étrangère à cette charmante manifestation, baissant même la tête sur son corsage condamné.

Rassuré, le Grand-Prêtre, qui la surveillait, reprend :

« Amandes des seins, sceaux des maternités, tétez les effluves de l’Eucharistie qui se lève sur la mer, et vient faire sa tournée dans nos dortoirs. Car vous êtes encore ses vierges, dignes d’entretenir ses Mystères, de receler ses philtres et ses formules incantatoires, dignes de bénir les brioches des noces. Noël ! Noël donc ! au Phare Virginal, à la vigie des Pôles, au Labarum des Sociétés modernes ! »

Il se rassied.

Le vicaire de Diane-Artémis se dresse, doriquement drapé, pâle comme la statue du Commandeur des Croyants.

« Elsa ! Elsa ! Elsa ! » claironne-t-il par trois fois de son organe de parfait sectaire.

La Vestale isolée au premier rang, la petite femme aux seins honteusement tenus cachés, s’avance sur l’estrade, tête basse, l’air positivement blessé.

« Elsa, Vestale assermentée, gardienne des Mystères, des philtres, des formules et du froment des brioches nuptiales, qu’as-tu fait de la clef de ton répertoire ? Ah ! ah ! tes seins savent une autre caresse que celle si lointaine de la lune, ta chair est inoculée d’une autre science que le culte ; des mains profanes ont dénoué ta ceinture et brisé le sceau de tes petites solitudes ! Que répondrais-tu, par exemple ? »

Elsa articule angéliquement : « Je crois être innocente. Ô méprises cruelles ! » — (et tout bas : « Mon Dieu, que « de cancans ! »).

Le Concile Blanc passa outre d’un même geste convenu.

Et le confesseur d’Hécate, surgissant à son tour, déroule l’acte d’accusation.

« Dans la nuit du... etc., etc. »

(Rien que des soupçons en somme ; des soupçons bien terre-à-terre, il est vrai.)

«... Le simple fait d’être soupçonnée publiquement rend impropre au culte. — Veuve Elsa, oubliez que vous fûtes Vestale. Oubliez, au plus terrible à jamais, les Mystères, les philtres, les formules et le levain des brioches ! Maintenant, veuve Elsa, contemplez une dernière fois la Déesse ; car, selon le rite, si, sur trois sommations, votre fiancé ne se présente pas pour vous assumer, on va brûler vos beaux yeux, en les attouchant, le plus délicatement possible, avec l’Aérolithe du Sacrilège descendu parmi nous à la première lune de l’Hégire et qui repose, vous le saviez fort bien, sur des langes, dans l’hypogée de la Déesse, tout au fond de la Basilique du Silence. — Peuple ! on va faire les trois sommations d’usage. »

Et l’on vit bien qu’Elsa ne se donnait même pas la peine de lancer un clin d’œil au hasard de cette foule, d’où elle n’attendait donc nul Chevalier, c’est clair.

Les Matrones aux béguins à bandelettes de Sphinx la font descendre de l’estrade, la dépouillent du cachemire pâle et de la guimpe de lin et de ses perles du culte. On noue les perles dans la guimpe et le cachemire ; et le tout, en un coffret de plomb, va sombrer vers les nécropoles sous-marines ; saisissante succession de symboles.

Ce qui fait qu’Elsa apparaît en fiancée, au bon peuple. — Oh ! intéressante et promise, en longue blême robe étoilée de bas en haut d’œils de plumes de paon (noir, bleu, or vert, comme on sait, mais il est beau de le rappeler), épaules nues, bras angéliquement laissés à leur nudité, la taille prise juste au-dessous de ses jeunes seins par une large ceinture bleue d’où pend une plume de paon à l’œil plus magnifique encore, et sur ce joyau d’œil central la pauvre tient pudiquement croisées ses petites mains aux longues mitaines bleues ! Mais ses yeux n’en demeurent pas moins succulents comme des bouches, attendu que sa bouche entr’ouverte a toute la tristesse d’un regard, à cette heure.

Un très perceptible chuchotement d’admiration court parmi les femmes ; et (l’esprit de corps les trouve, hélas ! toujours prêtes) elles chantonnent :

« Heureux ! heureux encore, ma foi, celui qui l’emmènera sous son toit. Elle a d’adorables restes ; — et pas dix-huit ans accomplis... si nous ne nous trompons ? »

Elsa ne daigne confirmer ce détail irrésistible.

Mais un héraut s’avance, il élève vers le peuple, sur une patène, l’aérolithe qui va corroder ces beaux yeux succulents, il sonne aux quatre points cardinaux de son olifant d’ivoire, puis...

— Si vous sonniez un peu plus sérieusement du côté de l’horizon des mers ! lui fait observer Elsa.

— Elle se moque.

— Elle veut nous faire poser. — À l’ordre ! — La clôture de ses yeux !

— Je ne veux rien avoir à me reprocher, déclare le Grand-Prêtre : Héraut, obtempérez et sonnez plus sérieusement du côté de l’horizon des mers !

Le héraut sonne dérisoirement du côté de l’horizon connu des mers ! puis il clame :

« Que celui qui veut prendre pour épouse légitime Elsa, vestale au rancart, s’avance, et le jure à haute et intelligible voix ! »

Elsa ne daigne pas jouer de la prunelle ; elle tourne le dos à la cérémonie, semble inspecter l’horizon si inconnu des mers.

Et personne ne dit mot. — Bien des mères ont mis leurs fils sous clef, aujourd’hui ! — Et puis elle est trop fière aussi ! Cela ne promet guère.

Les deux autres sommations restent sans écho.

« Adjugé ! »

Elsa se précipite : — Oh ! qu’on me passe un miroir, avant !

Un jeune homme sort de la foule et vient présenter à la condamnée un miroir de poche (et tout bas : « Oh ! m’aimerez-vous ? me suivrez-vous partout avec des yeux fous, si... » — « C’est inutile. Merci bien. »)

Et voilà qu’elle se mire et s’admire ! Et au lieu de se livrer à des élégies sur le sort de ses yeux, elle arrange sa coiffure, lisse l’arc de ses célèbres sourcils, et arrange, arrange encore ses cheveux.

(Quelle absence de sens moral !)

— Maintenant, on voudra bien me laisser faire un bout de prière vers la Lune, notre maîtresse à tous, j’espère ?

Sans attendre qu’on en délibère, Elsa s’agenouille sur le sable du rivage. Et voici que, tendant vers l’horizon tout enchanté des mers, ses petites mains aux mitaines bleues, elle se met à psalmodier :

« Bon Chevalier qui m’apparûtes dans cette nuit fatale et mémorable, chevauchant un grand cygne lumineux !

« Délaisserez-vous votre servante ? Vous le savez bien, fatal Chevalier, que mes yeux succulents sous mes sourcils célèbres et ma bouche triste sont à votre merci, et que je vous en suivrai partout avec des regards fous.

« Ah ! j’ai la chair encore tout évanouie de votre vision et (mettant la main sur son cœur) mon petit cratère m’en fait mal, et je m’en ai découvert des tas de trésors ! Car votre fantaisie, si noble, sera toute ma pudeur, savez-vous.

« Joli Chevalier, je n’ai pas encore dix-huit ans accomplis. Dites, venez m’assumer, vous ne vous en mordrez certainement pas les doigts. — Angelus ! Angelus ! Je suis la Sulamite ! Je n’ai que la pruderie d’une fleur. »

Elle se penche un instant, sa main devant les yeux, perscrutant l’horizon enchanté ; puis, reprend, traînant sur les mots :

« Oui, je dis bien, à votre merci, ô Prince Charmant ! Et je saurai vous tisser des armures de rechange.

« Tenez, je vais vous l’avouer, le goût de ma robe vous fera éclore mainte papille famélique ! — Et les lunes de mes coudes ! qui chatoient aux alouettes des rechutes ! ah ! ah !...

« L’adorable Chevalier me laissera-t-il vieillir aveugle et paria dans cette société bourgeoise ? Je suis belle, belle, belle ! comme un Regard incarné !

« Oh ! Je vous comprends d’avance ! Oh ! Je vous en suivrai partout avec des yeux fous ! Et je resterai si constamment suspendue à la lumière de votre front, que j’en oublierai de vieillir ; oui, j’irai si enchâssée dans votre sillon de lumière, que j’en deviendrai un petit diamant que l’âge ne saurait entamer !

« Ah ! non, non, je ne suis qu’une pauvre personne du sexe ! je ne saurai que laver, chaque matin, votre armure de cristal, avec mes larmes... »

Elle se tourne vers l’Exécuteur au cœur cuirassé d’un triple airain :

— Puisque je vous dis qu’il va venir ! Il m’a promis ; vous verrez au moins une fois ce que j’entends par un bel homme. — Ah ! le voilà ! le voilà ! le voilà ! Mais regardez plutôt vous-même !

Les mouettes repiaulaient en détresse vers les volières-dortoirs du Phare.

En effet, ô beau soir...

De l’horizon, au ras des flots résignés, dans l’enchantement de la Pleine-Lune écarquillée, s’avançait, merveilleusement et le col en proue, un grandissime cygne lumineux, chevauché d’un éphèbe, en armure radieuse, tendant les bras, sublime de confiances inconnues, vers le Rivage Tribunal !...

Et nos bourreaux de se changer en badauds, attroupés sur la grève, autour d’Elsa effarée, qui peut à peine articuler : « Ne vous bousculez donc pas ainsi ! Vous ne voyez donc pas que vous me chiffonnez ma toilette ! »

Et les bourreaux badauds :

— Quel est cet honnête Chevalier qui s’avance sur les mers, mélodieux de bravoure, franc comme les cimes, le front caroncule de Foi ? Quelles Fêtes ! Ô Elsa, nous te félicitons, sans arrière-pensée ; tu auras au moins de beaux enfants. Et comme il chevauche, cet oiseau séraphique, avalanche faite cygne ! Oh ! c’est, pour le moins, Endymion lui-même, le petit jeune homme de Diane. Et que le son de sa voix doit être... providentiel !

Il arrive, glissant, grandissant, magique, gardant sa pose, sûr de tout !

Que sa famille doit être riche et raffinée ! Oh, dans quels bosquets enchantés prend-elle des glaces, à cette heure ? Est-ce loin, si loin que ça ? Y a-t-il longtemps qu’il est en voyage, lui ?...

Le voici ! Que c’est Lui ? Oh, quelle pourrait avoir avec lui des incompatibilités d’humeur ?

Le gentil Chevalier a mis le pied sur le rivage. Mais avant tout, flattant de la main le col en proue de son beau cygne taciturne et tout héraldique :

« Adieu et grand merci, mon beau cygne quadrige, reprends ton vol contre cet horizon qu’obstrue la Pleine Lune, franchis les giboulées d’étoiles, double le cap du Soleil, et revogue entre les berges caillées des myriades de la Voie-Lactée, vers nos lacs sans pareils de Saint-Graal ; va, mon petit cœur ! »

Le cygne éploie ses ailes, et, s’enlevant tout droit dans un frémissement imposant et neuf, cingle, cingle à pleines voiles et bientôt s’efface tout par delà la Lune.

Oh, sublime façon de brûler ses vaisseaux ! Noble fiancé !

Quand on l’a dûment perdu de vue, silence glacial et un peu provincial. Le Chevalier s’avance, à peine intimidé, et dit :

« Je ne suis nullement Endymion. J’arrive tout droit de Saint-Graal. Parsifal est mon père ; je n’ai jamais connu ma mère. Je suis Lohengrin, le Chevalier-Errant, le lis des croisades futures pour l’émancipation de la Femme. Mais, en attendant, j’étais trop malheureux dans les bureaux de mon père. (Je suis un peu hypocondre par nature.) Oh ! Je viens épouser la belle Elsa au col de cygne, qui habite parmi vous. Allons, où est sa mère que « je lui parle... »

— Elsa est orpheline comme toutes les Vestales, proclame le Héraut.

— Vraiment ! Oh ! la voici, je la reconnais bien ! Oh ! pourquoi te cachais-tu ? Oh ! les belles plumes de paon ! Qui te les a données ? Je te les expliquerai à l’aube ! Mais que tes yeux sont donc... beaux ! que toute ta personne est... accomplie !

Ils tombèrent ensemble aux genoux l’un de l’autre ; ensemble, mais, hélas ! plus ou moins fatalement.

— Bon Chevalier, tout ce que je suis, tout ce que je puis être, mon passé compris, je le prosterne à votre merci. Vous le saviez déjà, et je ne m’en dédis pas.

— Elsa ! non, non, tu es trop précieuse ! (Quel divin spécimen humain !) Relève-toi !

— Je ne suis en effet pas mal ; mais vous m’apprendrez à me connaître à fond. Je suis si susceptible d’éducation ! Dois-je vous tutoyer aussi ?

— Ô ma petite Rosière des Missels !

— Cela vous plaît à dire.

Et alors ! en avant les tocsins nuptiaux ! les cloches, les cloches de la Ville ! Les cloches des beaux dimanches sur les provinces tranquilles ! Allégresse du linge propre, comme si on ne s’était pas sali toute la semaine ! Décente allégresse des pensionnats endimanchés passant sous le grand portail de la cathédrale ! Les cloches ! Les cloches ! Des jeunes, des inquiètes, des sacrées, mais toutes alternant sans marchander en un même hymne d’avenir ! Ah ! les cloches qui sonnent, n’est-ce pas : « La pure nappe est mise ! Voici la brioche. Dites-vous : voici ma chair et voici mon sang ! »

Les trois vilains prêtres élèvent par trois fois les encensoirs trop bourrés et fumants à l’égard de la Pleine-Lune, tout en topaze, et toute placide dans ces étranges fétichismes.

Et l’on monte processionnellement au Temple, vers les illuminés Jubés nuptiaux, les grandes orgues déchaînant déjà les Hosannah ! et les Crescite et multiplicamini !

— Savez-vous le latin ? demande Elsa.

— Comme ça ; et vous-même ?

— Oh ! je ne suis pas si pédante que cela ! Je ne suis qu’une jeune fille. Et puis, il paraît que le latin dans les mots brave l’honnêteté, je l’ai lu dans un almanach...

Ils s’agenouillent devant la Sainte-Table inviolablement drapée de linges, sous un dais d’oriflammes tout agitées des rafales d’allégresse des grandes orgues.

— On commence... Et cela se déroule à grand renfort de sacré...

Les Valves d’or du Tabernacle déhiscent, et c’est l’Ostensoir, à patène de lune, démailloté de ses langes, présenté sur un manuterge.

Ils en communient éperdument, sans regards réciproquement obliques.

— Oh ! dit Lohengrin, pour ma part, je suffoque sous tes yeux !

Il mouille de longues larmes lustrales les linges de la Sainte-Table.

— Tu verras comme je suis gentille, assure-t-elle tout bas. Comment ! tu claques des dents ! Mais ne t’impressionne donc pas ! Moi je ne crois à rien d’ici ! ma parole, je considère leur Lune comme une marâtre, une glabre idole de vieux.

— Non, vois-tu, ce sont ces orgues...

— Ah ! tu sais, j’adore la musique, moi !

Les soprani des tribunes ululaient :

« Orphelins énamourés, les prairies de la jeunesse attendent vos hanches défaillantes. Titubant et bêlant le long des ritournelles des nocturnes loriots de vos cœurs, et vous flagellant d’étamines choisies, hypnotisez-vous devers la Lune, pour la saison des semailles, et caressez-vous ensuite bien singulièrement pour déchrysalider vos papillons de nuit ! Car tout le reste n’est que Désir. »

Enfin, l’orgue dévidant l’écheveau d’une fugue sur le thème connu : « Il se fait tard », on sort moins processionnellement qu’on n’était entré,brisé de tant d’émotions contraires.

La nuit serait chaude. Les toits, les grèves, la ville et la campagne dorment gelés de lune ; les pelouses de la mer miroitent inondées de clair de lune de gala ; l’espace est tout saupoudré d’une invisible manne de sortilège.

L’éblouissante hostie est au zénith ! Et l’on aurait presque envie de détacher les gondoles pour aller là-bas, sur l’eau miroir, capturer avec un filet son immobile image si en hostie éblouissante !...

Et leur livrant ce spectacle d’un geste, le Concile crie au couple le jeu de mots traditionnel devant cet étalage de blanc : Allez, enfants ! la nappe « est mise ».


        Oh ! la nappe
        Des agapes !
Allez-vous-en, gens de la noce,
Allez-vous-en chacun chez vous,
Demoiselles en mal d’époux,
Que l’an prochain Dieu vous exauce !


Les chœurs se perdirent, ― laissant ces enfants seuls à leur duo, les pauvres.

II



La Villa-Nuptiale, perdue dans une anse en jardin artificiel de la côte, ressortissait du Ministère des Cultes. On la livrait gratis aux nouveaux mariés, pour leur première semaine ; donc nulle sage-femme attachée à l’établissement.

On la croyait très près, à voir si près le merveilleux et solitaire peuplier d’argent qui en disait l’entrée. Mais grâce à d’ingénieux lacets de sentiers fleuris, il fallait des quarts d’heure et des quarts d’heure de duo avant d’arriver entendre chuchoter le merveilleux peuplier du seuil.

Des quarts d’heure de duo ou simplement de bras dessus bras dessous d’extase en soubresauts tendres.

— Cher Chevalier, que le clair de lune fait bien sur votre étrange armure de cristal !

— N’est-ce pas ? Et comme cela élève les âmes !...

— Et moi, sur ma beauté, quel effet fait le clair de lune ?

— Les torsades de vos sombres cheveux n’en sont pas moins chaudes.

— Ah ! et le cœur est à l’avenant. Mais vous ne me tutoyez plus, pourquoi ?

— Ah ! parce que maintenant vous commencez à être un personnage, un personnage avec qui il faut compter.

— N’est-ce pas ! Mais les bons comptes font les bons amis.

— Que les haies de ces sentiers décourageants sont donc féeriques !...

Le clair de lune était si violent, que les nids en jasaient et que des fourmilières vaquaient à leurs diurnes travaux.

Enfin, voici, à n’en plus douter, le sublime peuplier nuptial, toutes feuilles d’argent frêle frémissantes dans cet enchantement polaire sur fond de ciel bleu d’outre-mer glacé !

Lohengrin quitte brusquement le bras de sa compagne et met genou en terre :

— Oh ! Je croyais être Lohengrin, le Lys fait homme ! Mais, ô glorieux peuplier, que tu me dépasses ! tu es végétant, né là ; tes moindres branches tendent unanimement à l’Empyrée, et ton feuillage d’argent insaisissable chuchote avec une pureté toujours égale, au seuil de cette villa nuptiale, à voir des couples entrer, entrer et puis sortir au bout d’une semaine ; et s’en aller, comme ça.

— Entrons ! entrons ! nous sommes chez nous ! chante Elsa, qui bat des mains.

Ils s’aventurent et tout de suite, sans hésiter, brûlés de malaise et de silence, les pieds très énervés des graviers attiédis, ils se hâtent vers comme des cascades prochaines là-bas, — à travers encore de décourageants labyrinthes d’ifs tondus en corridors et de stratifications étrangement plastiques, et des pic-ploc solitaires d’opalins jets d’eau balsamyrrhés au centre de ronds-points à circulaires terrasses de marbres où se pavanent avec leur traîne immaculée des paons blancs dans le clair de lune.

Mais c’étaient, en effet, des cascades qu’ils entendaient, un cirque d’éternelles cascades autour d’un bassin dont l’eau, profonde d’un pied à peine et translucide, livrait aux féeries lunaires les scintillants micas de son fond de sable pur.

Ah ! ils rejettent et armure de cristal et traînante robe étoilée de beaux œils de paon : — édéniquement nus, ils entrent dans l’eau avec de petits rires absurdes, et débilement ils vont s’étendre au milieu, comme dans des couvertures idéales, accoudés, causer un peu, reprendre leurs sens.

Ils s’épient, plus ou moins à la dérobée.

Lohengrin, adolescent et supérieur, les jambes trop croisées, en une pose sofalesque.

Elsa s’étirant sous la lune, maigre, toute en lignes dures et gauches. (Je hais ces inflexions molles qui coulent d’avance par la satiété à la pourriture), hanches fières, jambes à galoper par les haras pierreux ; et le buste droit sans honte de ses deux seins si peu joufflus qu’elle pourrait les cacher sous des soucoupes.

Accoudée, dans l’eau jusqu’au cou, Elsa dénatte ses cheveux, et les éparpille flottants tout autour de sa face penchée, qui apparaît alors, un instant, parmi ces goémons et sur la tige d’un cou, comme une inhumaine fleur lacustre.

L’effet produit, Elsa se secoue :

— Ah ! j’en avais assez de cette existence de cloître, et de cultes platoniques. Est-ce que tu ne me trouves pas un peu parcheminée ? Oh ! faisons un temps de galop par les pelouses, dis, mon chéri ?

— Comme vous voudrez.

— Ah ! tu ne m’aimes pas. Je m’y attendais bien ! C’était trop beau !

— Si, si, je t’aime ! trop !...

Il tend le bras, et lui donne une cordiale poignée de main ; et pour se reprendre :

— Mais raconte-moi un peu ta vie, vite, vite.

— Mais, mon chéri, je n’ai pas vécu... jusqu’à cette nuit. (Vous savez que je n’ai pas encore dix-huit ans accomplis ?) — J’ai rêvé de ceci, de cela, de vous, Gentil Chevalier, en somme.

— Et, naturellement, tu sais tout ! Tu ne réponds pas ? Devant tes yeux n’ont jamais passé les planches anatomiques de la destinée des créatures !...

— Oh ! vous vous repentirez toute votre vie de m’avoir dit cela !

— Mais je n’ai rien dit ! J’ai fait allusion à des choses très naturelles et fort adorables, après tout !

« Ah ! elles auront toujours le dernier mot », soupire Lohengrin, et il regarde dans le vide.

Il se lève ; elle se lève, s’emparant, avec un gracieux geste légitime, de son bras.

— Mais je vous mouille peut-être ? fait-elle.

— Oh ! ne vous gênez pas pour si peu.

Ils font le tour du bassin, s’arrêtent ça et là, au plus beau des cascades, pour en crever un instant, du bout du pied, la nappe miroitante, qui filtre furieuse et glacée entre leurs doigts. Et Elsa en prend prétexte pour se pâmer contre le torse de son chéri. Et lui vous la calme, non par des baisers banals, mais par quelques paroles bien senties.

De guerre lasse, on va s’asseoir sur des berges ardemment gazonnées.

— Comment allez-vous maintenant ? dit-il.

— D’où ?

— Oh ! entends-tu ce hoquet d’un oiseau de nuit quelque part ?

— Oh ! et partout cette rumeur de germinations ? Quelle nuit !...

« Allons ! songe tout bas l’étrange chevalier. Pas d’Absolu, des compromis ; tout est pas plus ; tout est permis. »

Et il s’aventure à la caresser assez curieusement. Puis il fait cette réflexion tout haut : « Cette Villa-Nuptiale sent la fosse-commune. »

— Nous sommes tous mortels, dit-elle d’une voix fortement conciliante.

Enfin il soupire pour deux : « Si nous rentrions ? »

La Pleine-Lune est très, très haut, tuméfiée et couleur de poulpe.

On n’entend par la nuit, pleine de solutions ordinaires, que la crécelle radoteuse des reinettes des étangs.

— Tiens ! Qu’est-ce que c’est que ces architectures là-bas ? Ah ! oui, il paraît qu’il y a une pierre avec des symboles gravés et des conseils...

— Viens, viens, tu prendras froid.

Ils rentrent sans parler, lui accablé de responsabilités transcendantes, elle chez elle. Il songe :


Nul Absolu ;
Des compromis ;
Tout est pas plus ;
Tout est perdu.


Elle songe :


C’est le nid meublé
Par l’homme idolâtre,
Les vents déclassés
Des mois près l’âtre
Rien de passager,
Presque pas de scènes ;
La vie est si saine ;
Quand on sait s’arranger.


Ils entrent. C’est la villa envahie d’herbes folles. Façade en espaliers d’œillets bien rangés, perron de briques roses, balcon de faïence à fleurs, toit de chaume, girouette en chatte qui miaulera. Corridors sonores, trop d’escaliers tournants. Pièces vides. Noms et dates gravés au diamant dans les glaces. Étages, montée, descente : il avait raison, cela sent la fosse commune.

Quel dommage, quelle pitié, que dehors sur les pelouses il fasse trop frais ! Lui qui est déjà si transi.

Voici des dépouilles d’ours noirs et des oreillers pales dans une pièce mansardée dont la fenêtre en ogive donne sur les solitudes de la mer et a livré passage à l’inondation du clair de lune !

Est-ce la vie, ou une nuit d’hallucination, à la fin ?

Accoudé, Lohengrin peut voir la nuance de l’ombre des cils sur la joue d’Elsa, d’Elsa blottie jusqu’aux épaules dans les farouches fourrures.

— Qu’est-ce que vous regardez là ? fait-elle.

Je songe aux merveilles de l’organisation du corps humain.

Un silence. Elsa se soulève et s’accoude :

— Oserai-je m’exprimer ? fait-elle.

— Dites.

— Mais le puis-je vraiment ? Ô vous que j’ai vu en rêve pourtant, et si bon, si éloquent ! Et qui m’avez conduite ici ! Le puis-je, dans la sincérité de ce que tout m’a fait ?

- L’Éternel féminin ! voilà, petite sœur, ce que c’est que t’avoir laissé faire humanité à part. Et si nous nous mettions, nous, à organiser l’Éternel masculin ?

— Oh, allez ! c’est fait...

— Et les hommes de génie ! Pourquoi les faites-vous souffrir tout particulièrement, les hommes de génie ? D’où cet instinct qui confond le penseur à certaines heures ?…

— Je ne sais pas, puisque c’est un instinct.

— Eh bien, c’est pour leur faire suer des chefs-d’œuvre, que vous les faites particulièrement souffrir ! Vous savez que c’est surtout les chefs-d’œuvre hallucinés de ces malheureux qui vous redorent à chaque génération votre blason pour mieux attirer la génération suivante à vos filles.

— Eh bien ? puisque tout le monde y gagne !

— Oh, mon Dieu ! mon Dieu ! Est-ce une simple esclave séculaire et sans malice ?

Est-ce un espion transcendant ? Oh, si, tandis que l’homme enterré pourrit sans plus, la femme, elle, partait dans un monde féminin où on la récompenserait, selon la qualité et quantité de dupes qu’elle aurait, ici-bas, fait travailler pour l’Idéal !...

— Ouf ! Qu’il fait chaud !…

— Tu ne réponds pas à mes doutes ?

— Je te jure que je ne sais rien, que je t’aime sans autre souci que de te plaire pour que tu m’adoptes. Et crois-tu que je n’aurai pas mes douleurs, moi aussi, mes douleurs, mes douleurs !

— Oh ! ne pleure pas ainsi ! ne pleure pas ! Fais-moi un sourire : mieux que ça ! Voyons, chante-moi quelque chose.

— Je ne sais que des rondes de petites filles.

— Parfait ; j’écoute.

Elsa toussa un peu, puis chante avec un reste de larmes dans la voix :


Samson a cru en Dalila,
Ah, dansons, dansons à la ronde !
La plus belle fille du monde
Ne peut donner que ce qu’elle a.


— Qui vous a appris cela ? Si vous saviez quelque chose de moins épithalame.

Elsa psalmodie, la main sur le cœur, les yeux au ciel de lit :


Tu t’en vas et tu nous laisses,
Tu nous laisses et tu t’en vas,
Défaire et refaire ses tresses,
Broder d’éternels canevas.


— Non ! savez-vous que ce n’est pas très bien ! Seriez-vous libidineuse, Elsa ?

— J’ignore le sens de ce mot. — Ah ! mais, chantez donc, vous, alors !

Lohengrin déclame d’un accent exemplaire :


Il était un roi de Thulé
Qui, jusqu’à la mort fidèle,
N’aima qu’un cygne aux blanches ailes
Voilier des lacs immaculés,

Quand la mort vint…


Mourir ! mourir ! oh, je ne veux pas mourir ! Je veux voir toute la terre. Je veux savoir la vérité sur la Jeune Fille. Il sanglote désespérément la face dans son oreiller. Elsa se penche sur sa tempe ; et, sur sa tempe en fièvre, avec une infernale sincérité, elle souffle :

— Enfant, enfant, enfant, connais-tu les pompes voluptiales ? Vois les bonbons de mes jeunes seins, touche comme ma chevelure d’un noir tendre est sensuelle, sens, sens un brin mes pubéreuses... Ô rancœurs ennuiverselles ! expériences nervicides, nuits martyriséennes !... Aime-moi à petit feu, inventorie-moi, massacre-moi, massacrilège-moi !

— Mais, vous divaguez ? Vous me feriez craindre pour votre...

— Ah ! pourquoi aussi me boudes-tu comme ça ! À la fin, c’est blessant !

— Je boude, parce que...

— Pourquoi ? pourquoi ? Moi, je ne demande qu’à t’aimer.

— Eh bien, parce que je déteste vos maigres hanches ! Je n’admets que les hanches larges, moi ! Elles rappellent du moins avec franchise l’esclavage des parturitions, lequel est au bout de toutes ces belles choses, après tout.

— Ne me dis pas ça ! Que t’ai-je fait ?

— Pardon ! pardon ! ne pleure pas ! C’était par méchanceté. Oh ! mais,c’est queje les adore au contraire, les hanches dures et droites !

— Bien vrai ?

— Oui, à la folie ! Il n’y a qu’elles !

— Eh bien, alors !

— C’est que, voilà ; je déteste en toi ceci, que, ayant des hanches sèches, bref anti-maternelles, tu marches cependant avec ce dandinement perpétuel de petit mammifère délesté depuis quelques jours à peine des kilos de ses couches (qu’est-ce qui vous fait rire ?), oui, dis-je, ce dandinement, comme tout étonnée de se trouver si légère après neuf mois de corvée, et t’en allant plus légère que nature, comme profitant de ta légèreté d’entr’acte, avant que ça recommence, et faisant même de ce dandinement de délivrance un appât à de prochains obérateurs ! Moi, j’appelle ça de l’aberration, de la légèreté. Tu saisis ?

— Oui, oui, je n’avais jamais songé à tout cela. Mais je m’observerai, oh ! je ferai tout selon tes principes, mon chéri.

— Hé non ! il n’y faut pas songer : c’est incurable. Allons, bon ! encore des larmes ! ne pleure pas ! ne pleure pas. Tu sais que je ne peux pas souffrir les larmes.

Lohengrin lui passe délicatement la main sur le cou pour la calmer.

— Tiens, que ta main est originale ! dit-elle.

— Elle fait la morte ; elle se souvient que le premier compliment de l’original chevalier a été pour son col de cygne ; mais non, sa main insiste sur un point...

— Comment appelez-vous ça ?

— Je ne sais ; la pomme d’Adam.

— Vous dites ?

— La pomme d’Adam.

— Et ça ne vous rappelle rien ?

— Ma foi non.

— Eh v... va donc ! Moi ça me rappelle les plus mauvais jours de notre histoire ! — Oh ! ne pleure pas ! ne pleure pas ! C’est fini, je te dis que j’ai fini.

— Bien vrai, mon chéri ?

— Tiens, laisse-moi sommeiller, me recueillir un quart d’heure, dans le silence de la nuit, — et puis, au nom de cette nuit irrésistible, ma parole, je vais me mettre en devoir de t’adorer grandement.

— Comme tu voudras, mon trésor.

Lohengrin, l’original chevalier, lui tourne le dos, et alors s’emparant plus que follement de son oreiller, et le tenant, en étreinte maladroite, éperdument embrassé, sous sa poitrine et contre sa joue, commence à lui vagir, tel un enfant, un incurable enfant, je vous dis !

« Ô mon bon, bon, bon oreiller, tendre et blanc comme Elsa ! Ô ma petite Elsa, bébé inconscient qui t’étonnes de ma profondeur, bébé succulent, nubile à croquer, boîte-à-surprises, que ton être aux divins organes est une trouvaille ! Ah ! je veux t’aimer à tâtons, trouver le chemin de ton âme !…

« Où es-tu ? où es-tu ? que je t’adore de partout ! Ô mon bon, bon oreiller, tu n’as bientôt plus une seule petite place fraîche pour mon front (après cette journée fatigante !) Mon bon oreiller, blanc et pur comme un cygne ! Tu m’entends ?

« Tu m’entends, mon cygne, mon cygne ! Oh, que ce soit toi, pâle et ne chantant jamais ! C’est toi !

« Je me cramponne à la proue de ton col insubmersible ; emporte-moi par delà les mers immaculées ; ravis-moi, pauvre Ganymède, en spirales, par delà les berges de la Voie Lactée, et les giboulées d’étoiles, et le cap fallacieux du Soleil, vers le Saint-Graal où Parsifal, mon père, prépare un plat de rachat pour notre petite sœur humaine et si terre à terre !…

« Tu sais tout cela, mon bon, mon tendre cygne ! J’y suis, je me tiens bien, je retiens ma respiration ! — Adieu, vous !… »

Oh ! la fenêtre de la salle nuptiale éclata follement sous un cyclone de féerie lunaire ! et voici que l’oreiller, changé en cygne, éploya ses ailes impérieuses et, chevauché du jeune Lohengrin, s’enleva, et, vers la liberté méditative cingla en spirales sidérales, cingla sur les lacunes désolées de la mer, oh, par delà la mer ! vers les altitudes de la Métaphysique de l’Amour, aux glaciers miroirs que nulle haleine de jeune fille ne saurait ternir de buée pour y tracer du doigt son nom avec la date !…

Et c’est depuis lors, qu’à de pareils nuits, des poètes célèbrent froidement et inviolablement dans leur front certaine petite fête de l’Asssomption.