Mélanges/Tome I/75

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imprimerie de la Vérité (Ip. 255-258).


UNE LAMENTATION


28 novembre 1879.


Le Courrier du Canada de mercredi publie une espèce de lamentation signée Amicus et intitulée : « M. Tardivel et M. Faucher. » C’est très attendrissant. Amicus trouve que notre critique de la dernière brochure de M. Faucher n’est ni littéraire ni chrétienne ; il aurait voulu que je fisse l’éloge du livre en question. Monsieur est libre de penser et de dire ce qu’il veut. Je désire seulement lui démontrer qu’il n-’est pas en état de juger sainement l’affaire. Il est trop triste, si triste qu’il divague. Voyez plutôt.

Amicus dit d’abord qu’il a été « tristement surpris » de mon article ; qu’il « s’attendait à une critique raisonnée, » etc. Plus loin, il nous assure qu’ayant lu précédemment (sic) mes autres critiques il a remarqué que je n’avais pas rendu justice à M Faucher, « qu’en face de M. Faucher j’ai toujours l’air d’un chevalier en lice, la lance en arrêt, désireux à tout prix de démonter mon adversaire. »

Si j’ai toujours cet air là en face de M. Faucher, je ne comprends vraiment pas comment il se fait qu’Amicus ait pu s’attendre à une « critique raisonnée » de ma part, ni pourquoi il est si tristement surpris de voir que je fais ce que, d’après lui, j’ai coutume de faire.

Évidemment, Amicus improvise.

À moins, dit Amicus, que son livre ne soit totalement mauvais ou radicalement inepte, l’écrivain a toujours le droit déconsidérer la critique comme un ami personnel, ou un juge impartial et désintéressé.

Ce qui revient à dire que dans le cas où il s’agirait d’un livre totalement mauvais ou radicalement inepte, le critique ne serait pas tenu de se montrer juge impartial et désintéressé. C’est absurde, mais c’est ainsi que le veut l’impitoyable logique.

Effet de l’improvisation faite sous l’empire de la tristesse.

Amicus confond la critique avec la satire. Je n’ai pas voulu faire une critique littéraire de la brochure de M. Faucher pour l’excellente raison que ça ne valait pas la peine. Il m’a semblé que c’était une vessie et que quelques piqûres d’épingle suffiraient pour la dégonfler.

L’épingle et le sifflet, ce sont des instruments dont il faut se servir de temps à autre dans le monde des lettres.

Voilà pour la partie littéraire de la discussion. Passons.

Plus Amicus avance, plus sa tristesse augmente et plus son improvisation devient incompréhensible.

J’arrive, dit-il, à ma seconde question.

La critique qui nous occupe est-elle chrétienne ?

Je regrette d’avoir à répondre :

Pour sortir d’embarras, je me contenterai de faire quelques questions, en abandonnant la réponse au critique lui-même.

C’est textuel. Monsieur regrette d’avoir à répondre, c’est-à-dire d’être obligé de répondre, puis il m’abandonne la réponse !

Amicus me pose ensuite plusieurs questions qui peuvent se résumer ainsi : Est-il chrétien de calomnier son prochain ? Certainement non. Aussi je prétends n’avoir pas calomnié M. Faucher. Je trouve qu’il pose, qu’il est vaniteux, je le dis et je le prouve. Je n’ai pas attaqué sa réputation d’honnête homme, de chrétien, de citoyen. Comme écrivain, il me parait insupportable, voilà tout, et je pense bien qu’il a la même opinion de moi. Je ne vois pas en quoi nous lésons le christianisme.

Mais puisqu’il s’agit de christianisme, je poserai, à mon tour, une toute petite question à Amicus. Est-il chrétien d’affirmer ou de faire entendre ce qui est contraire à la vérité ? Je ne le crois pas, et cependant, c’est ce qu’Amicus fait en affirmant que je n’ai jamais écrit le moindre mot d’éloge à l’adresse de M. Faucher, et en faisant entendre que je suis animé d’une haine personnelle contre cet auteur.

J’aurais beaucoup d’autres observations à faire, mais je crois en avoir assez dit pour prouver qu’Amicus a tort de s’attrister et d’improviser.

Un dernier mot, cependant. Il y a quelque temps j’ai fait la critique d’un livre de M. Lemay[1] ; j’en avais dit franchement ce que j’en pensais. Ce qui n’a pas empêché un correspondant du Journal des Trois-Rivières — Amicus, lui aussi — de me reprocher mon manque de sévérité.

Je parle du livre de M. Faucher avec une égale franchise et voici qu’un autre Amicus trouve que, je ne suis pas chrétien. Je ne puis, quoique je fasse, plaire à tout le monde. Si je fais des éloges on suspecte mes motifs ; si je blâme, on les suspecte encore davantage. Je suis donc déterminé, plus que jamais, à exprimer ma façon de penser sans m’occuper du qu’en dira-t-on.

1er décembre 1879

Amicus, qui n’est certainement pas mon ami, ou qui, du moins, voudrait ne pas l’être, revient à la charge dans le Courrier de samedi. Je ne trouve pas que son écrit, long pourtant d’environ deux colonnes, nécessite une réponse. Amicus est profondément convaincu que je suis une espèce de brigand, un empoisonneur et même une guêpe, tout ce que vous pouvez imaginer d’affreux. Il me faut bien le laisser dans cette douce conviction.

Je ne relèverai que la Un de l’article d’Amicus. La voici :

Mon improvisation a du moins obtenu quelques bons résultats. Vous avez levé visière et j’ai vu un satire là où je croyais trouver un critique. C’est fort différent et bien moins redoutable. Pourtant à l’avenir, si vous vouliez bien mettre vous-même l’étiquette à vos écrits, vous épargneriez au public de fâcheuses méprises. Il ne serait plus exposé à prendre une satire mordante pour une critique littéraire et raisonnée.

Amicus a tort de mesurer les autres à son aune. Le public intelligent saura toujours distinguer une critique d’une satire sans que je sois obligé d’étiqueter ma prose.[2]


  1. Une Gerbe. Cette critique, qui a paru dans le Canadien du 5 novembre 1879, sera reproduite dans un prochain volume des Mélanges.
  2. Le 29 novembre 1879, le Canadien publia un article signé : Un Canadien-français où la question est discutée à fond. On y signale particulièrement la négligence de M. Faucher qui a laissé ces ossements — ossements précieux, puisqu’il avait constaté lui-même que c’étaient les restes de quelques pères jésuites — dans une petite construction sur le terrain même du vieux collège pendant huit mois ! La clé de cette construction était confiée au conducteur des travaux de démolition, au lieu d’être sous la garde de M. Faucher lui-même. Puis, il ne ressort nullement de la brochure de M. Faucher que l’on ait fait le moindre effort, la moindre enquête pour retrouver ces ossements. Jusqu’à ce jour ce vol est resté un profond et impénétrable mystère.