Mélanges historiques/06/10

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LE FIEF SAINT-ÉTIENNE EST AJOUTÉ AU DOMAINE DES FORGES. — DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DE CUGNET. — LES FORGES SONT MAL ADMINISTRÉES. — FIN DE LA COMPAGNIE CUGNET. — 1740-1742.

Par des actes des 6 et 13 avril 1740, le roi confirme l’acte du 12 septembre 1737 qui accorde à « la compagnie des forges de fer du Canada » une étendue de terre additionnelle de deux lieues de largeur sur trois lieues de profondeur appelée le fief Saint-Étienne et des terres qui sont au nord-ouest depuis ce fief Saint-Étienne à prendre, le front, sur la rivière des Trois-Rivières en remontant jusqu’à une lieue au-dessus du saut de la Gabelle sur deux lieues de profondeur, pour être le dit fief Saint-Étienne et les terres qui sont au-dessus incorporé au fief Saint-Maurice.

En même temps le roi en conseil décide que la réclamation soumise par les fermiers du domaine d’Occident en Canada contre Cugnet n’est pas applicable aux forges Saint-Maurice. Cugnet[1], agent des fermiers en question, se voit dans l’impossibilité de régler ses comptes avec eux mais cela n’affecte nullement les forges qui sont une toute autre affaire quoique le sieur Cugnet y soit intéressé. De plus, ajoute le président du Conseil, le roi est le principal créancier de la compagnie des forges et, à ce titre, devrait être remboursé le premier s’il y avait prise contre les dites forges.

Aux mêmes dates d’avril et encore en mai suivant, on écrit de Versailles qu’il est accordé à la compagnie des Forges un nouveau délai de quatre ans pour le remboursement des avances faites par le roi et que les fers des forges qui seront employés au service public seront vendus au roi à une réduction de dix pour cent sur le prix de France.

Une note de Versailles montre qu’on avait engagé des ouvriers dans le royaume pour les forges Saint-Maurice. C’est du 2 mai. Le même jour, on fait savoir au gouverneur Beauharnois que le Conseil a reçu le rapport concernant les travaux du sieur de Léry, ingénieur, dans la construction des édifices des forges. Dix jours plus tard, le Conseil se plaint de ce que cet établissement marche mal et il ajoute que le frère du sieur Olivier, directeur des forges, va partir pour le Canada.

Le 29 mai on donne avis au sieur Olivier de Vezain qu’il est impossible de procurer à sa compagnie l’exemption des droits de marque de fers pour les produits qu’elle enverra en France.

Cugnet, malgré ses talents, courait trop de lièvres à la fois, ce qui l’obligeait à négliger les forges. Ses associés ne pouvaient le suppléer et encore moins prendre sa place. Le fait que le souverain aidait de ses deniers, sous forme de prêt, l’entreprise des fers du Canada nous étonne puisque le principe colonial, entendu selon le sens français de ce temps, voulait dire : la colonie pour le bénéfice de la France et cela uniquement. On ne nous permettait ni commerce ni fabrique afin de ne pas gêner le royaume. À qui donc attribuer l’influence qui amena le roi et son conseil à assister Poulin-Francheville, puis la société Cugnet ? Je dirai : Beauharnois et Hocquart en attendant que l’on connaisse le dessous des cartes, si jamais on le découvre. Le cas est à peu près unique dans notre histoire, en tant que faveur du roi, mais de la part du gouverneur et de l’intendant, ici nommés, c’est autre chose : ils étaient des hommes de 1840 ces vivants de 1740, et si on leur avait laissé les mains libres, nous savons par leurs écrits quel Canada progressif nous aurions eu en peu d’années.

Le 7 septembre 1740, Hocquart donne instruction au sieur de Boisclerc, un fonctionnaire connu, d’aller avec Cressé, Simonnet fils et Déry visiter la minière de la Pointe-du-Lac. Il est fait mention d’une forge haute et d’une forge basse aux Forges qu’il faudra examiner et sur ce point ou d’autres le sieur Perrault fournira des renseignements[2].

Notons que le 21 novembre au Conseil Supérieur de Québec furent enregistrés les documents du mois d’avril concernant le fief Saint-Étienne. Cette année 1740, sont établis aux Forges Jacques Laviolette et sa femme Marguerite Duverger, de la Pointe-Lévis.

Le 3 février 1741, aux Forges, Michel Lemay, né en 1689 au Cap-Santé, et sa femme, Geneviève Marotte (Marot) née en 1701 à la Pointe-aux-Trembles de Québec, font baptiser Charlotte, née à Bécancour. C’était un ménage de Lotbinière qui avait séjourné à Bécancour. Ils avaient quatre enfants dont l’aîné était d’avant 1730.

Le 12 mai 1741 on promulgue aux Forges une défense de payer les ouvriers en marchandises. Cette année, la compagnie des Forges demande à être mise en possession d’un terrain qui se trouvait compris dans les limites de la seigneurie du Cap-de-la-Madeleine, c’est-à-dire sur la rive gauche du Saint-Maurice en arrière du Cap où étaient les habitants.

Le président du Conseil pour les colonies écrivait à Hocquart le 12 mai 1741 qu’il y avait tout lieu de craindre que les Forges ne répondent pas aux espérances qu’on en avait conçues. Ce n’est pourtant pas que l’entreprise ne soit point bonne en elle-même, mais les fonds y ont été dépensés inconsidérément. Le plus fâcheux est le risque qu’on court pour les avances que le roi a faites. Le roi ne peut entreprendre pour son compte une telle exploitation, car les difficultés de la régie la rendrait sûrement onéreuse, et il serait à peu près impossible de former une nouvelle compagnie après cet insuccès. En vue de cette catastrophe, il faut mûrir d’avance ce qu’il conviendra de faire quand elle se produira.

Avec l’année 1742 nous sommés dans la crise financière des Forges, mais avant que d’en parler voyons les affaires de Cugnet. Le ministre des colonies, voulant mettre ce particulier en état de rétablir son crédit, lui offre, pour la durée de neuf années, les fermes (monopoles) de Nipigon, Kaministiquia, Michipicoton et Témiscaming où il pourrait ramasser des pelleteries, à la charge de payer au roi la rente ordinaire de ces fermes et aussi les dettes des Forges, non pas d’un seul coup mais par versements. Quant au Nipigon, comme Ramesay occupe ce poste, il faudra attendre un an. Kaministiquia est vacant ; le profit ne rapportera que la rente au roi, à moins que ce poste ne soit occupé que par le même homme des trois autres. À Témiscaming il y a le sieur Déry qui paye 5,600 francs. Gatineau, des Trois-Rivières, à Michipicoton, et son bail durera encore trois ans ; il paye 3,750 francs. Tout ceci considéré, Cugnet refuse l’offre du ministre. En ce qui regarde le domaine de la ferme occidentale ou Canada, Cugnet lui doit 63,302 francs et il offre de l’acquitter sur le domaine de Tadoussac dont il a la ferme ou monopole depuis le 21 août 1737 et qui va jusqu’à 1746. Il demande que ce bail soit étendu jusqu’à 1755.

On voit ici le système colonial français. Le Canada ne comptait que par ses fourrures et uniquement pour le profit de la France. Mais ce commerce n’était pas libre puisqu’il était tout distribué en monopoles qui payaient rente au roi. Sur ces revenus, le trésor royal prenait de quoi rencontrer les petits salaires du gouverneur, de ses secrétaires, la solde des troupes entretenues dans la colonie, la construction et l’entretien des édifices publics, enfin les dépenses de l’administration. Les douanes rapportaient très peu vu que les habitants s’habillaient eux-mêmes de pied en cap. En réalité, la population agricole ne comptait pas dans ce calcul parce qu’elle ne rapportait rien au roi. Les industries publiques étant prohibées, pour ne pas nuire aux fabriques du royaume, il n’y avait rien à tirer de ce chef. Tout pour le castor. Pas la moindre considération pour les Canadiens. Une seule idée, étroite, pitoyable, oppressive. Hocquart et Beauharnois auraient bien voulu faire autrement, mais…

Cugnet, Simonnet père, de Vezain, Gamelin et Taschereau formaient la compagnie des Forges. Je n’y vois plus les noms de Poulin ou Francheville. En 1742, après le refus de Cugnet d’accepter les fermes de l’ouest — ou même auparavant — c’est Cugnet seul qui est poursuivi pour les dettes des Forges. Tout ce qu’il possède est saisi[3]. Il est loin de pouvoir satisfaire ses créanciers. On ne connaît aucun bien à ses associés.

Il est dû par Cugnet au Domaine
63,302 francs
à la Marine, & Colonies (farine)
5,704    —
à des marchands
71,035    —
aux ouvriers, etc.
7,349    —

Le 15 mars 1742, on dépose un état de compte et par sentence arbitrale du 1er septembre on voit

que la compagnie des Forges devait
139,185 francs
sur les sommes dues aux marchands de France et de Québec, au moins
6,000    —
aux ouvriers, fournisseurs, porteurs de billets de Vezain, Perrault et Simonnet fils
7,349    —


wwwwTotal
152,534 francs

La compagnie étant divisée en vingt parts dont Cugnet en possédait quatre, il devait supporter 34,320 francs de la dette et Gamelin, Simonnet père, de Vezain et Taschereau le reste, soit 118,214 francs.

Tandis que tout cela se passait dans la colonie, le ministre écrivait, les 27 février et 27 avril 1742, que rien n’avait encore été déterminé sur les propositions de M. Hocquart pour assurer l’exploitation des forges. Afin de ne pas suspendre le travail, ce qui provoquerait la dispersion des ouvriers, M. Hocquart pourvoira aux approvisionnements strictement nécessaires pour le travail journalier seulement. Le ministre déclare que la situation des forges est fort embarrassante. Il ne voit que deux moyens d’en sortir : créer une nouvelle compagnie ou exploiter au nom du roi. Ceci est le grand mot lâché. Nous ne devons plus dire que le roi prit les Forges à son compte en 1737, non, il ne fit alors que prêter de l’argent, comme il avait fait envers Francheville seul. Il accorda deux ou trois autres secours du même genre à la compagnie Cugnet, puis, en avril 1742, le Conseil songea à sortir de l’impasse en absorbant l’entreprise au nom du roi. Pour le moment, il fallait attendre des nouvelles du Canada.

***

Le 9 décembre 1739 fut baptisée Angélique, fille de Jean Aubry et d’Antoinette Guéry, des Forges, déjà mentionnés. Aubry est maître-faiseur de charbon. Angélique se maria en 1757, aux Trois-Rivières, avec François Grenier.

Le 29 mai 1742, premier acte enregistré de la chapelle des Forges. C’est le baptême de Louis, fils de François de Nevers, déjà mentionné. Parrain : Pierre Marineau, déjà mentionné. Marraine : Marie Sauvage, femme de Marchand, déjà mentionnés ; elle signe avec le frère Augustin Quintal.

Le 17 juin 1742, aux Trois-Rivières, Joseph Aubry, des Forges, déjà mentionné, épouse Josephte, née à Montréal en 1717, fille de Louis Chèvrefils et de Geneviève Paillé. Les témoins sont Jean Aubry, trois frères de la mariée, Pierre Lalouette, chauffeur déjà mentionné et Jeoffroy, pas connu d’ailleurs. Le prêtre est Augustin Quintal.

Jean-Urbain Martel de Belleville, né à Québec en 1708, était aux Forges comme employé. Le 9 septembre 1742 il est présent à l’inhumation de Michel, enfant de Jean-François Robichon, avec le docteur Alavoine, des Trois-Rivières, et le frère Bernard Bullet, prêtre récollet, qui officie. De 1742 à 1747, et plus tard, Martel est aux Forges.

Cette année 1742, au registre des Forges, on voit les noms de Pierre Marchand, chauffeur, Périgord, Girardeau, Nicolas Champagne, commis, Nicolas Dautel.


  1. Cugnet dit Provençal, né en 1688, a dû arriver au pays vers 1719, car il ne figure pas au recensement de Québec en 1716. En mai 1724, Cugnet est nommé agent du domaine d’Occident en Canada. Son magasin était dans la rue Sous-le-Fort. On le qualifie aussi de fermier du domaine du Labrador, premier conseiller au Conseil Supérieur de Québec (1733) et receveur général du domaine du roi. De 1727 à 1732, il commerça avec Gatineau sur la laine des bœufs illinois. Mais cette entreprise tomba aussitôt.
  2. Cet ordre a été imprimé dans le Bulletin des recherches historiques, 1917, p. 287. Le procès-verbal de cette visite fut fait par Maurice Déry en octobre suivant.
  3. Ménage, cheval, voitures, etc. Cependant, la procédure en resta là et le roi accorda un délai à Cugnet. En 1745, lui, Gamelin et Taschereau demandent d’être déchargés de leurs dettes ou avances du roi pour les Forges, qu’ils n’avaient pu encore régler. Le 12 mai de cette même année, le Conseil informe Cugnet, Gamelin et Taschereau que leur demande sera considérée plus tard. Cugnet avait alors la ferme de trois postes de traite. En juin 1745, il demande à Hocquart le renouvellement de son bail de la ferme de Tadoussac au prix de 6,000 francs en y joignant la baie de Kitchechatsom. En mars 1747, Cugnet obtient pour quatre ans l’affermage des postes de Témiscaming, Michipicoton et Kaministiquia, au prix de 7,500 francs par an. Peu après un nouveau malheur s’abat sur Cugnet : le navire La Gironde, qui était chargé de cent barriques d’huile à son compte, se perd sur les côtes de la Bretagne en passant de Brest à Rochefort.

    Le 7 juillet 1752, le président du conseil de la marine écrit à Bigot que les effets laissés par Cugnet, décédé peu avant, sont plus que suffisants pour payer ce qu’il doit au roi et à ses autres créanciers. Le 8 juin 1753, la veuve de Cugnet obtient une gratification du roi de cent livres.