Louis Hébert/02

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Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. im02-26).


vue de port-royal, acadie, où s’établit louis hébert la première fois.

CHAPITRE II


dangers de la traversée de l’océan. — courage de louis hébert. — les premiers explorateurs. — louis hébert et samuel de champlain. — les colons. — l’établissement de l’île sainte-croix. — le premier hivernement. — maladies et souffrances. — port-royal. — M. de monts retourne en france. — M. de poutrincourt. — les premiers défrichements à port-royal. — louis hébert et la culture. — les services qu’il rend dans ce premier voyage. — retour en france.


La traversée de l’Océan, à cette époque, était loin d’être une entreprise facile. Les vaisseaux ne ressemblaient pas, même de loin, à nos palais flottants. Pour entreprendre le voyage il fallait une résolution peu ordinaire. La perspective d’être ballottés durant sept ou huit semaines et d’être exposés à la merci des flots suffisait pour arrêter beaucoup de gentilshommes qui eussent désiré prendre part à l’expédition.

Louis Hébert, plus courageux, fit connaître combien il désirait se rendre en Acadie. M. de Monts fut charmé de cette proposition. Il consentit à le prendre à son bord, car dans l’exercice de son art, Hébert pouvait être d’un secours très appréciable aux hommes de l’équipage aussi bien qu’aux colons. M. de Biencourt, baron de Poutrincourt, M. de Champlain, l’immortel fondateur de Québec et M. Dupont-Gravé s’embarquèrent sur le même navire.

M. de Monts ne fut pas si heureux dans le choix qu’il fit des premiers habitants de la colonie projetée. Il amena avec lui cent vingt personnes, des artisans, des soldats, les uns catholiques, les autres protestants. Deux prêtres, dont l’un appelé l’abbé Aubry, et un ministre de la religion prétendue réformée, furent chargés de donner les secours spirituels aux explorateurs. Ce mélange d’éléments religieux n’était pas fait pour attirer les bénédictions de Dieu sur l’entreprise.

Au mois de mars de l’année 1604, la flottille quitta le Havre de Grâce, par un temps favorable. La traversée s’effectua sans accident et fut assez rapide. Le 6 mai, deux mois après, elle abordait dans une île de la baie de Passamaquody, qu’on appela l’Île Sainte Croix.

M. de Monts débarqua ses gens sur cette île, mais ce lieu n’était pas convenable pour l’établissement d’une colonie. On s’en aperçut durant l’hiver. Aussitôt débarqué avec ses hommes, M. de Monts les mit à l’ouvrage. Tandis que les uns déblayaient un grand terrain, d’autres abattaient des arbres, les équarrissaient à la hâte, et assemblaient toutes les pièces qui devaient rentrer dans la construction de l’Habitation. C’était un vaste bâtiment comprenant un magasin et plusieurs corps de logis. On érigea un four pour cuire le pain et un moulin pour moudre le grain.

Il fallut plusieurs semaines pour construire les divers logements ; cependant des défrichements furent commencés dans le voisinage et l’on peut bien penser que Louis Hébert, l’un des premiers, se livra avec ardeur à la culture du sol. Cette année-là la récolte fut peu abondante, mais l’année suivante, dans une excursion faite à cet endroit, l’on trouva de beaux épis de blé, indice très sûr de la fertilité de la terre.

L’hiver fut excessivement long et rigoureux. Le bois de chauffage manqua ; la construction de l’Habitation avait rendu le bois plus rare. Les colons, étant séparés de la terre ferme, n’avaient même pas d’eau douce. Il fallut faire fondre de la neige pour avoir un peu d’eau potable. Les hommes endurèrent mille souffrances. Si l’on eût choisi un endroit sur la côte, toutes ces tribulations eussent été évitées, mais, comme le dit M. de Champlain, l’on ne pouvait prévoir ces choses qu’après la mauvaise saison, puisque c’était la première fois que des blancs hivernaient en Acadie.

Bientôt une maladie étrange, le scorbut, se déclara parmi les colons. La mauvaise qualité de l’eau et l’abus des viandes salées, furent les causes de cette maladie inconnue en France. Louis Hébert prodigua aux malades les soins les plus assidus. Il étudia les symptômes de ce mal terrible, et essaya d’en enrayer les progrès. Il administra les meilleurs remèdes ; mais, en dépit de ses connaissances, il ne put les sauver tous : trente-six succombèrent.

M. de Monts ne tarda pas à être persuadé que l’île n’offrait aucune commodité. Il prit le parti de s’établir ailleurs. Pour faire ce déplacement et chercher un site plus commode et surtout plus salubre, il fallut attendre les beaux jours du printemps.

M. de Champlain, dans l’une de ses excursions sur le littoral, avait remarqué au fond d’une baie superbe un endroit qui lui parut idéal pour l’établissement de la colonie. L’entrée de cette baie est large de huit cent vingt-cinq pas ; sa profondeur atteint deux bonnes brasses d’eau. Le port a deux lieues de longueur sur une de largeur ; trois rivières y déversent leurs eaux limpides ; ce sont celles de Port-Royal, de l’Esquille, et la rivière Hébert, ainsi nommée en l’honneur de Louis Hébert. D’après le Père Charlevoix c’est un des plus beaux ports du monde. Le climat y est tempéré, l’hiver moins rude qu’en beaucoup d’endroits de la côte, et la chasse abondante. On y voit des prairies fertiles. Du côté du nord se trouvent de belles montagnes ; vers le sud des coteaux gracieux et, çà et là, des ruisseaux larges et profonds qui décrivent mille contours avant de se jeter dans les rivières qu’ils alimentent. Les montagnes et les coteaux devaient offrir un beau coup d’œil aux explorateurs, car leurs forêts vierges n’avaient pas encore été entamées par la hache des bûcherons. Des chutes nombreuses, pouvant faire tourner les roues de plusieurs moulins, ajoutaient à la beauté du pays. Lescarbot, le premier historien de l’Acadie, s’étonnait avec raison « qu’un si beau lieu demeurât désert et tout rempli de bois. »

Cet endroit fut appelé Port-Royal. Il fut décidé qu’on démolirait l’édifice de l’Île Sainte-Croix et qu’on transporterait ses pièces à Port Royal. Les hommes se mirent à l’œuvre avec courage. Après plusieurs semaines de travaux pénibles, le fort se dressait au fond de la baie sur une petite élévation. Il avait dix toises de longueur sur huit de largeur. On y trouvait un magasin pour les provisions. M. de Monts faisait sa résidence du côté nord, tandis que Louis Hébert, M. de Champlain et Dupont-Gravé habitaient une maisonnette entre le corps de logis et le magasin. Les ouvriers se retiraient du côté de l’ouest. Quatre pièces de canon défendaient l’entrée principale. À une courte distance de celle-ci, on avait construit une forge, un hangar, une cuisine et un four pour cuire le pain.

Une palissade de pieux protégeait l’angle sud-est.

L’humble fort de Port-Royal était loin d’avoir l’apparence de nos forteresses modernes, mais il servit tout de même à en imposer aux peuplades sauvages et à les maintenir dans une crainte respectueuse. C’est là que les pionniers acadiens passèrent le second hiver.

Pendant que ces travaux s’achevaient M. de Monts reçut des nouvelles qui le réclamaient en France. Des envieux cherchaient à le perdre à la cour. Pour sauvegarder ses intérêts il prit la résolution de laisser la colonie aux soins de Dupont-Gravé. Avant de partir, il accorda Port-Royal et ses environs à M. de Poutrincourt qui s’engagea dès lors à s’y établir dans l’espace de deux ans avec des familles françaises.

M. de Poutrincourt se sentait des dispositions pour la vie du colon. Charmé par les beautés de l’Acadie, il prévoyait que ce pays pourrait se développer et devenir vraiment prospère. Ainsi que M. de Champlain et Louis Hébert, l’agriculture l’attirait. Il le montra bien quand il revint en Acadie pour la seconde fois. Il défricha lui-même un jardin et il le cultiva de ses propres mains. M. de Poutrincourt partit bientôt pour la France afin de préparer son expédition.

Dupont-Gravé demeura à Port-Royal en qualité de lieutenant de M. de Monts. Il fit terminer l’Habitation et il surveilla avec Louis Hébert les défrichements qui avaient été ouverts dès le printemps. L’absence de M. de Monts se prolongea au-delà du temps marqué. En présence des attaques dont il était l’objet, il pria M. de Poutrincourt de prendre le commandement de l’Acadie, en attendant de meilleurs jours, mais il se réserva des droits sur le pays de même que sur les hommes qu’il y avait envoyés à ses frais.

M. de Biencourt, baron de Poutrincourt, originaire de la Picardie, naquit en 1557. Ses services militaires lui gagnèrent bientôt les bonnes grâces du roi, et ce qui n’était pas à dédaigner, il put compter, dès lors, sur la protection des plus influents personnages de la cour. Il avait bien des chances de réussir dans la fondation de la colonie, et l’on doit ajouter qu’il avait été pour ainsi dire l’âme de l’entreprise. M. de Poutrincourt était mû par la pensée patriotique de travailler à l’extension du royaume de France et à la conversion des sauvages de l’Amérique. Il était catholique. Il est donc le premier sur cette longue liste de gentilshommes qui se dévouèrent pour la France et pour l’Église. Étendre leur race et leur patrie de ce côté de l’Océan, faire connaître et aimer la religion du Christ par les aborigènes, voilà ce qui faisait entreprendre aux pionniers acadiens des voyages pleins de fatigues et parfois si périlleux.

Le 11 mai 1606, M. de Poutrincourt s’embarqua sur le Jonas, navire de cent cinquante tonneaux. Plus pratique que son prédécesseur, il eut le soin d’apporter avec lui tout le matériel nécessaire au défrichement de la terre. Un avocat français, appelé Lescarbot, l’accompagna dans ce voyage. Si, aujourd’hui, nous pouvons raconter les détails de ces premières tentatives de colonisation en Acadie c’est à ce dernier que nous le devons.

La traversée s’effectua sans incident. Le lendemain de son arrivée, M. de Poutrincourt mit ses hommes au défrichement de la terre. C’est Lescarbot qui nous l’apprend :

« Le vendredi, le lendemain de notre arrivée, le sieur de Poutrincourt, affectionné à cette entreprise comme pour soi-même, mit une partie de ses gens en besogne au labourage de la terre. »

Louis Hébert n’avait pas perdu son temps. Aidé de quelques serviteurs il avait abattu les grands arbres de la forêt et ce fut probablement ce terrain défriché qui fut labouré et ensemencé. « Le Sieur de Poutrincourt, écrit Lescarbot, fit cultiver un peu de terre pour y semer du blé et y planter la vigne, comme il fit à l’aide de notre apothicaire, M. Louis Hébert qui, outre l’expérience qu’il a dans son art, prend grand plaisir au labourage de la terre. »

M. de Champlain, de Poutrincourt et Louis Hébert s’encourageaient mutuellement dans leurs travaux champêtres. La vocation de premier colon canadien se fortifiait de jour en jour en compagnie de ces hommes courageux qui se montraient si enthousiasmés des premiers succès.

Louis Hébert trouvait encore les moyens de se perfectionner dans ses connaissances en botanique. Tout lui était sujet d’étude sérieuse. Il cueillait avec soin des plantes dont il ignorait les propriétés et les étudiait afin de trouver un moyen de les utiliser au profit de la science. Il se rendait partout avec ses compagnons dans l’intérieur des terres, sur les collines, sur le bord des rivières, cherchant des plantes médicinales. Les vignes sauvages qui croissaient en abondance attirèrent son attention. Il résolut d’en planter près du fort de Port-Royal. « Maître Louis Hébert, notre apothicaire, écrit Lescarbot, désireux d’habiter ce pays-là, en avait arraché une bonne quantité pour les planter à Port-Royal, où il n’y en a point, quoique la terre y soit fort propre au vignoble. Ce qui, par une stupide oubliance, ne fut fait au grand déplaisir du dit Sieur et de nous tous. »

Dans une de leurs courses à travers le pays, les Français furent attaqués à l’improviste par les indigènes. M. de Poutrincourt avait recommandé à ses hommes de se mettre à l’abri dans leurs barques à la tombée de la nuit. Mais tous ne suivirent pas ce conseil et quelques-uns s’endormirent sur le rivage. Dans la nuit des sauvages attaquèrent les dormeurs. La sentinelle, qui veillait dans la barque, donna l’alarme à temps au cri de : Mon Dieu, on tue ! on tue nos gens ! M. de Champlain, Dupont-Gravé, Louis Hébert se jetèrent à la hâte dans une chaloupe et coururent au secours de leurs compatriotes. Sans l’arrivée opportune de ce renfort les sauvages auraient fait un terrible massacre des blancs. Trois Français furent tués, un quatrième, blessé mortellement, mourut en arrivant au fort. Dupont-Gravé se fit emporter trois doigts de la main droite par l’éclat de son mousquet.

Nos pionniers acadiens couraient bien des dangers, mais ils n’en continuaient pas moins leur mission. Ils ne pouvaient se résoudre à abandonner un pays qui les avait captivés par ses richesses et ses beautés. Les collines garnies de leurs forêts séculaires, les rivières aux eaux limpides, les ruisseaux qui coulaient au milieu des terres, tout se réunissait pour leur faire aimer la Nouvelle-France. En présence de la grande et belle nature, leur âme se sentait plus libre qu’au sein du bruit confus des villes. Ils laissaient errer leurs regards sur les tableaux qui se succédaient sous leurs yeux et qui renfermaient une poétique et sauvage grandeur. Leur enthousiasme grandissant leur dictait des noms qu’ils donnaient aux endroits qui les avaient le plus captivés, ce qui atteste, écrit l’abbé Casgrain, jusqu’à quel point était développé chez eux le sentiment de la belle nature.

Tant de richesses et tant de beautés avaient charmé Louis Hébert. Il n’eut plus alors qu’un désir, celui de s’établir pour toujours en Acadie. Ce bonheur ne lui était pas réservé cette fois encore. M. de Monts qui, en France, avait espéré déjouer les plans de ses ennemis, prit le parti de rappeler tous les hommes qu’il avait envoyés en Amérique. Il ordonna à M. de Poutrincourt de repasser en France avec eux. Cette décision attrista profondément Louis Hébert. Il lui fallut obéir. Le 3 septembre 1607, il s’embarqua pour la mère-patrie, mais, ainsi que M. de Poutrincourt, il gardait au cœur l’espérance de revoir le pays qu’il aimait de toute son âme.