Mélanges/Tome I/43

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imprimerie de la Vérité (Ip. 136-140).

ENCORE LES FRANCS-MAÇONS


1er juillet 1882


Voilà un sujet vital pour nous, mais auquel on n’attache pas assez d’importance. Cette plaie sociale, qui a fait un si grand mal en Europe, s’étend sur notre pays, n’en doutons pas. Déjà, nous le savons, la franc-maçonnerie compte de nombreux adeptes parmi les Canadiens-français ; si l’on pouvait voir les ravages de cette peste comme l’on voit les ravages des sauterelles, par exemple, on serait épouvanté. Mais pour se faire silencieusement et à l’ombre, le travail des loges au milieu de nous n’en est pas moins terriblement efficace.

Nous nous en apercevrons assurément un jour, mais il est à craindre que plusieurs de nos compatriotes ne comprennent le danger qui nous menace que lorsqu’il sera trop tard pour le prévenir.

Nous ne croyons pas pouvoir revenir trop souvent sur cette question des sociétés secrètes au Canada. Plusieurs de nos confrères ne s’occupent guère de ce sujet, mais nous ne pensons pas devoir suivre leur exemple.

Pendant quelque temps, il est vrai, la Minerve a tonné avec force contre les francs-maçons ; mais nous ne craignons pas de calomnier la déesse en affirmant que tout son beau zèle n’était déployé qu’en vue des élections. La preuve que la Minerve ne connaît pas la franc-maçonnerie, ou bien n’en a qu’une horreur de convention, c’est qu’elle a soutenu, avec un aplomb superbe, que ce n’est pas un mal pour un protestant d’être franc-maçon.

Nous avons démontré dans notre dernier numéro que la franc-maçonnerie est contraire au droit naturel, et que, par conséquent, la doctrine de la Minerve est aussi absurde que dangereuse.

Mais il ne faut pas croire que tous les protestants professent les doctrines plus que païennes, athées, de la Minerve. Bon nombre d’écrivains et d’orateurs protestants, comprenant tout ce que la franc-maçonnerie a de radicalement mauvais et de dangereux pour la paix sociale, l’ont flétrie en termes très sévères.

Dans un discours resté célèbre, l’honorable Wm. H. Seward, homme d’état américain, s’est écrié :


Les sociétés sécrètes, monsieur le président ! Avant de placer ma main dans la main d’un autre, dans une loge, un ordre, ou un conseil secret, avant de plier le genou devant d’autres hommes et de former un pacte avec eux pour une fin personnelle ou politique, bonne ou mauvaise, avant de faire cela je prierais Dieu de paralyser ma main et mon genou, de faire de moi un objet de pitié, que dis-je, de faire de moi la risée de mes concitoyens.

Prêter serment ! moi, un homme, un citoyen américain, un chrétien, faire serment de me soumettre à la direction d’autres hommes, de soumettre mon jugement, à leur jugement, de mettre ma conscience entre leurs mains !

Non, non, monsieur ! Je sais fort bien que mon jugement peut me tromper, que je suis exposé à tomber dans l’erreur et à céder à la tentation, mais j’ai passé ma vie à rompre les chaînes des esclaves, et je ne connais que trop le danger qu’il y aurait de confier un tel pouvoir à des hommes sans responsabilité et de me plonger moi-même dans l’esclavage.


Le célèbre Daniel Webster, autre Américain protestant, disait dans une lettre datée du 20 novembre 1831 :


Toutes les sociétés, dont les membres contractent les uns envers les autres des obligations extraordinaires, et qui sont liés les uns envers les autres par des serments secrets, inspirent, avec raison, une juste crainte aux autres hommes ; elles tendent surtout à détruire l’harmonie et la confiance réciproque qui doivent exister entre les hommes que régissent des institutions populaires et constituent une source de périls pour la liberté et le bon gouvernement du pays. Convaincu que je suis de cette vérité, je suis d’opinion qu’à l’avenir la loi devrait défendre aux citoyens de prêter de tels serments et de contracter de telles obligations.


Wendell Philips, autre américain protestant, ou peut-être libre-penseur plutôt, écrivait a un ami, le 22 janvier 1874 :


Je vous souhaite du succès dans vos efforts pour faire comprendre au peuple les dangers des sociétés sécrètes. Elles constituent un grand mal, n’ont pas du tout leur raison d’être dans une république, et aucun patriote ne devrait en faire partie ou les appuyer.


Lord Beaconsfield disait :


Les sociétés secrètes poussent avec rapidité les gouvernements civils du monde entier vers un principe où la loi et l’ordre public tomberont un jour et périront ensemble.


En voilà assez, croyons-nous, pour réfuter la prétention de la Minerve, qu’il n’y a pas de mal pour un protestant d’être franc-maçon.

Maintenant, nous voudrions dire un mot aux catholiques qui s’imaginent encore que la franc-maçonnerie en Angleterre et en Amérique n’est pas dangereuse et n’est pas condamnée par l’Église.

La franc-maçonnerie américaine est formellement condamnée par l’Église. Naguère, il est mort à Santa Fé, au Nouveau Mexique, un homme assez important, un député nommé Otero, qui avait été catholique, puis franc-maçon. Ses proches auraient voulu l’enterrer dans le cimetière catholique, mais le Vicaire général du diocèse, en l’absence de Mgr Lamy, a refusé au convoi funèbre l’entrée de l’église et du cimetière.

Un autre aspect de la question : Nous avons constaté avec chagrin que le Monde, de Montréal, s’est laissé prendre par un journal appelé Puck, de New-York. Cette feuille est rédigée par des francs impies allemands qui, nous en sommes bien persuadés, appartiennent aux sociétés secrètes de l’Europe. Le Puck a publié récemment un écrit où il affecte de se montrer hostile à la franc-maçonnerie. En réalité, son but est de faire passer dans l’esprit de ses lecteurs, pour qu’ils soient moins sur leurs gardes, l’idée que la franc-maçonnerie est une simple blague, un tas de singeries destinées à amuser les badauds. La preuve que l’article était assez habilement fait, c’est que le Monde l’a reproduit croyant frapper un grand coup.

Les francs-maçons ont dû rire de la naïveté de notre confrère qui fait ainsi si bien leurs affaires.

La franc-maçonnerie cherche toujours à se cacher, à se faire passer pour ce qu’elle n’est pas.

Elle se couvre volontiers de ridicule, comme dans le cas actuel, pourvu qu’elle puisse tromper les hommes sur son véritable but, qui est de remplacer partout le règne du Christ par le règne de satan.


15 juillet 1882


Nous lisons dans la Tribune :


La Vérité fait en ce moment une croisade vigoureuse contre les sociétés secrètes. Elle cite avec à propos ce que des protestants ont dit de ces sociétés et des dangers qu’elles renferment…

Nous partageons l’opinion de M. Tardivel et des auteurs qu’il cite sur les sociétés sécrètes, mais c’est une de ces questions où il est difficile, parait-il, de mettre d’accord sa conduite avec ses principes, puisque dans notre pays le parti Anglais qui contient le plus de membres de sociétés secrètes, dont le grand chef, plusieurs ministres et députés sont orangistes, a l’appui du clergé et des catholiques les plus ardents.

Bien entendu, nous ne voulons pas discuter en ce moment si les conservateurs font bien ou mal, ou s’ils peuvent faire autrement, nous voulons simplement constater un fait qui crève les yeux et qui est bien de nature à empêcher le peuple d’avoir les sociétés sécrètes en horreur autant qu’on le voudrait.


M. David devra admettre, s’il veut nous rendre justice, que, pour nous, dans cette question des sociétés secrètes, nous avons mis notre conduite d’accord avec nos principes, sans hésiter. Nous condamnons, absolument et sans réserve aucune, les sociétés secrètes, sans nous demander sur qui cette condamnation peut tomber.

Nous savons fort bien que le parti conservateur anglais compte dans son sein un grand nombre d’orangistes ; aussi, si la Tribune veut bien s’en souvenir, nous avons écrit deux articles pour réfuter la prétention de la Minerve, que ce n’est pas un mal pour un protestant d’être franc-maçon ou orangiste.

Mais il ne faut pas croire que le parti grit du Haut-Canada et des provinces maritimes ne compte pas, lui aussi, dans son sein un grand nombre de francs-maçons et plusieurs orangistes. Lorsqu’il s’agit de fanatisme, de francophobie, de franc-maçonnerie, on peut dire que les grits et torys se valent, ou à peu près ; c’est blanc bonnet et bonnet blanc.

Maintenant, jusqu’à quel point les catholiques peuvent-ils soutenir l’un de ces deux partis dont la politique financière leur parait plus avantageuse pour le pays, c’est là une de ces questions extrêmement délicates que nous n’entreprendrons pas de résoudre.

Tout ce que nous savons, c’est que la franc-maçonnerie fait d’affreux ravages dans la Province de Québec, et qu’il faut crier sans cesse au risque de paraître exagéré. Pour nous, la franc-maçonnerie dans notre province est le Delenda Carthago.