Mélanges historiques/06/04

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IV

L’ÉGLISE DES RÉCOLLETS. — LES FIEFS SAINTE-MARGUERITE ET SAINT-MAURICE. — LA BANLIEUE. — PROCÈS DE BRACONNAGE. — ARPENTAGE DES FIEFS. — JUSTICE ACCOMMODANTE. — MINES DE FER. — PROJET DE FONDERIE.
1693-1710

Marin de Repentigny possédait le terrain où est l’église des Récollets, aujourd’hui église anglaise, encoignure nord-est des rues Notre-Dame et Saint-François-Xavier. Il le laissa à son fils, l’abbé Pierre de Repentigny-Francheville, qui en fit don à Jeanne Jallaut, sa mère, remariée à Maurice Poulin. En 1692, Michel Poulin possédait ce terrain et c’est vers cette date que furent construits le cloître et l’église des Pères Récollets tels qu’on les voit encore aujourd’hui aux Trois-Rivières.

Les mots : fief et seigneurie de « Saint-Maurice » se rencontrent pour la première fois, à ma connaissance, dans le titre du fief Sainte-Marguerite qui est du 27 juillet 1691. La famille Poulin avait adopté le nom de Saint-Maurice pour sa seigneurie et les autorités le reconnurent lorsque l’occasion s’en présenta.

Des habitants de la ville avaient l’habitude de prendre du bois de chauffage au loin sur les coteaux sans tenir compte du droit des propriétaires. L’automne de 1693, Michel Poulin voulut mettre fin à cette pratique en poursuivant Étienne Véron de Grandmesnil comme le plus considérable des délinquants, mais il eut le déplaisir de perdre son procès par sentence du 14 décembre dont il appela aussitôt.

Le 22 février 1694, Michel Poulin décéda à Québec où il devait se trouver par occasion. La veuve se fit représenter au Conseil Souverain de Québec par l’huissier Prieur, le 26 avril suivant alors que la cause fut entendue de nouveau et le jugement du tribunal des Trois-Rivières renversé. L’huissier Hubert comparaissant pour Étienne Véron déclara qu’il n’avait jamais prétendu couper des arbres sur les terres du fief Saint-Maurice et il consent à ce que un tiers de corde de bois saisi par Poulin aille à la veuve de celui-ci pourvu que la procédure en reste là. Le Conseil approuve cet arrangement et ordonne que les habitants des Trois-Rivières devront payer à madame Poulin (Marie Jutras) le bois qu’ils ont enlevé de sa terre depuis décembre dernier, à raison de huit sous la corde, et il leur est fait défense de récidiver, à peine de confiscation, frais, etc[1].

À la demande de Marie Jutras, veuve de Michel Poulin, l’arpenteur De la Joue avait mesuré « la terre de Saint-Maurice », mais Jacques Dubois, propriétaire du fief Sainte-Marguerite, refusa de reconnaître cette action et porta l’affaire en justice. Sur ce, le 29 novembre 1695, le juge Jean Le Chasseur décida que l’arpentage en question était nul et que madame Poulin ferait mesurer la terre par un arpenteur juré, « à prendre une demie lieue au-dessous de son désert, icelui compris, le long de la rivière dite des Trois-Rivières, par une ligne qui courera du sud-est au nord-ouest ; et, quant à la profondeur des deux lieues, il sera tiré une autre ligne courant du nord-est au sud-ouest… Comme aussi que la terre Sainte-Marguerite sera arpentée sur les mêmes rhumbs de vent, le tout à commun frais entre les parties, en ce qui regarde la profondeur des dites terres seulement ; et avertiront du dit arpentage les habitants de la ville à cause de leur Commune, et le sieur de Vieux-Pont à cause de sa terre (la banlieue) dont leurs terres non encore arpentées sont voisines. » Tout cela étant fait le juge ordonnait qu’on lui apporterait les titres des propriétés, les actes d’arpentage, etc., afin de mettre l’affaire en bonne et due forme pour l’avenir. Madame Poulin n’accepta pas la sentence et voulut rouvrir le débat, ce qui lui fut accordé, mais le 19 janvier 1695, Le Chasseur la débouta et elle eut à payer les frais de cour se montant à la somme modeste de cinq sous. Oui, seulement cinq sous. On ne faisait pas payer la justice. Il n’y avait point d’avocat dans le pays. Pas non plus de dépense de transport ou de logement. Alors, les cinq sous devaient être pour couvrir le coût des écritures : encre et papier seulement.

Le 10 février 1695, madame Poulin faisait signifier à Jacques Dubois qu’elle irait en appel devant le Conseil Souverain de Québec et c’est là que, le 22 août suivant, elle fut condamnée à suivre les décisions de Le Chasseur et « aux dépens de l’appel, taxés à quinze sous, non compris l’expédition du présent arrêt et signification d’icelui, et, de grâce, sans amende »[2].

Sous le régime français l’administration de la justice était à peu près gratuite et toute « en bon père de famille ».

Bacqueville de la Potherie, qui visita les Trois-Rivières en 1701, nous a laissé cette curieuse phrase : « Champlain est considérable par des mines de fer dont on a reconnu autrefois la bonté ». Cette richesse naturelle n’étant pas encore exploitée, l’écrivain veut dire qu’elle attirait l’attention — ce qui ne suffisait pas pour rendre la seigneurie de Champlain considérable, mais plutôt sujette à considération pour l’avenir.

Le gouverneur de Brouillan, en 1702, disait avoir trouvé une mine de fer à la baie Sainte-Marie, en Acadie. Le roi lui en accorda l’exploitation pour la durée de six ans, mais que pouvait faire le pauvre homme de cet éléphant !

Le marquis de Crisasy, gouverneur des Trois-Rivières, faisait rapport au ministre des colonies, en 1704, et lui exposait que le fer se trouve en abondance aux environs de cette ville. La réponse fut que l’on pourrait aviser à l’exporter en France. Il y a des indices que le gouverneur insista sur ce sujet puisque, le 30 juin 1707, le ministre écrivait qu’il fallait ajourner l’affaire jusqu’à la paix. Néanmoins, Crisasy persista et, le 6 juin 1708, le ministre priait l’intendant Raudot d’examiner la question de l’établissement d’une fonderie aux Trois-Rivières. Le 11 novembre 1707, Raudot écrit que pour réussir dans la construction des vaisseaux de fort tonnage, il faut que le chanvre soit plus commun et que le fer des Trois-Rivières soit exploité. La correspondance des gouverneurs et des intendants avec Versailles abonde toujours en projets qui ne se réalisent jamais ou bien rarement. La politique du roi à l’égard des colonies consistait à ne rien faire, sauf pour la traite du castor.

En juin 1708, le ministre des colonies fait savoir à Crisasy que Raudot examinera le projet d’établir une fonderie aux Trois-Rivières. Notons cette année la mort de Jeanne Jallaut.

Gédéon de Catalogne, ingénieur du roi, écrit dans son rapport de 1709 : « La seigneurie (Pointe-du-Lac) qui fait la fermeture du lac Saint-Pierre du côté du nord-ouest appartient au sieur de Tonnancour, lieutenant-général civil et criminel de la juridiction royale des Trois-Rivières. Il y a peu d’habitants. Les terres n’y sont pas bonnes. C’est sur cette seigneurie que les mines de fer commencent, en descendant le fleuve jusqu’à Champlain. » Un peu plus loin il dit : « La ville est sur une hauteur de sable… dans les profondeurs il se trouve des mines de fer… Au Cap de la Madeleine on trouve des mines de fer… Sur le fief Lapierre (au Cap) il y a aussi des mines de fer… Dans quelques endroits des prairies Marsollet (Champlain) on trouve des mines de fer… Les devantures du fief Champlain sont sablonneuses et remplies de mines de fer… »

Jusqu’ici nous n’avions aucune mention de minerai de fer sur les terrains de la famille Poulin le long du Saint-Maurice « Dans des profondeurs » cela veut dire le domaine ou fief Saint-Maurice.


  1. Conseil Souverain, vol. III, p. 882.
  2. Conseil Souverain, vol. III, p. 1051.