Mélanges/Tome I/119

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imprimerie de la Vérité (Ip. 389-393).

APPENDICE


Québec, 9 octobre 1881.
À Monsieur le rédacteur de la Vérité.
Monsieur le rédacteur,

S. G. Mgr l’Archevêque m’a chargé de vous transmettre les documents ci-inclus : vous êtes prié de les reproduire dans votre journal.

Je demeure,
Monsieur le rédacteur,
Votre serviteur dévoué,
Cyrille E. Légaré, V. G.

ARCHEVÊCHÉ DE QUÉBEC,


10 octobre 1881,


Monsieur le rédacteur de la Vérité,
Monsieur le Rédacteur,

En vous transmettant les documents ci joints que je vous prie de vouloir bien publier dans votre journal, je crois devoir vous informer que le Saint-Siège désire que l’on s’abstienne de les commenter ou discuter.

Maintenant que le Souverain Pontife a parlé, il est du devoir de tout catholique sincère d’accepter sa décision avec respect et pleine soumission. Il déclare que son désir est que la concorde et la paix règnent parmi les catholiques de cette province ; un journaliste catholique doit donc s’abstenir de tout ce qui pourrait donner occasion à de nouvelles dissensions.

S’il se présente à ce sujet une difficulté à résoudre, une plainte à formuler, une accusation à porter, une demande à faire, il faut toujours s’adresser à qui de droit, avant d’avoir recours aux feuilles publiques. Autrement, on s’expose à faire plus de mal que de bien, et à manquer à la charité, à la justice ou à la prudence.

Les questions dans lesquelles se trouvent mêlées les relations pratiques entre l’Église et l’État, sont ordinairement graves et appartiennent à cet ordre de choses que le droit canonique appelle causes majeures, et que les évêque eux-mêmes ne doivent pas traiter sans l’assentiment et la direction du Saint-Siège. À plus forte raison, un journaliste ne doit-il s’y aventurer qu’avec prudence et après avoir pris la direction de son Ordinaire. Telle est, par exemple, la question de l’Influence indue cléricale, sur laquelle le Saint-Siège vient de nous donner une instruction si précise. À cela se rapportent les paroles suivantes de la première lettre de Son Éminence, sur lesquelles j’attire spécialement votre attention, parce qu’elles tendent à faire disparaître une équivoque dont on a abusé trop souvent : « L’Église, en condamnant le libéralisme, n’entend pas frapper tous et chacun des partis politiques, qui, par hasard, s’appellent libéraux, puisque les décisions de l’Église se rapportent à certaines erreurs opposées à la doctrine catholique, et non pas à un parti politique quelconque déterminé, et que, par conséquent, ceux-là font mal qui, sans autre fondement, déclarent être condamné par l’Église un des partis politiques du Canada, à savoir, le parti appelé réformiste, parti ci-devant chaudement appuyé même par quelques Évêques. »

Il faut aussi éviter d’entraîner ou de mêler le clergé dans des questions où son autorité et son ministère pourraient avoir à souffrir.

Pour ce qui concerne l’Université-Laval en particulier, aucun écrivain catholique ne doit perdre de vue le règlement si clair établi par le Saint-Siège en 1877, et dont l’article XVI se lit comme suit :

« XVI. Les écrivains catholiques, en parlant de l’Université et de ses professeurs, devront observer dans leurs écrit le décret xxii du Cinquième Concile de Québec.* Si quelqu’un, qui n’est pas évêque, croit avoir raison de se plaindre, soit de l’Université, soit de quelqu’un de ses professeurs, il ne lui reste aucune autre voie à suivre que de manifester privément ses plaintes à quelqu’un des évêques. Il appartiendra ensuite à celui-ci de juger de ce qu’il faut faire. Si les plaintes lui paraissent bien fondées, il devra les transférer soit au Chancelier, soit au Conseil Supérieur, dont il demandera la convocation à l’Archevêque. »

Déjà, dans leur pastorale du 22 mai 1873, les Pères de notre Cinquième Concile avaient dit à tous les catholiques de la province :

« Nous voulons qu’à l’avenir, quiconque croirait devant Dieu avoir un grief contre cette Institution catholique ou quelqu’autre, le fasse non pas devant le tribunal incompétent de l’opinion publique, par la voie des journaux, mais devant ceux que les saintes lois de la hiérarchie catholique ont constitués les juges et les gardiens de la foi. »

Les Pères du même concile ajoutaient les paroles suivantes qui ne devraient jamais être oubliées par ceux qui entreprennent de traiter une question tant soit peu brûlante :

« Nous ne sommes pas, nous, catholiques, tellement forts que nous puissions, sans danger, rendre nos frères séparés témoins de nos divisions intestines ; et d’ailleurs la charité qui doit unir les membres de la grande famille catholique, nous prescrit des règles que nous ne saurions violer sans offenser Dieu. »

Ayant confiance que vous vous conformerez à ces instructions de votre archevêque, de l’épiscopat de cette province et du Saint-Siège, je vous prie, Monsieur le Rédacteur, d’agréer l’assurance de mon dévouement.

† E. A. Arch. de Québec.

* N. B. — Le décret XII du Cinquième Concile a été publié dans les journaux à la fin de mai et au commencement de juin 1875.

On peut l’y retrouver.


Documents émanés du Saint-Siège sur la conduite du clergé dans la politique, l’influence indue et l’Université-Laval, 13 septembre 1881,


À Mgr Alexandre Taschereau,
Archevêque de Québec.


Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Il est venu à la connaissance de la Sacrée Congrégation de la Propagande que dans votre Province certains membres du clergé et du corps séculier continuent à s’ingérer trop dans les élections politiques, en se servant soit de la chaire, soit des journaux et autres publications.

Il est également connu de la susdite Sacrée Congrégation que certain suffragant de Votre Seigneurie cherche actuellement à recourir au Parlement, pour faire modifier la loi des élections relativement à l’influence dite indue.

Or, pour ce qui concerne le premier point je m’empresse de rappeler à Votre Seigneurie que déjà en l’année 1876, la Suprême Congrégation du Saint Office a émané l’instruction suivante :

« Il faut faire entendre aux Évêques du Canada que le Saint-Siège reconnaît parfaitement l’extrême gravité des faits rapportés par eux, et qu’il y a à déplorer particulièrement le tort dont en souffrent l’autorité du clergé et le saint ministère. C’est pourquoi afin de réparer de si grands dommages, il faut surtout en extirper la racine. Or la cause de si graves inconvénients se trouve dans la division de ces Évêques entre eux, tant au sujet de la question politique qu’au sujet d’autres questions qui s’agitent en ce moment au Canada. Afin donc de mettre un terme à ces dissensions si regrettables, il sera nécessaire que ces Évêques, de concert avec Monseigneur le Délégué Apostolique envoyé au Canada, s’entendent pour déterminer une ligne de conduite uniforme à suivre par tous et chacun d’eux à l’égard des partis politiques.

« Une autre cause des mêmes inconvénients se trouve dans l’ingérence trop grande du clergé dans les affaires politiques, sans se soucier assez de la prudence pastorale. Le remède convenable à cet excès de zèle, c’est de rappeler à ces Évêques ce qui leur a déjà été recommandé par cette Suprême Congrégation, mercredi, 29 juillet 1874, à savoir que, à l’occasion des élections politiques, ils se conforment, dans leurs conseils aux électeurs, à ce qui se trouve décrété dans le Concile Provincial de 1868. Il faudra ajouter que l’Église, en condamnant le libéralisme, n’entend pas frapper tous et chacun des partis politiques, qui par hasard s’appellent libéraux, puisque les décisions de l’Église se rapportent à certaines erreurs opposées à la doctrine catholique et non pas à un parti politique quelconque déterminé, et que, par conséquent, ceux-là font mal qui, sans autre fondement, déclarent être condamné par l’Église un des partis politiques du Canada, à savoir le parti réformiste, parti ci-devant chaudement appuyé même par quelques Évêques.

« Enfin pour ce qui regarde l’objet principal des doutes proposés, à savoir quelle mesure il y a à prendre relativement aux catholiques qui, pour cause de prétendue ingérence indue du clergé dans les élections politiques, recourent au tribunal civil, on ne peut donner à ce sujet une règle générale aux Évêques, et il appartiendra, en conséquence, à qui en a l’office, de pourvoir, dans chaque cas, à la conscience de celui qui a fait ce recours. Que les Évêques prennent donc les mesures nécessaires pour sauvegarder l’honneur du clergé, ayant soin surtout d’empêcher autant que possible que des personnes ecclésiastique soient obligées de comparaître devant le juge laïque.

« Il faudra enfin exhorter les Évêques à observer par rapport aux affaires politiques la plus grande réserve, eu égard particulièrement au danger qu’il y a de provoquer à une guerre violente contre l’Église les protestants déjà inquiets et irrités contre le clergé sous prétexte d’ingérence indue dans les élections politiques.

« En outre, il faut faire en sorte que le clergé évite toujours de nommer les personnes en chaire, encore bien plus si c’est pour les discréditer à l’occasion des élections, et qu’il ne se serve jamais de l’influence du ministère pour des fins particulières, si ce n’est lorsque les candidats pourraient devenir nuisibles aux vrais intérêts de l’Église. »

Conformément à cette instruction, Votre Seigneurie doit faire connaître sans retard à tous ses suffragants, au clergé et à tous ceux que cela concerne, que c’est l’intention du Saint-Père que les susdites prescriptions du Saint-Office soient rigoureusement observées.

Pour ce qui a rapport au second point, Votre Seigneurie devra notifier à chacun des suffragants, de la part de Sa Sainteté, que chacun des Prélats individuellement ait à s’abstenir d’agiter, ou de faire agiter, soit dans le Parlement, soit dans la presse, la question de la modification de la loi concernant ladite influence indue. Que s’il arrivait une époque où les évêques jugeassent tous ensemble que le temps opportun est venu de faire la susdite demande, ils devront d’abord recourir à cette Sacrée Congrégation pour en recevoir les instructions convenables.

Dans cette pensée, je prie le Seigneur qu’il vous prodigue tous les biens.

Rome, Palais de la Propagande, 13 septembre 1881.

De Votre Seigneurie,
Le très affectionné serviteur,
Jean Cardinal Simeoni, Préfet
I. Masotti, Secrétaire.


Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Le Saint-Père, ayant mis à l’examen la question soulevée de nouveau au sujet de l’Université-Laval et de la succursale établie à Montréal, a ordonné expressément, dans l’audience extraordinaire d’hier, tenue pour traiter uniquement cette affaire, de signifier à Votre Seigneurie que c’est sa volonté décidée que l’on doit s’en tenir au décret de cette Sacrée Congrégation, émané le premier jour de février 1876, et continuer à y donner exécution.

Votre Seigneurie reste par conséquent chargé de communiquer cet ordre du Pape à tous ses suffragants.

Sa Sainteté nourrit la confiance que le clergé et le peuple catholique du Canada, dont Elle a toujours reçu les preuves les plus éclatantes de dévouement et d’attachement au Saint-Siège, se conformeront unanimement à ses ordres susdits et que les divers prélats travailleront sans relâche à ramener dans les esprits la concorde et la paix.

Maintenant, je prie le Seigneur de vous accorder longue vie et bonheur,

Rome, Palais de la Propagande, 13 septembre 1881.


De Votre Seigneurie,
Le très affectueux serviteur,
Jean Cardinal Simeoni, Préfet
I. Masotti, Secrétaire.

Monseigneur l’Archevêque de Québec.


FIN