Lucien Leuwen (ed. Martineau)/Chapitre 29

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (IIp. 107-122).


CHAPITRE XXIX


« Ah ! vous me décidez, monsieur ! s’écria-t-elle en le voyant entrer. Que je suis heureuse de vous voir ! Je n’irai pas chez madame de Marcilly. »

Et elle rappela le domestique qui sortait pour dire de faire dételer les chevaux.

— Mais comment faites-vous pour n’être pas aux pieds de la sublime Chasteller ? Est-ce qu’il y aurait brouille dans le ménage ?

Madame d’Hocquincourt examinait Leuwen d’un air riant et malin.

— Ah ! c’est clair, s’écria-t-elle en riant. Cet air contrit m’a tout dit. Mon malheur est écrit dans ces traits altérés, dans ce sourire forcé ; je ne suis qu’un pis-aller. Allons, contez-moi, puisque je ne suis qu’une humble confidente, contez-moi vos chagrins. Sous quel prétexte vous a-t-on chassé ? Vous chasse-t-on pour recevoir un homme plus aimable ou vous chasse-t-on parce que vous l’avez mérité ? Mais d’abord, soyez sincère, si vous voulez être consolé.

Leuwen eut beaucoup de peine à se tirer passablement des questions de madame d’Hocquincourt. Elle ne manquait point d’esprit, et, cet esprit se trouvant tous les jours au service d’une volonté ferme et d’une passion vive, il avait acquis toutes les habitudes du bon sens. Leuwen était d’abord trop occupé de sa colère pour savoir donner le change. Dans un moment où, tout en répondant à madame d’Hocquincourt, il pensait malgré lui à ce qui lui arrivait avec madame de Chasteller, il se surprit adressant des propos galants, presque des choses aimables et personnelles à la jeune femme qui, dans un négligé élégant et dans l’attitude de l’intérêt le plus vif, se trouvait à demi couchée sur un canapé, à deux pas devant lui.

Dans la bouche de Leuwen, ce langage avait pour madame d’Hocquincourt tout le mérite de la nouveauté. Leuwen remarqua que madame d’Hocquincourt, occupée de l’effet d’une attitude charmante, qu’elle regardait dans une armoire à glace voisine, cessait de le tourmenter sur madame de Chasteller. Leuwen, devenu machiavélique par le malheur, se dit :

« Le langage de la galanterie, en tête à tête avec une jeune femme qui lui fait l’honneur de l’écouter d’un air presque sérieux, ne peut guère se dispenser de prendre un ton hardi et presque passionné. »

Il faut avouer que Leuwen, en faisant ce raisonnement, trouvait un vif plaisir à n’être pas un petit garçon avec tout le monde. Pendant ce temps, madame d’Hocquincourt allait sur son compte de découvertes en découvertes. Elle commençait à le trouver l’homme le plus aimable de Nancy. Cela était d’autant plus dangereux qu’il y avait déjà plus de dix-huit mois que durait M. d’Antin, c’était un règne bien long et qui étonnait tout le monde.

Heureusement pour sa durée, le tête-à-tête fut interrompu par l’arrivée de M. de Murcé. C’était un grand jeune homme maigre, qui portait avec fierté une petite tête surmontée de cheveux très noirs. Fort taciturne au commencement d’une visite, son mérite consistait en une gaieté parfaitement naturelle et fort drôle à cause de sa naïveté, mais qui ne le prenait que lorsque depuis une heure ou deux il se trouvait avec des gens gais. C’était un être profondément provincial, mais cependant fort aimable. Aucune de ses gaietés ne se serait dite à Paris, mais elles étaient fort drôles et lui allaient fort bien.

Bientôt après survint un autre habitué de la maison, M. de Goëllo. C’était un gros homme blond et pâle, de beaucoup d’instruction et d’un peu d’esprit, qui s’écoutait parler et disait une fois au moins par jour qu’il n’avait pas encore quarante ans, ce qui était vrai : il avait trente-neuf ans passés. Du reste, c’était un être prudent : répondre oui à la question la plus simple, ou avancer, dans l’occasion, une chaise à quelqu’un était un sujet de délibération qui l’occupait un quart d’heure. Quand il agissait ensuite, il affectait les formes de la bonhomie et de l’étourderie la plus enfantine. Depuis cinq ou six ans, il était amoureux de madame d’Hocquincourt, il espérait toujours que son tour viendrait, et quelquefois cherchait à faire croire aux nouveaux arrivants que son tour était déjà venu et passé.

Un jour, au cabaret, madame d’Hocquincourt, le voyant occupé de ce rôle, lui dit :

— Tu es un futur, mon pauvre Goëllo, qui se fait passé, mais qui ne sera jamais présent. Car dans ses moments de fougue d’esprit elle tutoyait ses amis sans que personne y trouvât rien d’indécent ; on voyait que c’était l’intimité du brio, qui est à mille lieues des sentiments tendres.

M. de Goëllo fut suivi, à intervalles pressés, de quatre ou cinq jeunes gens.

« C’est, en vérité, tout ce qu’il y a de mieux et de plus gai dans la ville », se disait Leuwen en les voyant arriver.

— Je sors de chez madame de Marcilly, dit l’un d’eux, où ils sont tout tristes, et affectent d’être encore plus tristes qu’ils ne le sont.

— C’est ce qui est arrivé à N*** qui les rend si aimables.

— Moi, disait un autre, choqué de la façon dont madame d’Hocquincourt regardait Leuwen, quand j’ai vu que nous n’avions ni madame d’Hocquincourt, ni madame de Puylaurens, ni madame de Chasteller, j’ai pensé que je n’avais d’autre ressource que d’enterrer ma soirée dans une bouteille de champagne ; et c’était le parti que j’allais prendre si j’avais trouvé la porte de madame d’Hocquincourt fermée au vulgaire.

— Mais, mon pauvre Téran, reprit madame d’Hocquincourt à cette allusion hostile à la réputation de Leuwen, on ne menace pas de s’enivrer, on s’enivre. Il faut avoir l’esprit de voir cette différence.

— Rien de plus difficile, en effet, que de savoir boire, reprit le pédant Goëllo. (On craignit une anecdote.)

— Qu’allons-nous faire ? Qu’allons-nous faire ? » s’écrièrent à la fois Murcé et un des comtes Roller.

C’était la question que tout le monde faisait sans que personne trouvât la réponse, quand parut M. d’Antin. Son air riant éclaircit tous les fronts. C’était un grand jeune homme blond de vingt-huit à trente ans, pour qui l’air sérieux et important était une impossibilité. Il eût annoncé l’incendie de la rue, que sa figure n’eût pas été lugubre. Il était fort joli homme, mais quelquefois on eût pu reprocher à sa charmante figure l’expression un peu louche et stupide de l’homme qui commence à s’enivrer. Quand on le connaissait, c’était une grâce de plus. Le fait est qu’il n’avait pas le sens commun, mais le meilleur cœur du monde et un fond de gaieté incroyable. Il achevait de manger une grande fortune, qu’un père fort avare lui avait laissée depuis trois ou quatre ans. Il avait quitté Paris où on l’avait pourchassé pour des plaisanteries sur un personnage auguste. C’était un homme unique pour organiser les parties de plaisir, rien ne pouvait languir dans les lieux où il se trouvait. Mais madame d’Hocquincourt connaissait toutes ces grâces, et la surprise, élément si essentiel de son bonheur, était impossible. Goëllo, qui avait appris ce mot de madame d’Hocquincourt, plaisantait lourdement M. d’Antin sur ce qu’il ne faisait plus rien de neuf, lorsque le comte de Vassignies entra.

— Vous n’avez qu’un moyen de durer, mon cher d’Antin, lui dit Vassignies, devenez raisonnable.

— Je m’ennuierais moi-même. Je n’ai pas votre courage, moi. J’aurai bien le temps d’être sérieux quand je serai ruiné ; alors, pour m’ennuyer d’une manière utile, je compte me jeter dans la politique et dans les sociétés secrètes en l’honneur de Henri V, qui est mon roi à moi. Me donnerez-vous une place ? En attendant, messieurs, comme vous êtes fort sérieux et encore tout endormis de l’amabilité de l’hôtel Marcilly, jouons à ce jeu italien que je vous ai appris l’autre jour, le pharaon. M. de Vassignies, qui ne le sait pas, taillera ; Goëllo ne pourra pas dire que j’arrange les règles du jeu pour gagner toujours. Qui sait le pharaon ici ?

— Moi, dit Leuwen.

— Eh bien ! soyez assez bon pour surveiller M. de Vassignies et lui faire suivre les règles du jeu. Vous, Roller, vous serez le croupier.

— Je ne serai rien, dit Roller d’un ton sec, car je file.

Le fait est que le comte Roller croyait s’apercevoir que Leuwen, qu’il n’avait jamais rencontré chez madame d’Hocquincourt, allait jouer un rôle agréable dans cette soirée, ce que ne pouvant digérer il sortit.

Une bonne partie de la société de Nancy, surtout les jeunes gens, ne pouvait souffrir Leuwen. Il avait eu le triste avantage de leur faire deux ou trois réponses insolentes qui passèrent, même à leurs yeux, pour fort spirituelles, et lui en firent des ennemis à la vie et à la mort.

— Après le jeu, à minuit, reprit d’Antin, quand vous serez ruinés comme de braves jeunes gens bien rangés, nous irons souper à la Grande Chaumière. (C’est le meilleur cabaret de Nancy, établi dans le jardin d’un ancien couvent de Chartreux.)

— J’y consens, dit madame d’Hocquincourt, si c’est un pique-nique.

— Sans doute, reprit d’Antin ; et comme M. Lafiteau, qui a d’excellent vin de Champagne, et M. Piébot, le seul glacier du pays, pourraient se coucher, je vais m’occuper, au nom du pique-nique, d’avoir du vin et de le faire frapper. J’enverrai à la Grande Chaumière. En attendant, M. Leuwen, voilà cent francs ; faites-moi l’honneur de jouer pour moi, et tâchez de ne pas séduire madame d’Hocquincourt, ou je me venge, et je passe à l’hôtel de Pontlevé pour vous dénoncer. »

Tout le monde obéit à ce qu’avait décidé d’Antin, même le politique Vassignies. On joua, et après un quart d’heure le jeu fut très animé. C’était sur quoi d’Antin avait compté pour chasser à jamais l’envie de bâiller, prise chez madame de Marcilly.

— Je jette les cartes par la fenêtre, dit madame d’Hocquincourt, si quelqu’un ponte plus de cinq francs. Est-ce que vous voulez faire de moi une marquise brelandière ?

D’Antin revint ; on partit à minuit et demi pour le jardin de la Grande Chaumière. Un petit oranger en fleurs, l’unique qui fût dans Nancy, se trouvait placé au milieu de la table. Le vin était parfaitement frappé. Le souper fut fort gai, personne ne s’enivra, et l’on se sépara les meilleurs amis du monde à trois heures du matin.

C’est ainsi qu’une femme se perd de réputation en province ; c’est ce dont madame d’Hocquincourt se moquait parfaitement. En se levant, le lendemain matin, elle alla voir son mari, qui lui dit en l’embrassant :

— Tu fais bien de t’amuser, ma pauvre petite, puisque tu en as le courage. Sais-tu ce qui est arrivé à X*** ? Ce roi que nous haïssons tant se perd, et après lui la république, qui coupera le cou à lui et à nous.

— À lui, non ; il a trop d’esprit. Et quand à vous, je vous enlève au delà du Rhin.

Leuwen prolongea le plus possible sa demeure à l’hôtel d’Hocquincourt ; il sortit avec les derniers de ses compagnons de soirée, il s’attacha à leur petite troupe qui s’allait diminuant à chaque coin de rue à mesure que chacun prenait le chemin de sa maison ; enfin, il accompagna fidèlement celui de ces messieurs qui demeurait le plus loin. Il parlait beaucoup, et éprouvait une répugnance mortelle à se trouver seul avec soi-même. C’est que, à l’hôtel d’Hocquincourt, tout en écoutant les contes et l’amabilité de ces messieurs, et, cherchant à conserver, par des mots bien placés, la position que madame d’Hocquincourt semblait lui donner et qui n’était pas d’un petit garçon, il avait pris une résolution pour le lendemain.

Il s’agissait de ne pas se présenter à l’hôtel de Pontlevé. Il souffrait.

« Mais il faut, se disait-il, avoir soin de son honneur, et si je m’abandonne moi-même, je verrai s’éteindre dans le mépris la préférence qu’il me semble quelquefois évident qu’elle a pour moi. D’un autre côté, Dieu sait quelle nouvelle insulte elle me prépare si j’arrive chez elle demain ! »

Ces deux pensées, qui se présentaient successivement, furent un enfer pour lui.

Ce lendemain arriva bien vite, et avec lui parut le sentiment vif du bonheur dont il allait se priver s’il n’allait pas à l’hôtel de Pontlevé. Tout lui semblait fade, décoloré, odieux, en comparaison de ce trouble délicieux qu’il trouverait dans la petite bibliothèque, en face de cette petite table d’acajou devant laquelle elle travaillait en l’écoutant parler. La seule résolution de s’y présenter changeait sa position dès ce moment.

« D’ailleurs, si je n’y vais pas ce soir, ajoutait Leuwen, comment m’y présenter demain ? (Son embarras mortel avait recours aux lieux communs.) Veux-je, après tout, me fermer cette maison ? Et pour une sottise encore, dans laquelle peut-être j’avais tort. Je puis demander une permission au colonel et aller passer trois jours à Metz… Je me punirais moi-même, j’y périrais de douleur. »

D’un autre côté, dans ses sentiments exagérés de délicatesse féminine, madame de Chasteller n’avait-elle point voulu lui faire entendre qu’il fallait rendre ses visites plus rares, par exemple les réduire à une par semaine ? En se présentant si tôt dans une maison de laquelle il avait été exclu en termes si formels, ne s’exposait-il pas à redoubler la colère de madame de Chasteller et, bien plus, à lui donner de justes motifs de plainte ? Il savait combien elle était susceptible pour ce qu’elle appelait les égards dus à son sexe. Il est très vrai que dans sa lutte désespérée contre le sentiment qu’elle avait pour Leuwen, madame de Chasteller, mécontente du peu de confiance qu’elle pouvait avoir dans ses résolutions les plus arrêtées, était souvent irritée contre elle-même, et lui faisait alors de bien mauvaises querelles.

Avec un peu plus d’expérience de la vie, ces querelles, sans sujet raisonnable de la part d’une femme qui avait autant d’esprit et dont la modestie et l’équité naturelles étaient bien loin de s’exagérer les torts des autres, ces querelles auraient montré à Leuwen de quels combats était le théâtre ce cœur qu’il assiégeait. Mais ce cœur politique avait toujours méprisé l’amour et ignorait l’art d’aimer, chose si nécessaire. Jusqu’au hasard qui lui avait fait voir madame de Chasteller et au mouvement de vanité qui lui avait rendu désagréable l’idée qu’une des plus jolies femmes de la ville pût avoir de justes raisons de se moquer de lui, il s’était dit :

« Que penserait-on d’un homme qui, en présence d’une éruption du Vésuve, serait tout occupé à jouer au bilboquet ? »

Cette image imposante a l’avantage de résumer son caractère et celui de ce qu’il y avait de mieux parmi les jeunes gens de son âge. Quand l’amour était venu remplacer dans le cœur de ce jeune Romain un sentiment plus sévère, ce qui restait de l’adoration du devoir s’était transformé en honneur mal entendu.

[Dans la position actuelle de Leuwen, le plus petit jeune homme de dix-huit ans, pour peu qu’il eût eu quelque sécheresse d’âme et un peu de ce mépris pour les femmes, si à la mode aujourd’hui, se fût dit : Quoi de plus simple que de se présenter chez madame de Chasteller sans avoir l’air d’attacher la moindre importance à ce qui s’est passé hier, sans même faire mine de se souvenir le moins du monde de cette petite boutade d’humeur, mais prêt à faire toutes les excuses possibles de ce qui s’était passé et ensuite à parler d’autre chose, s’il se trouvait que madame de Chasteller voulût encore attacher quelque importance au crime affreux de lui avoir baisé la main.]

Mais Leuwen était bien loin de ces idées. Au point de bon sens et de vieillesse morale où nous sommes, il faut, j’en conviens, faire un effort sur soi-même pour pouvoir comprendre les affreux combats dont l’âme de notre héros était le théâtre, et ensuite pour ne pas en rire.

Vers le soir, Leuwen, ne pouvant plus tenir en place, se promenait à pas inquiets sur un bout de rempart solitaire, à trois cents pas de l’hôtel de Pontlevé. Comme Tancrède, il se battait contre des fantômes, et il avait besoin d’un grand courage. Il était plus incertain que jamais, lorsqu’une certaine horloge qu’il entendait de fort près lorsqu’il se trouvait dans la petite chambre de madame de Chasteller vint à sonner sept heures et demie avec cette foule de quarts et de demi-quarts dont les heures sont entourées dans les horloges presque allemandes de l’est de la France.

Le son de cette cloche décida Leuwen. Sans se rendre compte de rien, il eut le vif souvenir de l’état de bonheur qu’il goûtait tous les soirs en entendant ces demi-quarts, et il prit en dégoût profond les sentiments tristes, cruels, égoïstes, auxquels il était en proie depuis la veille. Il est sûr qu’en se promenant sur ce triste rempart, il voyait tous les hommes bas et méchants. La vie lui semblait aride et dépouillée de tout plaisir et de ce qui fait qu’il vaut la peine de vivre. Mais, au son de la cloche, électrisé par cette communauté de sentiments de deux âmes grandes et généreuses, qui fait qu’elles s’entendent à demi-mot, il précipita ses pas vers l’hôtel de Pontlevé.

Il passa rapidement devant la portière.

— Où allez-vous, monsieur ? lui cria-t-elle de sa petite voix tremblante et en se levant de son rouet comme pour lui courir après. Madame est sortie.

— Quoi ! elle est sortie ? Vraiment ? » dit Lucien. Et il restait anéanti et comme pétrifié.

La portière prit son immobilité pour de l’incrédulité.

— Il y a près d’une heure, reprit-elle avec un air de candeur, car elle aimait Leuwen ; vous voyez bien la remise ouverte, et le coupé n’y est pas.

Leuwen prit la fuite à ces paroles, et en deux minutes il fut de nouveau sur son rempart. Il regardait sans voir le fossé fangeux, et au delà la plaine aride et désolée.

« Il faut avouer que j’ai fait là une jolie expédition ! Elle me méprise… et au point de sortir exprès une heure avant celle où elle me reçoit tous les jours. Digne punition d’une lâcheté ! Ceci doit me servir de règle pour l’avenir. Si je n’ai pas le courage de résister de près, eh bien, il faut solliciter une permission pour Metz. Je souffrirai, mais personne ne voit l’intérieur de mon cœur, et l’éloignement des lieux me sauvera [de] la possibilité de commettre ces sortes de fautes qui déshonorent. Oublions cette femme orgueilleuse… Après tout, je ne suis pas colonel ; il y a plus que de la folie à moi, il y a insensibilité au mépris de s’obstiner à lutter contre l’absence de rang. »

Il vola chez lui, attela lui-même les chevaux à sa calèche en maudissant la lenteur du cocher, et se fit conduire chez madame de Serpierre. Madame était sortie, et la porte était fermée.

« C’est évident, toutes les portes sont fermées pour moi aujourd’hui. »

Il monta sur le siège et alla au galop au Chasseur vert ; les dames de Serpierre n’y étaient point. Il parcourut avec fureur les allées de ce beau jardin. Les musiciens allemands buvaient dans un cabaret voisin ; ils l’aperçurent et coururent après lui.

— Monsieur, monsieur, voulez-vous les duos de Mozart ?

— Sans doute.

Il les paya et se jeta dans sa voiture pour regagner Nancy.

Il fut reçu chez madame de Commercy, où il fut d’une gravité parfaite. Il y fit deux robs de whist avec M. Rey, grand vicaire de Mgr l’évêque de Nancy, sans que [ce] vieux partenaire grognon pût lui reprocher la moindre étourderie.