Mélanges et correspondance d’économie politique/Correspondance avec Charles Prinsep

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Texte établi par Charles Comte, Chamerot (p. 137-154).


À M. Charles Robert PRINSEP, M. A.


Paris, mai 1821.


Monsieur,


Je suis reconnaissant, comme je dois l’être, des obligeantes expressions de votre lettre et vous remercie de l’exemplaire qu’elle accompagnait de votre traduction de mon Traité d’Économie politique. Cet ouvrage a trouvé en vous, Monsieur, un élégant interprète, et l’honneur que vous lui faites doit me paraître d’autant plus précieux que l’anglais est la seule langue européenne dans laquelle il n’eût pas encore été imprimé.

J’avais déjà lu votre lettre au comte de Liverpool, publiée en 1816, sur l’avantage qu’il y aurait eu à réduire l’argent de la livre sterling à la quantité de métal que l’on pouvait obtenir pour une livre sterling en papier-monnaie déprécié ; en d’autres termes, à rendre légale cette dépréciation déjà opérée en fait. Je fus très-frappé de vos raisons, et depuis je les ai d’autant plus approuvées que j’y ai plus réfléchi. C’était une banqueroute, puisque l’État ne payait plus les créanciers qu’avec une monnaie qui avait perdu le quart de sa valeur primitive ; mais c’était une banqueroute déjà opérée depuis plusieurs années ; elle avait produit tous les mauvais effets qu’elle pouvait avoir, et il n’y avait que du mal à attendre de la réintégration de la valeur originaire de la livre sterling.

En effet, la valeur totale de l’agent de la circulation, au taux où il était tombé, s’était proportionnée aux besoins de la circulation. Les valeurs de tous les biens, meubles et immeubles, s’étaient proportionnées à ce taux ; le nombre des unités suppléait à leur moindre valeur, et votre dernière législation, en réduisant la quantité des billets de banque, a rendu la monnaie trop rare : on a commis des injustices dans un sens opposé à celles dont le mauvais effet était passé.

En effet, votre gouvernement, par ce seul coup, a augmenté de 30 pour 100 le montant de toutes les contributions, des gros émolumens, des pensions, des sinécures et de tous les abus qui pèsent sur la nation anglaise ; tous les créanciers des particuliers ont été injustement favorisés aux dépens des débiteurs : on a remis la dette publique sur son ancien pied, sans profit pour ceux qui avaient vendu ou acheté des fonds publics depuis la dépréciation ; tandis que la nation était libérée d’un quart de cette énorme dette ; enfin les prix de toutes choses, et, par conséquent, des frais de production, étant payés en une monnaie plus précieuse, le prix de vos produits s’est trouvé, dans l’étranger, hors de proportion avec les prix des nations rivales. Dans l’intérieur, ils ont excédé les facultés de beaucoup de consommateurs. Vous avez donc bien raison de voir dans cette erreur d’économie politique la cause de la détresse éprouvée en Angleterre, depuis six années.

Je vous avoue que je n’approuve pas de même votre proposition d’un papier-monnaie qui serait invariablement fixé à la même somme, ou qui n’aurait pour régulateur que l’autorité publique. On pourrait, à la vérité, savoir fort bien le nombre de ses unités, mais leur valeur serait exposée à varier beaucoup. Quand la somme des échéances a conclure viendrait à augmenter, la valeur d’une monnaie plus demandée hausserait. Elle baisserait, dans le cas contraire. Dès-lors toutes les obligations contractées augmenteraient ou diminueraient. Je préfère l’expédient proposé par Ricardo. Ne pouvant rendre la valeur de la monnaie absolument invariable, il fait du moins qu’elle ne varie qu’autant qu’un même poids de métal d’argent. Dans l’état des relations entre toutes les parties du monde civilisé, pour que la valeur d’une once d’argent varie dans un pays en particulier, il faut qu’elle varie partout ; les variations de hauteur s’effacent sur un si vaste niveau. Il faut des siècles pour qu’elles deviennent sensibles. C’est peut-être autant qu’il en faut a nos institutions humaines.

Venons à votre traduction, Monsieur ; elle m’a paru faite en conscience et avec un sincère désir de propager les connaissances économiques. J’aurais désiré que vous y eussiez joint le Discours préliminaire qui commence l’ouvrage et l’Épitome qui le termine. Je ne sais sur quel motif vous avez supposé qu’un préambule qui détermine l’objet de l’Économie politique, et qui répond aux objections qu’on oppose à ce genre de connaissances, qui montre les avantages que les hommes en retirent, et donne une histoire abrégée de ses progrès, fût sans intérêt pour les lecteurs d’un livre écrit sur cette matière. Les professeurs qui ont fait de ce livre le texte de leur enseignement en Italie, en Allemagne, en Pologne, en Russie, en Suède, en Hollande, n’ont point partagé cette opinion. Ceux de vos compatriotes même, qui ont traité de cette science, M. Pryme, M. Senior, M. Mac Culloch, ont mis à contribution cette partie de l’ouvrage.

L’Épitome était nécessaire pour définir les termes ; car je ne pouvais employer que des mots déjà faits, et mal faits, parce qu’on a nommé les choses avant d’en connaître la nature (comme lorsqu’on a fait le mot intérêt de l’argent) ; il était donc bien nécessaire d’en déterminer le sens. Plusieurs lettres m’avaient demandé ce tableau ramassé dont les commençans et même quelques adeptes m’ont avoué avoir profité. Si les libraires qui ont fait l’entreprise de votre publication ont exigé ces suppressions, pour épargner les frais de quelques feuilles d’impression, comment n’ont-ils pas senti qu’ils encouraient, d’un autre’côté, le reproche de n’offrir au public anglais qu’un ouvrage incomplet, et que la traduction ne dispensait pas, dès-lors, les personnes jalouses de s’instruire, de la nécessité d’avoir recours à l’original français. Je n’en apprécie pas moins, Monsieur, le mérite de votre travail, et l’habileté avec laquelle vous avez rendu un très-grand nombre de morceaux. Ce mérite a été senti par M. Biddle, de Philadelphie, qui a publié le même ouvrage aux États-Unis, et a fait son profit de votre traduction.

Je vous dois aussi mes remercîmens pour les notes critiques dont vous avez souvent accompagné le texte. Vos critiques sont fondées à quelques égards, et j’en profiterai quand je publierai de nouvelles éditions ; mais, permettez-moi de vous le dire, vous me faites aussi des reproches qui me semblent injustes ; et je vous prie de n’être pas fâché si j’en relève ici quelques-uns dans l’intérêt de la science.

J’ai dit, dans mon Traité, que « la valeur que les hommes attachent aux choses a son ce premier fondement dans l’usage qu’ils en peuvent faire… ; qu’ils ne mettent aucun prix à ce qui n’est bon à rien. » Sur quoi vous faites une note ainsi conçue :

« L’utilité n’est pas le seul ingrédient de la valeur. Dire qu’un objet a de la valeur, est affirmer la présence de deux circonstances, l’utilité d’abord et la difficulté de parvenir à la possession (difficulty of attainment)… À moins qu’il n’y ait quelque difficulté à surmonter, nul désir n’est excité dans l’âme humaine, aucun motif de se donner de la peine, de faire aucun sacrifice, etc. » Tome I, page 4 de l’anglais.

Or, monsieur, ce que vous dites là, je le dis moi-même un peu plus loin ; car, après voir caractérisé ce qu’il faut entendre par l’utilité des produits, et avoir esquissé les différens genres de services que les hommes peuvent en attendre, j’ajoute : « Nous jouissons des biens que la nature nous accorde gratuitement, de l’air, de l’eau, et dans certains cas de la lumière, sans être obligés de les produire. Ces choses n’ont point de valeur échangeable, parce que les autres hommes, m les possédant de leur côté, ne sont obligés à aucun effort pour les acquérir… Mais il est beaucoup d’autres choses, non moins essentielles à notre existence et à notre bonheur, dont l’homme ne jouirait jamais si son industrie ne provoquait, ne secondait, n’achevait les opérations de la nature, » (Liv. 1, chap. 2.)

Je montre ensuite que ces travaux de l’industrie secondée par les instrumens qu’elle emploie, constituent des frais de production ; et que les gens qui ont fait ces frais n’en cèdent les produits qu’autant qu’on leur donne en échange d’autres produits qui ont coûté des frais équivalens, c’est-à-dire les mêmes difficulties of attainment. Voilà, dis-je, ce qui constitue la valeur échangeable, la seule qui entre dans les considérations de l’économie politique, within the province of political economy ; ce sont les propres mots de votre traduction. Comment dès-lors pouvez-vous me reprocher de ne point faire mention de ces difficultés, de ces frais dont je parle durant tout le cours de l’ouvrage sous le nom de services productifs, de frais de production, que vous traduises vous-même par les mots productive agency, cost of production ?

C’est donc bien inutilement, monsieur, que chaque fois que je parle de l’utilité donnée à une chose, et de la valeur qui résulte de l’action de l’industrie, vous prenez la peine de me corriger et que vous surchargez votre traduction de notes pour me reprocher de ne point faire mention de the difficulty of attainment, comme si cette difficulté n’était pas une chose convenue et même positivement exprimée chaque fois qu’il est question de déterminer le prix-courant des produits qui ne saurait, d’une manière suivie, tomber au-dessous des frais de production, cost of production, lesquels ne sont autre chose que le prix qu’il faut payer pour vaincre la difficulté d’obtenir, the difficulty of attainment.

Je vais plus loin, et je crois que strictement je n’en devais parler que dans ces cas-là. Les frais de production ne sont pas le fondement du prix ; ce fondement se trouve uniquement dans le besoin que les hommes éprouvent de faire usage du produit. Ils ne consentent à payer les peines (the toils) ou le prix que le produit coûte, qu’en raison de l’utilité qu’il a. Si cette utilité est assez grande pour que le consommateur consente à y mettre le prix auquel il revient, on le fabrique ou bien on l’acquiert de ceux qui l’ont fabriqué ; si son utilité ne paraît pas suffisante pour valoir cette dépense, on ne le crée pas, ou on ne l’achète pas si quelqu’un a eu la sottise de le fabriquer. J’ai besoin d’une aune de drap d’une certaine qualité ; ce besoin me détermine à y employer 20 shillings ; si ses frais de production, ou ce que vous appelez difficulty of attainment, ne permettent pas qu’on la produise à moins de 25 shillings, je n’en veux plus ; je me servirai d’une autre étoffe ; la difficulté qui accompagne la possession de la première ne contribue pas à en élever le prix ; elle n’est donc point un élément nécessaire de sa valeur, et quand vous me reprochez dans vingt endroits de ne l’avoir pas exprimé ainsi, vous me reprochez de n’avoir pas soutenu une doctrine essentiellement fausse. Ce qui me semble incontestable est seulement que l’utilité des choses est la cause du prix que nous y mettons ; mais que ce prix ne saurait tomber au-dessous des frais de production. Quand vous présentez un vase au devant d’une fontaine, ce ne sont pas les bords du vase qui amènent l’eau dont il se remplit, mais ce sont les bords du vase qui empêchent le niveau du liquide de baisser au-dessous d’une certaine hauteur.

Je passe par-dessus beaucoup d’autres notes dans lesquelles vous me donnez, un peu trop magistralement peut-être, des leçons sur la manière dont j’aurais dû traiter mon sujet. (Voyez surtout les notes de la page 488 du tome i et des pages 20, 70 et 89 du tome ii ). Et quels sont les argumens dont vous appuyez vos conseils ? Le plus souvent ils se réduisent à ceci : « Vous dites oui, moi je dis non ; et vous avez indubitablement tort, parce que j’ai raison. » Il me semble qu’avant de mettre votre manière d’envisager les questions d’économie politique à la place de la mienne, et de les décider d’autorité, il fallait prouver au lecteur que vous étiez plus vieux que moi, et que vous aviez plus réfléchi en faisant votre traduction, que l’auteur lorsqu’il a écrit un livre qui lui à coûté vingt années de travail.

Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que vous paraissez tellement satisfait de vos propres conceptions, que vous avez cru inutile de chercher à comprendre les miennes ; cela se voit surtout dans les premiers chapitres du livre ii que ; je le dis à regret, vous n’avez pas du tout entendus, faute de vous être placé dans le même point de vue que l’auteur. Comment les Anglais pourront-ils comprendre un interprète qui, de son aveu, n’a pas compris son original ?

Ce qui pourrait faire supposer que vos notes ont été écrites avec un peu de légèreté, ce n’est pas seulement votre promptitude à condamner avant d’avoir suffisamment réfléchi, mais à affirmer des faits dont la fausseté était facile à constater ; comme lorsque vous m’attribuez (tome ii, page 2) la traduction française de l’ouvrage de M. Ricardo, quoique cette traduction ne soit pas de moi et porte en toutes lettres le nom de son auteur, M. Constancio.

La même légèreté ne se fait pas moins remarquer dans la note de la page 239 du premier volume, où vous supposez que je traite Napoléon sévèrement parce que j’en ai reçu quelque provocation. Je vous déclare, monsieur, que personnellement je n’ai jamais reçu de lui aucune provocation quelconque. Il m’a même appelé à des fonctions publiques lucratives, et c’est moi qui lui envoyai ma démission au moment où il se fit empereur, ne voulant pas entrer en partage avec lui des dépouilles de la France.

Croyez-vous donc qu’on ne puisse être guidé dans les reproches qu’on fait à un gouvernement que par des motifs personnels ? Voulez-vous savoir quelles sont les provocations que j’ai reçues de Napoléon ? les voici :

Investi d’un pouvoir sans bornes, au lieu de l’employer pour le bien de l’humanité, Bonaparte ne s’en est servi que pour l’opprimer. La France, au prix de beaucoup de malheurs sans doute, jouissait de l’inestimable avantage d’être débarrassée de tous les abus d’un régime suranné ; l’homme qui pouvait, s’il l’eût voulu, être l’homme du siècle, agissait sur ce que nous appelons une table rase. Toutes les institutions étaient à faire, elles pouvaient être le résultat des lumières de notre époque, nul obstacle, nul danger, n’étaient à redouter pour Napoléon ; il n’avait même aucune peine à prendre, il ne fallait que protéger ce qui était bon et honorable, et du reste jouir en paix. La gloire ni la puissance, rien ne lui était disputé. Dès Fannée 1802, personne n’aurait osé attaquer le premier un lion devenu pacifique. Sans guerres, sans intrigues diplomatiques, l’exemple seul de la France exerçait une salutaire influence sur le reste de l’Europe. Les hommes de mérite du monde entier apportaient à Bonaparte le tribut de leurs talens et lui en laissaient le profit. Ils pardonnaient même ce qu’il y avait eu d’illégal et de violent dans son usurpation ; ils lui faisaient l’honneur d’ajouter foi à ses promesses, lorsqu’il leur disait : Pensez-vous que je sois assez fou pour recommencer au dix-neuvième siècle le rôle de César ou celui de Cromwell ?

Hé bien ! il a recommencé ce qu’il y a eu de pire dans l’histoire de l’un et de l’autre.

Il a rétabli pièce à pièce, avec un art et une patience vraiment diaboliques, tous les abus et tous les ridicules de l’ancien régime : il a successivement détruit tout ce qui pouvait consolider le nouveau.

Avant son usurpation, les prêtres n’étaient plus persécutés, mais chaque culte payait les siens ; il a rétabli l’influence sacerdotale et l’intervention du pape, et pourquoi ? pour satisfaire la puérile vanité d’être couronné par lui.

Toutes les places de l’instruction publique étaient données au concours et confiées à des hommes mariés, intéressés à former des citoyens recommandables et éclairés. Napoléon s’est réservé le privilège exclusif de plier la jeunesse à son joug : toute espèce d’enseignement, même dans les écoles particulières, a été placé par lui sous l’autorité d’un grand-maître de l’université[1], choisi parmi ses plus plats courtisans.

La classe si importante des sciences morales et politiques existait dans l’Institut : il a supprimé cette classe et l’a remplacée par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, instituée par Louis XIV pour chercher des devises à la louange du prince.

Il a enlevé à la nation française l’élection de ses représentans[2], de ses juges, et jusqu’à celle de ses magistrats municipaux.

À la place des administrations provinciales, il a institué des préfets, espèces de proconsuls étrangers aux départemens qu’on leur donne à gouverner, richement payés par eux, escortés de gendarmes et foulant le peuple au lieu de le servir. En s’attribuant la nomination de tous les fonctionnaires civils, judiciaires et ecclésiastiques, il en a fait des espèces d’agens de police, d’espions plus empressés de satisfaire le gouvernement de qui ils tiennent leur pouvoir, que de protéger les simples citoyens de qui ils n’ont rien à attendre.

Ce que Bonaparte a appelé la réforme de la justice n’a été qu’un moyen d’influer sur les décisions des tribunaux. En s’attribuant la direction des procédures, l’avancement des juges et le choix des jurés, il a mis les prévenus à la merci de l’autorité.

À son avènement, les impôts les plus vexatoires étaient supprimés : il a rétabli les droits d’entrée à la porte des villes, les droits réunis[3] et une foule d’autres, parmi lesquels figure cette ignoble loterie impériale et royale, qui soutire l’argent du pauvre par une combinaison infernale, et occasione, chaque année, en communauté avec les maisons de jeux, environ deux cents suicides à Paris seulement[4].

Il a plus que doublé la somme des contributions que payait la France avant qu’il parvînt au pouvoir ; et, à l’aide d’un vigoureux système militaire, il les a fait rentrer avec une rigueur inconnue jusqu’à lui. C’est ce que ses flatteurs ont appelé : avoir remis de l’ordre dans les finances[5].

Il a offert des primes sans nombre à la cupidité, en multipliant les places, les pensions, les cumuls ; et, par la création des titres, des croix, des plaques et des cordons, il a fourni des hochets à la vanité et des récompenses à la bassesse.

Il a perfectionné ce fléau des familles, la conscription, trop fidèlement imitée par tous les potentats de l’Europe[6].

Il a déserté cinq fois les plus braves et les plus nombreuses armées[7] qu’un seul homme eût commandées jusqu’à nos jours, après les avoir, par sa folie et son imprudence, vouées à une destruction inévitable[8].

La nation française voulait être l’amie de tous les peuples, il lui a suscité leur inimitié ; elle était une des plus puissantes de l’Europe, il en a fait une des plus faibles et des plus dominées.

Vous devez concevoir maintenant quels sont les reproches que je suis autorisé à adresser à Napoléon ; vous voyez ce qu’il pouvait faire pour le monde et pour lui-même : le malheureux ne l’a pas voulu, il a préféré aller mourir de chagrin à Sainte-Hélène ! Et ce n’est pas, comme l’ont prétendu d’aveugles partisans, par l’effet de simples revers de fortune, de saisons rigoureuses, de défections imprévues ; c’est par une suite nécessaire d’une ambition étroite et personnelle. Quand on veut être le maître du monde entier, on a le monde entier pour ennemi. Quelques chances plus favorables pouvaient soutenir Bonaparte deux ou trois années de plus ; mais, en dépit de sa haute capacité, par la nature même des choses, sa chute devait arriver, et elle devait être affreuse pour lui comme pour nous.

Si ce ne sont pas là des crimes, monsieur, je ne m’y connais pas, et s’ils n’excitent pas votre indignation, je vous plains.

Je n’ose, après de si grands intérêts, vous parler encore de mon ouvrage et de votre traduction, et je vous prie d’agréer, etc.

J.-B. SAY.


  1. Aujourd’hui nommé ministre de l’instruction publique.
  2. On a depuis rendu au peuple l’élection de la Chambre des Députés ; mais on a rendu la députation onéreuse en privant les Députés de l’indemnité que réclament les frais de leur voyage et de leur séjour dans la capitale. On les a mis par là dans la nécessité de chercher les faveurs du pouvoir plutôt que les intérêts du peuple.
  3. Ce que les Anglais appellent excise ; que l’on a conservé après la restauration sous le nom de contributions indirectes.
  4. Cette loterie fut supprimée avec la monarchie, et rendue plus désastreuse sous l’empire. Autrefois on ne faisait dans toute la France que vingt-cinq tirages par an. Bonaparte fit établir trois tirages par mois ; dans chacune des six principales villes de France, on fait trois tirages tous les mois, à différens jours de la semaine ; ce qui procure deux cent seize tirages par année, pour lesquels on délivre des billets dans tous les bureaux du royaume, et pour les plus petites sommes.
  5. Avant lui, le budget annuel ne s’élevait qu’à 600 millions de francs ; sous sa domination, il s’est élevé jusqu’à 1300 millions, dont 900 millions en principal et 400 millions de dépenses départementales, indépendamment des contributions de guerre imposées aux peuples vaincus, et du casuel levé par le clergé.
  6. Conservée en France sous le nom de recrutement.
  7. En Égypte, en Espagne, en Russie, à Leipzick et à Waterloo. On ne compte pas ici l’armée de Moreau dont il redoutait les principes républicains, et qu’il condamna à use destructif totale en l’envoyant à Saint-Domingue.
  8. On a pu lire dans les Mémoires de Fouché, son ministre de la police, publiés depuis que cette lettre a été écrite, cette phrase sur le renouvellement de la guerre avec l’Angleterre, qui eut lieu en 1803 :

    « Dès-lors il résolut de nous priver de tous rapports avec un peuple libre. Il ralluma donc la guerre ; mais sans perdre la popularité que la paix lui avait acquise. Il donna à sa haine pour la liberté les couleurs du patriotisme ; il se proposait, disait-il, de détruire l’industrie anglaise pour que l’industrie française restât sans rivale ; et cette absurdité exerçait une influence d’autant plus grande que la censure n’aurait pas permis la publication d’une idée juste en économie politique. »

    Cette révélation du ministre de la police de Bonaparte est bien confirmée par tous les Mémoires partis de Sainte-Hélène, et notamment par ceux de Las-Cases.