Mélanges/Tome I/101

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« M. PARKMAN ET L’UNIVERSITÉ »


21 novembre 1878


Sous ce titre, le Journal de Québec d’hier soir publie l’article suivant :

À la rumeur que l’Université Laval aurait conféré à M. Parkman le titre de Docteur-ès-Lettres, deux journalistes de cette ville se sont permis de demander directement à l’Université des explications sur ce sujet. Pour notre part, nous sommes convaincus que les directeurs de cette institution, en agissant ainsi, n’aurait voulu faire qu’un acte de simple courtoisie envers un homme distingué dont ils ne prétendraient pas par là endosser toutes les idées, mais uniquement pour reconnaître le travail et le mérite réel.[1]

Mais, laissant de côté toute autre considération, nous dirons en toute sincérité que nous ne saurions approuver la ligne de conduite de nos confrères. Ils pourraient peut-être se convaincre eux-mêmes de leur tort, en relisant attentivement le paragraphe XVI du Règlement du Conseil de haute surveillance de l’Université-Laval, publiée cette année même, dans l’Annuaire, p. 59, où l’on ne permet à personne d’autre mode de réclamation et d’action contre l’Université et ses professeurs que celui de porter des plaintes privément au seul tribunal compétent de l’autorité ecclésiastique, indiqué par le Saint-Siège. Voici la teneur de ce décret dont personne n’ignore la portée ni la stricte rigueur :

« Que, dans leurs écrits, les écrivains catholiques observent au sujet de l’Université et de ses professeurs, en tant que professeurs, le XXIIe décret du ve Concile de Québec. Si quelqu’un qui n’est pas revêtu de la dignité épiscopale, pense avoir quelque motif de se plaindre soit de l’Université elle-même soit de quelqu’un des professeurs, qu’on ne lui permette aucune autre voie que de déclarer privément ses plaintes à un des évêques. À cet évêque ensuite il appartiendra de juger ce qu’il faut faire. Si cet évêque croit que ces plaintes sont basées sur de justes motifs qu’il porte la chose soit devant le chancelier, soit devant le conseil supérieur dont il aura demandé à l’archevêque la convocation. »

Que chacun s’en tienne donc, une fois pour toutes, à cette règle si sage et nous éviterons ces discussions fâcheuses qui n’ont d’autre résultat que de compromettre la paix et l’harmonie dont nous avons tant besoin.


Nous reproduisons l’article en entier pour que l’on ne puisse pas nous accuser de tronquer cet écrit qui a plus d’importance qu’il n’en a l’air de prime abord.

Cet article est une infamie, nous ne trouvons pas d’autre mot qui convienne à une lâcheté pareille.

Le Journal de Québec fait évidemment allusion à l’article publié par M. Tardivel dans les colonnes du Canadien, lundi dernier, et à un article du Courrier du Canada de mardi. Quant à l’article du Courrier, nous n’avons rien à y voir ; notre confrère est capable de se défendre. Mais l’accusation que deux journalistes de cette ville se sont permis de demander directement à l’Université des explications, est un mensonge proféré avec malice et préméditation. M. Tardivel, dans sa critique des œuvres de M. Parkman, n’a fait allusion, ni directement ni indirectement à l’Université Laval ; encore moins s’est-il permis de demander des explications aux directeurs de cette institution. Nous mettons le Journal de Québec au défi de prouver ce qu’il affirme avec tant d’aplomb ; s’il ne peut pas le prouver, nous le sommons de se rétracter.

M. Tardivel sait, sans les lumières du Journal, qu’il est défendu aux catholiques, par un décret venu de Rome, de traduire l’Université-Laval devant l’opinion publique ; aussi s’est-il bien gardé de le faire. Mais il sait également qu’il est défendu aux catholiques, par un décret venu de plus haut encore que Rome, de porter faux témoignage contre son prochain. Que ceux qui écrivent dans le Journal de Québec se conforment à ce dernier précepte ; jamais les rédacteurs du Canadien n’enfreindront les ordres venus de Rome au sujet de l’Université.

Nous aimerions bien à savoir qui a « compromis la paix et l’harmonie ? » Est-ce l’un de nos rédacteurs, qui n’a fait que critiquer, comme il en a le droit, les livres de M. Parkman, sans même savoir que cet auteur avait reçu le titre de docteur-ès-lettres ? N’est-ce pas plutôt l’écrivain du Journal de Québec qui calomnie sciemment et de propos délibéré l’un de ses confrères ? Que les honnêtes gens répondent.[2]


  1. Les directeurs de l’Université Laval avaient-ils réellement songé, comme on le disait dans le temps, à conférer le titre de docteur-ès-lettres à M. Parkman ? Nous ne saurions l’affirmer. Le ton de l’article du Journal de Québec, qui s’applique à plaider des circonstances atténuantes, semblerait indiquer que le bruit qui circulait alors avait quelque fondement. Du reste, un journal anglais rationaliste, le Daily Telegraph, de Québec, prétendait même que cet « acte de courtoisie » était un fait accompli. En effet, nous lisons dans cette feuille, à la date du 18 novembre, 1878 — le même jour où notre premier article paraissait — l’entrefilet suivant : « We are informed that Mr Francis Parkman, the eminent historian, has received from Laval University an honory diploma of Doctor de Lettres. » (sic). Quoi qu’il en soit, et que le projet d’honorer M. Parkman ait été formé ou non par les directeurs de l’Université, il est certain qu’ils ont, dès lors, renoncé à cette idée, si toutefois elle s’était présentée à leur esprit, car le nom de cet insulteur de l’Église ne figure pas parmi les docteurs-ès-lettres de Laval.
  2. Le Journal de Québec dut faire amende honorable, et admettre, quoique de mauvaise grâce, qu’il s’était trompé en nous accusant d’avoir attaqué l’Université.

    En effet, le lecteur a pu s’en convaincre, dans notre article sur M. Parkman il n’était pas plus question de l’Université-Laval et de ses professeurs que de l’homme dans la lune. Pour s’excuser, le Journal déclara qu’il n’avait pas lu notre écrit ! Aveu humiliant pour un journaliste, mais il ne restait au rédacteur du Journal aucun autre moyen de mettre sa bonne foi tant soit peu à couvert.