Mélanges/Tome I/59

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imprimerie de la Vérité (Ip. 183-184).

LES ALIÉNÉS


24 mars 1882.


La loi concernant les aliénés, votée en 1880, devrait être modifiée sans délai. Dans sa forme actuelle elle consacre une injustice criante.

En vertu de l’article 32 les frais d’entretien d’un aliéné interné sur l’ordre du lieutenant-gouverneur ou du secrétaire provincial sont payés, moitié par le gouvernement et moitié par la municipalité où l’aliéné a eu son dernier domicile. Et l’article 37 se lit comme suit :

« Il sera loisible à toute municipalité qui aura ainsi payé aucune somme d’argent au gouvernement, pour l’entretien d’aucun aliéné interné dans un asile aux frais du gouvernement, de se faire rembourser par voie d’action et d’exécution en la manière ordinaire, sur les biens de l’aliéné ou sur ceux des personnes qui sont obligés par la loi de subvenir à sa subsistance et à son entretien. Nonobstant toute loi à ce contraire, telle municipalité pourra se faire rembourser par voie d’exécution sur les immeubles de l’aliéné ou ceux des personnes obligées par la loi à sa subsistance et à son entretien, quelque soit le montant du jugement qu’elle aura obtenu. »

C’est cet article qu’il faudrait amender sans délai, si nous ne voulons pas passer pour un peuple barbare.

En effet, il est constaté aujourd’hui que la très grande majorité des aliénés vient des paroisses les plus pauvres, et se recrute parmi les familles les plus indigentes de ces localités.

Une famille déjà affligée par la folie d’un de ses membres se voit de plus ruinée par une poursuite que la municipalité intente contre elle pour le recouvrement d’une somme relativement considérable. On nous a parlé de plusieurs cas réellement navrants, de malheureuses familles jetées dans le chemin ou forcées de s’expatrier.

C’est le devoir strict de l’État d’avoir soin des aliénés pauvres, du moment que la charité privée ne suffit plus à la tâche. Qu’on fasse payer une partie des frais d’entretien par les municipalités, ou mieux encore par les conseils de comté, c’est très bien, mais au nom de la charité chrétienne, qu’on ne permette pas aux municipalités d’avoir recours contre la famille pauvre qui a le malheur de compter un aliéné parmi ses membres. C’est inhumain, c’est indigne d’un peuple évangélisé.

Si l’on trouve les charges de la province trop lourdes, qu’on impose une taxe spéciale pour l’entretien des aliénés. Cette taxe pourrait se percevoir à peu près de la même manière que la contribution au fonds des « bâtisses et des jurys ? »