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Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. cov-tdm3).



LOUIS HÉBERT















OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :
La première famille française au Canada, ses alliés et ses descendants. 1 vol.
Histoire des Seigneurs de la Rivière du Sud et de leurs alliés canadiens et acadiens. 1 vol.
Autour d’une auberge. Petit roman antialcoolique.
EN PRÉPARATION :
Histoire de la famille et de la Seigneurie de Saint-Ours.


l’honorable joseph édouard caron,
ministre de l’agriculture et de la voirie.
province de québec.
Abbé AZARIE COUILLARD DESPRÉS
Membre de la Société historique et de la
Société archéologique de Montréal ;
Membre de la Société de Géographie de Québec.

LOUIS HÉBERT
PREMIER COLON CANADIEN
ET SA FAMILLE
SOCIÉTÉ SAINT-AUGUSTIN
DESCLÉE, DE BROUWER & Cie
* lille — paris — bruges *

tous droits de reproduction et de traduction
réservés.

Copyright by Desclée, De Brouwer & Co. Lille — Paris — Bruges. 1913.

à l’honorable
JOSEPH-ÉDOUARD CARON,
ministre de l’agriculture et de la voirie,
humblement,
l’auteur.


PRÉFACE.


En 1907, à la veille des fêtes mémorables du troisième centenaire de la fondation de Québec, nous avons publié l’Histoire de la première famille française au Canada.

Cet ouvrage reçut un bienveillant accueil du public. En publiant ce modeste travail, fruit de longues recherches et d’études sérieuses, nous voulions montrer à la génération présente les mérites de Louis Hébert, de ce pionnier hardi qui, le premier, vint sur nos rives bâtir sa maisonnette et ouvrir avec la hache les premières trouées dans nos forêts vierges.

Jusqu’à ces dernières années, l’œuvre de Louis Hébert était peu connue. Nos grands historiens n’eurent guère le loisir de l’étudier ; les quelques notes éparses çà et là dans leurs écrits étaient loin de faire ressortir la grandeur de la tâche accomplie par cet intrépide pionnier de la civilisation.

Il nous semblait pourtant que le geste héroïque de Louis Hébert aurait dû, depuis longtemps, attirer l’attention de nos écrivains. L’histoire de ce colon entreprenant et celle de sa famille, de 1604 à 1632, n’est-elle pas intimement liée à celle de notre patrie ? Oui ! certes. Il est impossible de raconter les origines de la Nouvelle-France, sans s’arrêter longuement sur les travaux de Louis Hébert et des siens.

Malgré l’opposition formelle des Associés de la Compagnie des Marchands, Louis Hébert ouvrit les premières clairières dans la sombre forêt ; il bouleversa le sol qu’il avait conquis avec mille peines ; il y jeta à pleines mains la semence féconde et eut la joie de recueillir d’abondantes moissons. Ce premier agriculteur de la Patrie canadienne voulait assurer du pain à ses enfants ; il travailla avec un courage si grand qu’à sa mort, arrivée en 1627, ses champs produisaient plus de blé qu’il n’en avait besoin pour l’entretien de sa maison.

Louis Hébert eut un digne collaborateur dans la personne de son gendre, Guillaume Couillard, qui fut aussi le continuateur de ses travaux. À ce dernier, selon toute probabilité, revient l’honneur d’avoir, le premier, labouré la terre avec la charrue. Quand la famine de 1628-1629 menaça de faire périr les habitants de Québec, Couillard les soulagea de tout son pouvoir en partageant avec eux le peu de blé qu’il avait récolté sur ses terres.

La Nouvelle-France succomba, en 1629, sous les coups des Anglais ; M. de Champlain, le deuil dans l’âme, fut obligé de repasser dans la mère-patrie avec les Français. La famille de Louis Hébert ne voulut pas quitter ses champs ; elle avait pris déjà de trop profondes racines sur le sol fécond de la Patrie canadienne. Elle ne put se résigner à abandonner le fruit de tant d’années de labeurs et de souffrances. Durant trois ans, isolée du monde entier, perdue au milieu des bois de l’Amérique, elle attendit avec anxiété le jour où il lui serait donné de revoir des figures amies. Enfin ! en 1632, la France revint sur nos rives à la grande joie de ces pauvres exilés qui avaient tant souffert et tant prié pour le succès des démarches de M. de Champlain. Une si longue persévérance, au milieu des épreuves, méritait une récompense. Elle leur fut donnée quand ils eurent le bonheur d’assister à la sainte Messe, qui fut célébrée dans leur maison, au milieu des larmes de tous. Le Te Deum chanté sous cet humble toit de chaume marquait la reprise des travaux de colonisation que la France devait continuer de longues années sur nos bords avec le concours de pionniers généreux, qui devaient nous tailler, sur ce continent, un domaine plus grand que l’Europe.

Voilà un exposé sommaire des services rendus à la Nouvelle France par Louis Hébert et sa famille. L’œuvre de ces héros, trop longtemps méconnus, devait nécessairement attirer sur eux l’admiration des vrais patriotes. Aussi, après nous, s’inspirant de nos modestes travaux, d’autres ont écrit de belles pages sur ce sujet patriotique, mais ils n’ont pas jugé à propos de nous donner crédit des recherches que nous avions faites ; nous ne leur en voulons pas pourtant, car ils ont contribué à faire connaître les grands ancêtres et à les faire aimer.

Mais voilà que l’on s’apprête à célébrer dignement le troisième centenaire de l’arrivée du premier colon canadien. Répondant à nos vœux les plus chers, la ville de Québec immortalisera, par un bronze superbe, non seulement Louis Hébert mais encore Guillaume Couillard. À l’endroit même où jadis s’élevait le vieux marché de Québec, en face de la Basilique, dont Couillard a donné le terrain, sur une partie du domaine qu’ils ont défriché de leurs mains, le monument Hébert-Couillard se dressera bientôt, grâce à la générosité des Canadiens reconnaissants. Il sera pour les générations futures une sublime leçon de courage et de constance.

Le mouvement patriotique destiné à doter la vieille Capitale de ce monument a été accueilli avec le plus grand enthousiasme. Il a contribué en outre à faire enlever les derniers exemplaires de notre premier ouvrage.

Pour répondre aux nombreuses demandes qui nous arrivent de toutes parts nous avons consenti à rééditer l’histoire de Louis Hébert et de sa famille. Puissent ces pages faire mieux apprécier encore les mérites de ces premiers colons. Nous faisons des vœux pour que les promoteurs du monument Hébert-Couillard rencontrent partout un encouragement effectif et spontané. Les cultivateurs de notre chère Province de Québec seront heureux de contribuer dans une large mesure à la glorification de ces héros qui, les premiers, laissèrent la belle France pour venir sur nos bords donner naissance à une peuplade chrétienne.

Iberville, le 12 décembre 1912.



CHAPITRE I


louis hébert. — sa profession. — sa famille. — son goût pour les aventures. — la nouvelle-france. — jacques cartier. — M. de roberval. — le marquis de la roche. — M. de monts. — il est nommé lieutenant-général de l’acadie. — situation de l’acadie. — ses habitants.


Louis Hébert, le premier colon canadien, vit le jour à Paris. Il était apothicaire. Son père, appelé également Louis, avait exercé cette même profession, à la cour, sous la reine Catherine de Médicis.

Louis Hébert avait probablement dépassé la quarantaine lorsqu’il traversa les mers pour la première fois. Il était marié à Marie Rollet. À Paris, il vivait dans une honnête aisance, Son père lui avait légué avec sa profession une petite fortune et des immeubles dont il est fait mention dans les vieux documents. Au reste, l’exercice de son art lui assurait un brillant avenir ; mais il n’était pas homme à se confiner entre les murs d’un laboratoire. La vie sédentaire lui pesait. Quand il entendit parler des voyages que MM. de Monts et de Poutrincourt entreprenaient en Acadie, il ne put résister au désir qu’il caressait depuis longtemps de voir le Nouveau-Monde.

Depuis les découvertes de Jacques Cartier, le Canada attirait l’attention de la France. Dès l’année 1534, le capitaine malouin avait pris possession de notre vaste pays en y plantant la croix et l’étendard fleurdelisé. Des gentilshommes tentèrent même d’exploiter les richesses canadiennes. Le gibier, très recherché pour ses belles fourrures, abondait dans nos forêts vierges. Il n’est pas étonnant si tant de français, dès cette époque, se disposaient à quitter le royaume des lis pour venir chercher fortune dans nos grands bois.

L’esprit de lucre ne fut pas, à vrai dire, le seul mobile des premières explorations sur notre continent. Nombre de personnages de condition vivaient en France qui désiraient avant tout étendre le domaine du roi très chrétien et celui de la religion du Christ. Le mouvement colonisateur de la Nouvelle-France naquit de ces deux pensées. Les promoteurs de ce projet à la fois patriotique et chrétien devaient rencontrer des échecs. M. de Roberval, l’un des premiers, subit un désastre sur les bords du Saint-Laurent. Le Marquis de la Roche ne fut pas plus heureux. Des cinquante repris de justice qu’il jeta sur l’Île de Sable douze seulement furent rapatriés.

La Providence veillait sur notre pays. Elle lui destinait des pionniers aux intentions plus droites et aux meurs plus pures. Si le successeur de M. de la Roche échoua lui aussi quelques années plus tard dans une semblable tentative, ce fut peut-être parce qu’il ne fut pas assez judicieux dans le choix des colons destinés à former le premier noyau de la Nouvelle-France.

Au commencement du dix-septième siècle les yeux se tournèrent de nouveau vers notre continent. M. Pierre du Guast, sieur de Monts, gentilhomme ordinaire du roi et gouverneur de Pons, dans le Languedoc, recueillit la succession du Marquis de la Roche.

M. de Monts avait rendu de grands services à la cause royale dans les guerres de la Ligue. Pour se reposer de ses fatigues, il demanda au roi de France le commandement de l’Acadie.

Henri IV ne crut pas devoir refuser la requête de son féal serviteur. Il lui accorda le titre de lieutenant-général avec le pouvoir de défricher les terres neuves, de les cultiver et d’y bâtir des villes, mais avec l’obligation expresse qu’il travaillerait à la conversion des indigènes.

Muni de cette commission qui lui donnait des pouvoirs si étendus, M. de Monts se dirigea vers cette partie de notre pays connue aujourd’hui sous le nom de Nouvelle-Écosse, et l’une des provinces de la confédération canadienne. C’est une presqu’île formée par l’Océan Atlantique, la Baie de Fundy et le Détroit de Northumberland.

La douceur relative du climat de l’Acadie, la fertilité de son sol, et d’autres avantages que M. de Monts s’attendait à y rencontrer, l’attiraient.

M. de Monts possédait une belle fortune ; mais, à notre avis, pour travailler efficacement à la conversion des indigènes, comme il en fit la promesse au roi, il lui manquait une chose essentielle : la foi catholique. Étant calviniste, en dépit de ses bonnes intentions, il ne pouvait être un instrument utile pour propager les dogmes catholiques dans le Nouveau-Monde. Sa foi, semble-t-il, était un obstacle direct à la régénération des peuples barbares qui habitaient les terres acadiennes. Les Micmacs ou Souriquois étaient doux et plus susceptibles de civilisation que les autres tribus d’Amérique ; ils s’attachèrent aux Français et ils contractèrent avec ces derniers une alliance offensive et défensive pour se protéger contre les Anglo-Saxons et leurs alliés les Iroquois. Micmacs et Français luttèrent ensemble de longues années contre leurs ennemis communs. Plus tard, quand l’Acadie passa aux mains de l’Angleterre, ils montrèrent une fidélité vraiment héroïque : ni les promesses, ni les menaces ne purent les décider, à leur faire prendre les armes contre ceux qu’ils aimaient à appeler leurs alliés et leurs frères.




vue de port-royal, acadie, où s’établit louis hébert la première fois.

CHAPITRE II


dangers de la traversée de l’océan. — courage de louis hébert. — les premiers explorateurs. — louis hébert et samuel de champlain. — les colons. — l’établissement de l’île sainte-croix. — le premier hivernement. — maladies et souffrances. — port-royal. — M. de monts retourne en france. — M. de poutrincourt. — les premiers défrichements à port-royal. — louis hébert et la culture. — les services qu’il rend dans ce premier voyage. — retour en france.


La traversée de l’Océan, à cette époque, était loin d’être une entreprise facile. Les vaisseaux ne ressemblaient pas, même de loin, à nos palais flottants. Pour entreprendre le voyage il fallait une résolution peu ordinaire. La perspective d’être ballottés durant sept ou huit semaines et d’être exposés à la merci des flots suffisait pour arrêter beaucoup de gentilshommes qui eussent désiré prendre part à l’expédition.

Louis Hébert, plus courageux, fit connaître combien il désirait se rendre en Acadie. M. de Monts fut charmé de cette proposition. Il consentit à le prendre à son bord, car dans l’exercice de son art, Hébert pouvait être d’un secours très appréciable aux hommes de l’équipage aussi bien qu’aux colons. M. de Biencourt, baron de Poutrincourt, M. de Champlain, l’immortel fondateur de Québec et M. Dupont-Gravé s’embarquèrent sur le même navire.

M. de Monts ne fut pas si heureux dans le choix qu’il fit des premiers habitants de la colonie projetée. Il amena avec lui cent vingt personnes, des artisans, des soldats, les uns catholiques, les autres protestants. Deux prêtres, dont l’un appelé l’abbé Aubry, et un ministre de la religion prétendue réformée, furent chargés de donner les secours spirituels aux explorateurs. Ce mélange d’éléments religieux n’était pas fait pour attirer les bénédictions de Dieu sur l’entreprise.

Au mois de mars de l’année 1604, la flottille quitta le Havre de Grâce, par un temps favorable. La traversée s’effectua sans accident et fut assez rapide. Le 6 mai, deux mois après, elle abordait dans une île de la baie de Passamaquody, qu’on appela l’Île Sainte Croix.

M. de Monts débarqua ses gens sur cette île, mais ce lieu n’était pas convenable pour l’établissement d’une colonie. On s’en aperçut durant l’hiver. Aussitôt débarqué avec ses hommes, M. de Monts les mit à l’ouvrage. Tandis que les uns déblayaient un grand terrain, d’autres abattaient des arbres, les équarrissaient à la hâte, et assemblaient toutes les pièces qui devaient rentrer dans la construction de l’Habitation. C’était un vaste bâtiment comprenant un magasin et plusieurs corps de logis. On érigea un four pour cuire le pain et un moulin pour moudre le grain.

Il fallut plusieurs semaines pour construire les divers logements ; cependant des défrichements furent commencés dans le voisinage et l’on peut bien penser que Louis Hébert, l’un des premiers, se livra avec ardeur à la culture du sol. Cette année-là la récolte fut peu abondante, mais l’année suivante, dans une excursion faite à cet endroit, l’on trouva de beaux épis de blé, indice très sûr de la fertilité de la terre.

L’hiver fut excessivement long et rigoureux. Le bois de chauffage manqua ; la construction de l’Habitation avait rendu le bois plus rare. Les colons, étant séparés de la terre ferme, n’avaient même pas d’eau douce. Il fallut faire fondre de la neige pour avoir un peu d’eau potable. Les hommes endurèrent mille souffrances. Si l’on eût choisi un endroit sur la côte, toutes ces tribulations eussent été évitées, mais, comme le dit M. de Champlain, l’on ne pouvait prévoir ces choses qu’après la mauvaise saison, puisque c’était la première fois que des blancs hivernaient en Acadie.

Bientôt une maladie étrange, le scorbut, se déclara parmi les colons. La mauvaise qualité de l’eau et l’abus des viandes salées, furent les causes de cette maladie inconnue en France. Louis Hébert prodigua aux malades les soins les plus assidus. Il étudia les symptômes de ce mal terrible, et essaya d’en enrayer les progrès. Il administra les meilleurs remèdes ; mais, en dépit de ses connaissances, il ne put les sauver tous : trente-six succombèrent.

M. de Monts ne tarda pas à être persuadé que l’île n’offrait aucune commodité. Il prit le parti de s’établir ailleurs. Pour faire ce déplacement et chercher un site plus commode et surtout plus salubre, il fallut attendre les beaux jours du printemps.

M. de Champlain, dans l’une de ses excursions sur le littoral, avait remarqué au fond d’une baie superbe un endroit qui lui parut idéal pour l’établissement de la colonie. L’entrée de cette baie est large de huit cent vingt-cinq pas ; sa profondeur atteint deux bonnes brasses d’eau. Le port a deux lieues de longueur sur une de largeur ; trois rivières y déversent leurs eaux limpides ; ce sont celles de Port-Royal, de l’Esquille, et la rivière Hébert, ainsi nommée en l’honneur de Louis Hébert. D’après le Père Charlevoix c’est un des plus beaux ports du monde. Le climat y est tempéré, l’hiver moins rude qu’en beaucoup d’endroits de la côte, et la chasse abondante. On y voit des prairies fertiles. Du côté du nord se trouvent de belles montagnes ; vers le sud des coteaux gracieux et, çà et là, des ruisseaux larges et profonds qui décrivent mille contours avant de se jeter dans les rivières qu’ils alimentent. Les montagnes et les coteaux devaient offrir un beau coup d’œil aux explorateurs, car leurs forêts vierges n’avaient pas encore été entamées par la hache des bûcherons. Des chutes nombreuses, pouvant faire tourner les roues de plusieurs moulins, ajoutaient à la beauté du pays. Lescarbot, le premier historien de l’Acadie, s’étonnait avec raison « qu’un si beau lieu demeurât désert et tout rempli de bois. »

Cet endroit fut appelé Port-Royal. Il fut décidé qu’on démolirait l’édifice de l’Île Sainte-Croix et qu’on transporterait ses pièces à Port Royal. Les hommes se mirent à l’œuvre avec courage. Après plusieurs semaines de travaux pénibles, le fort se dressait au fond de la baie sur une petite élévation. Il avait dix toises de longueur sur huit de largeur. On y trouvait un magasin pour les provisions. M. de Monts faisait sa résidence du côté nord, tandis que Louis Hébert, M. de Champlain et Dupont-Gravé habitaient une maisonnette entre le corps de logis et le magasin. Les ouvriers se retiraient du côté de l’ouest. Quatre pièces de canon défendaient l’entrée principale. À une courte distance de celle-ci, on avait construit une forge, un hangar, une cuisine et un four pour cuire le pain.

Une palissade de pieux protégeait l’angle sud-est.

L’humble fort de Port-Royal était loin d’avoir l’apparence de nos forteresses modernes, mais il servit tout de même à en imposer aux peuplades sauvages et à les maintenir dans une crainte respectueuse. C’est là que les pionniers acadiens passèrent le second hiver.

Pendant que ces travaux s’achevaient M. de Monts reçut des nouvelles qui le réclamaient en France. Des envieux cherchaient à le perdre à la cour. Pour sauvegarder ses intérêts il prit la résolution de laisser la colonie aux soins de Dupont-Gravé. Avant de partir, il accorda Port-Royal et ses environs à M. de Poutrincourt qui s’engagea dès lors à s’y établir dans l’espace de deux ans avec des familles françaises.

M. de Poutrincourt se sentait des dispositions pour la vie du colon. Charmé par les beautés de l’Acadie, il prévoyait que ce pays pourrait se développer et devenir vraiment prospère. Ainsi que M. de Champlain et Louis Hébert, l’agriculture l’attirait. Il le montra bien quand il revint en Acadie pour la seconde fois. Il défricha lui-même un jardin et il le cultiva de ses propres mains. M. de Poutrincourt partit bientôt pour la France afin de préparer son expédition.

Dupont-Gravé demeura à Port-Royal en qualité de lieutenant de M. de Monts. Il fit terminer l’Habitation et il surveilla avec Louis Hébert les défrichements qui avaient été ouverts dès le printemps. L’absence de M. de Monts se prolongea au-delà du temps marqué. En présence des attaques dont il était l’objet, il pria M. de Poutrincourt de prendre le commandement de l’Acadie, en attendant de meilleurs jours, mais il se réserva des droits sur le pays de même que sur les hommes qu’il y avait envoyés à ses frais.

M. de Biencourt, baron de Poutrincourt, originaire de la Picardie, naquit en 1557. Ses services militaires lui gagnèrent bientôt les bonnes grâces du roi, et ce qui n’était pas à dédaigner, il put compter, dès lors, sur la protection des plus influents personnages de la cour. Il avait bien des chances de réussir dans la fondation de la colonie, et l’on doit ajouter qu’il avait été pour ainsi dire l’âme de l’entreprise. M. de Poutrincourt était mû par la pensée patriotique de travailler à l’extension du royaume de France et à la conversion des sauvages de l’Amérique. Il était catholique. Il est donc le premier sur cette longue liste de gentilshommes qui se dévouèrent pour la France et pour l’Église. Étendre leur race et leur patrie de ce côté de l’Océan, faire connaître et aimer la religion du Christ par les aborigènes, voilà ce qui faisait entreprendre aux pionniers acadiens des voyages pleins de fatigues et parfois si périlleux.

Le 11 mai 1606, M. de Poutrincourt s’embarqua sur le Jonas, navire de cent cinquante tonneaux. Plus pratique que son prédécesseur, il eut le soin d’apporter avec lui tout le matériel nécessaire au défrichement de la terre. Un avocat français, appelé Lescarbot, l’accompagna dans ce voyage. Si, aujourd’hui, nous pouvons raconter les détails de ces premières tentatives de colonisation en Acadie c’est à ce dernier que nous le devons.

La traversée s’effectua sans incident. Le lendemain de son arrivée, M. de Poutrincourt mit ses hommes au défrichement de la terre. C’est Lescarbot qui nous l’apprend :

« Le vendredi, le lendemain de notre arrivée, le sieur de Poutrincourt, affectionné à cette entreprise comme pour soi-même, mit une partie de ses gens en besogne au labourage de la terre. »

Louis Hébert n’avait pas perdu son temps. Aidé de quelques serviteurs il avait abattu les grands arbres de la forêt et ce fut probablement ce terrain défriché qui fut labouré et ensemencé. « Le Sieur de Poutrincourt, écrit Lescarbot, fit cultiver un peu de terre pour y semer du blé et y planter la vigne, comme il fit à l’aide de notre apothicaire, M. Louis Hébert qui, outre l’expérience qu’il a dans son art, prend grand plaisir au labourage de la terre. »

M. de Champlain, de Poutrincourt et Louis Hébert s’encourageaient mutuellement dans leurs travaux champêtres. La vocation de premier colon canadien se fortifiait de jour en jour en compagnie de ces hommes courageux qui se montraient si enthousiasmés des premiers succès.

Louis Hébert trouvait encore les moyens de se perfectionner dans ses connaissances en botanique. Tout lui était sujet d’étude sérieuse. Il cueillait avec soin des plantes dont il ignorait les propriétés et les étudiait afin de trouver un moyen de les utiliser au profit de la science. Il se rendait partout avec ses compagnons dans l’intérieur des terres, sur les collines, sur le bord des rivières, cherchant des plantes médicinales. Les vignes sauvages qui croissaient en abondance attirèrent son attention. Il résolut d’en planter près du fort de Port-Royal. « Maître Louis Hébert, notre apothicaire, écrit Lescarbot, désireux d’habiter ce pays-là, en avait arraché une bonne quantité pour les planter à Port-Royal, où il n’y en a point, quoique la terre y soit fort propre au vignoble. Ce qui, par une stupide oubliance, ne fut fait au grand déplaisir du dit Sieur et de nous tous. »

Dans une de leurs courses à travers le pays, les Français furent attaqués à l’improviste par les indigènes. M. de Poutrincourt avait recommandé à ses hommes de se mettre à l’abri dans leurs barques à la tombée de la nuit. Mais tous ne suivirent pas ce conseil et quelques-uns s’endormirent sur le rivage. Dans la nuit des sauvages attaquèrent les dormeurs. La sentinelle, qui veillait dans la barque, donna l’alarme à temps au cri de : Mon Dieu, on tue ! on tue nos gens ! M. de Champlain, Dupont-Gravé, Louis Hébert se jetèrent à la hâte dans une chaloupe et coururent au secours de leurs compatriotes. Sans l’arrivée opportune de ce renfort les sauvages auraient fait un terrible massacre des blancs. Trois Français furent tués, un quatrième, blessé mortellement, mourut en arrivant au fort. Dupont-Gravé se fit emporter trois doigts de la main droite par l’éclat de son mousquet.

Nos pionniers acadiens couraient bien des dangers, mais ils n’en continuaient pas moins leur mission. Ils ne pouvaient se résoudre à abandonner un pays qui les avait captivés par ses richesses et ses beautés. Les collines garnies de leurs forêts séculaires, les rivières aux eaux limpides, les ruisseaux qui coulaient au milieu des terres, tout se réunissait pour leur faire aimer la Nouvelle-France. En présence de la grande et belle nature, leur âme se sentait plus libre qu’au sein du bruit confus des villes. Ils laissaient errer leurs regards sur les tableaux qui se succédaient sous leurs yeux et qui renfermaient une poétique et sauvage grandeur. Leur enthousiasme grandissant leur dictait des noms qu’ils donnaient aux endroits qui les avaient le plus captivés, ce qui atteste, écrit l’abbé Casgrain, jusqu’à quel point était développé chez eux le sentiment de la belle nature.

Tant de richesses et tant de beautés avaient charmé Louis Hébert. Il n’eut plus alors qu’un désir, celui de s’établir pour toujours en Acadie. Ce bonheur ne lui était pas réservé cette fois encore. M. de Monts qui, en France, avait espéré déjouer les plans de ses ennemis, prit le parti de rappeler tous les hommes qu’il avait envoyés en Amérique. Il ordonna à M. de Poutrincourt de repasser en France avec eux. Cette décision attrista profondément Louis Hébert. Il lui fallut obéir. Le 3 septembre 1607, il s’embarqua pour la mère-patrie, mais, ainsi que M. de Poutrincourt, il gardait au cœur l’espérance de revoir le pays qu’il aimait de toute son âme.



CHAPITRE III


M. de poutrincourt obtient une audience du roi. — il succède à M. de monts. — il envoie son fils en acadie. — louis hébert l’accompagne avec sa famille. — les jésuites arrivent à port-royal. — Mme de poutrincourt s’embarque pour l’acadie. — charité de louis hébert envers les sauvages. — M. de poutrincourt passe en france. il apprend la formation d’une nouvelle société. — le capitaine la saussaye. — louis hébert commande à port-royal. — l’établissement de saint-sauveur. — argall s’empare de cette place. — destruction de port-royal. — louis hébert retourne en france avec sa famille.


Le baron de Poutrincourt, en arrivant à Paris, obtint une audience du roi. Il raconta les incidents de son expédition et il entretint longuement les gentilshommes de la cour des espoirs qu’il fondait sur l’établissement d’une colonie française dans le Nouveau-Monde.

Pour donner une idée de la fertilité du sol canadien, il avait apporté de nombreux échantillons des légumes et des divers produits qu’il avait récoltés avec l’aide de Louis Hébert. Les épis de blé, choisis parmi les plus beaux, excitèrent l’admiration de tous ; jamais les terres de France, même les meilleures, n’avaient donné un blé si magnifique. La preuve étant donc concluante : l’Acadie possédait un sol des plus riches et des plus fertiles ; la France devait nécessairement retirer de grands avantages de l’exploitation de tant de richesses.

M. de Monts ne pouvait plus espérer les faveurs royales. Il se montra disposé à appuyer M. de Poutrincourt et à lui céder ses droits. Le roi approuva ce changement, car le nouveau titulaire semblait mieux doué que l’ancien pour mener à bien cette fondation. M. de Poutrincourt était un catholique aussi fervent que bon patriote ; il s’engageait à travailler, de toutes ses forces à la conversion des infidèles. Ayant reçu sa commission de lieutenant-général de l’Acadie, il adressa une lettre au souverain Pontife pour lui demander de bénir ses pieux desseins. Le pape Paul V lui accorda, avec bienveillance, sa bénédiction, afin d’attirer sur l’entreprise les faveurs célestes.

Les préparatifs du départ furent longs. M. de Poutrincourt avait tant de choses à régler qu’en 1609 il n’avait pas encore quitté la France. Le roi lui fit savoir son mécontentement, car il avait même désigné ceux des Pères Jésuites qui devaient s’embarquer sur les navires et ils attendaient avec impatience l’heure du départ. Pour ne pas perdre entièrement les bonnes grâces du roi, M. de Poutrincourt chargea son fils, M. de Biencourt, du commandement d’un navire ; il pria le Supérieur des Jésuites, le Père Cotton, de ne pas envoyer en Acadie les religieux, qui avaient reçu leur lettre d’obédience, mais de les garder en France, jusqu’au retour de son fils, ajoutant qu’il les prendrait lui-même sur son vaisseau lorsqu’il s’embarquerait pour la Nouvelle-France. La démarche de M. de Poutrincourt lui créa des ennuis. Les dames de la cour, Mme de Guercheville, entre autres, ainsi que la reine, qui s’étaient constituées les protectrices des Jésuites, virent ce refus d’un mauvais œil. Quoi qu’il en soit M. de Biencourt partit ayant à son bord l’abbé Fléché et Louis Hébert. Ce dernier passait une seconde fois au Canada avec son épouse, Marie Rollet.

Au milieu de l’hiver de l’année 1610, M. de Poutrincourt quitta son manoir de Saint-Just avec deux autres de ses fils. Il prit sur son navire des meubles, des provisions, des instruments propres au défrichement des terres. Bon nombre d’ouvriers l’accompagnaient ainsi que deux gentilshommes, qui devaient, dans la suite, jouer un rôle important en Acadie ; c’étaient Claude de Saint-Estienne de Latour et son fils Charles-Amador.

La traversée dura quatre mois. M. de Poutrincourt, qui s’était embarqué le 25 février, n’aborda qu’au mois de juin. À son arrivée à Port-Royal il s’aperçut bientôt que le fort avait besoin de réparations. Il les fit exécuter sur-le-champ. Il fallait se hâter, car Mme de Poutrincourt était sur le point d’arriver en Acadie. Plusieurs engagés y faisaient aussi passer leurs familles.


À quelque temps de là, le vaisseau la Grâce de Dieu aborda à Port-Royal, emmenant Mme de Poutrincourt, les Pères Biard et Massé, Jésuites.

Les deux premières françaises qui foulèrent le sol de la Nouvelle-France sont donc Mme Louis Hébert et Mme de Poutrincourt. Ce fait est assez important pour mériter une mention spéciale. Que de gentilshommes furent moins courageux qu’elles ! Ils se sentaient attirés pourtant par les richesses du Nouveau Monde, mais ils n’eurent pas le courage de traverser l’Océan. Mme Hébert et Mme de Poutrincourt voulurent seconder leurs maris dans leur entreprise en travaillant à leurs côtés après avoir bravé les fatigues d’un long voyage. Honneur à ces femmes héroïques ! Honneur à cette châtelaine qui ne craignit pas d’échanger son château et ses domaines contre les grands bois de l’Acadie et une misérable cabane de bois brut ! Ces femmes désiraient contribuer à la fondation d’une colonie au prix des plus grands sacrifices. Ce geste est si noble que la nation canadienne ne devrait jamais l’oublier. Mme Hébert faisait déjà l’apprentissage des jours laborieux et pénibles qu’elle devait couler plus tard sur un autre coin de la Nouvelle-France.

L’hiver de 1610-1611 fut extrêmement rigoureux. Les vingt-trois personnes qui se trouvaient au fort ainsi que les hommes de l’équipage endurèrent bien des privations. Le pain manqua durant plusieurs semaines. Sans les secours apportés par les sauvages, les colons seraient morts de faim. Malgré ces privations tous avaient bon courage. Au printemps chacun se mit à défricher son lopin de terre et les semences furent achevées, les jardins agrandis, de sorte que l’avenir de la colonie parut enfin sous un jour plus riant.

Au mois de juin, M. de Poutrincourt partit pour la France laissant le commandement du fort à son fils, M. de Biencourt. C’était un jeune homme de vingt-quatre ans. Sa douceur et ses manières engageantes lui concilièrent l’estime de tous.

Quant à Louis Hébert, dès son arrivée en Acadie, il s’était acquis l’affection des Français et des sauvages. Les services qu’il rendait à ces derniers pendant leurs maladies, les guérisons étonnantes qu’il opérait, le faisaient passer pour un être extraordinaire. « Aussi, écrit M. Rameau, s’empressaient-ils autour de ce bon ramasseur d’herbes. »

Le chef de la tribu, Louis Membertou, tomba bientôt malade et il vint se mettre sous les soins de Louis Hébert. Les Jésuites l’accueillirent avec la plus grande charité et le soignèrent durant toute sa maladie. Le Père Massé le coucha même dans son lit. Louis Hébert se fit tour à tour cuisinier et médecin, tant il avait à cœur de rétablir le pauvre malade. Cependant Membertou succomba malgré les soins dont il était entouré. Il mourut dans de vrais sentiments chrétiens. L’abbé Fléché lui avait déjà administré le sacrement de baptême.

Pendant ce temps-là M. de Poutrincourt, toujours en France, apprit non sans peine la formation d’une compagnie nouvelle destinée à conduire des colons à quelques lieues de Port-Royal. Les dames de la cour s’offrirent pour payer les frais de l’expédition.

Vainement M. de Poutrincourt protesta contre le projet. Il eut beau démontrer qu’il était urgent de fortifier Port-Royal avant de fonder un nouvel établissement, rien ne put faire revenir les promoteurs de ce projet sur leur décision. Un navire fut équipé sous le commandement du capitaine La Saussaye. Trente personnes s’embarquèrent pour l’Acadie ainsi que les Pères Quantin et Gilbert Du Thet, Jésuites. La reine fit un don de cinq cents écus ; Mme de Verneuil fournit les vases sacrés et les ornements du culte, et Mme de Sourdis tous les linges d’autel.

Le 12 mars 1613, La Saussaye aborda au Cap de la Hévê. En touchant la terre ferme, il fit ériger une grande croix aux armes de Mme de Guercheville, sa protectrice. Le Père Quantin célébra la Sainte-Messe. Après cet acte de foi, La Saussaye se rendit avec ses compagnons à Port-Royal. Il n’y rencontra que Louis Hébert qui, avec deux autres personnes, gardait le fort en l’absence de M. de Biencourt. La Saussaye, après les salutations d’usage, remit à Louis Hébert les lettres que la reine envoyait à M. de Biencourt avec ordre de laisser partir les Jésuites. Ces lettres attristèrent profondément Louis Hébert. Il eût désiré voir les bons missionnaires ainsi que les nouveaux colons s’établir à Port-Royal ; mais il se rendit aux ordres de la reine, et il remit aux Jésuites tous les effets qui leur appartenaient. « Tant ce jour-là que le lendemain, écrit la Relation, on fit bonne chère à Hébert, et à son compagnon afin que cette arrivée ne leur fût pas triste. Au départ, quoiqu’ils ne fussent pas dans la disette, on leur laissa un baril de pain et quelques flacons de vin, à ce que l’adieu fût pareillement de bonne grâce. »


un premier défrichement dans une forêt canadienne.

La Saussaye se dirigea ensuite vers la côte et il s’arrêta à l’embouchure de la rivière Pentagouët, sur l’Île des Monts Déserts. D’après M. de Champlain, il y bâtit à la hâte un petit fort qu’il nomma Saint Sauveur. Cette recrue, d’environ soixante-et-cinq personnes en comptant les trente-cinq hommes de l’équipage, aurait été bien plus utile à Port-Royal. Le fort était spacieux, solide, à l’abri d’un coup de main. Les défrichements y étaient avancés, et la récolte s’annonçait superbe. Le territoire de Port-Royal n’était pas, comme celui de Pentagouët, contesté à la France par l’Angleterre. Ces deux postes, trop faibles pour se défendre, succombèrent peu de temps après.

Au mois de juin, Samuel Argall, sous-gouverneur de la Virginie, se dirigeait dans ces parages en escortant des bateaux pêcheurs. On lui apprit qu’un établissement était à se former à l’embouchure de la rivière. Bien qu’on fût alors en pleine paix, il se décida à attaquer La Saussaye. Celui-ci se mit sur la terre ferme pour protéger le fort qui se trouvait sur l’Île que Lamotte-le-Vilain commandait.

La Saussaye se défendit avec courage, mais, comme il perdait beaucoup de monde, il prit le parti de se rendre. Lamotte en fit autant et remit l’habitation aux mains d’Argall, qui s’empressa de voler la commission de La Saussaye. Ce dernier, sommé de montrer sa commission qu’il ne put retrouver, fut traité comme un misérable corsaire.

Argall s’offrit pourtant de conduire les Français dans la Virginie ; il leur promit la liberté de conscience, et s’engagea à les faire repasser en France après un an. Plusieurs acceptèrent cette proposition, mais, arrivés en Virginie, le gouverneur de Jamestown les traita en pirates et les condamna à mort malgré les protestations d’Argall qui, ne voulant pas assumer la responsabilité d’un tel crime, prit alors la résolution de montrer la commission de La Saussaye, ce qui sauva la vie des Français mais perdit Port-Royal. En apprenant qu’il se trouvait un autre établissement en Acadie, le gouverneur ordonna à Argall de s’y transporter et de le détruire.

À Port-Royal les Français étaient loin de s’attendre à pareille attaque. Argall ne trouva personne pour défendre le fort. Il y mit le feu et tout fut détruit. En quelques heures furent consumés les bâtiments qui avaient coûté beaucoup de travaux et d’argent. M. de Poutrincourt qui venait d’arriver en Acadie fut témoin de ce malheur. Combien fut grande sa douleur en présence de ce désastre !

Avec quelle amertume dans l’âme, il contempla, ainsi que Louis Hébert, les ruines fumantes de l’Habitation ! Là, sous leurs yeux, se trouvaient les souvenirs de leurs peines, de leurs souffrances ! Ils durent tout abandonner… Les champs de blé, les jardins qui annonçaient une si abondante récolte, il fallut tout quitter !… Pourtant ils étaient sur le point de jouir de leurs travaux ; les difficultés des débuts étaient surmontées… mais un ennemi jaloux détruisit leurs plus chères espérances. Il fallut dire adieu pour jamais à la terre acadienne si fertile et remplie de promesses ! Songer d’y revenir paraissait une folie : M. de Poutrincourt était ruiné. Ce fut donc avec un cœur brisé que Louis Hébert dit adieu à ses champs et à ses jardins. Il s’embarqua pour la France après avoir perdu son temps et ses peines. Quant à M. de Poutrincourt, il conservait un peu d’espoir. Son fils restait en Acadie avec les Sieurs de Latour attendant une juste compensation pour les pertes qu’il venait de subir. Mais il n’eut pas la joie de voir la réalisation de ses espérances ; il mourut au champ d’honneur peu après : M. de Biencourt lui-même fut emporté par la mort dans la fleur de l’âge.

MM. de Latour recueillirent la succession et reçurent de la part de l’Angleterre une indemnité considérable. Louis Hébert, rentré en France, rencontra M. de Champlain qui venait de fonder, en 1608, une colonie sur les bords du Saint-Laurent. Tenté par cette nouvelle entreprise, il s’associa à son vieil ami, car il n’avait cessé d’aimer les terres de la Nouvelle-France. Il était marqué, dans les desseins de Dieu, que le premier colon acadien serait aussi le premier colon canadien. À ces titres Louis Hébert mérite la reconnaissance du Canada tout entier.



CHAPITRE IV


M. de champlain et la compagnie des marchands. — on lui refuse des colons. — louis hébert consent à s’établir à québec. — il vend ses propriétés à paris. — il passe au canada. — dangers de la traversée. — les associés de la compagnie des marchands tentent de le décourager. — persévérance de louis hébert.


Pendant que le fort de Port-Royal succombait sous les coups des Anglais, M. de Champlain rencontrait des difficultés sans nombre dans la fondation de Québec. Il avait à lutter contre les marchands intéressés dans le trafic des fourrures. Ces hommes ne songeaient qu’à leur commerce. Les revenus qu’ils en retiraient les intéressaient bien plus que la fondation d’une colonie stable. Ni la prospérité du pays ni le salut des sauvages ne pouvaient les toucher. Leur cupidité étouffait tout autre sentiment. M. de Champlain connut ainsi par expérience jusqu’à quel point la soif de l’or ou des honneurs paralyse les plus beaux projets. Nombre d’hommes, en effet, bien doués pourtant, sacrifient trop souvent les plus nobles causes à leur ambition.

M. de Champlain réclamait à grands cris des colons pour la Nouvelle-France. Il sollicitait des bras vigoureux pour défricher les terres canadiennes, pour les labourer et les ensemencer. Il n’avait que faire des chasseurs, des commis et des coureurs de bois envoyés ici pour les intérêts de la grande Compagnie. Il demandait des défricheurs. La compagnie restait sourde à cette demande sous le prétexte que les défrichements éloigneraient le gibier, source de précieux revenus.

Cette compagnie imprévoyante ne songeait même pas à assurer le nécessaire à ses employés. Les provisions de bouche venaient de la mère-patrie et tout retard des vaisseaux pouvait être funeste. Les habitants de Québec, pour trouver un moyen de subsistance, devaient alors se livrer à la chasse et à la pêche. La perspective de mourir de faim dans les grands bois de l’Amérique jointe à la mauvaise volonté des trafiquants retardait la venue des colons.

Après neuf ans, M. de Champlain n’avait pu vaincre encore l’obstination des Associés. Il ne s’était pas épargné pourtant. Il désirait ardemment rendre la Nouvelle-France indépendante de la mère-patrie en ce qui regardait les premiers besoins de la vie. Il semble que les Associés des Marchands eussent dû comprendre qu’il était de leur plus grand intérêt qu’il en fût ainsi. Des chasseurs et des pêcheurs n’étaient point propres à travailler efficacement à l’établissement d’une colonie. Le plus solide fondement d’un pays n’est-ce pas l’agriculture ? C’est sur l’agriculture que se base la société. Sans elle il n’y a ni société ni vie possibles. Une profession ou un métier peuvent même disparaître sans que la société souffre trop de dommage, mais que deviendrait-elle sans l’agriculture ? N’est-il pas aisé, pour un certain temps du moins, de vivre sans avocat, sans notaire, sans médecin ? Oui, certes, tous peuvent vivre sans plaider, sans passer des contrats, et souvent sans recourir à la science médicale, mais il n’est personne qui puisse se passer du cultivateur. C’est de lui qu’il faut acheter les légumes, les denrées, les céréales, les viandes nécessaires à l’entretien de la vie. Que deviendraient nos citadins et nos villageois sans lui ? Qu’une seule récolte vienne à manquer il y a du malaise dans la société par suite de la rareté des produits. Le cultivateur est donc l’homme nécessaire et le plus indépendant des mortels. S’il connaissait son bonheur il ne serait pas tenté de quitter la charrue pour les tracasseries d’un métier… même le plus rémunérateur.

« Heureux qui sait jouir, qui cherche à se connaître,
Qui cultive son champ et qui n’a point de maître »

sommes-nous tentés d’écrire avec Boistel.

M. de Champlain désirait fonder une colonie durable. Il avait donc beaucoup de raisons de réclamer des défricheurs et des laboureurs pour les belles terres canadiennes. En dépit de ses démarches, après neuf ans, il n’avait pas encore réussi à implanter dans le pays un seul colon à qui l’on permît de se livrer à la culture.

En 1617, dans un de ses voyages à Paris, il rencontra Louis Hébert, son ancien compagnon de Port-Royal, qui suivait de loin la fondation de Québec. Louis Hébert s’intéressait d’autant plus à cette œuvre qu’il conservait toute son affection pour la Nouvelle-France. M. de Champlain lui proposa de l’emmener avec lui. Louis Hébert fut comblé de joie ; il allait enfin revoir le Canada, et reprendre la vie du colon, cette vie si pleine de charmes pour lui malgré les sacrifices qu’elle exigeait. M. de Champlain, en présence de l’acquiescement de Louis Hébert, se sentit plus courageux pour continuer son entreprise. Il connaissait de vieille date le zèle de cet apothicaire, devenu, à Port-Royal, un agriculteur passionné. Avec lui il avait défriché un petit coin de la terre acadienne. En sa compagnie il avait jeté dans le sol fécond la semence productrice et recueilli la première moisson. Enfin, la Nouvelle-France allait avoir son premier colon ! D’autres, sans aucun doute, suivraient plus tard le chemin qu’il aura tracé ; ils s’établiront sur des terres ayant vu les succès d’un pionnier si enthousiaste et si persévérant !

Telles étaient les espérances que M. de Champlain entretenait sur Louis Hébert. Mais une question restait à résoudre. Les Associés consentiraient-ils à le laisser passer au Canada avec sa famille ? Voilà ce qui inquiétait le fondateur de Québec. Il se rendit auprès d’eux et leur représenta les services que Louis Hébert pourrait rendre aux hommes du poste aussi bien qu’aux engagés, et il les assura que cet apothicaire n’exigeait, pour son travail, que la permission de cultiver un lopin de terre assez grand pour l’entretien de sa famille.


samuel de champlain, fondateur de québec.

Les Associés de la Compagnie acceptèrent ces conditions peu onéreuses et ils permirent à Louis Hébert de s’établir à Québec.

Notre premier colon, cette fois, allait quitter la France pour toujours. À Paris, il possédait des propriétés ; il les vendit. Ses parents et ses amis le sollicitèrent de revenir sur sa détermination. Ils lui représentèrent sans doute toutes les fatigues qu’il avait subies, toutes les peines qu’il avait endurées sur la terre acadienne. Rien ne put l’ébranler. Il prévoyait que cette nouvelle démarche lui causerait des ennuis. Mais si grand était son désir de contribuer à la fondation de la Nouvelle-France et à la conversion des sauvages qu’il se sentit la force de surmonter tous les obstacles. Que lui demandait-on, en effet ? On le priait de recommencer à Québec les travaux entrepris autrefois en Acadie. Peu lui importait d’avoir dépensé huit ans dans une entreprise qui avait échoué misérablement et dans laquelle il avait perdu son temps, ses peines, tout le fruit de son labeur. M. de Champlain faisait appel à son patriotisme et à sa foi ; il comptait sur son aide pour commencer une colonie stable c’en fut assez pour lui faire repousser toutes craintes d’insuccès. Louis Hébert se sentait appelé de Dieu pour contribuer à la fondation d’une Nouvelle-France et à fournir, par là, aux aborigènes, les moyens de parvenir à la foi chrétienne. Cet homme, cet humble colon est donc le type du pionnier-apôtre.

On ne peut croire pourtant que Louis Hébert et sa petite famille quittèrent sans regrets aucuns, leurs parents, leurs amis et leur patrie. Non, certes ! Ils étaient d’une même nature que nous. L’abandon de ceux qu’ils aimaient dut leur coûter bien des sacrifices. Notre histoire nationale commence au milieu des larmes et des chagrins de la séparation. Les pionniers, qui, après cette première famille, vinrent sur nos rives, furent obligés de faire, eux aussi, le sacrifice de leurs parents et de leurs amis. Il nous semble les voir ces pieux colons se rendant à l’église de leur village natal en compagnie de ceux qu’ils aimaient pour y prier une dernière fois avant de s’embarquer pour leur lointaine destination. Après avoir mis leur voyage sous la protection de la Sainte Vierge, ils se dirigeaient vers le port où les attendaient des embarcations bien frêles, qui devaient les conduire dans leur nouvelle patrie. Les derniers adieux s’échangeaient alors au milieu des sanglots et des souhaits qu’un chacun formulait. Puis le navire s’éloignait lentement, la France disparaissait aux yeux des voyageurs qui, avant de perdre de vue cette terre chérie, lançaient de la main un dernier adieu vers la patrie aimée.

La traversée de Louis Hébert fut longue et orageuse. Près des Bancs de Terreneuve, le navire faillit sombrer. Les vents et les courants le poussaient contre les glaces flottantes. Un jour la tempête fut si violente, et le navire se heurtait si fort contre les banquises, que les malheureux passagers perdirent tout espoir de salut. Le Père Joseph Le Caron confessa tout le monde et lui-même se mit en état de paraître devant Dieu. Le plus grand émoi régnait sur le bateau. Mais ce qui toucha les passagers et les attendrit jusqu’aux larmes, ce fut de voir Mme Hébert élevant par les écoutilles le plus petit de ses enfants afin qu’il reçût aussi bien que les autres, la bénédiction du bon Père. « Les voyageurs échappèrent au naufrage d’une manière miraculeuse. »

À Québec le navire était attendu avec anxiété. On n’espérait plus les revoir : « On avait prié Dieu pour eux, écrit Sagard, les croyant morts et submergés. » Après treize semaines de navigation tous arrivèrent enfin à Tadoussac : « ayant été dans l’appréhension continuelle de la mort et si fatigués qu’ils n’en pouvaient plus. »

Afin de permettre aux passagers de prendre un repos mérité on fit escale à Tadoussac tandis que le Père Joseph Le Caron continua son voyage jusqu’à Québec. Le dimanche fut passé en prières. Les charpentiers, les matelots, élevèrent à la hâte une chapelle avec des branches de sapins et de cèdres. Mme Hébert et ses enfants l’ornèrent de fleurs sauvages. Le Père Paul célébra ensuite la Sainte Messe en présence de l’équipage, à genoux, dans le plus profond recueillement. Qui dira les sentiments de reconnaissance que Louis Hébert rendit au Ciel pour l’avoir conduit à bon port avec les siens ! Ce fut au bruit des fusillades que Notre-Seigneur descendit sur l’humble autel du sacrifice. Le capitaine fit tirer plusieurs coups de canons en actions de grâces. Au sortir du dîner, écrit Sagard, on chanta les Vêpres solennellement, de manière que ce désert sauvage fut changé en ce jour en un petit Paradis, où les louanges divines retentissaient jusqu’au ciel.

La Providence voulut éprouver Louis Hébert dans sa traversée en Amérique pour le préparer sans doute aux épreuves d’un autre genre qu’il devait y rencontrer plus tard.


CHAPITRE V


québec en 1617. — les français accueillent louis hébert avec joie. — la maison de louis hébert. — les premiers défrichements. — la première moisson. — louis hébert et ses luttes contre les marchands. — une requête est envoyée au roi. — mariage d’anne hébert et d’étienne jonquest. — la première ferme modèle au canada.


L’annonce de l’arrivée du vaisseau qui portait Louis Hébert fut accueillie avec joie. Dès qu’on put l’apercevoir de loin, la petite population de Québec se rendit sur la grève pour attendre les nouveaux colons et leur souhaiter la bienvenue. Trois familles se trouvaient alors à l’Habitation, à l’emploi de la Compagnie. C’étaient les familles d’Abraham Martin, de Pierre Desportes et de Nicolas Pivert, soit en tout neuf personnes. Martin était marié à Marguerite Langlois ; il avait une fille, Anne ; Desportes, de son union avec Marie-Françoise Langlois, eut, lui aussi, une fille, appelée Hélène, qui devait s’unir plus tard au fils de Louis Hébert. Pivert n’avait pas d’enfants, mais une de ses nièces demeurait avec lui. Sa femme s’appelait Marguerite Le Sage.

Les familles Martin et Desportes comptent encore de nombreux descendants parmi nous. Quelques interprètes, des commis, des ouvriers, les Pères Récollets, soit environ cinquante personnes, formaient le premier noyau de la Nouvelle-France.

L’arrivée d’un vaisseau, à cette époque, était chose peu ordinaire. Mais cette fois, il y avait plus que simple curiosité dans la démarche des habitants de Québec vers le port : on attendait une famille dont le chef, brave entre tous, avait décidé de s’établir pour jamais sur les terres canadiennes. Quelques hommes connaissaient Louis Hébert pour l’avoir rencontré à Paris. Tous avaient entendu parler de ses travaux en Acadie.

Tandis que les hommes pressaient la main de Louis Hébert, les femmes entouraient Marie Rollet, qui, toute heureuse de rencontrer sur nos bords des personnes de son sexe, fut sensiblement touchée de la sympathie qu’on lui témoignait. Avec de telles compagnes les ennuis de l’exil s’annonçaient moins cruels et moins rudes à supporter. On peut bien penser que cette journée fut tout à la joie. Si l’on en croit la tradition, Louis Hébert dressa sa tente sous un orme majestueux qui se voyait encore en 1848, au coin de la rue Sainte-Anne. C’est là qu’il demeura avec sa famille en attendant qu’il eût une demeure en état de le loger convenablement.

Louis Hébert avait obtenu une concession de terre d’environ dix arpents. Tout en se reposant des fatigues de la traversée, il se mit à la recherche d’un endroit favorable pour asseoir sa maisonnette. Il avait besoin d’un terrain fertile, près du fort, et qu’il pût défricher sans trop de difficultés. Il trouva bientôt ce qu’il cherchait. Il escalada la falaise dont les sommets étaient alors garnis de noyers puissants, aux fortes ramures, et de chênes gigantesques, au feuillage épais, qui plongeaient leurs racines dans une terre riche.

Un panorama admirable s’offrit aux yeux de notre colon. Il en fut émerveillé. Il aimait la grande nature. L’Acadie l’avait charmé, mais toutes les beautés de Port-Royal n’étaient rien en comparaison de ce qu’il vit à Québec pour la première fois. À ses pieds le grand fleuve roulait ses eaux avec impétuosité. En face se trouvaient les rochers si escarpés de la pointe Lévis, tout couverts d’un bois épais. Vers le Nord, les Laurentides ; plus près de lui, la côte de Beaupré, mais toujours et partout… la forêt vierge où habitaient l’Indien et les bêtes fauves. Hébert dut se sentir bien isolé au milieu de cette mer de feuillage. Il ne put se défendre d’un certain sentiment de terreur à la pensée des dangers qui l’attendaient sur ce coin de terre sauvage. En ce moment, il se rendit compte de la grandeur de la tâche qu’il venait inaugurer au milieu de cette barbarie, et de la somme d’énergie qu’il devait dépenser pour commencer la première trouée dans la forêt vierge. Pourtant une pensée vint le consoler et l’encourager. Cette Nouvelle-France, ce royaume plus grand que son pays, n’était-il pas glorieux de le conquérir, non pas à la pointe de l’épée, mais avec la hache pour l’honneur de la France et la plus grande gloire du Christ ! Louis Hébert remercia Dieu de l’avoir appelé à cette œuvre si noble et si belle.

Ayant choisi le site de sa maison Louis Hébert se mit à l’ouvrage. Ce fut un événement important pour les habitants de Québec que de voir au milieu des arbres se dresser la charpente de la première maison canadienne. Les ouvriers qui se trouvaient au fort prêtèrent leur généreux concours ainsi que les maçons.

L’humble logis de Louis Hébert était en pierre ; les pignons étaient en bois. En 1644, cette maison menaçait de tomber en ruine ; elle fut remplacée par une autre plus spacieuse et plus commode, qui devint le berceau du Petit Séminaire de Québec ; elle avait trente-huit pieds de longueur sur quatorze de largeur. Elle était construite en pierre, et, paraît-il, située à l’entrée même du jardin du Séminaire.

« Champlain, écrit Mme Laure Conan, voyait avec une joie profonde s’élever cette maison. Elle lui paraissait comme une fleur d’espérance sous le grand ciel bleu. Le jour où la famille s’y installa fut pour lui un jour heureux. Il y avait enfin un vrai foyer dans la Nouvelle-France…

» Avec quel contentement Hébert battit le briquet et alluma le premier feu dans l’âtre ! Bien douce fut cette heure. La flamme du foyer, les mille petites voix qui bruissaient dans le bois embrasé mettaient la joie dans tous les cœurs. Au lieu de la toile des tentes trempée de rosée, on avait enfin un toit solide, le bien-être de l’abri et de la chaleur. Les meubles apportés de Paris reparaissaient au jour. On oubliait qu’on était en pleine barbarie dans une forêt sans bornes…


l’habitation de champlain ; sur la falaise est la maison de louis hébert.

» L’œil vif et gai, Mme Hébert allait et venait, plaçant les meubles, rangeant le linge dans les armoires, disposant sur le dressoir sa belle vaisselle d’étain, et, près du feu, les casseroles de cuivre[1]

» C’est avec une émotion profonde que le Père Joseph Le Caron bénit la demeure du pionnier de l’agriculture. Il lui semblait célébrer l’alliance de l’homme avec la terre canadienne. Par delà il voyait comme en un rêve, les travailleurs du sol, tous ces vaillants défricheurs qui, la hache à la main, s’enfonceraient dans la forêt pour y fonder un foyer et il offrait à Dieu leurs rudes labeurs et leurs héroïques misères… »

Autour de son petit logis, Louis Hébert commença les premiers défrichements. L’histoire aurait dû enregistrer cette date mémorable, elle célèbre parfois de moins dignes anniversaires. Louis Hébert, en effet, ce jour-là, prenait effectivement possession du sol canadien. Sans pompe comme sans bruit il commençait la véritable conquête de la Nouvelle France, et la seule vraiment durable. Cet apothicaire parisien devint alors l’habitant vrai, qui s’identifie avec la terre féconde, qui s’y attache par ses travaux, et qui y trouve sa vie, sa richesse et son bonheur

Avant Louis Hébert, les découvreurs avaient pris possession solennellement du Canada, mais y avaient-ils laissé après eux des vestiges de leurs passages ? Non, ils étaient retournés dans la mère-patrie, à l’exception de M. de Champlain, sans avoir rien édifié, rien créé.

Mais par son geste de défricheur, Louis Hébert entreprit la conquête pacifique des terres de la Nouvelle-France. Il assura à son roi la possession de notre vaste pays ; après lui d’autres s’établirent sur de nouvelles terres ; petit à petit, à mesure que la forêt recula devant les pionniers de la civilisation, des champs fertiles, des terres riches fournirent abondamment les produits de la ferme, sources de richesses plus durables que celles du comptoir.

Jusqu’à Louis Hébert, les Français n’eurent ni le temps ni la permission de se livrer à la culture. Les Associés des Marchands l’avaient défendu expressément. Avec le premier colon s’ouvrit la première clairière, dans la sombre forêt, et une ère nouvelle commença à luire sur la Nouvelle-France. L’enfant des bois trouva, dès lors, dans les visages pâles, d’autres hommes que des marchands indignes ; il rencontra des apôtres, des frères. Louis Hébert devint bientôt le confident et l’ami des pauvres indigènes.

Les défrichements coûtèrent beaucoup de peines. Les arbres avaient d’énormes proportions et ils étaient durs à abattre. Que de coups il fallait donner pour faire tomber un de ces géants de la forêt ! Et quel courage ne fallait-il pas pour se livrer à ce travail ardu ! Louis Hébert était l’homme choisi par la Providence. Comment expliquer, sans une vocation spéciale, l’affection de Louis Hébert pour des travaux si pénibles, quand il pouvait vivre à l’aise dans l’exercice de sa profession ? Il paraît évident que Dieu aidait notre colon dans son œuvre.

Dès l’aurore Louis Hébert se mettait au travail. Il frappait à coups redoublés sur les arbres qui s’obstinaient à rester debout. Quand il les voyait tomber son cœur battait de joie ; ce fut pied par pied qu’il conquit un petit coin de terre qu’il ensemença la première année.

À l’heure des repas, Louis Hébert retournait dans son logis et y prenait la nourriture dont il avait tant besoin. La figure souriante de son épouse et la vue de ses enfants lui donnaient un regain de courage pour terminer sa journée. Il rentrait au logis, le soir, harassé de fatigue, mais heureux, satisfait, d’avoir gagné quelques pieds de terre sur le domaine qu’on lui avait accordé.

La prière se faisait en famille. Hébert, en vrai chrétien, suppliait le bon Dieu de bénir ses efforts. Il demandait avec instance qu’il lui fût donné de voir la prospérité de la Nouvelle-France, et les moyens de travailler efficacement à la conversion des sauvages.

Ce fut avec une joie indicible qu’il traça son premier jardin tout près de son logis. Il y avait çà et là des souches qui résistaient malgré ses efforts, des roches qu’il ne pouvait transporter plus loin, mais peu lui importait, à travers ces troncs d’arbres réfractaires, à travers ces roches, il se tailla un beau jardin.

La terre était riche, les cendres des petits feux qu’il avait allumés, formaient un engrais excellent. Louis Hébert prit la bêche et s’employa à remuer le sol fécond tout prêt à recevoir la semence. Il nous semble voir à l’œuvre ce noble fils de France courbé sur la bêche, le visage ruisselant de sueur, bouleversant le sol vierge, et déposant les grains de semence dont il attendait avec espoir une riche moisson.

Louis Hébert entoura son jardin de mille soins. Il y avait tant de raisons pour lui de réussir. Si la moisson était bonne, la terre était fertile, et l’on pouvait espérer l’établissement d’une colonie stable. D’autres suivraient bientôt son exemple, malgré les peines qu’exigeait une telle entreprise. Toutes ces forêts qu’il contemplait chaque jour, et qui garnissaient l’Île d’Orléans, les hauteurs de Québec, la belle côte de Beaupré, la Nouvelle-France, enfin, il fallait les abattre. Cet immense pays plus grand que la France, il fallait le défricher, le peupler, le conquérir sur la barbarie.

Louis Hébert visitait son jardin tous les jours. C’était pour lui une jouissance que de voir les plantes, les légumes, les fleurs, même le blé croître à vue d’œil. Quand M. de Champlain gravissait la falaise pour l’aller visiter, Louis Hébert s’empressait de lui montrer les progrès accomplis. M. de Champlain savait toujours trouver des paroles d’encouragement. Il s’intéressait à cette entreprise et il ne pouvait taire l’admiration qu’il en éprouvait.

« Je visitay, écrit-il, les lieux, les labourages des terres que je trouvai ensemencées et chargées de beau bled ; les jardins chargés de toutes sortes d’herbes, comme des choux, raves, laictues, pourpié, oseille, persil et autres légumes aussi beaux et advencés qu’en France. Bref le tout s’augmentant à vue d’œil. »

M. de Champlain se félicitait d’avoir introduit dans la colonie un agriculteur habile et persévérant.

À l’automne, Louis Hébert recueillit la première moisson. Quelle joie dut lui causer cette récolte abondante, évidemment bénie par la Providence ! Les légumes étaient venus admirablement bien. Mais les épis de blé dorés excitèrent l’admiration d’un chacun. Louis Hébert se sentit récompensé au centuple de ses labeurs. Ce qu’il avait dû peiner pour obtenir un tel résultat, lui seul le pouvait dire avec sa femme ! Dieu avait béni ses efforts, et cette bénédiction divine répandue sur ses travaux remplit son âme de joie et de reconnaissance. Laissons la plume au poète qui raconte dans les termes suivants cet événement important de la vie de notre premier colon.


« Ce site c’est Québec. Au nord montent splendides
Les échelons lointains des vastes Laurentides.
En bas, le fleuve immense et paisible, roulant
Au soleil du matin son flot superbe et lent,
Reflète, avec les pins des grands rochers moroses,
Le clair azur du ciel et ses nuages roses.
Nous sommes en septembre ; et le blond fructidor,
Qui sur la plaine verte a mis des teintes d’or,
Au front des bois bercés par les brises flottantes
Répand comme un fouillis de couleurs éclatantes ;
On dirait les joyaux d’un gigantesque écrin,
Un repos solennel plein d’un calme serein
Plane encor sur ces bords où la chaste Nature
Aux seuls baisers du ciel dénouant sa ceinture,
Drapée en sa sauvage et rustique beauté,
Garde tous les trésors de sa virginité.


Cependant un lambeau de brise nous apporte
Comme un refrain joyeux, qu’une voix mâle et forte,
Mêlée à des éclats de babil argentin,
Jette dans l’air sonore, aux échos lointains.
Ce sont des moissonneurs avec des moissonneuses,
Ils suivent du sentier les courbes sablonneuses,
Et, le sac à l’épaule, ils cheminent gaîment.
Ce sont des émigrés du doux pays normand,
Des filles du Poitou, de beaux gars de Bretagne,
Qui viennent de quitter leur lande ou leur campagne,
Pour fonder une France au milieu du désert.


L’homme qui les conduit, c’est le robuste Hébert,
Un vaillant ! le premier de cette forte race
Dont tout un continent garde aujourd’hui la trace,
Qui, dans ce sol nouveau par son bras assaini,
Mit le grain de froment, trésor du ciel béni,
Héritage sans prix dont la France féconde,
Dans sa maternité, dota le nouveau monde !
Ils vont dans la vallée où les vents assoupis
Font ondoyer à peine un flot mouvant d’épis
Qu’ont mûris de l’été les tépides haleines.


Bientôt le blé tombe à faucilles pleines ;
La javelle, où bruit un essaim de grillons
S’entasse en rangs pressés au revers des sillons,
Dont le creux disparaît sous l’épaisse jonchée ;
Chaque travailleur s’ouvre une large tranchée ;
Et, sous l’effort commun, le sol transfiguré
Laisse choir tout un pan de son manteau doré.


Le soir arrive enfin, mais les gerbes sont prêtes ;
On en charge à pleins bords les rustiques charrettes
Dont l’essieu va ployant sous le noble fardeau ;
Puis, presque recueilli, le front ruisselant d’eau,
Pendant que, stupéfait, l’enfant de la savane
Regarde défiler l’étrange caravane
Et s’étonne à l’aspect de ces apprêts nouveaux,
Hébert, qui suit, ému, le pas de ses chevaux[2],
Rentre, offrant à Celui qui donne l’abondance,
La première moisson de la Nouvelle-France[3].


L’année même de son arrivée, Louis Hébert donna en mariage, Anne, sa fille aînée, au sieur Étienne Jonquest, colon originaire de Normandie. Le Père Le Caron reçut les serments des jeunes époux. Ce fut le premier mariage au Canada. Cette union fut de courte durée. Bientôt le deuil entra dans la demeure du premier colon. Quelques mois plus tard, en effet, Anne Hébert mourut. Cette tombe venait à peine de se refermer, que la mort réclama une nouvelle victime dans la personne d’Étienne Jonquest. Ces jeunes époux, encore pleins d’espérance, furent moissonnés au milieu de leur bonheur.

Louis Hébert et son épouse furent profondément attristés par ces deuils. Mais ils puisèrent dans leur foi chrétienne des consolations qui leur firent surmonter ces épreuves. Louis Hébert continua son œuvre.

Encouragé par les premiers succès, il agrandit les défrichements sur son domaine et recula peu à peu les limites de son jardin. Marie Rollet l’aidait de son mieux ; sa fille Marie-Guillemette, née probablement à Port-Royal en 1606, et le petit Guillaume, trouvaient les moyens de se rendre utiles. Après trois ans, Louis Hébert récoltait plus de grains et de légumes qu’il n’en avait besoin pour l’entretien de sa famille. Il put même en échanger aux sauvages contre des pelleteries.

Cependant les Associés des Marchands prirent ombrage de ces succès. Ils résolurent de le molester afin de le décourager et d’empêcher ainsi d’autres colons de suivre son exemple. Ils lui firent défense de trafiquer avec les indigènes et l’obligèrent même à leur céder le surplus de ses grains s’arrogeant ainsi des droits sur le fruit de son travail.

Des procédés si indignes révoltaient l’âme de Louis Hébert mais ne le découragèrent pas. Il se plaignit à M. de Champlain, qui ne put améliorer la situation. Louis Hébert n’en continua pas moins à défricher et à cultiver ; une seule pensée occupait son esprit : assurer l’avenir de la colonie, à la fondation de laquelle il avait tout sacrifié, son avenir, ses parents, sa patrie, son repos.


madame hébert enseignant le catéchisme aux enfants sauvages.

Bientôt les persécutions augmentèrent ; elles devinrent si criantes que M. de Champlain résolut de faire entendre des plaintes à la cour. Il ordonna une assemblée des habitants. Les Récollets s’empressèrent de donner leur approbation au projet. Le Frère Sagard surtout ne pouvant contenir son indignation au souvenir de ces tracasseries s’écrie quelque part dans ses ouvrages : « Ô Dieu ! partout les gros poissons mangent les petits ! » Mais il s’empresse de donner un juste tribut d’éloges à Louis Hébert qui persévérait à demeurer dans la colonie « nonobstant les grandes traverses des anciens Marchands qui l’ont traité avec toutes les rigueurs possibles, pensant lui faire perdre l’envie d’y demeurer et à d’autres (ménages) d’y aller s’établir. »

M. de Champlain présida l’assemblée ; pour la circonstance, Louis Hébert fut nommé Procureur du roi. Les Frères Denis Jamay et Le Caron, Eustache Boulé, beau-frère de M. de Champlain, y assistèrent ainsi que plusieurs autres.

Il fut décidé qu’on demanderait au roi de laisser une plus grande latitude aux colons ; qu’on choisirait avec soin les familles les plus laborieuses et les plus chrétiennes. Et on sollicitait la faveur d’éloigner les familles protestantes afin de former une colonie exclusivement catholique.

M. de Champlain ne voulait introduire dans le pays que des gens laborieux. Quelque temps auparavant il avait dû renvoyer en France deux familles qui étaient dans le pays depuis quelques années et qui n’avaient pas défriché un seul arpent de terre.

Les plaintes des colons de Québec furent entendues à la cour. La Compagnie des Marchands fut dissoute et Louis Hébert put enfin continuer ses travaux sans être molesté.

Le Frère Sagard se montra l’un des plus heureux de ce changement. Il exprima sa satisfaction dans les lignes suivantes : « Messieurs les nouveaux Associés, écrit-il, ont à présent adoucy toutes ces rigueurs et donnent tout sujet de contentement à cette honneste famille qui n’est pas peu à son aise. »

Libre enfin de se livrer à la culture, Louis Hébert non seulement agrandit ses champs mais il fit passer au Canada des bestiaux : ce fut pour sa famille une nouvelle source de revenus. Il établit ainsi sur ses terres la première ferme modèle. Autour de sa maison, il planta de jeunes pommiers et des pruniers qu’il fit venir de Normandie. Au témoignage du Frère Sagard, de bonne heure, au printemps, les pommiers de Louis Hébert se couvraient de fleurs ; et à l’automne rapportaient de bonnes récoltes. Des plants de vignes, des fleurs que Marie Rollet entourait de mille soins, ajoutaient à la beauté de cette ferme canadienne.

En 1636, ces pommiers existaient encore, le Père Le Jeune, arrivant dans la colonie, écrivit dans la Relation : « Les pommiers que Louis Hébert a plantés ayant été gastés par les animaux, il faudra attendre pour voir si les pommes viennent bien en ce pays, bien qu’on me l’assure. » La persévérance de Louis Hébert avait triomphé de la mauvaise volonté des Associés des Marchands trop ambitieux et trop égoïstes pour aider à l’établissement de la Nouvelle-France.



CHAPITRE VI


louis hébert et les sauvages. — il apprend leur langue. — les premières familles canadiennes. — Mme de champlain arrive à québec. — sa charité exemplaire. — elle retourne en france. — héroïsme de nos premières mères. — mariage de guillaume couillard et de marie guillemette hébert.


Deux pensées avaient déterminé Louis Hébert à consacrer sa vie à la fondation de la Nouvelle France : l’agrandissement du domaine du roi très chrétien et la conversion des sauvages. M. de Champlain, l’illustre fondateur de Québec, qui ne craignit pas d’écrire que le salut d’une âme vaut plus que la conquête d’un empire, avait donc trouvé en Louis Hébert un coopérateur digne de lui. Louis Hébert avait une âme d’apôtre. À Port-Royal il n’avait pas négligé les indigènes ; pour les attirer à la foi chrétienne, il avait étudié leur idiome et il avait prodigué à tous les plus grandes marques de charité.

À Québec, la conduite de notre colon fut aussi sublime, comme l’atteste le bon Frère Sagard. Les sauvages ne tardèrent pas à le visiter et à s’attacher à lui. Il employait mille procédés pour les gagner. Que de services il leur rendit sans exiger de retour ! Tandis que les Associés des Marchands ne voyaient en eux que des êtres bons à exploiter, Louis Hébert, lui, les regardait comme des créatures raisonnables qui eussent pu arriver à la connaissance de Dieu si on leur en eût donné les moyens.

Mme Hébert rivalisait de zèle avec son digne époux. Comme lui elle se mit à étudier la langue des indigènes et elle s’appliqua à les instruire des vérités de la foi. Elle inaugura, comme nous le disons plus loin, dans sa maison une école où les petits sauvages des deux sexes se rendaient pour apprendre leurs prières et le catéchisme. Quelle charité dans cette première famille chrétienne !

La plupart de nos familles, qui arrivèrent dans les premières années sur le sol canadien, suivirent l’exemple de ces colons. Comme eux elles aidèrent de toutes leurs forces à propager le nom du Christ sur nos rives. Les Relations des Jésuites, si intéressantes, contiennent des pages qui témoignent du zèle apostolique des premiers colons canadiens.

Les jours de dimanche et de fête Louis Hébert et sa famille se rendaient à la chapelle de l’Habitation où un Père célébrait la Sainte-Messe en présence de toute la population. C’est là que nos premiers pères puisaient le courage dont ils avaient tant besoin pour continuer leur œuvre.

Le soir, Martin, Desportes, Pivert et leurs femmes gravissaient la falaise et se rendaient faire la veillée chez Louis Hébert. Là on s’entretenait des choses de France. Quand un navire venait à jeter l’ancre dans le Port de Tadoussac, on dépêchait des chaloupes chargées d’apporter à Québec les provisions envoyées par la Compagnie, mais surtout les lettres de France attendues avec grande impatience par les pauvres exilés. C’est avec amour qu’on lisait et relisait les lignes tracées par des mains amies et qui apportaient tant de joie.

Durant la saison d’hiver, Louis Hébert s’occupait utilement, il agrandissait ses défrichements, entretenait ses bestiaux, et il trouvait tout naturel d’aider ses compatriotes dans leurs travaux. Il rendit de bons services à M. de Champlain durant son absence. Plus d’une fois il fut nommé pour remplacer le capitaine du navire qui faisait le trajet entre Tadoussac et Québec.

Au printemps de l’année 1620, une grande joie était réservée à nos premiers colons. M. de Champlain arriva avec sa jeune épouse, Hélène Boulé, âgée de vingt ans. Mme de Champlain, qui avait été élevée dans la religion protestante, abjura l’hérésie à son mariage. Elle devint fort zélée pour la religion catholique ; elle aida puissamment à la conversion de son frère Eustache Boulé.

Mme Hébert, Mme de Champlain et leurs compagnes rendirent de grands services aux sauvages. Ensemble elles les visitaient souvent et leur enseignaient les vérités de la foi catholique. Elles remplissaient un rôle magnifique, ces femmes, qui laissaient leurs travaux pour porter aux pauvres aborigènes les premières notions du christianisme. Durant quatre ans, Mme de Champlain se fit tour à tour catéchiste, interprète et garde-malade. Mais elle ne put se résoudre à demeurer plus longtemps dans notre pays trop peu civilisé.

Le 15 août 1624, elle dit adieu à ses compagnes et partit pour la France. Ce départ fut pour nos premières aïeules une cause de profond chagrin. Elles s’étaient attachées à cette jeune femme si distinguée. En la voyant partir elles faisaient une perte sensible. Ce départ ouvrit bien des plaies. Elles ne purent s’empêcher de penser à la France bien-aimée où elles avaient laissé tant de souvenirs et d’êtres chéris. C’est en pleurant qu’elles virent s’éloigner le navire qui retournait dans leur patrie.

Nos mères furent plus courageuses que Mme de Champlain ; déjà habituées à la vie rude qu’elles avaient trouvée sur nos bords, elles continuèrent leur mission sublime. Elles furent les plus fidèles soutiens de nos courageux pionniers. L’œuvre à laquelle elles ont contribué avec tant de succès est bien digne d’admiration. Marie Rollet, Marguerite Lesage, Françoise et Marguerite Langlois, en demeurant dans la Nouvelle-France, ont fait preuve d’une énergie au-dessus du commun. C’étaient en réalité des héroïnes, ces femmes qui consentirent à s’habituer dans un pays où tout était à créer, où elles devaient supporter le froid si vif de nos interminables hivers, braver la famine et mille autres misères inhérentes à la vie du colon. Mais ce qui aurait dû, ce semble, les décourager, c’était le voisinage des Iroquois, de ces demi-démons qui avaient tant soif du sang français depuis que M. de Champlain avait combattu contre eux sur les bords du Richelieu et du lac auquel il a laissé son nom.

Mme Hébert fut témoin de plusieurs scènes de carnage. Plus d’une fois les Iroquois tentèrent de détruire la colonie naissante. La maison de Louis Hébert n’était plus en sûreté. Souvent il fallait la quitter en toute hâte pour chercher un refuge au fort. On veillait parfois des nuits entières pour n’être pas surpris par l’ennemi. En 1624, les Iroquois attaquèrent les sauvages alliés. Ils prirent le Père Poulain et le torturèrent avec une cruauté diabolique. Ils venaient de l’attacher au bûcher et d’y allumer le feu quand les Français arrivèrent à temps et obtinrent sa délivrance.

À quelque temps de là, les Iroquois tentèrent l’assaut du couvent des Récollets. Par un heureux hasard on venait de le terminer ; il servit de retranchement. Au premier signal donné, les Français arrivèrent. Le combat fut opiniâtre, mais la victoire resta aux colons. Les Iroquois assouvirent leur rage sur les prisonniers Hurons. Ils leur firent endurer les plus cruels tourments et les obligèrent même à manger leur propre chair. Mme Hébert et Marie-Guillemette, sa fille, assistèrent à cette bataille sanglante dans laquelle trois de leurs compatriotes perdirent la vie.

Plus tard la fille de Louis Hébert aimait à rappeler les circonstances de cette attaque où la protection de Dieu sur la colonie avait été si manifeste : « étant certaine, écrit le Père Leclerq, que si les Iroquois eussent connu leurs forces, ils auraient pu, sans difficulté, la désoler entièrement en l’absence de M. de Champlain. »

Cette fille de Louis Hébert se maria en 1621 à Guillaume Couillard, jeune colon originaire de Normandie, arrivé au Canada, en 1613. C’était un charpentier à l’emploi de la Compagnie[4]. Il ne tarda pas à se lier intimement avec Louis Hébert. Il aimait à lui rendre service, et, comme lui, à cultiver la terre. Bientôt il se prit d’affection pour les défrichements, et il fit connaître à Louis Hébert le désir qu’il caressait dès longtemps de se fixer près de lui d’une manière définitive en y établissant un nouveau foyer.

À cette époque on se mariait jeune et les fréquentations n’étaient pas longues. Heureux de rencontrer dans Guillaume Couillard un homme laborieux, honnête, et, au témoignage de Champlain, aimé de tout le monde, Louis Hébert consentit à lui donner, en mariage, sa seconde fille Marie-Guillemette.


guillaume couillard,
gendre de louis hébert.

Il y eut de grandes réjouissances dans la colonie à l’occasion de ce mariage qui fut célébré le 26 août 1621, dans la chapelle de l’Habitation, en présence de M. de Champlain, d’Eustache Boulé, et de tous les Français. Cette union fut heureuse. Par sa fille, Louis Hébert compte un nombre incalculable de descendants.

Ce mariage est le premier indiqué sur les registres de l’église paroissiale de Notre-Dame de Québec.



CHAPITRE VII


louis hébert, premier seigneur canadien. — le fief du sault-au-matelot et le fief lespinay. — mort de louis hébert. — son éloge.


Louis Hébert, premier défricheur canadien, est encore le premier seigneur. Pour lui fut inauguré le système féodal qui a rendu de grands services dans la colonisation de notre pays. En récompense de ses travaux, il reçut deux concessions seigneuriales. Il convenait que le roi de France reconnût ainsi ses mérites signalés.

Louis Hébert, en quittant la France, avait obtenu un terrain d’environ dix arpents en superficie. En présence de la mauvaise volonté des Associés de la Compagnie des Marchands, il craignit de se voir dépossédé un jour de ce domaine. Il s’adressa au duc de Montmorency pour obtenir des lettres patentes qui lui en garantissaient la possession.


Le 23 février 1623, le duc de Montmorency lui expédia des lettres de concession, lui octroyant cette partie de la haute-ville de Québec, sur laquelle s’élèvent la Basilique, le Séminaire, l’Université Laval, et qui comprend les rues Hébert et Couillard.

À la mort du duc de Montmorency, Louis Hébert résolut de faire confirmer cette concession importante. Il envoya au duc de Ventadour une supplique dans laquelle il rappelait les nombreux services qu’il avait rendus à la Nouvelle-France.

Louis Hébert déclarait qu’il avait entrepris, depuis plusieurs années, de longs et pénibles travaux, couru de nombreux dangers et dépensé une partie de sa fortune pour coopérer à la découverte du Canada et à la fondation de la colonie ; qu’il était le premier chef de famille, qui, avec ses enfants, depuis l’an 1600, habitait le pays ; qu’il avait vendu tous ses biens, à Paris, quitté ses parents et ses amis, pour donner commencement à une colonie et peuplade chrétienne, tels étaient les titres sur lesquels il basait son humble requête.

Le duc de Ventadour s’empressa de ratifier la première concession. Il accorda à Louis Hébert tout le terrain qu’il avait défriché, avec le droit d’en jouir en fief noble ainsi que ses descendants. Pensant que par cette concession les services de Louis Hébert n’étaient pas assez rémunérés, le ministre en ajouta une autre située sur les bords de la Rivière Saint-Charles. Elle comprenait une lieue de terre de front sur quatre lieues de profondeur. Ce fut le fief Lespinay qui resta dans la famille Couillard jusqu’à la quatrième génération.

Le titre de concession accordait à Louis Hébert la jouissance de ce domaine en fief noble, aux mêmes conditions de la première donation.

Il semble que la Providence aurait dû accorder à notre pionnier une longue vieillesse qui lui eût permis de jouir en paix des fruits de ses travaux. Il y avait dix ans qu’il était dans la colonie, il commençait à vivre plus à l’aise, ses champs fournissaient abondamment pour l’entretien de sa famille, et il était sur le point d’oublier ses fatigues, quand Dieu l’appela à lui. Les mérites de notre colon étaient assez grands pour lui valoir la récompense éternelle ; ou, en le retirant de ce monde, Dieu voulut lui épargner la vue des épreuves qui allaient bientôt fondre sur la Nouvelle-France.

Louis Hébert eut-il un pressentiment de sa mort prochaine ? Un jour qu’il était allé visiter les Pères Récollets, il exprima au supérieur le désir d’être enterré au pied de la grande croix de leur cimetière. Il avait choisi d’avance le lieu de sa sépulture.

Peu de temps après, vers la fin de janvier de l’année 1627, il fit une chute sur la glace et se blessa si grièvement que bientôt il n’y eut plus d’espoir de le ramener à la vie. La nouvelle de l’accident jeta l’émoi dans la colonie. Les sauvages accoururent auprès de celui qu’ils aimaient à appeler leur ami. Louis Hébert eut encore la force de leur adresser des paroles pleines de charité. Les Français eux-mêmes furent consternés ; il leur avait rendu à tous de si grands services. Il était si bon, si empressé envers eux ! Mme Hébert ne pouvait croire à l’étendue du malheur qui allait la frapper. Perdre son mari d’une manière si soudaine, et être si loin des siens ! Quoi ! elle resterait seule sur cette terre, privée de celui qu’elle aimait de toute son âme ! Elle avait consenti à le suivre en la Nouvelle-France pour travailler à ses côtés et le soutenir dans sa noble entreprise ! L’œuvre était à peine ébauchée et Dieu appelait à lui celui qui contribuait le plus après M. de Champlain dans cette fondation !

Une pensée pourtant jeta un peu de consolation dans son âme ; et comme elle admirait les vues de la Providence ! Hébert avait un excellent collaborateur en Guillaume Couillard, son gendre, qui promettait de rester près d’elle pour la consoler et veiller sur elle…

Louis Hébert supporta sa maladie en véritable chrétien. Les Récollets le visitèrent. Son confesseur, le Père Joseph Le Caron, lui apporta le Saint-Viatique et lui administra l’Extrême-Onction. Ces devoirs accomplis, il fit venir sa femme et ses enfants près de lui et il partagea en parts égales tous les biens qu’il avait plu à la Providence de lui donner. Il voulut encore que les fiefs du Sault-au-Matelot et Lespinay fussent divisés en deux parts égales entre son fils Guillaume et Marie-Guillemette, sa fille. Il attendit ensuite la mort avec calme. Sur le soir de cette journée fatale, en présence de tous les Français et de plusieurs sauvages, il dicta à sa femme et à ses enfants des recommandations qui arrachèrent des larmes à tous les auditeurs. Le pieux Frère Sagard les recueillit sur les lèvres du patriarche mourant. Les voici dans leur intégrité ; elles nous font voir les sentiments chrétiens qui animaient ce pionnier-apôtre.


« La mort du sieur Hébert fut une affliction pour tous, non seulement pour les Français mais encore pour les sauvages, car ils perdaient en lui un vrai père nourricier, un bon ami, et un homme aussi zélé pour leur conversion, comme il l’a toujours témoigné par ses actions jusqu’à sa mort, laquelle comme sa vie avait pieusement correspondu à celle d’un vrai chrétien sans fard ni artifice. Je ne peux être blâmé de dire le bien là où il est, et de déclarer la vertu de ce bon homme, pour servir d’exemple à ceux qui viendront après lui, puisqu’elle a éclaté devant tous, et a été en bonne odeur à tous. Si je n’en dis pas autant des vivants, c’est que personne ne peut être appelé saint qu’après le trépas, parce que l’on peut, jusqu’à la dernière heure, toujours déchoir de sa perfection, ou sortir du vice pour la vertu. Dieu voulant retirer ce saint personnage, et le récompenser des travaux qu’il avait soufferts pour Jésus-Christ, lui envoya une maladie dont il mourut. Mais, avant de mourir il reçut avec une piété touchante les sacrements de la sainte Église, du Père Joseph Le Caron, et disposa de ses affaires au grand contentement de tous les siens. Après quoi il fit approcher de son lit sa femme et ses enfants, auxquels il fit une courte exhortation sur la vanité de cette vie, sur les trésors du ciel, et sur le mérite que l’on acquiert devant Dieu, en travaillant pour le salut du prochain. Je meurs content, leur disait-il, puisqu’il a plu à Notre-Seigneur de me faire la grâce de voir mourir avant moi des sauvages convertis. J’ai passé les mers pour les venir secourir, plutôt que pour aucun intérêt particulier, et je mourrais volontiers pour leur conversion si tel était le bon plaisir de Dieu. Je vous supplie de les aimer comme je les ai aimés, et de les assister selon votre pouvoir. Dieu vous en saura gré et vous en récompensera en Paradis. Ce sont des créatures raisonnables comme nous, et elles peuvent aimer un même Dieu que nous, si elles en avaient la connaissance, à laquelle je vous supplie de les aider par vos exemples et vos prières. Je vous exhorte aussi à la paix, et à l’amour maternel et filial, que vous vous devez respectueusement les uns les autres, car en cela vous accomplirez la loi de Dieu, fondée sur la charité. Cette vie est de courte durée, et celle à venir est pour l’éternité ; je suis près d’aller devant mon Dieu, qui est mon juge, auquel je dois rendre compte de toute ma vie passée, priez-le pour moi, afin que je puisse trouver grâce devant sa face, et que je sois un jour du nombre de ses élus. »

« Puis, continue Sagard, levant la main, il leur donna à tous sa bénédiction, et rendit son âme entre les bras de son Créateur, le 25 janvier 1627, jour de la Conversion de saint Paul ».

Les funérailles de Louis Hébert furent très solennelles. Toute la population de Québec se fit un devoir d’y assister. Cette mort fut considérée comme un deuil public.

Louis Hébert fut inhumé dans le cimetière des Récollets, au pied de la grande croix, à l’endroit qu’il avait choisi lui-même peu de jours auparavant.

En 1670, un éboulis se produisit en ce lieu. Le cercueil, fait de bois de cèdre, et contenant les ossements du premier colon, fut exhumé, et transporté dans la chapelle des Récollets, par les soins du Père Valentin Le Roux, alors supérieur.

Cette translation fut encore marquée par une grande démonstration publique ; ce qui montre combien, à cette époque, un demi-siècle plus tard, le souvenir de cet homme de bien avait été conservé par les habitants de Québec. « Le corps de celui qui fut la tige des premiers habitants, écrit le Frère Sagard, est le premier dont les ossements reposent dans cette cave avec ceux du Frère Pacifique Duplessis. Mme Couillard, fille de Louis Hébert, voulut assister à cette translation et s’y fit transporter. »

Le Père Le Clerq appelle Louis Hébert : « l’Abraham de la colonie, le Père des vivants et des croyants, puisque sa postérité a été si nombreuse, qu’elle a produit quantité d’officiers de robe et d’épée, des marchands habiles pour le négoce, de très dignes ecclésiastiques, enfin un grand nombre de bons chrétiens dont plusieurs eurent à souffrir ou furent tués par les sauvages pour les intérêts de la colonie. »

« La mort de Louis Hébert, écrit à son tour M. l’abbé Ferland, fut une grande perte pour la colonie, car ce fut lui qui, après Champlain, avait pris la grande part à l’établissement de Québec et à l’avancement de la Nouvelle-France. »

« Parmi les promeneurs qui circulent à travers le parc Victoria aux accords harmonieux des concerts en plein air, durant nos belles soirées d’été, écrit M. Chapais, bien peu se doutent qu’ils foulent un sol historique et que la mémoire de Louis Hébert, le pionnier de la Nouvelle-France, de Jean Talon, le grand Intendant, et de Mgr de Saint Vallier, l’illustre évêque, plane au-dessus de ces allées et de ces parterres. »



CHAPITRE VIII


guillaume couillard, chef de la famille. — il continue ses travaux de culture. — il introduit au canada l’usage de la charrue. — la famine à québec. — les sauvages causent de grandes inquiétudes. — la colonie menacée par les anglais. — la famine.


À la mort de Louis Hébert, Guillaume Couillard devint chef de la famille. Depuis son mariage il avait partagé constamment les travaux de son beau-père. Couillard était passionné pour l’agriculture. Il s’appliqua avec courage au défrichement de ses terres. De tous les colons de Québec, Couillard fut le seul jusque-là avec Louis Hébert à tirer sa subsistance de la culture.

M. de Champlain prenait plaisir à cultiver un jardin près de l’Habitation ; les Récollets et les Jésuites avaient aussi commencé des défrichements, mais tous les autres colons, soit qu’ils en fussent encore empêchés, soit qu’ils préférassent la chasse à la culture, n’avaient pas même un pouce de terre défrichée. La Société des Marchands, d’après M. de Champlain, n’avait pas déserté un arpent et demi de terre. Ces hommes imprévoyants, nous l’avons dit plus haut, s’appliquaient à retirer des revenus de la chasse et de la traite des pelleteries sans vouloir se mettre en peine de fournir à leurs employés les provisions nécessaires à leur entretien.

Une si coupable imprévoyance devait être funeste. M. de Champlain, pour obvier à cet inconvénient, avait ouvert des défrichements sur la côte de Beaupré, près du Cap Tourmente. Il y avait fait construire une maison assez spacieuse pour loger une famille, et il en avait confié la garde à Pivert, qui y demeura avec sa femme et sa nièce.

Le 27 avril 1627, il se produisit à Québec un événement insignifiant en lui-même, mais fort important au point de vue du progrès de la culture au Canada. Pour la première fois depuis la fondation de la colonie la terre fut labourée à l’aide de la charrue. Jusque-là, Louis Hébert et Couillard s’étaient servis de la bêche pour bouleverser le sol. On peut juger de la somme de travail qu’il fallait accomplir pour ensemencer une dizaine d’arpents de terre. Cet événement marque donc une époque importante dans l’histoire de l’agriculture canadienne.

M. de Champlain, qui nous rapporte cet incident, ne nomme pas celui qui, le premier, imagina de venir ainsi en aide aux premiers agriculteurs de notre pays, mais il paraît hors de doute que ce fut Guillaume Couillard. Ce colon entreprenant possédait dans sa ferme des bestiaux, et, comme il avait une dizaine d’arpents de terre en valeur, il dut chercher le moyen d’accomplir plus d’ouvrage en moins de temps. M. de Champlain fut singulièrement réjoui par cette innovation, car, comme il le déclare dans ses mémoires, elle montrait à ceux qui auraient désormais le courage de se livrer à la culture, qu’ils pouvaient le faire avec tout autant de facilité que dans la mère-patrie.

Cependant durant de longues années encore peu de colons imitèrent la conduite de Guillaume Couillard. Cette incurie de tant d’hommes qui auraient pu employer leur temps d’une manière utile fut la cause de la perte de la Nouvelle-France.

Durant l’hiver de 1627, la famine commença à se faire sentir. Les vaisseaux envoyés par la Compagnie subirent des retards extraordinaires. Les vivres destinées au soutien des habitants étaient en grande partie consumés pendant la traversée. À l’arrivée des vaisseaux il ne restait presque rien pour Québec. Chez les sauvages la situation n’était pas plus encourageante. Leur récolte de blé d’Inde n’avait pas été considérable, et eux-mêmes venaient chercher des provisions au fort. Guillaume Couillard, grâce au produit de ses champs, fut heureux d’aider ses compatriotes si éprouvés, et il resta l’unique espoir de ces pauvres affamés. C’est à ce moment que l’on commença à comprendre que l’agriculture était la vraie source de richesse pour la colonie. À ces inquiétudes qui attristaient M. de Champlain, d’autres aussi fondées s’ajoutèrent bientôt. Les sauvages, ennemis des Français, ne craignaient plus de les attaquer sans raison. Ils rôdaient autour des établissements de Québec et jetaient la terreur partout. Deux Français furent tués près du Cap Tourmente ; l’un d’eux, appelé Magnan, était originaire de Lisieux. Les Iroquois menaçaient de se lever en masse pour anéantir la colonie qui se trouvait dans une situation précaire.

La fermeté de M. de Champlain sauva la Nouvelle-France. Poussés par la famine, les sauvages vinrent un jour demander des secours au fort. M. de Champlain reçut les envoyés avec bienveillance, mais il leur reprocha leur ingratitude, et les accusa d’avoir commis le meurtre des Français.

En témoignage de leur regret, les envoyés promirent de livrer l’assassin, puis ils offrirent au fondateur trois petites filles sauvages qu’il pourrait élever à l’Habitation s’il daignait les y recevoir.

M. de Champlain fit mettre au cachot le sauvage meurtrier, et accepta avec empressement les trois petites filles auxquelles il donna pour nom : Foi, Espérance et Charité.

Les premiers mois de l’année 1628 se passèrent tant bien que mal ; au mois de juin des canots arrivèrent de Tadoussac pour chercher des pois.

Afin de soulager la colonie de quelques bouches inutiles, M. de Champlain résolut d’envoyer une vingtaine de personnes à Gaspé, situé à cent-trente lieues de Québec. Parmi celles qu’on destinait pour le voyage se trouvaient deux familles de dix personnes « qui n’avaient poussé de terre pour se nourrir, étant entretenues des vivres du magasin. » M. de Champlain désirait les reconduire en France.

Mais il fallait entreprendre ce voyage dans une mauvaise barque, et l’on se trouvait sans brai, sans voile, sans cordage. M. de Champlain pria Couillard de réparer la barque et de la conduire à Gaspé. Couillard était bon matelot, charpentier et calfeutreur. Sa conduite courageuse lui avait gagné l’amitié de tous. M. de Champlain avait compté sur lui pour ce voyage.

Cette fois Couillard ne crut pas devoir se rendre à ce désir. Persuadé qu’il était inutile de s’exposer au danger d’un voyage si long, dans une telle embarcation, et craignant de tomber entre les mains des sauvages, il consentit à réparer la barque mais refusa de la conduire à Tadoussac.

Dix jours plus tard une flotte anglaise fut signalée au Cap Tourmente. C’étaient les frères Kertk, huguenots français, passés au service de l’Angleterre, qui arrivaient pour s’emparer de la colonie.

Bientôt l’on apprit que les Anglais avaient brûlé l’habitation du Cap Tourmente, tué le bétail et fait prisonniers trois hommes, Pivert, sa femme, et leur nièce. M. de Champlain, malgré sa détresse ne voulut rien négliger pour mettre la colonie sur un pied de défense.

Le 18 juillet David Kertk lui envoya une sommation pour l’obliger à rendre la place. À la réception de cette lettre, le fondateur de Québec réunit les principaux de l’Habitation et il répondit avec assurance : « Qu’il ne doutait pas de la commission que David Kertk avait obtenue du roi d’Angleterre, ni de la prise des sieurs Noirot et de la Tour qui apportaient des provisions… Plus il y a de vivres dans une place de guerre, dit-il, mieux elle se maintient… Il ajouta qu’il avait assez de grains et de blé d’Inde, de pois, de fèves, sans compter les produits du pays pour les nourrir ; bien plus qu’en se rendant dans la situation où ils se trouvaient les Français auraient mérité les reproches du roi et un châtiment de Dieu. Qu’il préférait mourir honorablement en combattant et qu’il attendait les Anglais de pied ferme… »

M. de Champlain, par cette réponse habile, déconcerta les Kertk. La vérité était qu’il n’y avait presque plus de provisions, ni poudre à canon, ni mèches pour allumer… M. de Champlain retarda la chute de la colonie. David Kertk crut plus prudent de laisser à la famine le soin de vaincre les habitants qui s’obstinaient à se défendre.

L’ennemi qui restait à combattre pour les pauvres colons de la Nouvelle-France était aussi terrible que les Anglais. La famine, en effet, se déclara plus affreuse que jamais. Malgré le soulagement que leur apporta Couillard en leur donnant une part de ses récoltes tous endurèrent les tourments de la faim. Le temps de la pêche aux anguilles arriva, mais les sauvages les vendaient à un prix très élevé ; ils exigeaient un beau castor pour dix anguilles. Les colons vendaient même leurs habits pour en avoir. À l’automne Couillard, qui restait comme l’unique espoir de ses compatriotes, ne put donner à chacun, par semaine, qu’une écuellée d’orge et de blé d’Inde pesant environ neuf onces et demie. « Ainsi, dit M. de Champlain, fallut-il passer la misère de ce temps où je pâtissais assez. »

Durant l’hiver les hommes furent employés à couper du bois de chauffage et à le traîner sur la neige plus de mille pas. Les sauvages donnèrent bien quelques cerfs, mais il n’y en eut pas assez pour tout le monde. Bien plus les chasseurs envoyés de l’Habitation furent encore moins généreux. Ils en tuèrent un très gras et très gros et ils se mirent à le dévorer comme des loups ravissants ; ils n’en apportèrent que vingt livres.

Pour comble de malheur la provision de légumes s’épuisait malgré l’économie qu’on en faisait : « Je pensais, dit M. de Champlain, qu’il valait mieux mourir tout doucement de la faim que de manger tout à la fois pour mourir ensuite. » Au mois de mai, c’était un spectacle lamentable de voir quelques familles chargées d’enfants, de les entendre, pressées par la faim, crier et demander du pain à leurs parents, qui ne pouvaient trouver assez de racines pour les rassasier ; à peine en trouvaient-ils assez pour apaiser la moitié de leur faim, même en s’enfonçant dans l’épaisseur des bois à quatre ou cinq lieues de l’Habitation, et souffrant encore de l’incommodité des moustiques et de celle du temps.

Au mois de juin, les pois manquèrent tout à fait. Champlain fut obligé de délivrer le prisonnier qu’il retenait depuis quatre mois n’ayant plus rien pour le nourrir. Le pauvre malheureux était si exténué qu’on fut obligé de le porter, il ne pouvait se soutenir.

Dans cette extrémité, pour soulager Québec, M. de Champlain envoya chez les sauvages trente personnes ; il n’en retint que treize au fort. Plusieurs demandaient à repasser en France et, dans leur impatience de partir, ils se seraient embarqués dans une vieille barque qui menaçait de faire eau de toutes parts. Il chargea ainsi Boulé, son beau-frère, de se rendre à Gaspé. Arrivés à Tadoussac vingt passagers débarquèrent à cet endroit, dix seulement voulurent courir les périls de la traversée.

Tous cependant attendaient la moisson avec bon courage. Les uns à l’exemple de M. de Champlain se mirent à semer des navets, tandis que les autres, au milieu des bois, allaient chercher des racines à six ou sept lieues avec une peine et des fatigues extrêmes

On aurait voulu pêcher, mais il n’y avait plus ni filets, ni hameçons. Pour comble d’infortune la poudre manquait. M. de Champlain préféra endurer la faim que de consumer à la chasse le peu qui lui restait. Au mois de juillet, dix-sept personnes revinrent à Québec avec les Pères de Brébeuf et Massé. Elles apportèrent quatre à cinq sacs de farine d’environ cinquante livres chacun. Ces sacs appartenaient à des particuliers, deux seulement furent vendus. Les Récollets en achetèrent un ; Dupont-Gravé acheta l’autre. M. de Champlain ne reçut pour sa pitance qu’une écuellée de farine.

Couillard avait sept arpents ensemencés et il assista les colons de son mieux : « quoiqu’on lui témoignât peu de reconnaissance et que lui-même, ainsi que ceux qui étaient au Fort avec lui, fussent des plus mal partagés. » Les Jésuites avaient ensemencé juste ce qu’il leur fallait pour leur entretien. Les Récollets avaient quatre arpents de terre en culture, et ils promirent de donner le surplus qui leur resterait aux habitants après avoir mis de côté leurs provisions pour l’année.

Que de souffrances la Compagnie des Marchands aurait épargnées aux pauvres colons, si elle leur eût permis de se livrer à la culture ! Il y avait plus de vingt ans que Québec était fondé et tout restait à faire. Les familles de Mme Hébert et de Couillard rendirent de précieux services à leurs compatriotes dans cette année de famine. Celles d’Abraham Martin, de Desportes, de Langlois et de Pivert, partagèrent les mêmes peines. Si chacune d’elles avait pu cultiver, la Nouvelle-France n’aurait pas subi de pareilles épreuves. Mais les grandes œuvres voulues de Dieu doivent, avant de prospérer, passer par le creuset des tribulations : la colonie fut fortement marquée du sceau divin. Ce ne fut qu’après vingt-trois ans de luttes et de souffrances qu’elle put enfin être établie sur des bases solides. La famille du premier colon canadien a essuyé toutes ces épreuves ; elle a assisté aux difficultés des commencements de la colonie ; elle a contribué pour sa part à la faire triompher des obstacles qui semblaient s’accroître au lieu de se dissiper.



CHAPITRE IX


les frères kertk somment M. de champlain de rendre la place. — la capitulation. — louis kertk engage les français à rester à québec. — Mme hébert et guillaume couillard consultent M. de champlain. — réponse de ce dernier. — les français s’embarquent pour tadoussac. — couillard adopte les petites filles sauvages de M. de champlain. — départ des français. — guillaume couillard revient à québec. — héroïsme de la famille hébert-couillard. — naissance d’élisabeth couillard.


La détresse était grande dans la Nouvelle-France. Les frères Kertk, profitant de cette circonstance, revinrent à Québec sommer M. de Champlain de se rendre. En voyant les ennemis le fondateur de Québec comprit que la résistance était inutile : les hommes étaient affaiblis, rendus à bout, par les privations ; ils ne pouvaient même songer à se défendre.

Avant de remettre la clef du fort aux mains des Anglais, M. de Champlain fit savoir au général qu’il désirait connaître les conditions de la capitulation. Louis Kertk se montra généreux. Il fut entendu que les habitants seraient traités avec honneur ; qu’ils sortiraient du fort avec leurs armes, leurs habits et leurs pelleteries. Que tous, religieux et laïques, seraient reconduits en France, sans excepter les deux petites filles sauvages que M. de Champlain avait adoptées ; que les prisonniers, entre autres Eustache Boulé, auraient le même sort ; que dans l’espace de trois jours une barque serait mise à la disposition des Français pour les conduire à Tadoussac où se trouvait un vaisseau sur lequel cent personnes pourraient prendre passage. Les conditions de la capitulation furent acceptées le 19 juillet 1629.

Les religieux obtinrent en plus la permission de célébrer la Messe ; des gardes furent postés près du couvent des Jésuites, celui des Récollets, et la maison de Couillard. Louis Kertk remit à M. de Champlain un mémoire détaillé de tous les objets qui se trouvaient au fort ; « ce qu’il m’accorda avec toutes sortes d’affections, écrit M. de Champlain. » C’en était fait ! L’imprévoyance des Associés des Marchands et leur sotte cupidité avaient causé la ruine de la Nouvelle-France. Tous les travaux que le fondateur avait accomplis étaient perdus. Les Anglais ruinaient encore une fois ses plus chères espérances.

Guillaume Couillard et Mme Hébert ne pouvaient taire leur chagrin. Il leur fallait perdre le fruit de leurs travaux. C’était leur ruine et celle de leur famille. Il leur restait cependant un espoir : Louis Kertk les engageait à rester sur leurs terres, leur accordant la liberté de faire la moisson et d’en disposer à leur gré, soit en lui vendant le surplus, soit en le trafiquant aux sauvages. Il leur promit qu’après un an s’ils préféraient retourner en France ils en auraient toute permission et qu’on leur achèterait chaque castor au prix de quatre livres payables à Londres.

Couillard et sa belle-mère ne pouvaient se résoudre à accepter cette proposition, tout avantageuse qu’elle parût, sans consulter M. de Champlain sur le parti qu’ils avaient à prendre. En restant au pays, ils ne pouvaient attendre aucun secours spirituel : les religieux s’embarquaient pour la France ; en quittant leurs terres ils perdaient le fruit de douze années de labeurs incessants.

M. de Champlain, homme de piété exemplaire, leur répondit que le bien des âmes passant avant le bien des corps, il leur conseillait de retourner en France, où ils pourraient plus facilement recevoir les sacrements et les secours de la religion ; ce qu’ils ne devaient point espérer en Canada, où il n’y aurait plus ni prêtres, ni exercices du culte catholique tant que les Anglais en seraient les maîtres. « Mais il ajouta : que, s’il était à leur place, il ferait d’abord la cueillette des grains pour les traiter aux sauvages et qu’ensuite il repasserait en France. »

M. de Champlain avait bien une arrière-pensée en donnant le dernier avis : il partait avec peine, et il espérait qu’en abandonnant quelques Français dans la colonie, il lui serait plus facile, plus tard, d’y revenir. « Ils me remercièrent, dit M. de Champlain, du conseil que je leur donnai, disant qu’ils le suivraient, espérant néanmoins nous revoir la prochaine année avec l’aide de Dieu. »

Le 24 juillet tous les Français s’embarquèrent sur le navire anglais pour Tadoussac. Durant le voyage la flotte de Thomas Kertk rencontra le navire de Émery de Caën, qui se rendait à Québec mais trop tard pour le secourir. Après quelques heures de combat de Caën dut abaisser son pavillon et il demeura prisonnier avec son équipage. Un nommé Jacques Couillard de Lespinay, lieutenant de navire, se trouvait à bord. D’après M. Sulte il devait être parent de Guillaume Couillard, dont la postérité a porté le nom de Lespinay.

Les quelques jours passés à Tadoussac parurent bien longs à M. de Champlain. Mais ce qui lui causa une peine sensible, ce fut de ne pouvoir emmener avec lui ses deux protégées Espérance et Charité. La troisième, appelée Foi, était retournée dans sa nation. Un nommé Marsolet, interprète chez les sauvages, fut cause que David Kertk révoqua la permission que Louis, son frère, avait donnée lors de la capitulation de Québec. Il prétendait que les sauvages se montraient mécontents de leur départ et qu’ils feraient un mauvais parti aux Anglais. Ni les remontrances de M. Champlain, ni les supplications de ces pauvres enfants ne purent toucher David Kertk.

M. de Champlain écrivit une longue lettre au général pour l’engager à permettre leur départ, puis il ajoutait : « et Couillard vous dit aussi, Monsieur, nous avons autant d’intérêt que personne à cause de ma femme et de mes enfants ; que s’il y avait quelque risque, je vous le dirais librement ; qu’au contraire les sauvages m’ont dit qu’ils en étaient bien aises et qu’elles étaient bien données. Tout ceci, conclut M. de Champlain est un témoignage suffisant, auquel vous devez ajouter foi. »

Voyant que tout était inutile, ces pauvres filles durent se résigner à laisser partir M. de Champlain ; mais elles firent éclater leur colère contre le perfide interprète qui demeura fort étonné de la vérité des discours d’une fille de douze ans.

Pendant ce temps-là, le moment de s’embarquer arriva pour nos Français. Couillard s’était rendu lui-même à Tadoussac pour assister au départ du vaisseau.

M. de Champlain donna son chapelet à l’une de ses protégées ; son beau-frère, Boulé, donna le sien à l’autre ; « car il ne fallait rien donner à l’une sans que l’autre n’en eût autant. » Puis, s’adressant à Guillaume Couillard, M. de Champlain le pria de les conduire dans sa maison et de les y garder jusqu’à son retour et de les traiter doucement, que c’était un grand acte de charité que Dieu saurait récompenser. Ajoutant qu’elles pourraient lui être utiles dans sa maison et que s’il lui faisait un tel plaisir il saurait le reconnaître.


les adieux de guillaume couillard aux français en 1629.

Guillaume Couillard, touché de cette marque de confiance, répondit à M. de Champlain : « Assurez-vous, Monsieur, que tant qu’elles auront la volonté de demeurer avec moi, j’en aurai du soin comme si c’était mes enfants. » Comme il disait cela en leur présence, les petites filles lui firent une révérence, et elles le remercièrent en ces termes : « Nous ne t’abandonnerons pas non plus que notre père en l’absence de M. de Champlain : ce qui nous donnera de la consolation et nous fera patienter, c’est que nous espérons le retour des Français, et s’il eût fallu, en arrivant à Québec, retourner vers les sauvages, nous fussions mortes de déplaisir et néanmoins nous étions résolues, ma compagne et moi, d’y demeurer plutôt qu’avec les Anglais. »

Cette scène touchante arracha des larmes à tous les assistants. Couillard reçut ensuite les adieux de M. de Champlain et des Français en partance. Bientôt l’ancre fut levée ; le navire lentement s’éloigna du rivage et gagna la haute mer. Couillard se tint longtemps sur la grève suivant des yeux ses chers compatriotes qui retournaient en France. Puis, ayant envoyé un dernier adieu au navire qui disparaissait dans le lointain, il revint à Québec avec ses protégées rejoindre les siens qui l’attendaient avec anxiété.

Les membres de cette première famille étaient les seuls colons que la France laissait sur le rocher de Québec comme gardiens de la Nouvelle-France. « Seule, écrit M. Bourassa, la veuve Hébert demeura avec son gendre Couillard et quelques ouvriers pilotes ou interprètes, restés pour la plupart au service des Kertk et dont quelques-uns n’étaient que des transfuges huguenots ; elle demeura sur les dix arpents de terre que son mari avait fait fructifier de son travail, arrosés de ses sueurs, sur lesquels il avait fondé le repos de ses vieux jours, l’avenir de sa famille, la perpétuité de sa postérité. Qu’importe si les motifs de sa stabilité étaient intéressés : l’histoire dit qu’elle voulait recueillir les fruits de la semence déposée le printemps dans son petit domaine ? Mais ne cédait-elle pas non plus au cri de ses entrailles ? Son principal, ou plutôt, son unique intérêt ne reposait-il pas aux sources les plus pures et les plus généreuses de son cœur de femme ? Il y avait là, le pain de ses enfants, et les fruits de tant de sacrifices ! Il y avait là, un foyer d’amour, un toit paternel, un sanctuaire de tous les souvenirs bénis de la famille ! Car c’est là qu’avait été consacré le premier mariage et bénie la première naissance, et le tombeau de sa fille Anne, et de son époux, Louis Hébert ; non, cette pauvre veuve, en regardant s’éloigner la France aimée, dans son délaissement volontaire, nous donnait un exemple sublime que nous aurions à suivre plus tard, et nous révélait, en le résumant tout entier dans sa personne, le mystère de la survivance providentielle des nations sur le sol qu’elles ont baptisé de leurs sueurs et rendu productif et bienfaisant. En semant son maïs et son froment, la veuve Hébert avait planté les germes de sa patrie nouvelle, elle avait contracté un pacte et une union avec cette terre dont elle avait fécondé le sein, elle voulait y rester fixée, malgré son aversion pour les Anglais, malgré la mauvaise fortune de la France. »

Qu’il est admirable le courage de cette famille canadienne, résolue à faire tous les sacrifices pour demeurer dans la Nouvelle-France ! Notre histoire nationale est remplie d’épisodes sublimes ; mais nulle part ailleurs se peut trouver héroïsme plus grand ! Couillard et les siens voulurent rester sur le rocher de Québec comme les gardiens du domaine que la France devait réclamer plus tard.

Deux autres Français demeurèrent dans la colonie. Ils avaient été envoyés par Émery de Caën et comme ils ignoraient ce qui venait d’arriver, ils se rendirent chez Couillard pour avoir des nouvelles. Ce dernier, en les voyant leur demanda ce qu’ils étaient venus faire ? Nous sommes venus, dirent-ils, de la part du Sieur Émery de Caën, voir si l’Habitation est prise. Hélas ! leur dit Couillard, que vous êtes simples et peu avisés, ne le voyez-vous pas ? fallait-il venir ici pour vous faire prendre ? que dira-t-on, sachant par les sauvages que vous êtes venus ici et que je ne le dise ? Il y va de ma vie, et de toute la ruine de ma famille ; il faut de toute nécessité si je veux me conserver, que je dise que vous êtes venus ici pour voir si M. de Champlain y était, et comment tout allait. Allons voir le capitaine Louis ; il est galant homme, il ne vous fera point de tort. »

Accompagné de ces deux hommes, Couillard se rendit au fort où il rencontra Louis Kertk qui, après les avoir réprimandés, les retint pour les mettre à l’ouvrage.

Pendant ce temps-là, les colons faisaient voile vers la France ; mais M. de Champlain se proposait de revenir au Canada, pour y continuer son œuvre.

Le 9 février 1631, Mme Guillaume Couillard mit au monde une fille, qui fut appelée Élisabeth. Elle fut baptisée par un Anglais, probablement le ministre, car tous les religieux étaient retournés en France. Elle eut pour parrain Louis Kertk et pour marraine, la femme d’Adrien Duchesne, chirurgien. Les cérémonies du baptême lui furent suppléées en 1633 par le Père de Brébeuf, jésuite.



CHAPITRE X


guillaume couillard et Mme hébert sont maltraités par les anglais. — ils désirent retourner en france. — leur requête est rejetée. — longue attente. — retour des français. — joie de la famille couillard. — la sainte messe est célébrée dans la maison du premier colon. — relation du père le jeune.


Combien fut longue pour Guillaume Couillard et sa famille, l’absence des Français ! Abandonnés sur nos bords au milieu des bois, obligés de vivre avec des gens sans religion, qui leur faisaient endurer toutes sortes de mauvais traitements, que de fois ils regrettèrent la détermination qu’ils avaient prise de rester dans la Nouvelle-France.

Les Anglais, sans aucun scrupule, tuaient leur bétail, pillaient leur terre, donnaient de l’eau-de-vie aux indigènes, qui commettaient alors des vols et des dégâts. Ceux qui avaient pris l’habitude de venir à la maison de Couillard où Mme Hébert leur enseignait le catéchisme, ne venaient plus que rarement à cause des tracasseries dont ils étaient victimes.

Mais ce qui accrut les peines de l’exil ce fut l’absence de prêtres et la privation de tout secours religieux. Cette famille priait avec ferveur ; elle demandait à leur Dieu de leur envoyer les Français qui seuls pouvaient lui gagner les pauvres sauvages.

Que de fois, Mme Hébert, de la fenêtre de sa maison, qui donnait sur le fleuve, jetait des regards anxieux, cherchant à découvrir quelque navire ami ! Mais rien n’apparaissait à l’horizon. Les jours s’écoulaient, les semaines, les mois se succédaient, et nos chers ancêtres ne voyaient pas venir le drapeau de la mère-patrie !

Trois longues années s’écoulèrent ainsi. Combien ardente leur prière montait vers le ciel ! À la fin, désespérant de voir le retour de M. de Champlain, ils demandèrent au général de les reconduire en France. Mais Kertk avait besoin d’eux ; il ne voulut pas se rappeler les engagements qu’il avait contractés envers eux lors de la capitulation. Il leur fallut se résigner et attendre.

Enfin ! un jour un navire fut signalé près de l’Île d’Orléans ; était-ce la France qui approchait ? Chacun se demandait s’il était le jouet d’un rêve ; on ne pouvait croire à tant de bonheur ! Quelle émotion durant ces heures d’attente ! C’était bien la France qui venait à leur secours ! leur cœur ne les avait pas trompés, car ils apercevaient le drapeau blanc qui claquait gaiement au souffle de la brise. La France ! La France ! ce cri dut être répété bien des fois par nos chers ancêtres. Oui, c’était elle, qui revenait sur les bords du Saint-Laurent ; elle allait cette fois reprendre les travaux qu’elle avait à peine ébauchés depuis un quart de siècle ; et elle devait établir sur nos rives une colonie puissante qui aurait été le plus beau fleuron de sa couronne si elle eût su le défendre contre l’ennemi, un siècle et demi plus tard.

La joie de Couillard et des siens est plus facile à imaginer qu’à décrire. Avec quelle hâte le navire fut attendu sur la grève ! Dieu seul le sait ! Toute la famille se rendit au-devant des Français pour leur souhaiter la bienvenue. Ce fut au milieu des larmes que furent échangées les poignées de mains.

Pour récompenser la fidélité de la première famille canadienne, la Providence permit que le premier sacrifice de la messe fût offert dans sa maison.

Nous laissons au Père Le Jeune le soin de nous rappeler cette scène si émouvante de notre histoire. « Nous allâmes célébrer la Sainte Messe dans la maison la plus ancienne de ce pays-ci, c’est la maison de Mme Hébert, qui s’est habituée près du fort, du vivant de son mari ; elle a une belle famille, sa fille est ici mariée à un honnête Français. Dieu les bénit tous les jours, il leur a donné de très beaux enfants. Leur bétail est en très bon point ; c’est l’unique famille française habituée au Canada.

« Ils cherchaient les moyens de passer en France mais ayant appris que les Français retourneraient à Québec, ils commencèrent à revivre. Quand ils virent arriver ces pavillons blancs sur les mâts de nos vaisseaux ils ne savaient à qui dire leur contentement, mais quand ils nous virent, dans leur maison, pour y dire la Sainte Messe, qu’ils n’avaient point entendue depuis trois ans, bon Dieu ! quelle joie ! les larmes tombaient des yeux quasi de tous, de l’extrême contentement qu’ils en avaient. Oh ! que nous chantâmes de bon cœur le Te Deum ! C’était juste le jour de la fête de saint Pierre et de saint Paul. Le Te Deum chanté, j’offris à Dieu le premier sacrifice à Québec. Dieu sait si les Français furent heureux de voir déloger les Anglais, qui ont fait tant de maux à ces misérables contrées, et qui sont cause que les sauvages ne sont point baptisés. »

L’abbé Ferland, parlant de ce colons, s’exprime ainsi : « Leur satisfaction fut complète quand ils purent assister au saint sacrifice de la messe, qui fut célébré dans la demeure de la famille Hébert. Depuis le départ de Champlain, ils avaient été privés de ce bonheur et, pour cause de religion, ils avaient été maltraités par leurs compatriotes huguenots passés au service de l’Angleterre. Ces bons catholiques étaient tellement affligés de ne pouvoir obtenir les secours de la religion qu’ils s’étaient décidés à abandonner leur maison et leurs terres pour se retirer dans la mère-patrie. Dieu vint à leur aide en rendant le Canada à la France, et en permettant ainsi que les missionnaires puissent reprendre leurs travaux. »


la sainte messe célébrée dans la maison de Mme hébert en 1632.

Oui, la France était revenue sur le rocher de Québec ! Quel bonheur pour ces pauvres exilés, et surtout quel honneur que de recevoir dans leur humble demeure les représentants de Dieu ! Mais ne méritaient-ils pas une attention toute particulière de la divine Bonté, ces pauvres colons qui, depuis si longtemps, avaient été privés des secours de la religion ?

« Aussi, dit M. Bourassa, lorsque la France vint reprendre possession de son domaine, rendu par l’Angleterre, ce fut sous le toit de la veuve Hébert qu’elle chanta son Te Deum, et offrit à Dieu son sacrifice d’action de grâces, il n’y en avait pas d’autre resté intact au Canada, et certainement qu’on n’en aurait pas trouvé de plus digne d’un pareil honneur. Car, c’est sous ce seul et humble chaume qu’avait survécu la parole, la foi, l’espérance de la France-mère, qu’avait palpité son amour, qu’avait reposé comme une immortelle relique, le germe déjà indestructible de la Nouvelle-France. Le roi récompensa plus tard ce courage viril : il créa un fief en faveur de Couillard, gendre de la veuve Hébert, et lui conféra le titre et les privilèges du seigneur. Et Dieu fit sortir de ce berceau des Hébert, une légion d’hommes forts et vertueux qui allèrent propager et implanter, sur toutes les rives du Saint-Laurent, ce nom et les traditions de bien et d’honneur puisées au sein de leur première mère. »



CHAPITRE XI


zèle de la famille de louis hébert pour la conversion des sauvages. — les premiers baptêmes à québec. — un mot des enfants de guillaume couillard et de marie-guillemette hébert.


Dès son arrivée dans la Nouvelle-France, Louis Hébert montra un zèle admirable pour procurer aux indigènes la grâce du baptême. Les lignes élogieuses que lui a consacrées le Frère Sagard l’attestent assez ; et les conseils qu’il adressa à ses enfants sur son lit de mort, nous font voir les sentiments chrétiens qui faisaient battre le cœur de ce vaillant pionnier. Ces recommandations dictées par la charité, portèrent d’heureux fruits dans le cœur si bien disposé de ses enfants. Tous furent fidèles aux promesses qu’ils avaient faites au patriarche mourant.

Les Relations des Jésuites, qui nous racontent les commencements bien humbles de la colonie, nous montrent que la première famille canadienne eut un zèle sans bornes pour instruire les enfants de nos grands bois, des vérités de la foi. Son œuvre si sublime n’est pas assez mise en lumière ; nous devons la mieux faire connaître afin qu’elle serve d’exemple à la génération présente.

En l’année 1627, nous trouvons tous les membres de la famille assistant au baptême d’un petit sauvage qui avait été sous les soins de Mme Hébert. Le Frère Sagard nous apprend que depuis longtemps il était tourmenté par le démon. Ses crises étaient affreuses. Mme Hébert et les Récollets l’avaient préparé pour lui faire recevoir le saint baptême. Au sortir d’une attaque plus forte que les précédentes, les Pères résolurent de le baptiser. La cérémonie donna lieu à une solennité extraordinaire.

Le Père Lallemand, Jésuite, célébra la Sainte Messe durant laquelle le Père Joseph Le Caron, Récollet, donna le sermon. Après la messe, le néophyte, tout de blanc habillé, se présenta à la porte de l’église. En présence de tout le monde, il répondit avec assurance aux questions exigées par le Rituel Romain. Comme il persévérait dans la résolution de recevoir le baptême, il fut introduit dans l’église, et le Père le baptisa. M. de Champlain fut parrain, Mme Hébert fut toute heureuse d’en être la marraine. La plupart des Français tinrent à honneur d’assister à cette cérémonie. Lorsque le Te Deum fut entonné, les canons du fort annoncèrent aux deux rives du Saint-Laurent que l’Église comptait dans son sein un enfant de plus.

Après la cérémonie, les Pères, le chef sauvage et le nouveau baptisé prirent le dîner avec M. de Champlain au fort. Le capitaine Montagnais et les autres sauvages se rendirent à la maison de Mme Hébert. Elle avait préparé pour le festin cinquante-six outardes, trente canards, vingt sarcelles, des viandes en quantité, deux barils de pois, un baril de galettes, quinze à vingt livres de pruneaux, et du blé d’Inde. Guillaume Couillard et Pierre Magnan, qui fut plus tard tué par les Iroquois, firent les honneurs du repas. Sur le soir les sauvages se retirèrent dans leurs cabanes, contents de leur journée et emportant avec eux les restes de ce colossal festin.

Au mois de mai de la même année, Mme Hébert voulut encore être la marraine d’un autre sauvage de dix-huit à vingt ans. Le baptême eut lieu le jour de la Pentecôte. Au nouveau baptisé on donna le nom de Louis. M. de Champlain fut le parrain. Comme pour le précédent baptême, il y eut des salves d’artillerie, festin, et le nouveau chrétien prit le dîner en compagnie de son charitable parrain.

Pendant la longue absence des Français qui dura de 1629 à 1632, Mme Hébert et sa famille eurent plusieurs fois l’occasion d’exercer leur charité envers les sauvages. En dépit des mauvais traitements auxquels ils étaient exposés, ils venaient de temps en temps dans la maison toujours hospitalière de Mme Hébert et ils recevaient des leçons de catéchisme et des secours dont ils avaient besoin.

Le Père Le Jeune, dans la Relation de 1632, raconte ainsi le second baptême administré à Québec, après le retour des Français : « Le second sauvage baptisé, écrit-il, a été notre Manitougatche, autrement appelé La Nasse. Il s’était habitué près de nous avant la prise de Québec ; il commençait à défricher et à cultiver la terre, mais les mauvais traitements qu’il reçut de la part des Anglais l’avaient éloigné. Cependant, il revenait voir Mme Hébert qui restait ici avec toute sa famille et lui témoignait son désir de nous voir revenir. Aussitôt qu’il nous vit arriver il vint et fixa sa cabane tout près de notre maison. »

La Nasse fut toujours l’ami des Français. En 1629, il annonça à Québec l’arrivée des Anglais à Tadoussac.

Le troisième baptême fut administré en 1632. La Relation le mentionne ainsi : « Demain, écrit le Père, je dois baptiser un petit enfant Iroquois qu’on doit porter en France pour ne jamais plus retourner en ce pays-ci. On l’a donné à un Français, qui en a fait présent à M. de La Ralde ». Mme Couillard, fille de Mme Hébert, fut sa marraine et Émery de Caën, son parrain. Comme il fut baptisé le jour de la fête de saint Louis, on lui donna le nom de Louis.

« Ce pauvre petit, écrit le Père, n’a que quatre ans ; il pleurait avant le baptême, je ne pouvais le tenir. Si tôt que j’eus commencé les cérémonies, il ne dit plus un mot ; il me regardait attentivement et faisait tout ce que je lui disais de faire. Je crois qu’il fut Iroquois ; mais j’ai appris qu’il est de la nation du feu. Son père et sa mère furent pris et brûlés par les Algonquins, qui le donnèrent aux Anglais ; ceux-ci le donnèrent aux Français. »

La sympathie de Mme Hébert ne se limitait pas aux pauvres sauvages, mais elle s’étendait encore à d’autres déshérités de la terre.

En 1632, outre les petits sauvages dont nous venons de parler, se trouvait dans sa maison un petit nègre auquel elle enseignait les vérités de la foi. C’est encore la Relation de 1632, qui rapporte ce fait.

« Je suis devenu régent, écrit le Père Le Jeune, j’avais l’autre jour à mes côtés un petit nègre et un petit sauvage auxquels j’apprenais l’alphabet. Ce petit nègre a été laissé à cette famille de Français qui est ici. Nous l’avons pris pour l’instruire ; mais il n’entend pas bien la langue.

» Un jour, sa maîtresse (Mme Hébert) lui demanda s’il voulait être baptisé, ajoutant que, s’il le voulait, il deviendrait comme nous. Il répondit qu’il le voulait bien ; mais, ajouta-t-il, ne m’écorchera-t-on pas en me baptisant ?

» Comme il vit que l’on se riait de sa demande, il repartit : « Vous dites que par le baptême je serai comme vous, je suis noir et vous êtes blancs, il faudra donc m’ôter la peau pour que je devienne comme vous. »

» Là-dessus on se mit à rire, et lui, voyant qu’il s’était trompé, se mit à rire comme nous. Quand je lui dis de reprendre sa couverture, et de s’en retourner chez son maître jusqu’à ce qu’il entendît bien la langue, il se mit à pleurer ; il ne voulut jamais reprendre sa couverture. Sa maîtresse lui ayant demandé pourquoi il ne l’avait pas reprise, il répondit : Viens ! Baptisé, toi ; et moy point baptisé, moy point baptisé, point retourné, point couverture. Il voulait dire que nous lui avions promis le baptême, et qu’il ne voulait point retourner dans son pays sans l’avoir reçu ; ce sera dans quelque temps s’il plaît à Dieu. »

Les désirs du cher néophyte furent bientôt réalisés. Le 14 mai 1633, la cérémonie eut lieu avec grande solennité. « Je baptisai, ce jour, écrit le Père Le Jeune, le petit nègre dont je fis mention l’an passé. Quelques Anglais l’avaient amené de l’Île de Madagascar, puis le donnèrent aux Kertk. Un de ceux-ci le vendit cinquante écus à un nommé le Bailly, qui en a fait présent à cette honneste famille qui est icy.

» Cet enfant est si content que rien plus ; il m’a encore bien récréé en l’instruisant. Un jour, voulant reconnaître si les habitants de son pays étaient mahométans ou païens, je lui demandai s’il n’y avait point de maison où l’on priait Dieu ; c’est-à-dire, s’il n’y avait point de mosquée ?

» Il y a, dit-il, des mosquées en notre pays. — Sont-elles grandes, lui dis-je ? Elles sont, dit-il, comme celles de ce pays-ci. — Mais, lui dis-je, il n’y en a point en France, ni en Canada ! — J’en ai vu, dit-il, entre les mains des Français et des Anglais, qui en ont emporté dans notre pays et maintenant on s’en sert pour tirer. »

« Je reconnus qu’il voulait dire mousquet et non mosquée. Je souris, et lui aussi ; il est grandement naïf et fort attentif à la messe et au sermon.

» C’est le quatrième enfant que je baptise, car Dieu ayant donné à Mme Couillard un petit enfant, je lui ai administré ce sacrement, ce que j’avais déjà fait à deux petits sauvages. »

Guillaume Couillard eut une belle famille de dix enfants. Voici leurs noms et la date de leur baptême.

Louise Couillard fut baptisée, le 30 janvier 1625 ; elle eut pour parrain le sieur Émery de Caēn ; pour marraine, Mme Hébert ; le Père Le Caron fit la cérémonie.

Marguerite, baptisée le 10 août 1626, fut tenue sur les fonts baptismaux par M. de Champlain, et Marguerite Langlois, épouse du Sieur Abraham Martin. Le Père Charles Lallemand fit ce baptême.

Louis fut baptisé par le Père Joseph Le Caron, le 18 mai 1629. Son parrain fut Guillaume Hubou et sa marraine Marie-Françoise Langlois, épouse de Pierre Desportes.

Élisabeth, née le 9 février 1631.

Marie, baptisée le 28 février 1633 ; son parrain fut Guillaume Duplessis-Bochart ; sa marraine, Marguerite Langlois.

Guillaume, baptisé le 16 janvier 1635, eut pour parrain le Sieur Robert Giffard, seigneur de Beauport, médecin ; pour marraine Hélène Desportes.

Madeleine, baptisée le 9 août 1639, fut tenue sur les fonts baptismaux par noble Pierre Le Gardeur de Repentigny et par Dame Marie-Madeleine de Chauvigny de la Peltrie, fondatrice des Dames Ursulines, de Québec.

Nicolas fut baptisé le 6 avril 1641, Nicolas Marsolet, sieur Saint-Aignan, fut son parrain ; Jacqueline Potel, épouse du sieur Jean Bourdon, Procureur-général et Ingénieur-en-chef, sa marraine.

Charles, né le 10 mai 1647, eut pour parrain Messire Charles Huault, sieur de Montmagny, chevalier, gouverneur de la Nouvelle-France ; pour marraine, Delle Marie-Madeleine Le Gardeur de Repentigny.

Gertrude fut baptisée le 21 septembre 1648.

Les enfants de Guillaume Couillard s’allièrent aux meilleures familles de la Nouvelle-France.



CHAPITRE XII


le séminaire sauvage. — deux interprètes célèbres. — olivier le tardif et jean nicolet contribuent à cette œuvre chrétienne. — services qu’ils ont rendus à la colonie. — mort héroïque de nicolet.


Les succès remportés par Mme Hébert dans l’éducation des enfants sauvages furent un encouragement pour les missionnaires qui rencontraient des difficultés de diverses natures dans leur œuvre d’apostolat.

Les sauvages de Québec et des environs parvenaient à se faire entendre et même à comprendre la langue française ; mais pour ceux qui vivaient au loin et qu’il fallait évangéliser pourtant il devenait nécessaire d’avoir recours aux interprètes.

Pour remplir cette mission, on choisissait des jeunes gens honnêtes et d’une piété exemplaire. Ces interprètes étaient envoyés au milieu des sauvages ; ils en apprenaient la langue. Toujours en contact avec eux, vivant de leur vie vagabonde, partageant leurs courses et leurs fatigues, les interprètes, en peu de temps, devenaient maîtres des langues sauvages et ils pouvaient être d’un secours précieux pour les missionnaires.

Parmi les plus remarquables de cette époque sont Le Tardif et Jean Nicolet qui furent alliés à la famille Couillard. Nous devons les faire connaître ici, car ils ont contribué à la fondation du premier séminaire sauvage inauguré à Québec par Mme Hébert.

Olivier Le Tardif, appelé par les Relations, M. Olivier, naquit à Honfleur. Tout jeune encore, il accompagna à Québec, M. de Champlain dont il s’attira la confiance et l’amitié.

En l’année 1623, on l’envoya chez les Montagnais et les Hurons.

De 1626 à 1629, il vécut à Québec où il fut tour à tour interprète et commis de la Compagnie des Marchands. C’est lui qui remit les clefs du magasin entre les mains des Kertk lors de la prise de Québec, en 1629.

Le 3 novembre 1637, il épousa Louise, fille de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert.

À quelque temps de là, il voulut être le parrain de deux sauvages et d’une autre jeune fille indienne qu’il eut le bonheur de baptiser lui-même en l’absence des missionnaires.

Pour donner l’exemple de la charité, il confia à Mme Hébert une petite fille des bois et il payait lui-même sa pension ; elle s’appelait Marie-Olivier-Silvestre Manitouabewich ; elle se maria dans la suite à Martin Provost.

Mme Hébert, toujours dévouée, accepta la tâche que les missionnaires voulurent lui confier. Elle se chargea volontiers de les nourrir, de les vêtir et de leur inculquer les premiers éléments de la propreté, ce qui était inconnu chez les sauvages.

« Grâce au concours de M. de Montmagny et au zèle de M. Nicolet, dit la Relation, on parvint à faire consentir quelques Hurons venus à Québec pour la retraite, à y laisser six enfants… ce qui me semble un coup de Dieu.

» Ces petites filles, nourries et habillées à la façon des chrétiennes, sont mariées à quelques Français ou à quelques sauvages convertis. Tout consistera à les nourrir et à les doter, ce qui, je crois, ne leur manquera pas : Dieu est trop bon et trop puissant. Ces enfants sont nourris chez la veuve Hébert, dont l’époux (en secondes noces), le sieur Hubou, en a une à lui, qu’il nourrit et entretient.

» Le sieur Olivier Le Tardif, dans la même maison, en entretient une autre que les sauvages lui ont donnée ; il paye sa pension comme nous faisons pour les autres qui sont au logis. »

À ces petites filles d’autres se joignirent bientôt. Il fallut songer plus tard à trouver un local plus convenable pour les y rassembler. La chapelle des Jésuites fut adaptée à cette fin ; et les protégées de M. Hébert s’y rendaient pour recevoir les leçons du Père Le Jeune.

Voici la description de ce séminaire. L’hiver était la saison choisie pour instruire les enfants tant français que sauvages. Tous montraient le plus grand empressement pour assister à la classe malgré l’inclémence de la température. Quelques-uns, à moitié vêtus, devaient parcourir plus d’un quart de lieue pour s’y rendre.

À la chapelle, le Père faisait placer les garçons d’un côté et les filles de l’autre, ayant soin que les petites filles sauvages fussent auprès des petites françaises et les petits sauvages auprès des français : « afin d’apprendre plus facilement aux petits barbares à joindre les mains, à se mettre à genoux, à faire le signe de la croix et la révérence, en voyant faire ces actions aux petits français et aux petites françaises. »

Les classes s’ouvraient par le signe de la croix, la récitation de l’Oraison Dominicale, qui était suivie du Symbole des Apôtres, dont le Père chantait quelques strophes en langues sauvages. Il donnait ensuite des explications sur le catéchisme ; de temps en temps les enfants subissaient des examens en public et quelquefois ils répondaient si bien qu’ils étonnaient ceux qui les entendaient.

C’est à cette première école que les enfants de Guillaume Couillard, d’Abraham Martin, de Pierre Desportes, apprirent le catéchisme et les lettres françaises.

En 1636, Olivier Le Tardif fut le parrain d’un enfant sauvage ; Mme Hébert en fut la marraine. Ce baptême fut administré dans des circonstances si extraordinaires que nous croyons devoir les raconter ici.

Aux environs de Québec, un sauvage appelé Prince par les Français vivait avec sa famille. Il avait suivi durant quelque temps les classes de catéchisme, mais, à l’époque dont nous parlons, il n’était pas encore baptisé. Un de ses enfants vint à tomber malade un jour et Prince s’empressa d’aller chercher un missionnaire pour lui faire administrer le sacrement de baptême. Arrivé à la maison, la mère de l’enfant, qui était païenne, ne voulut pas entendre parler qu’on baptisât son fils. Elle s’imaginait qu’il mourrait aussitôt après.

Le missionnaire commença alors à vouloir faire comprendre à cette femme que le baptême est la porte de l’Église et du Ciel ; que si l’enfant mourait après avoir été baptisé, il s’en irait dans un séjour de bonheur… Mais cette femme ne voulut rien entendre, pas même les supplications de son mari qui voulait faire baptiser son fils.

Pendant ces pourparlers l’état du petit malade s’aggravait, et, comme il était sur le point d’agoniser, la mère toute en larmes dit au missionnaire : « Si tu peux le guérir, baptise-le ; mais si tu ne le peux pas, ne le touche pas ! »

Prince, déjà ébranlé par les beautés de la religion chrétienne, suppliait le missionnaire de baptiser son enfant ; et il s’écria : « Je crois que Celui qui a tout fait peut le guérir ! »

Une si grande foi toucha le missionnaire qui demanda à la mère si elle consentirait à le confier aux Jésuites au cas où il guérirait ?

Sur sa réponse affirmative, le missionnaire se mit à réciter les prières du Rituel romain. À peine le baptême était-il terminé, l’enfant se trouva guéri. Les témoins du prodige n’en pouvaient croire leurs yeux.

Plein de joie, le Père demanda aux parents s’ils ne seraient pas heureux qu’on lui appliquât toutes les cérémonies à l’église de Québec ?

Fais-lui, répondit Prince, tout ce que tu fais aux enfants des Français. »

« On lui assigne un jour, continue la Relation, et on lui dit de choisir un Français et une Française qui en seront le parrain et la marraine. Ce pauvre sauvage était en doute si les Français lui feraient une telle faveur. Mais on l’assura qu’ils en seraient bien aises, et le sieur Olivier, commis et interprète et Mme Hébert, exercèrent volontiers cet acte de charité. »

La cérémonie eut lieu le dimanche. Le père de l’enfant racontait à qui voulait l’entendre le miracle dont il avait été témoin. À la porte de l’église on lui demanda s’il consentait à confier son enfant aux Pères pour le faire instruire. Prince y consentit. Aussitôt la cloche de l’église fut mise en branle ; une Française présenta l’enfant ; et son parrain et sa marraine le nommèrent François Olivier. « On lui applique les saintes huiles et les autres cérémonies à la grande satisfaction de tous nos Français, et à la grande joie du père et de la mère dont le contentement se manifeste sur leur figure. »

La naïveté des sauvages et leur ignorance fort excusable procuraient aux interprètes l’occasion de les instruire.

L’auteur de la Relation de 1637 nous en donne une preuve bien frappante. « Les sauvages, dit-il, m’envoyèrent chercher pour assister à la mort du petit Ignace qui agonisait. Comme nous venions de nous retirer après avoir récité quelques prières, pour parler aux sauvages, le petit mourut. Une pauvre femme voyant cela dit au sieur Olivier que j’aurais dû me trouver à sa mort afin de bien diriger cette âme vers le ciel à l’aide de mes prières. Peut-être, ajoutait cette femme sauvage, cette pauvre âme s’égarera-t-elle de son chemin faute d’avoir être bien dirigée ? »

« Le sieur Olivier, écrit le même Père, me raconta une autre simplicité : Un sauvage qui l’avait accompagné avec quelques autres français dans une chapelle pour remercier Dieu de les avoir sauvés du danger de se noyer dans un naufrage, le sieur Olivier lui demanda après l’accident quelles pensées il avait eues lorsqu’il se débattait au milieu des eaux ? — Je me souvenais, et j’ai ouï dire, que les Français vont en un lieu plein de plaisirs après leur mort. C’est pourquoi, je disais : voilà qui va bien que je meure avec eux, car je ne les quitterai pas, j’en prendrai bien garde, et je prendrai le même chemin qu’eux après ma mort. »

Le passage suivant nous montre la bonté d’Olivier Le Tardif. Depuis plusieurs mois le Père Le Jeune travaillait à la conversion d’un capitaine sauvage. Pour une raison ou pour une autre il retardait l’époque de son baptême. Un jour qu’il était dans la maison des Pères, il demanda une faveur qu’on ne put lui accorder. Le pauvre sauvage rentra alors en fureur et remit au Père son chapelet et son Agnus Dei.

De retour dans sa cabane, il fut pris d’une si grande tristesse qu’il alla trouver Le Tardif pour qu’il lui obtînt son pardon. « M. Olivier nous le ramena, écrit l’auteur de la Relation, et il prit de bonnes résolutions pour l’avenir, ce qui ne l’empêcha pas de se mettre en colère contre M. Olivier et il ne savait plus comment rentrer en grâce avec lui.

« Enfin, le vendredi saint il le va aborder et lui parle de cette sorte : — Réponds-moi, je te prie, sais-tu bien l’Oraison que le Fils de Dieu a faite et qu’on m’a enseignée ? — Je la sais bien, dit le sieur Olivier. — Ne la dis-tu pas quelquefois ? — Je la dis tous les jours. — Ces mots ne sont-ils pas dans cette Oraison : — Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ?

« Le sieur Olivier voyant bien ce qu’il voulait dire, l’embrasse et lui dit que de bon cœur il lui pardonnait la faute qu’il avait commise à son endroit.

« Au sortir de là, il me vint trouver tout rempli de joie de s’être réconcilié donnant mille louanges à celui qui lui avait accordé son pardon. »

Le 9 janvier 1640, Louise Couillard, épouse d’Olivier Le Tardif, fut la marraine d’une femme sauvage, âgée d’environ 63 ans ; le Père Claude Pijart, Jésuite, fit le baptême. Cette femme s’appelait Pinienakechke.

Le 10 mai 1640, Mme Le Tardif voulut être encore une fois marraine d’une fille sauvage qu’elle nomma Louise ; le parrain fut Pierre de Launay, commis et interprète. Sept jours plus tard elle rendit le même service à une autre fille des bois ; le parrain fut Jean Bourdon.

L’union d’Olivier Le Tardif et de Louise Couillard fut de courte durée. Après une maladie de quelques semaines cette fille de Guillaume Couillard mourut. Elle fut inhumée à Québec, le 23 novembre 1641. Olivier Le Tardif, après avoir épousé, en secondes noces, Barbe Aymart, fut inhumé au Château-Richer, le 28 janvier 1665. Il a laissé une nombreuse descendance.

Il est temps de faire connaître un autre interprète non moins célèbre : Jean Nicolet, né à Cherbourg, vers l’année 1598. Il était fils de Thomas Nicolet, messager ordinaire de Cherbourg, et de Marie de la Mer.

Jean Nicolet pouvait avoir vingt ans lorsqu’il arriva au Canada. Son frère, Gilles, prêtre séculier, arriva en 1635 ; Pierre, matelot, et Euphrasie-Madeleine arrivèrent vers le même temps.

Nicolet était plein de vie, entreprenant et religieux. Sa mémoire si excellente et son humeur toujours gaie firent « espérer quelque chose de bon de lui, » dit la Relation.

Deux ans après son arrivée, il fut envoyé chez les sauvages de l’Île aux Allumettes, loin de toute civilisation. Il passa deux années entières au milieu de ces barbares où il s’initia à leur genre de vie vagabonde. Dans un de ses voyages il fut sept ou huit jours sans manger, si ce n’est qu’un peu d’écorce de bois.

En 1622, à la tête de quatre cents Algonquins, il se rendit chez les Iroquois pour négocier la paix ; il réussit dans cette mission délicate. Quelque temps après on le retrouve chez les Nipissiriens où il demeura huit ou neuf ans. Durant son séjour avec ces barbares, il acquit une si grande autorité qu’il était regardé comme de la nation et qu’il avait le droit de parler dans leurs assemblées, car il maniait leur langue avec une étonnante facilité.

Après la prise de Québec par les Kertk, il demeura avec eux, mais au retour de M. de Champlain, il revint à Québec à l’emploi de la Compagnie des Cent-Associés. Il avait demandé son rappel : « inquiet, disent les Relations pour le salut de son âme. »

Champlain fut heureux de le voir ; et, comptant sur son expérience, il lui confia une mission longue et périlleuse : la découverte de la mer de l’Ouest. C’était une croyance répandue alors qu’en se dirigeant vers l’Ouest, on parviendrait à découvrir la mer de Chine.

Nicolet partit le 1 juillet 1634 avec le Père Brébœuf. En passant aux Trois-Rivières, il travailla à fortifier cette place. Puis il continua sa course et s’enfonça jusque sur le territoire des Illinois, il s’arrêta à trois jours de marche du fleuve Mississipi. Il revint à Québec par le même chemin ; et on l’envoya plus tard aux Trois-Rivières. Il s’acquitta de ses fonctions d’interprète : « avec une satisfaction grande des Français, desquels, dit la Relation, il était estimé et aimé. Il aidait beaucoup, autant que sa charge le permettait, à la conversion de ces peuples, qu’il savait manier et tourner avec une grande dextérité, qui a peine à trouver son pareil. »

Le 22 octobre 1637, Jean Nicolet célébra son mariage avec Marguerite, fille de Guillaume Couillard.

Le contrat fut passé en présence des témoins suivants : noble homme, François Derré de Gand, commis-général de la Compagnie, honorable homme Olivier Le Tardif, Nicolas Marsolet, Noël Juchereau, Pierre de La Porte, honorable homme Guillaume Couillard, Marie-Guillemette Hébert, Guillaume Hubou et Marie Rollet, sa femme, veuve, en premières noces de Louis Hébert.

Nicolet reçut, en même temps que Le Tardif, une concession de cent-soixante arpents de terre sur le coteau Sainte-Geneviève. Un ruisseau, appelé Belleborne, séparait cette propriété, et Nicolet porta dans la suite le nom de sieur de Belleborne.

Nicolet, après son mariage, demeura aux Trois Rivières. En 1642, durant l’été, il fut mandé à Québec pour remplacer son beau-frère Olivier Le Tardif, au magasin. Durant son séjour à Québec, un soir d’orage, on vint l’avertir que des Algonquins des environs des Trois-Rivières avaient capturé un sauvage de la Nouvelle-Angleterre, et qu’ils venaient de le condamner à mort, en le tourmentant de la manière la plus cruelle.

Les Français et les missionnaires, par leurs tentatives pour le délivrer n’avaient fait qu’augmenter la colère des barbares. On pensa alors à aller chercher Nicolet qui exerçait une grande autorité sur la tribu.

Malgré la longueur du voyage et les périls auxquels il s’exposait, Nicolet n’hésita pas un seul instant. Un malheureux était aux prises avec la mort la plus cruelle… qui sait, peut-être une âme à sauver ? Cette pensée stimula son dévouement et il partit avec ses compagnons. Mais, ce brave, ce héros, ne devait plus revoir les siens ici-bas. Voici comment la Relation raconte cette mort glorieuse : « M. Olivier, commis-général, étant venu l’an passé en France, le sieur Nicolet descendit en sa place, avec une joie et consolation sensible de se voir dans la paix et la dévotion de Québec ; mais il n’en jouit pas longtemps, car un mois ou deux après son arrivée, faisant un voyage aux Trois-Rivières pour la délivrance d’un prisonnier sauvage, son zèle lui coûta la vie, qu’il perdit dans le naufrage. Il s’embarqua à Québec, sur les sept heures du soir, dans la chaloupe de M. de Sévigny, qui tirait sur les Trois-Rivières. Ils n’étaient pas encore arrivés à Sillery, qu’un coup de vent du Nord-Est, qui avait excité une terrible tempête sur la grande rivière, remplit la chaloupe et la coula à fond, après lui avoir fait faire deux ou trois tours dans l’eau.

« Ceux qui étaient dedans n’allèrent pas incontinent au fond ; ils s’attachèrent quelque temps à la chaloupe, M. Nicolet eut le loisir de dire à M. de Sévigny : « Monsieur, sauvez-vous, vous savez nager, moi je ne le sais pas, pour moi, je m’en vais à Dieu, je vous recommande ma femme et ma fille. » — Les vagues les arrachèrent tous les uns après les autres de la chaloupe qui flottait renversée sur une roche. M. de Sévigny, seul, se jeta à l’eau et nagea parmi les flots des vagues, qui ressemblaient à de petites montagnes. La chaloupe n’était pas loin du rivage, mais il était nuit toute noire, et il faisait un grand froid âpre, qui avait glacé les bords de la rivière. Le sieur de Sévigny, sentant les forces et le cœur lui manquer, fit un vœu à Dieu, et peu après, frappant du pied, il sentit la terre. Se tirant hors de l’eau, il s’en vint à notre maison à Sillery, à demi-mort. Il demeura assez longtemps sans pouvoir parler, puis enfin, il nous raconta le funeste accident, que outre la mort de M. Nicolet, dommageable à tout le pays, il avait perdu trois de ses meilleurs hommes, et une grande partie de ses provisions… Les sauvages de Sillery, au bruit du naufrage de M. Nicolet, coururent sur le lieu, et ne le voyant pas paraître en témoignèrent des regrets indicibles. Ce n’était pas la première fois, que cet homme s’était exposé aux dangers de la mort pour le bien et le salut des sauvages. Il l’a fait fort souvent et nous a laissé des exemples qui sont au-dessus de l’état d’un homme marié, et qui tiennent de la vie apostolique, et laissent une envie au plus fervent religieux de l’imiter[5]. »

« Telle fut, dit l’abbé Gosselin, la fin tragique et vraiment héroïque de Nicolet : couronnement glorieux, on peut le dire, d’une vie toute de dévouement et de sacrifices pour le bien de sa patrie et de la religion[6]. »

Quelques jours après cet accident, le sauvage pour lequel Nicolet s’était dévoué, fut sauvé par des Français et les missionnaires des Trois-Rivières. Il montra plus tard sa reconnaissance pour ce bienfait qu’il avait reçu en engageant ses compatriotes à envoyer une députation chez les Iroquois afin de délivrer le Père Jogues : « Si cette démarche ne réussit point, elle prouve, dit l’abbé Ferland, que la reconnaissance n’était pas étrangère à tous les cœurs sauvages[7]. »

L’inventaire des biens de Jean Nicolet fut passé aux Trois-Rivières, par André Crosnel, caporal. Le 7 novembre 1642, Joseph de Rhéaume fit la criée publique. Cette vente, annoncée au prône de la grand’-messe, fut faite en présence de Pierre Nicolet, Jacques Hébert, Jean Godefroy… Pierre Nicolet acheta un tableau de Notre-Dame, avec son cadre et un coffre. Il paya le tout 6 livres et 15 sols. Marguerite Couillard, veuve de Jean Nicolet, acheta un lit de plumes qu’elle paya six vingts livres[8].


Nicolet, en mourant, laissait, outre sa jeune veuve, Marguerite Couillard, qui épousa le 12 novembre 1646 Nicolas Macard, une fille appelée Marguerite. Cette dernière fut baptisée le 1 avril 1642. On lui donna pour tuteur Pierre Nicolet, son oncle, que l’on voit dans la colonie en qualité de matelot. Ce dernier, exerça cette fonction pendant trois ans, puis le 1 novembre 1646, sur le point de retourner en France, il fit réunir un conseil de famille afin de choisir un tuteur qui devait veiller sur la jeune orpheline. À cette assemblée de parents, Olivier Le Tardif, commis et interprète de la compagnie des Cent-Associés, fut choisi pour le remplacer[9]. Parmi ceux qui assistèrent à cette assemblée, on remarque Charles Huault, Chevalier, sieur de Montmagny, gouverneur du Canada, Messire Gilles Nicolet, prêtre, frère de feu Jean Nicolet, Guillaume Couillard, Marguerite Couillard, Olivier Le Tardif, Guillaume Hubou, Nicolas Macard, Jean Guyon.

Le 22 mars 1652, Olivier Le Tardif vendit à Jean de Lauzon, sénéchal du pays, le domaine qu’il avait obtenu de la compagnie des Cent-Associés[10], avec celui de sa pupille, Marguerite Nicolet. Le contrat de vente fut exécuté par Rolland Godet.

Le lendemain, Olivier Le Tardif, seigneur en partie de Beaupré, comme tuteur de Marguerite Nicolet, faisait une convention avec Nicolas Macard. Il autorisait ce dernier à nourrir la fille de Nicolet, moyennant la somme de 1770 livres 18 sols, qui provenait de la succession de son père.

Olivier Le Tardif conserva la tutelle de Marguerite Nicolet jusqu’en l’année 1656, époque où elle épousa Jean-Baptiste Le Gardeur de Repentigny. Par ce mariage, elle transmit le sang des Couillard et des Nicolet à l’une des plus remarquables familles de la Nouvelle-France.




CHAPITRE XIII


guillaume hébert. — sa mort. — mort de marie rollet. — guillaume couillard concède le terrain de la fabrique de québec. — il fait des dons aux dames de l’hôtel-dieu. — il est anobli par le roi. — ses dernières années. — mort de deux de ses fils.


Louis Hébert, en mourant, avait laissé dans le monde, outre Mme Couillard, son fils, Guillaume Hébert. Il avait épousé Hélène, fille de Pierre Desportes et de Françoise Langlois.

Cette union fut de courte durée. Guillaume Hébert mourut en 1639, laissant à sa veuve trois enfants : Joseph, né le 3 novembre 1636 ; Françoise, née le 27 janvier 1638 ; et Angélique, née le 2 août 1639 ; cette dernière mourut encore enfant.

Le 9 janvier 1640, Hélène Desportes épousa Noël Morin, charron, fils de Claude Morin et de Jeanne Moreau, de Saint-Étienne de Brie-Comte-Robert. Morin fut inhumé le 10 février 1680, à Saint-Thomas de Montmagny. Il fut le père de Germain, qui fut le premier prêtre canadien et de Marie, qui devint religieuse chez les Hospitalières de Montréal.


l’ancienne cathédrale de québec a été construite sur un terrain donné par guillaume couillard.

Noël Morin compte encore de nos jours un grand nombre de descendants.

En 1649, s’éteignit dans le Seigneur, Marie Rollet. Elle survécut à Louis Hébert vingt-deux ans. Durant son séjour à Québec, elle sema autour d’elle les bienfaits. Les sauvages l’avaient en grande vénération. Elle fut, en effet, une de leurs plus dévouées protectrices. Le nom de Marie Rollet mérite une place d’honneur dans nos annales. Le Canada se doit à elle-même d’honorer cette femme qui a pris une si large part dans les travaux du premier colon.

Marie Rollet fut inhumée le 27 mai 1649, au milieu d’un grand concours de peuple. Les sauvages de Québec se firent un devoir d’assister aux funérailles de celle qui les avait entourés de soins et leur avait témoigné la plus ardente charité.

Guillaume Couillard, collaborateur de Louis Hébert, et son fidèle successeur, parvint jusqu’à une extrême vieillesse. Il eut la joie de voir les premiers progrès accomplis par la Nouvelle-France. La Providence lui permit de jouir ainsi du fruit de ses travaux. Il avait amassé assez de biens pour garantir aux siens un brillant avenir. C’était le plus riche habitant de la colonie. Il sut en même temps faire large part de ses biens aux communautés de Québec.

En 1652, pour aider à l’établissement de la première église paroissiale de Québec, il accorda à la fabrique un emplacement de quatre-vingts perches de terre. C’est le terrain sur lequel s’élève la Basilique. En retour de cette donation, il obtint dans l’église, un banc à perpétuité, pour sa famille et ses descendants. Ce banc est possédé de nos jours, par un membre de la famille Couillard de Lespinay,

Vers le même temps, pour favoriser les Dames de l’Hôtel-Dieu, il leur concéda un emplacement ; il mit pour conditions, cette fois, qu’outre la jouissance d’un banc dans leur chapelle, et ce, à perpétuité, il recevrait la sépulture ainsi que Marie-Guillemette Hébert, son épouse, dans la même chapelle.

En 1654, le roi de France, pour reconnaître les services qu’il avait rendus à la colonie, le décora du titre de noblesse. Il prit pour armes : D’azur, à la colombe éployée d’or, tenant dans son bec un rameau d’olivier de sinople. Pour devise, il choisit : « Dieu aide au premier colon. »

Ses lettres de noblesse furent renouvelées en 1668 en faveur de ses fils, Louis Couillard de Lespinay et Charles Couillard des Islets de Beaumont.

Les armes suivantes furent adoptées par les Couillard de Lespinay, des Prez, du Puy, des Écores et L’Islois : D’argent, à l’olivier de sinople mouvant d’un rocher à trois coupeaux au naturel, éclairé par un soleil, en chef, à senestre, d’or. L’écu timbré d’un casque et d’une couronne de comte, avec une colombe d’argent en cimier, portant en son bec un rameau d’olivier de sinople. Supports : deux branches d’olivier. Devise : Prix des travaux n’a rien de vil.

Les Couillard de Beaumont, portèrent : D’azur au cerf d’argent, passant et contourné, ramé d’or, onglé de même. Devise : Au champ labeur, au camp valeur.

Le 15 juillet 1661, Guillaume Couillard fit une nouvelle concession aux Dames de l’Hôtel-Dieu d’une pièce de terre pour servir de cimetière aux pauvres qui mouraient à l’Hôpital. En 1679, Marie-Guillemette Hébert augmenta cette concession.

Guillaume Couillard aimait à prendre une part active aux fêtes et aux réjouissances publiques. À la Saint-Joseph, chaque année, il allumait un feu de joie. Au jour de la Fête-Dieu, il érigeait dans son grand jardin un reposoir magnifique ; en passant devant sa maison, les soldats tiraient des salves de mousquets et de fusils. Les Jésuites, au jour de l’an lui faisaient leur visite annuelle ; ils retournaient à leur couvent avec quelques petits présents. Comme on le voit, ce vétéran de la colonie était entouré de la considération de ses concitoyens.

Deux deuils attristèrent les dernières années de Guillaume Couillard. Ses deux fils, Nicolas et Guillaume tombèrent sous les coups des Iroquois. La mort de Joseph Hébert, petit-fils de Louis Hébert, arrivée presque en même temps, vint encore briser le cœur de ce respectable vieillard.

Nicolas Couillard, sieur de Belleroche, fut tué sur l’Île d’Orléans, en allant porter secours à son frère Louis Couillard de Lespinay. Voici en quelles circonstances. Au mois de juin de l’année 1661, Louis Couillard de Lespinay partit pour aller à la chasse sur l’Île d’Orléans. Geneviève des Prez, son épouse, sœur de Mme Jean de Lauzon, le Sénéchal de la Nouvelle-France, et fils du gouverneur de ce nom, ayant appris que les Iroquois avaient fait leur apparition sur l’île, supplia ce dernier d’aller délivrer son mari.

« M. de Lauzon, pour signaler l’amitié qu’il lui portait, partit avec six jeunes gens dans une chaloupe ; étant arrivé vis-à-vis la maison du sieur Maheu, qui était au milieu de l’île, et qui avait été abandonnée depuis quelques jours, il la fit échouer à marée-basse entre deux rochers. Il y envoya deux de ses compagnons pour voir si les habitants avaient eu le temps de s’enfuir. Celui qui ouvrit la porte de l’habitation se trouva en présence de quatre-vingts Iroquois qui le tuèrent et ils firent l’autre prisonnier.

» Il ne restait plus que cinq Français, mais ils résolurent de vendre chèrement leur vie. Les Iroquois proposèrent aux Français de se livrer, leur garantissant la vie ; mais tous se défendirent jusqu’au dernier soupir. M. de Lauzon eut les bras tout meurtris et hachés des coups qu’on lui avait donnés pour lui faire mettre bas les armes… Après sa mort les Iroquois lui coupèrent la tête qu’ils emportèrent dans leur pays. Ainsi furent massacrés sept Français ; ces derniers tuèrent un bien plus grand nombre d’Iroquois, dont on trouva les ossements lorsqu’on alla lever les corps des nôtres ; leurs gens ayant brûlé les corps de leurs morts selon leur coutume et laissé entiers ceux de nos Français.

« Après cette horrible boucherie, ces barbares s’étant aperçus qu’on envoyait des troupes à leur poursuite se sauvèrent à la hâte. Par malheur le secours arrivait trop tard : car M. d’Argenson, Gouverneur, n’eut la nouvelle de ce désastre que par M. de Lespinay, celui même pour lequel on s’était mis au hasard qui, ayant entendu le bruit des fusils, fit voile vers Québec, pour avertir qu’il y avait du danger. Mais, quand il sut que c’était pour lui que ces vaillants gentilshommes s’étaient ainsi exposés, il faillit mourir de douleur. »

Telle fut la mort héroïque de Nicolas Couillard et de ses compagnons. Le fils de Guillaume Couillard, M. Jean de Lauson, Ignace Sévestre furent inhumés dans l’église de Québec, le 24 juin 1661.

Au mois d’octobre de l’année 1662, Guillaume Couillard, sieur des Chênes, fut tué à Tadoussac, avec un autre Français. Comme on le voit, les deuils succédaient aux deuils dans la famille Couillard.

À quelque temps de là on apprit la certitude de la mort de Joseph Hébert, petit-fils de Louis Hébert. Il avait épousé, le 12 octobre 1660, Mlle Marie Charlotte, fille de feu Pierre-Charles de Poytiers, écuyer, capitaine d’infanterie, et de feue Mlle Hélène de Belleau, du petit Espagne, sis à une lieue de la ville de Montdidier, en Picardie.

Hélène de Poytiers convola en secondes noces avec Simon Lefebvre, sieur Angers. Il fut l’ancêtre de l’honorable famille de ce nom si répandue dans les environs de Québec.

Quant à Françoise Hébert, sœur de Joseph, et nièce de Guillaume Couillard, elle épousa, le 20 novembre 1651, Guillaume Fournier, originaire de Coulme en Normandie. Il est l’ancêtre des Fournier, Blanchet, Laflamme, Michon, toutes familles avantageusement connues dans le district de Montmagny.




plan de québec en 1660.

CHAPITRE XIV


mort de guillaume couillard. — la maison de Mme couillard devient le berceau du petit séminaire de québec. — mort de marie-guillemette hébert. — le monument hébert-couillard.


En 1663, la Nouvelle-France entra dans une ère de progrès et de prospérité.

La compagnie qui, jusque-là, avait été chargée de l’administration des affaires du pays, remit aux mains du roi le mandat qu’il lui avait confié.

Québec prit le nom de ville et une cour de justice fut créée. Ces changements furent si importants, dit l’abbé Ferland, que des écrivains ont placé la fondation du Canada dans l’année 1663 : « laissant dans l’oubli la plus belle portion de son histoire. Cependant, c’est bien à juste titre que les cinquante premières années qui ont suivi la fondation de Québec ont été désignées comme les temps héroïques de la Nouvelle-France. Cette période, en effet, présente des traits nombreux de dévouement religieux, de courage, de foi et de persévérance. »

Guillaume Couillard n’eut pas la joie d’assister à tous ces événements heureux qui, dès 1663, devaient concourir à l’avancement de la colonie, mais il eut du moins la satisfaction de vivre assez longtemps pour espérer que ses travaux et ceux de Louis Hébert n’avaient pas été inutiles.

Qu’il dut être grand le contentement de ce vétéran de la Nouvelle-France, quand, parvenu au soir de la vie, il se rappelait les débuts si modestes de ce pays dont il avait été l’un des plus persévérants pionniers ! Couillard, Martin et Marsolet furent les derniers survivants des compagnons de Champlain.

Couillard avait, certes, le droit de s’enorgueillir de son courage passé. Sans son énergie et sa persévérance, qui sait si M. de Champlain fût revenu si tôt après la prise de Québec par les Kertk ?

En 1663, la Nouvelle-France renfermait cinq ou six cents familles. C’était peu après cinquante ans de travaux constants. Mais ce développement de la population, si restreint fût-il, ne doit-on pas l’attribuer à une attention particulière de la Providence à l’égard de notre patrie ? Que serait-il arrivé avec une émigration plus considérable ? La colonie, il est vrai, fut souvent exposée à périr sous les coups des Iroquois, à cause du manque de bras pour la défendre ; elle eut à subir bien des crises, mais si la lutte fut longue, il est consolant de voir que les plus purs sentiments de foi et de patriotisme ont germé au milieu de nos colons et de leurs enfants. Ces sentiments si nobles et si chrétiens n’ont fait que se développer avec les années. C’est que les fils et les petits-fils des premiers habitants de la Nouvelle-France avaient puisé au sein même de leur famille, les vieilles traditions de foi qu’aucun souffle impie n’avait souillées. « Ceux qui arrivaient chaque année, écrit le Père Charlevoix, étaient ou des ouvriers ou des personnes de bonnes familles, qui venaient sur nos rives dans la seule vue d’y vivre plus tranquillement qu’en Europe, et d’y conserver plus sûrement leur religion. La source de presque toutes les familles qui vinrent s’établir au Canada est pure de toute tache que l’opulence et la richesse ont bien de la peine à effacer. »

« Je crains d’autant moins d’être contredit, sur cet article, écrit le même Père, que j’ai vécu avec quelques-uns de ces premiers colons, presque centenaires, de leurs enfants et de leurs petits-enfants, tous gens respectables, plus encore par leur probité, leur candeur, leur piété solide dont ils faisaient profession, que par leurs cheveux blancs et les souvenirs des services qu’ils avaient rendus au Canada. »

Québec, en 1663, avait l’aspect d’une petite ville. Quels changements s’étaient opérés malgré tout dans cette colonie depuis 1608 ! Couillard devait aimer à faire à ses enfants et aux nouveaux colons qui débarquaient sur nos bords le récit des combats qu’il avait livrés et des travaux qu’il s’était imposés, pour l’avancement de la Nouvelle-France. Il aimait :

Ayant autour de lui sa famille assemblée,
…Par les beaux soirs,

À raconter aux siens sa jeunesse envolée,
Et ses luttes d’antan, et ses nombreux espoirs[11].


La narration des souffrances endurées par les premiers colons ; la persévérance de Louis Hébert, celle non moins digne d’admiration de Couillard, excitait sans doute l’enthousiasme des auditeurs.

 « Aux récits de l’aïeul les petits-fils frissonnent :
Si belle fut sa vie et son passé si beau !
Les spectres de ses hiers sortant de leur tombeau
Apparaissent alors si fameux qu’ils étonnent. »

L’évocation de tant de souvenirs préparait le cœur de la vaillante jeunesse qui l’écoutait pour les luttes qu’elle devait livrer plus tard et pour les sacrifices innombrables que la patrie devait exiger d’elle.

 « Aimant ces souvenirs, pensive, dans la nuit,
La génération de jeunes qui se lève
Se sent prise d’ardeur, et dit : La vie est brève,
Du grand père imitons l’exemple qui séduit. »

Nous n’avons rien sur les derniers moments de Guillaume Couillard ; mais ce fut sans doute avec une âme confiante qu’il ferma les yeux à la lumière de ce monde et qu’il dit adieu à ses enfants rassemblés autour de son lit. Ce vénérable vieillard avait passé sa vie à faire du bien ; il entourait de soins les pauvres sauvages, et il s’appliquait à inculquer à ses enfants l’amour et la pratique de la charité.

Comme autrefois Louis Hébert, il les bénit afin d’attirer sur eux et sur leurs descendants les faveurs célestes. Il put ensuite se présenter en toute confiance à son Dieu, en faisant siennes ces paroles du serviteur fidèle : « Seigneur, vous m’aviez donné cinq talents, voici que je vous en apporte cinq autres. » — En retour, le Dieu des miséricordes dut lui répondre : « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Dieu. »

À sa mort Guillaume Couillard laissait ses enfants dans une situation sociale des plus enviables. Alliés aux familles les plus influentes du Canada, jouissant des biens de la fortune, ses descendants jouèrent, dans les affaires de la colonie, un rôle important[12].

Guillaume Couillard fut inhumé dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Québec, le 5 mars 1663, au milieu d’un grand concours du peuple et du clergé[13].

L’année même de la mort de Guillaume Couillard Mgr de Laval, évêque de Québec, jeta les bases du Séminaire. Le roi de France, au mois d’avril suivant, confirma par lettres patentes, l’établissement de cette institution qui a rendu depuis d’éminents services à la colonie.

L’œuvre du grand évêque ne devait pas s’arrêter là. Mgr de Laval comprit bien vite qu’il avait besoin de prêtres pour son immense diocèse. Il résolut de fonder un Petit Séminaire pour préparer par des études sérieuses les élèves qui voulaient diriger leurs pas vers le sanctuaire.

Pour conduire cette œuvre à bonne fin, il fallait des ressources ! Mgr de Laval compta sur la Providence. Une maison devenait nécessaire pour recevoir les élèves ! Près du palais épiscopal, entourée d’un grand jardin, se trouvait la maison de Mme Couillard qui suffirait pour les premières années. Mgr de Laval ne pouvait souhaiter d’endroit plus favorable pour asseoir cette nouvelle institution. Le terrain de Louis Hébert, en partie en culture, joignait celui de la fabrique et celui de l’Hôtel-Dieu. Son site, l’un des plus beaux des environs, offrait une vue superbe sur la rade de Québec, sur l’Île d’Orléans, la Pointe-Lévis et la rivière Saint-Charles.

Une question fort importante restait à résoudre. Mme Couillard consentirait-elle à se départir d’une si belle propriété ? Cette vieille maison ne renfermait-elle pas des souvenirs chers à son cœur ? Cette terre qui produisait des récoltes abondantes n’était-ce pas son père, Louis Hébert, n’était-ce pas son mari, qui, jour par jour, l’avaient défrichée ? Elle-même avait passé tant d’années dans cette maison où elle avait élevé ses enfants. Ceux-ci consentiraient-ils à la vente d’un domaine que le roi de France avait accordé à leur aïeul pour en jouir en fief noble et seigneurie ?


les armes de guillaume couillard.

Mgr de Laval a dû se poser ces questions bien des fois. Mais il était réservé à la maison de la première famille canadienne l’honneur d’être aussi le berceau du Petit Séminaire de Québec. Dieu avait des vues privilégiées sur cette terre qui avait bu les sueurs de nos premiers ancêtres. Par une coïncidence heureuse, ce foyer chrétien, le premier établi sur nos bords, fut transformé en un foyer de science dont la gloire rejaillit sur notre pays et sur le continent américain tout entier.

Le contrat de vente fut passé le 10 avril 1666, en présence de Charles Bazire, receveur des droits et domaines du roi, et de Claude Charpentier. Mme Couillard vendit son domaine huit mille livres.

Afin de donner à Mgr de Laval toutes les facilités de paiement, elle exigea mille livres comptant, et trois mille livres au mois de septembre de la même année.

Cette somme lui fut payée en 1671. La balance des quatre mille livres fut remise aux héritiers en 1688.

Dix ans plus tard, la vieille maison Couillard fut démolie et on commença la construction d’un édifice plus spacieux. D’années en années le Petit Séminaire s’est développé depuis ; cette maison est l’une des plus importantes de notre Province.

Les enfants de Mme Couillard n’approuvèrent pas la vente de ce terrain ; ils auraient désiré le conserver dans la famille. Mais Mme Couillard ne se laissa pas arrêter par ces considérations ; elle prévoyait sans doute que le Séminaire rendrait des services considérables à la cause française au Canada. C’est pourquoi elle consentit à se départir de son riche domaine moyennant une somme relativement peu considérable afin de contribuer à l’entretien des prêtres du Séminaire et des missionnaires.

La fille de Louis Hébert ajoutait ainsi un digne couronnement à l’œuvre entreprise par son père sur les bords du Saint-Laurent : l’évangélisation des sauvages.

Dans ses dernières années Mme Couillard se retira chez les Dames de l’Hôtel-Dieu, où elle payait sa pension, c’est là qu’elle fit son testament dans lequel elle n’oublia pas encore les communautés de la ville de Québec.

Aux mères Hospitalières elle légua cinq cents livres ; cent aux pauvres de l’Hôtel-Dieu ; cent aux Pères Récollets ; mille à Delle Gertrude du Tilly ; cinquante à l’église de Saint-Joseph de Lévis ; pareille somme à la Congrégation de la Sainte-Famille. Le notaire Romain Becquet reçut le testament, le 12 octobre 1683.

Mme Couillard décéda à l’âge de soixante-et-dix-huit ans, dans la salle des pauvres de l’Hôtel-Dieu ; elle fut inhumée le lendemain, 20 octobre 1684, près de Guillaume Couillard, dans la chapelle de cette institution qui avait été l’objet de leurs libéralités. Lorsqu’il nous fut donné de visiter pour la première fois le coin de terre bénie où tout nous parle des travaux, des luttes et des souffrances de nos pères, lorsqu’il nous fut donné de parcourir les jardins du Séminaire et de l’Université Laval, nous nous sommes demandé si un jour la bonne ville de Québec ne songerait pas à immortaliser Louis Hébert et Guillaume Couillard.

Ce vœu que nous formulions en 1907, et dernièrement en 1912, est sur le point de se réaliser. Pour célébrer dignement le troisième centenaire de l’arrivée du premier colon canadien un monument splendide sera érigé dans la vieille capitale en 1917. Guillaume Couillard recevra, lui aussi, espérons-le, l’apothéose des conquérants pour avoir collaboré à l’œuvre de Louis Hébert.

Puissent les promoteurs du monument rencontrer l’appui de tous les vrais patriotes. La Province de Québec se doit d’honorer ainsi ces pionniers qui ont tant fait pour la Nouvelle-France. Elle pourra alors dire en toute vérité qu’ELLE SE SOUVIENT.

Hébert, toi le premier, du sol canadien,
Tu tiras ton bonheur, ta gloire et tout ton bien !
À tes côtés, Couillard, noble et digne recrue,
Comme toi s’enrichit, en suivant sa charrue !
Honneur, cent fois honneur à ces Premiers Colons ! ! ! !

Les descendants de ces premiers pionniers, qui sont légion, se réuniront, eux, dans la chapelle des Dames de l’Hôtel-Dieu, et y prieront pour leurs ancêtres ; comme hommage de leur piété filiale, ils placeront une plaque commémorative à l’endroit où furent déposés jadis les restes vénérés de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert, son épouse.

Iberville, le 22 décembre 1912.




APPENDICE


Notes du chapitre VII,
Titres des fiefs de Louis Hébert


Henry de Lévis, duc de Vantadour, pair de France, lieutenant général pour Sa Majesté très Chrestienne au gouvernement de la province de Languedoc et Vice roy de la Nouvelle France.

À tous ceux qui ces présentes lettres verront, Salut :

Scavoir faisons que Louis Hébert l’un des sujets et habitants au susdit païs de la Nouvelle-France, nous a fait dire et remontrer que depuis plusieurs années, il a souffert de longs et pénibles travaux, périls et despenses supportées sans intermission à la descouverte des terres de Canada et qu’il est le chef de la première famille qui ait habité depuis l’an seize cens jusque à présent, laquelle il a conduit même avec tous ses biens et moyens qu’il avait à Paris ayant quitté ses parents et amis pour donner ce commencement à une colonie et peuplade chrestienne en ces lieux et contrés qui sont privés de la connaissance de Dieu pour n’estre esclairez de la Saincte Lumière, auxquelles fils s’estant le dict Hébert arresté près le grand fleuve St-Laurens, au lieu de Québec joignant l’habitation qui est entretenue par la société par Sa Majesté et, par nous confirmée, il auroit par son travail et industrie assisté de ses serviteurs domestiques deffrichée certaine portion de terre comprise dans l’enceinte d’un clos, et fait bastir et construire un logement pour luy, sa famille et son bestail ; desquelles terres logement et enclos il auroit obtenu de Monsieur le duc de Montmorency nostre prédécesseur vice-roy le don et octroy a perpétuité par les lettres expédiées le samedy quatriesme février mil six cens vingt trois ; Nous pour les considérations sus-alléguées et pour encourager ceux qui désireront cy-après peupler et habiter le dit pais du Canada, avons donné, ratiffié et confirmé, donnons, ratiffions et confirmons au sus-dit Louis Hébert et ses successeurs et héritiers et suivant le pouvoir à nous octroyé par Sa Majesté toutes les susdites terres labourables deffrichées et comprises dans l’enclos du dit Hébert ensemble la maison et bastimens ainsy que le tout s’estant et comporte au dit lieu de Québec sur la grande rivière ou fleuve St-Laurens pour en jouir en fief noble par luy ses héritiers et ayans causes a l’advenir comme de son propre et loyant acquest et en disposer pleinement et paisiblement comme il verra bon estre, le tout relevant du fort et chasteau de Québec aux charges et conditions qui luy seront cy après par nous imposées et pour les mesmes considérations avons faict don au dict Hébert et à ses successeurs, hoirs et héritiers de l’estendue d’une lieue française de terre située proche le dict Québec sur la rivière St-Charles qui a estée bornée et limitée par les sieurs de Champlain et de Caen pour les posséder, deffricher, cultiver et habiter ainsy qu’il jugera bon estre aux mesmes conditions de la première donation, faisant très expresses inhibitions et deffenses à toute personne de quelle qualité et conditions quelles soient de le troubler ny empescher en la possession et jouissance d’icelles terres, maisons et enclos, enjoignant au sieur de Champlain nostre lieutenant général en la Nouvelle-France de maintenir le dict Hébert en sa susditte possession et jouissance envers tous et contre tous. Car telle est notre volonté.

Donné à Paris le dernier jour de février mil six cens veint six.


(Signé) De Vantadour.

Et plus bas

Par mon dit Seigneur vice roy
Girardet.
Scellé de cire rouge.


Par cet acte de concession Louis Hébert devint le premier seigneur de la Nouvelle-France. Le fief noble de la haute-ville porta le nom de fief du Sault-au-Matelot, le second celui de St-Joseph ou Lespinay. Les contrats de concession sont parvenus jusqu’à nous. Le fief Lespinay, situé sur la rivière St-Charles, fut réduit par M. de Champlain à un quart de lieue de front. Il avait quatre lieues de profondeur.

À la mort de Louis Hébert, sa fille, Mme Couillard entra en possession de la moitié de ce fief. Le 16 octobre 1680, elle en fit don à son petit-fils, Jean-Baptiste Couillard, écuyer, sieur de Lespinay, lequel plus tard, devint Lieutenant général de l’Amirauté et Lieutenant particulier de la Prévôté de Québec. À la mort de ce dernier, il passa à M. Jacques-Thomas Taschereau. Il fut vendu par Jacques Couillard Després et ses co-héritiers pour la somme de trois mille livres.


Note du chapitre IX


M. l’abbé Laverdière, qui publia les Œuvres de Champlain, était d’opinion que les familles Desportes, Pivert et Martin demeurèrent au Canada avec la famille Couillard-Hébert. Bien que la Relation de 1632 ne parle que de cette dernière famille, il paraît certain que la famille Martin demeura à Québec en 1629. Du moins trouve-t-on les membres de cette famille après 1632. Abraham Martin, qui légua son nom aux plaines d’Abraham, fut le père de Charles-Amador Martin, second prêtre canadien, et de plusieurs autres enfants. Sa fille aînée, Anne, épousa, le 17 novembre 1635, Jean Côté, lequel compte de nombreux et dignes descendants. Marie Martin épousa Jean Cloutier, le 21 janvier 1648. L’honorable Joseph-Édouard Caron, ministre actuel de l’Agriculture et de la Voirie, au gouvernement de Québec, ainsi que l’auteur de ce modeste travail, descend d’Abraham Martin, par cette dernière.

Mgr Tanguay, dans son Dictionnaire généalogique, écrit : « Il est digne de remarque que Mgr Tacgé, évêque de la Rivière Rouge (St-Boniface), compte à la fois parmi ses ancêtres en ligne directe, les trois premiers propriétaires de Québec, Louis Hébert, Guillaume Couillard et Abraham Martin. » Ce dernier fut inhumé à Québec, le 8 septembre 1664.


Généalogie de l’Honorable Joseph-Édouard Caron.


I. Robert Caron, chef de cette famille, épousa, à Québec, le 25 octobre 1637, Marie Crevet.

II. Robert Caron, l’un de ses fils, épousa, au Château-Richer, le 14 novembre 1674, Marguerite Cloutier, fille de Jean Cloutier et de Marie Martin ; celle-ci était née du mariage d’Abraham Martin dit l’Écossais et de Marguerite Langlois.

III. Augustin Caron, né le 13 mars 1682, épousa, le 21 novembre 1712, à Sainte-Famille de l’Île d’Orléans, Marie-Madeleine Gaulin.

IV. Joseph Caron épousa, le 17 juillet 1742, à Ste-Anne de la Pocatière, Marie-Françoise Saucier.

V. Jean-Baptiste Caron épousa, le 1er février 1781, à St-Roch des Aulnaies, Marie-Madeleine Pelletier.

VI. Joseph Caron épousa, le 28 février 1813, à la Rivière Ouelle, Marie-Madeleine Bouchard.

VII. Édouard Caron épousa, le 24 novembre 1851, Marie-Éliza Morneau ; en secondes noces, le 27 février 1862, Marie-Desanges Cloutier.

VIII. L’honorable Joseph-Édouard Caron est né du second mariage, à Sainte-Lucie, le 10 janvier 1866. Il est cultivateur. Il fut élu député du comté de l’Islet en 1902, et, en 1912, il devint député des Îles de la Madeleine.


Généalogie de l’Auteur.


I. Robert Caron.

Marie Crevet.

II. Robert Caron.

Marguerite Cloutier, fille de Jean Cloutier et de Marie Martin.

III. François Caron épousa à Ste-Anne, Françoise Paré.

IV. Marie-Reine Caron épousa, à l’Islet, le 23 juillet 1731, Jean-Baptiste Couillard Després, seigneur de l’Islet.

V. Emmanuel Couillard Després, à l’Islet, le 5 août 1763, épousa Élisabeth Califour.

VI. Emmanuel Couillard Després, le 19 juillet 1791, à l’Islet, épousa Marie-Françoise Robichaud.

VII. François-Régis Couillard Després, le 26 janvier 1830, à St-Hyacinthe, épousa Marie-Anne Viens. Ce fut l’aïeul de l’auteur, qui est né du mariage d’Azarie Couillard Després et de Valérie Larose-Chagnon, le 4 mars 1876.

Jean-Baptiste Couillard Després, qui épousa Marie-Reine Caron, était fils de Jacques Couillard Després, seigneur de la Rivière du Sud, et d’Élisabeth Lemieux. Celui-ci était fils de Louis Couillard de Lespinay et de Geneviève des Prez, et ce dernier, fils de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert.

M. Bourassa, que nous citons ici, écrit que le roi créa un fief en faveur de Couillard. Depuis la mort de Louis Hébert Couillard était devenu seigneur de la moitié du fief Lespinay et du Sault-au-Matelot. En 1638, il possédait un moulin sur ses terres de la Rivière St-Charles.

Louis Hébert n’a pas laissé de descendants qui portent son nom. Ceux qui tiennent par le sang à ce patriarche de la colonie, ils sont légion, descendent de Marie-Guillemette Hébert et de Marie-Françoise, fille de Guillaume Hébert et petite-fille de Louis Hébert.

Les Couillard possédèrent des domaines considérables à Québec même. Guillaume Couillard reçut, dès 1627, du duc de Ventadour, un domaine de cent arpents qui prenait au bout des terres de Louis Hébert. Charles Couillard de Islets de Beaumont, son fils, posséda le fief des Islets. En 1672, il obtint la seigneurie de Beaumont. Louis Couillard de Lespinay, son frère, acquit la seigneurie de la Rivière du Sud, dans le comté de Montmagny ; il fit concéder, en 1672, à sa fille Geneviève, la seigneurie de l’Islet St-Jean. Louis Couillard compte encore de nos jours des descendants qui détiennent des parts assez considérables dans la seigneurie de la Rivière du Sud. Ce sont les Couillard Dupuis et les Fournier.

Quant à la seigneurie de l’Islet St-Jean, après avoir été séparée entre les Couillard Després et des Écores, elle est passée en des mains étrangères. Un seul descendant possède de nos jours une faible portion du domaine des ancêtres[14].


Note du chapitre XII,


Le mariage de Martin Provost à Marie-Olivier Manitouabewich fut l’un des rares mariages contractés entre Français et Sauvages. Il y eut peu d’unions de cette sorte. Le Dictionnaire de Mgr Tanguay et nos Archives paroissiales le prouvent surabondamment.


Note du chapitre XIII,


Joseph Hébert, fils de Guillaume Hébert et d’Hélène Desportes, fut baptisé le 3 novembre 1636. Il eut pour parrain M. de Montmagny, gouverneur de la Nouvelle-France ; pour marraine Marie Rollet, veuve de Louis Hébert, épouse de Guillaume Hubou.

Marie-Françoise Hébert fut baptisée le 27 janvier 1638 par le Père de Quen, Jésuite. Parrain Guillaume Hubou ; marraine Marie-Guillemette Hébert.


Note de la page

Anoblissement des Couillard


Lettre de noblesse de Louis Couillard de Lespinay et de Charles Couillard des Islets de Beaumont, son frère, tous deux fils de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert.
Lettres de noblesse
pour le pais de Canada.
Moyen Papier.WW
De PARISWWW
GÉNÉRALITÉ.WW


Louis par La grace de Dieu Roy de France et de Nauarre.


A tous présents et advenir Salut

Les Roys nos predecesseurs ayant toujours estimé que L’honneur estoit Le plus puissant motif p. porter Leurs Sujets aux genereuses actions ont prié de reconnoistre par des Marques d’honneur Ceux qu’une Vertu extraor’dre en auoit rendus dignes, & Coe. nous Sommes informez des bonnes actions que font Journelemt. Les peuples de Canada Soit en reduisant ou disciplinant Les Sauvages, soit en se deffendant Contre Leurs frequentes Insultes & Celles des Yroquois, aussy nous auons estimé qu’Ils estoit de nostre Justice de distinguer par des recompenses d’honneur Ceux qui se sont Le plus Signallez pour exciter les autres a meriter de semblables graces. A Ces Causes & desseins traicter fauorablemt. Nostre Cher & bien Amé Louis Couillard pour Le bon & Louable raport qui nous a esté fait de ses belles actions dans Le d. pays de Canada & p. autres Considérations a ce nous mouvans & de nostre grace Specialle plaine puissance & autorité royalle, Nous auons Annobly & par Ces presentes Signées de nostre main Annoblissons & Décorons du Tiltre & qualité de noblesse Le d. Louis Couillard ensemble Sa femme & enfans postérité & lignée Tant Masles que Femelles nez et a naistre en Loyal mariage Voulons & nous plaist qu’en tous actes Tant en Jugem. que dehors Ils soient tenus censez & reputées nobles & portent La qualité d’Ecuyers & puissent parvenir a tous dégrz de Chevallerie & de nostre gendarmerie — acquerir tenir & posséder toutes sortes de Fiefs Seigneuries & héritages nobles de quelques Tiltres & qualité qu’ils Soient & Jouissent de tous honneurs, autoritez prerogatives, preeminences, privileges, franchises, exemptions & Immunitez dont Jouissent & ont accoutumez de Jouïr & User Les autres nobles de nostre Royaume & porter Armes Telles qu’Ils Sont cy empraintes Sans que p. ce Le d. Sr. Soit tenu nous payer, ny a nos Successeurs Roys aucune Finance ny Indamnitez — ny a quelque Soe. qu’elles Se puissent monter, nous Lauons déchargé & deschargeons Luy auons fait & faisons don par Ces d. presentes SI DONNONS MANDEMTé a nos Amez & Féaux Coners. Les Gens tenans Nostre Cour de parlemt. a Paris Chambre de nos Comptes & Cour des Aydes au d. lieu que les presentes Lettres d’annoblissement Ils ayent a registrer & du Contenu en Icelles Fr. Souffrir & Laisser Jouir User Le d. Louis Couillard, Ses Enfants & postérité nez & a naistre en Loyal mariage plainemt. paisiblemt. & perpétuellemt. Cessans & faisant cesser tous Troubles & empeschemens nonobstant tous edits, déclarations, arrests, reglemens & autres choses à ce Contraires ausquelles nous auons dérogé & dérogeons par Ces d. pnts. CAR TEL EST Nre. PLAISIR & affain que ce Soit Chose ferme & Stable a tousjours nous y auons fait mettre nostre Scel DONNE a St-Germain en Laye au Mois de Mars L’an de Grace mil Six Cent soixante huict & de nostre Regne Le Vingt Cinquiesme Signé LOUIS & Sur le replit est escrit par le Roy de Lionne avec paraphe et a costé est escrit Visa Seiguier pour Seruir aux Lettres de noblesse et au dos Veu au Conseil Colbert Scellé du Sceau de Cire Verte.

Collationné a l’original et parchemin ce Jour et an par les Notaires garde notes du Roy au Chlet. de Paris Soubsignés ce vingt sept de Mars mil Six cens quatre vingt un.

(Signé) BelmardWWWWWWWWDoyonWWavec paraphe.


Le document suivant indique que Guillaume Couillard fut anobli en 1654.

« Vue par le Conseil les Lettres Patentes du Roy, données à Paris, au mois de décembre 1654, signées Louis, et sur le reply, par le Roy, Phelippeau, et scellées du grand sceau de cire verte sur lacqs de soye rouge et verte, par lesquelles pour les causes et considérations y contenues, Sa dicte Majesté aurait anobly et décoré du titre de noblesse Louis et Charles Couillard.

« Sa Majesté aurait confirmé et confirme les dictes lettres d’anoblissement accordées au dict Charles-Guillaume Couillard de Lespinay, en faveur des services rendus au païs du Canada.

« Tout considéré, le conseil a ordonné et ordonne que les dictes lettres de confirmation seront registrées au greffe d’iceluy, pour jouir par les dicts sieurs Louis et Charles Couillard, leurs enfants, et postérités, naiz et à naistre en loyal mariage de la qualité de nobles et des honneurs, prérogatives, prééminences, privilèges, exemptions, franchises et immunités, dont jouissent et ont accoutumé de jouir les autres nobles de France, d’ancienne extraction, conformément aux dictes lettres données en 1654, tant et si longuement, que luy et ses dicts enfants et postérité, vivront noblement, et ne feront acte dérogeant à leur noblesse. »

Damour, Talon.

Nous lisons encore sur le même document : « Lettres Patentes données à St-Germain en Laye, le 16 mars 1668, signées Louis, et sur le reply, par le Roy, Colbert, et scellées de même sceau, sur même cire lacqs, par lesquelles, en faveur des services rendus à sa Majesté par Louis Couillard de Lespinay, en ce païs de la Nouvelle-France, sa dite Majesté aurait confirmé et confirme les dictes lettres d’anoblissement accordées au dict Charles Guillaume, son père, pour sortir leur plein et entier effect, nonobstant l’édict du mois de septembre 1664, à condition, toutefois, de demeurer dans ce païs de la Nouvelle France ; les dictes lettres adressées, le tout attaché ensemble, sous un contre-scel, en mesme cire et lacqs : Ouy le substitut du procureur général du Roy et ses conclusions le rapport du Sieur Damours conseiller au dict conseil.

Au Volume III, Des Actes et Délibérations du Conseil Souverain, de Québec, à la page 641, l’on voit une requête présentée par Charles Couillard des Islets de Beaumont pour obtenir l’enregistrement de ces lettres au Conseil.

Veu par le Conseil la Requeste présentée en iceluy par Charles Couillard des Islets et de Beaumont A ce que pour les raisons y contenues Il luy playse entériner des lettres patentes du Roy au mois de mars 1668, par lesquelles il a plust à sa Majesté l’anoblir pour jouir par luy des privilèges et exemptions attribuez aux nobles du Royaume. Les dites Lettres patentes adressées au parlement a la Chambre des Comptes et à la Cour des Aydes à Paris pour y estre entérinées au bas de laquelle Requeste est l’arrest portant le soit montré au Procureur général de sa dite Majesté en date du 24ieme avril dernier.

Lettre de Cachet de sa ditte Majesté dattée à Saint-Germain en Laye le 24 avril 1675 signé Louis et plus bas Colbert adressée au dit Procureur Général portant que sa dite Majesté ayant été informée que les officiers de ce Conseil ont fait quelque difficulté d’enregistrer les lettres de noblesse des sieurs Denys, Godefroy, Des Islets et Lemoine… habitants de ce pays, sur ce que l’adresse en a esté faite au dit Parlement, et a luy mande et ordonne très expressément qu’il ayt à faire les Réquisitions nécessaires au nom de sa Majesté, pour enregistrer les dittes Lettres de noblesse au dit Conseil, encore que l’adresse ne luy en soit point faite. Réquisition du dit Procureur général de sa ditte Majesté, en datte du dit jour, 28 de ce mois.

Ouy le rapport de M. Louis Rouer de Villeray, Premier Conseiller, avant faire droit a ordonné et ordonne qu’il sera fait information du contenu des dittes Lettres par devant le dit sieur de Villeray.

Signé : Rouer de Villeray.



TABLE DES MATIÈRES

Chapitre I. — Louis Hébert. — Sa profession. — Sa famille. — Son goût pour les aventures. — La Nouvelle-France. — Jacques Cartier. — M. de Roberval. — Le marquis de la Roche. — M. de Monts. — Il est nommé lieutenant-général de l’Acadie. — Situation de l’Acadie. — Ses habitants. 
 13
Chapitre II. — Dangers de la traversée de l’océan. — Courage de Louis Hébert. — Les premiers explorateurs. — Louis Hébert et Samuel de Champlain. — Les colons. — L’établissement de l’île Sainte-Croix. — Le premier hivernement. — Maladies et souffrances. — Port-Royal. — M. de Monts retourne en France. — M. de Poutrincourt. — Les premiers défrichements à Port-Royal. — Louis Hébert et la culture. — Les services qu’il rend dans ce premier voyage. — Retour en France. 
 17
Chapitre III. M. de Poutricourt obtient une audience du roi. — Il succède à M. de Monts. — Il envoie son fils en Acadie. — Louis Hébert l’accompagne avec sa famille. — Les Jésuites arrivent à Port-Royal. — Mme de Poutrincourt s’embarque pour l’Acadie. — Charité de Louis Hébert envers les sauvages. — M. de Poutrincourt passe en France. — Il apprend la formation d’une nouvelle société. Le capitaine La Saussaye. — Louis Hébert commande à Port-Royal. — L’établissement de Saint-Sauveur. — Argall s’empare de cette place. — Destruction de Port-Royal. — Louis Hébert retourne en France avec sa famille. 
 27
Chapitre IV. M. de Champlain et la Compagnie des Marchands. On lui refuse des colons. — Louis Hébert consent à s’établir à Québec. — Il vend ses propriétés à Paris. — Il passe au Canada. — Dangers de la traversée. — Les Associés de la Compagnie des Marchands tentent de le décourager. — Persévérance de Louis Hébert 
 37
Chapitre V. — Québec en 1617. Les Français accueillent Louis Hébert avec joie. — La maison de Louis Hébert. — Les premiers défrichements. — La première moisson. — Louis Hébert et ses luttes contre les marchands. — Une requête est envoyée au roi. — Mariage d’Anne Hébert et d’Étienne Jonquest. — La première ferme modèle au Canada 
 45
Chapitre VI. — Louis Hébert et les sauvages. — Il apprend leur langue. — Les premières familles canadiennes. — Mme de Champlain arrive à Québec. — Sa charité exemplaire. — Elle retourne en France. — Héroïsme de nos premières mères. — Mariage de Guillaume Couillard et de Marie-Guillemette Hébert 
 59
Chapitre VII. — Louis Hébert, premier seigneur canadien. — Le fief du Sault-au-matelot et le fief Lespinay. — Mort de Louis Hébert. — Son éloge 
 66
Chapitre VIII. — Guillaume Couillard, chef de la famille. — Il continue ses travaux de culture. — Il introduit au Canada l’usage de la charrue. — La famine à Québec. – Les sauvages causent de grandes inquiétudes. — La colonie menacée par les Anglais. — La famine 
 74
Chapitre IX. — Les frères Kertk somment M. de Champlain de rendre la place. — La capitulation. — Louis Kertk engage les Français à rester à Québec. — Mme Hébert et Guillaume Couillard consultent M. de Champlain. — Réponse de ce dernier. — Les Français s’embarquent pour Tadoussac. — Couillard adopte les petites filles sauvages de M. de Champlain. — Départ des Français. — Guillaume Couillard revient à Québec. — Héroïsme de la famille Hébert-Couillard. — Naissance d’Élizabeth Couillard 
 84
Chapitre X. — Guillaume Couillard et Mme Hébert sont maltraités par les Anglais. — Ils désirent retourner en France. — Leur requête est rejetée. — Longue attente. — Retour des Français. — Joie de la famille Couillard. — La Sainte-Messe est célébrée dans la maison du premier colon. — Relation du Père Le Jeune 
 93
Chapitre XI. — Zèle de la famille de Louis Hébert pour la conversion des sauvages. — Les premiers baptêmes à Québec. — Un mot des enfants de Guillaume Couillard et de Marie Guillemette Hébert 
 99
Chapitre XII. — Le séminaire sauvage. — Deux interprètes célèbres. — Olivier Le Tardif et Jean Nicolet contribuent à cette œuvre chrétienne. — Services qu’ils ont rendus à la colonie. — Mort héroïque de Nicolet  
 106
Chapitre XIII. — Guillaume Hébert. — Sa mort. — Mort de Marie Rollet. — Guillaume Couillard concède le terrain de la fabrique de Québec. — Il fait des dons aux Dames de l’Hôtel-Dieu. — Il est anobli par le roi. — Ses dernières années. — Mort de ses deux fils et de Joseph Hébert  
 122
Chapitre XIV. — Mort de Guillaume Couillard. — La maison de Mme Couillard devint le berceau du Petit-Séminaire de Québec. — Mort de Marie-Guillemette Hébert. — Le Monument Hébert-Couillard  
 129



Imprimé par Desclée, De Brouwer et Cie, lille — paris — bruges.
  1. On peut voir au monastère des Révérendes Sœurs du Bon Pasteur, de Québec, une fontaine antique qui fut apportée au Canada par Louis Hébert, et qui a été conservée dans la famille Couillard de génération en génération.
  2. Il n’y avait pas de chevaux dans la colonie à cette époque.
  3. Louis Fréchette. La légende d’un peuple.
  4. Guillaume Couillard, d’après toute probabilité, était originaire de Normandie. Une note, trouvée dans les papiers de la famille Couillard, mais que nous n’avons pu vérifier, le fait naître en 1591, à St-Landry, de Paris, du mariage de Guillaume Couillard et de demoiselle Élisabeth de Vesin. Cette famille de Vesin était d’extraction noble ; elle portait : « De gueules à trois rocs d’échiquier d’or ».
  5. Relation de 1642.
  6. L’abbé Gosselin, Jean Nicolet, page 266.
  7. L’abbé Ferland, Histoire du Canada, 1er vol., page 277.
  8. Greffe de Bancheron, Archives du Séminaire de Québec.
  9. Audouard, Archives du Séminaire de Québec.
  10. Le Tardif et Nicolet avaient obtenu ce domaine de 160 arpents, de la compagnie des Cent-Associés, le 5 avril 1639, à la charge de payer un denier de cens par chacun des dits arpents et par chacun an. Bulletin des Recherches Historiques, janvier 1907, 10 vol.
  11. M. Antonio Pelletier.
  12. Voir La première famille française au Canada et l’Histoire des Seigneurs de la Rivière du Sud.
  13. Extrait du registre des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse de Notre-Dame de Québec, pour l’année mil six cent soixante-trois :

    « L’an mil cent soixante-trois, le quatre mars, mourut en sa maison après avoir reçu les sacrements d’Eucharistie et d’extrême-onction, monsieur Guillaume Couillard, ancien habitant de ce pays et le lendemain cinquième du même mois, il a été inhumé dans l’église de l’Hôtel-Dieu de ce pays, par le clergé de cette paroisse ».

    Lequel extrait, nous, vicaire de Notre-Dame de Québec, soussigné, certifions être vrai et conforme au registre original déposé dans les archives de la Cure de Québec.

    Expédié à Québec, le trois du mois de février mil neuf cent quatre.

    A. Faucher, Ptre.
  14. Voir l’Histoire des Seigneurs de la Rivière du Sud.