Mélanges historiques/06/01

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Les Forges Saint-Maurice


LA FAMILLE POULIN, 1644-1675

Marin Terrier dit le sieur de Francheville et de Repentigny, né en 1619, au village de Grandmesnil, canton actuel de Saint-Pierre-sur-Dives, aux environs de Lisieux, Normandie, était à Québec en 1638. Le 14 août 1644, M. de Montmagny lui accorde un terrain aux Trois-Rivières ; le 26 juillet 1646, au même endroit, il est parrain d’une petite Attikamègue. On le qualifie de miles, ce qui veut dire qu’il formait partie de la garde armée du magasin de traite. Le 3 septembre 1647, il épousa Jeanne Jallaut, née en 1624, fille de Moïse et de Marie Lapointe ou Lepeintre, de Fontenay-le-Comte, au Poitou. Leur premier enfant, baptisé aux Trois-Rivières le 14 juillet 1649, fut ordonné prêtre en 1676 ; sa carrière est bien connue comme secrétaire de Mgr de Laval et surtout pour avoir guidé le combat de la Rivière-Ouelle qui repoussa les Anglais de cette paroisse en 1690 ; il mourut à Montréal en 1713[1].

À la bataille de la banlieue des Trois-Rivières, le 19 août 1652, Marin Terrier de Francheville fut pris et brûlé par les Iroquois[2]. Le 15 octobre suivant, sa veuve faisait baptiser leur fils Jacques dont l’existence ne nous est pas autrement connue. Marin Terrier se faisait appeler Francheville.

Le 13 décembre 1649, aux Trois-Rivières, Maurice Poulin[3] est parrain d’une petite Sauvagesse dont le père se nomme Esababikisitch.

Cette année 1649, qui était la quinzième depuis la fondation des Trois-Rivières, la population blanche, fixe, s’élevait à cent âmes, dont vingt-huit ménages. Québec n’en avait guère plus. Montréal ne dépassait pas cinquante habitants. Beauport et les autres endroits autour de Québec atteignaient à peine quatre cents âmes en tout.

Voici un acte qui mérite d’être cité textuellement : « Anno Domini 1654, 9e septem. Ego Leonardus Garreau societatis Jesu sacerdos tribus factis de more denunciationibus intev missarum solemniter in Sacello B.V. ad Iria Flumina interrogavi et mutus intrisque consensu habito per verba de presenti conjunsci solemniter in matrimonium Mauritium Poulain, filium Petre Poulain et Anne Pioumelle, ex-paroccia de Villebadain in Normania ; — et Joannam Jalloo, viduam defuncti domini De Francheville. Testus ad fuere Dominus Boucher, Dominus Lapopeterie, Dominus du Hérisson, Dominus Godefroy. » Au contrat de mariage passé le 6 décembre suivant[4] devant Séverin Ameau, on voit les signatures de Jeanne Crevier, épouse de Pierre Boucher, gouverneur, Jean Madry, chirurgien et caporal de la garnison, François Lemaître dit le Picard, soldat, sa femme Judith Rigault[5], Charles Gautier sieur de Boischardin, soldat, René Robineau sieur de Bécancour, sa femme Marie Leneuf de la Poterie, Charles d’Ailleboust et Le Gardeur, Juchereau et autres.

D’après les recensements, Maurice Poulin serait né en 1620 ou 1622 et Jeanne Jallaut en 1621, 1624, 1625. Il était de Villebadain, en Normandie, département de l’Orne aujourd’hui. Sa mère, Anne Ploumelle, était venue avec lui. Ce n’est pas le père de Maurice qui fut procureur du roi, mais Maurice lui-même. Mgr Tanguay se trompe sur ce point[6]. Le père avait dû mourir en France.

« Anno Domini 1655, 4o maii, Ego Leonardus Garreau, societatis Jesu sacerdos, solemniter baptizavi infantem recens natum parentibus Mauritio Poulain et Anna Ploumelle ; patrimus fuere Michael Leneuf dominus du Hérisson et domina Margarita Le Gardeur. Nomen infantis Michael. » Notons ce qui suit : Anne Ploumelle était la mère et non pas la femme de Maurice Poulin. Marguerite Le Gardeur était la femme de Jacques Leneuf de la Poterie. Disons aussi que le Père Garreau fut tué, l’année suivante, par les Iroquois, sur la rivière Ottawa.

Le 29 juillet 1655, au baptême de Joseph Desrosiers, Anne Ploumelle est marraine. Le 28 mars 1656, au baptême de Jeanne Pépin, « Anna Ploumelle » est marraine. Ceci prouve que la mère de Maurice Poulin était venue au Canada avec lui ; je n’ai trouvé aucune trace du père[7].

Le 21 décembre 1655, « Mauritius Poulain dictus Lafontaine » est parrain de Marguerite Bertault. Le 12 septembre 1657, Maurice Poulin remplace Jean Sauvaget comme procureur fiscal des Trois-Rivières. Le 11 novembre 1660, il est cité avec ce titre. Le 10 janvier 1663, il siège au tribunal de ce lieu. Au registre des Audiences de 1657 on voit encore Pierre Boucher siégeant comme juge. En 1658, il est remplacé par Maurice Poulin et Jean Sauvaget.

« Jean-Baptiste Poulin, né le 15 janvier 1657, père Maurice Poulin dit Lafontaine, mère Jeanne Ploumelle, a été baptisé le même jour par moi, Paul Ragueneau. Le parrain a été Michel Godefroy sieur de Lintot, la marraine Anne femme de Des Groseilliers. » La mère de l’enfant se nommait Jeanne Jallaut. Anne Ploumelle était la mère de Maurice Poulin. La marraine était Marguerite Hayet, femme de Médard Chouart des Groseilliers.

« Anno Domini 1658, die 10 Augusti, Ego Renatus Menard, societatis Jesu, baptizavi solemniter infantem recens natum, parentibus domino Lafontaine et Joanna Ploumelle. Patrini fuere dominus Leneuf et Comicella Denis, nomen Catharina. » Il faut encore ici des explications. Le Père Ménard mourut deux ans plus tard au sud du lac Supérieur. Lafontaine c’est Maurice Poulin. La mère de l’enfant était Jeanne Jallaut. Anne Ploumelle était la mère de Maurice Poulin et non pas sa femme. Parrain : Jacques Leneuf de la Poterie, gouverneur des Trois-Rivières. Marraine : Catherine Leneuf de la Poterie, femme de Pierre Denys de la Ronde. L’enfant épousa, en 1675, Joseph Godefroy de Vieux-Pont, des Trois-Rivières.

« Anno Domini 1660, Ego Renatus Menard vices agens parochi, die 9o Aprilis, baptizavi solemniter in sacello nostro puellum codie natam parentibus domini Lafontaine Poulain et Joanna Ploumelle ; patrini dominus de Normanville et domina de la Poterie ; nomen Margarita. » Ici encore Jeanne Ploumelle signifie Jeanne Jallaut. Cette erreur qui se répète montre avec quelle négligence on tenait les registres. Marguerite se maria en 1683, avec François Lemaître.

Le 19 novembre 1661, par devant Séverin Ameau fut passé le contrat de mariage de Pierre Larue avec Jeanne Godin. Témoins : De la Fontaine, Le Pelé, Massé Besnier. Lafontaine c’est Maurice Poulin.

En 1663, Maurice Poulin commença des démarches pour se faire accorder une terre en seigneurie le long de la rivière des Trois-Rivières, à l’endroit où furent établies les forges, soixante-six ans plus tard. On n’accordait plus de terres en seigneurie parce que le roi supprimait les Cent-Associés et prenait possession du Canada. Poulin devait attendre, comme plusieurs autres personnes, le moment où l’administration reprendrait les affaires des terres.

Par une décision du 17 novembre 1663, le Conseil Souverain de Québec nomme Pierre Boucher juge royal aux Trois-Rivières, Maurice Poulin sieur de la Fontaine procureur du roi, et Séverin Ameau, greffier du même tribunal. Le 6 septembre suivant, le Conseil accorde « au sieur de la Fontaine Poullain » cent cinquante francs de salaire par année à cause de sa charge de procureur du roi… Le 28 janvier 1665, on ordonne « de payer au sieur Maurice Poulain, procureur du roi aux Trois-Rivières la somme de deux cent vingt-cinq francs pour une année et demie de ses appointements qui écheoiront en mars prochain. » En 1660 le franc de vingt sous valait largement une piastre de notre monnaie actuelle. D’après une affaire qui se passa en 1664, on voit que Poulin faisait le commerce avec les Sauvages. Le 25 septembre 1664 « Joanna Jalaux uxor Procuratoris Regis » est marraine de Claude Jutras. Le 22 mars 1665 « Joanna Jalaus uxor domini de Lafontaine » est marraine de Marguerite Beaudry. Le 31 mai 1666 « Maurice Poulain » est parrain de Maurice Bénard.

Recensements des Trois-Rivières en 1666 : Maurice Poulin sieur de la Fontaine, 46 ans, procureur du roi, Jeanne Jalaux, 42 ans, sa femme, veuve de Repentigny. Enfants : Pierre de Repentigny, 14 ans ; Michel Poulin, 9 ans ; Jean-Baptiste Poulin, 7 ans ; Catherine Poulin, 6 ans ; Marguerite Poulin, 4 ans. Domestique : Michel Simon, 32 ans, marié en France.

Recensements des Trois-Rivières en 1667 : Maurice Poulin, 45 ans ; Jeanne Jalaux, 42 ans ; 8 bêtes à cornes, 48 arpents de terre en culture. Enfants : Pierre Francheville, 18 ans ; Michel Poulin, 12 ans ; Jean-Baptiste Poulin, 10 ans ; Catherine Poulin, 9 ans ; Marguerite Poulin, 7 ans. Domestique :… Champagne, 30 ans.

De 10 janvier 1668, l’intendant Talon écrit à Maurice Poulin lui permettant de faire travailler sur une terre située au bord de la rivière des Trois-Rivières, du côté du sud-ouest. C’est le terrain où furent établies les forges de longues années plus tard. La terre de Maurice Poulin donna le nom de Maurice à la rivière, ou, si l’on veut, la rivière à Maurice devînt le Saint-Maurice.

Le 9 octobre 1670 Maurice Poulin est parrain de Maurice Cardin. C’est le dernier acte de notre personnage que je connaisse. Il a dû mourir trois ans après cette date, car le 1er mars 1674, au baptême de René Mouet de Moras, le parrain est Louis Godefroy de Normanville « procureur du roi ». Dès 1668, ce même Godefroy avait agi comme procureur du roi ; de plus, il était procureur fiscal depuis le 27 septembre 1666. Sa commission de procureur du roi ne fut signée par Louis XIV que le 1er mai 1677. Nul doute que Maurice Poulin mourut dans sa charge de procureur du roi avant le 1er mars 1674 et assez mal rétribué pour ses services.

Du 22 mars au 2 septembre 1674, le comte de Frontenac concéda des terres en Canada aux personnes suivantes ; je copie les noms tels que je les trouve : Guyon, Desaintours, De Chavigny, Laparc, Jobin, D’Héry, Lerouge, Roberge, de la Durantaye, Duboz, Jaret, Godefroy, Denis, Jollot, Poulin, Le Moyne, Saurel, Salvay[8]. Ces concessions furent sanctionnées par le roi, à Saint-Germain-en-Laye, près de Paris, le 10 mai 1675 et enregistrées définitivement à Québec le 30 septembre. Les noms de « Jollot, Poulin » qui figurent dans ce document me paraissent être ceux de Jeanne Jallaut et de son mari Maurice Poulin. En ce cas, dès l’été de 1674, Jeanne Jallaut aurait agi pour se faire accorder un terrain en invoquant les services de son défunt mari et sa qualité de veuve chargée de quatre enfants. De quelle terre s’agit-il ? Probablement des emplacements de la rue Saint-François-Xavier que les fils de Maurice Poulin ont possédés par héritage, après 1708, date de la mort de Jeanne Jallaut.


  1. Son nom était Francheville. L’abbé J.-B.-A. Allaire donne une courte biographie de lui dans le Clergé Canadien-français.
  2. Voir le récit de ce combat à la page 22 du volume 5 des Mélanges historiques.
  3. On écrivait parfois Poulain.
  4. Après le mariage, c’était un fait très rare !
  5. Elle avait une superbe écriture.
  6. Dictionnaire généalogique, vol. 1, p. 496.
  7. Il ne faut pas oublier que Mgr Tanguay confond le père avec le fils.
  8. Conseil Souverain, vol. 1, p. 1002 ; Titres seigneuriaux, p. 27.