Mélite/Acte 5/Scène 4

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Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE IV.


TIRCIS, MÉLITE.

TIRCIS.


Maintenant que le sort, attendri par nos plaintes,
Comble notre espérance et dissipe nos craintes,
Que nos contentements ne sont plus traversés
Que par le souvenir de nos malheurs passés 344,
Ouvrons toute notre âme à ces douces tendresses
Qu’inspirent aux amants les pleines allégresses,
Et d’un commun accord chérissons nos ennuis,
Dont nous voyons sortir de si précieux fruits.
Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passions secrètes,
Doux truchements du cœur, qui déjà tant de fois
M’avez si bien appris ce que n’osoit la voix,
Nous n’avons plus besoin de votre confidence :
L’amour en liberté peut dire ce qu’il pense,
Et dédaigne un secours qu’en sa naissante ardeur
Lui faisoient mendier la crainte et la pudeur.
Beaux yeux, à mon transport pardonnez ce blasphème,
La bouche est impuissante où l’amour est extrême :
Quand l’espoir est permis, elle a droit de parler ;
Mais vous allez plus loin qu’elle ne peut aller.
Ne vous lassez donc point d’en usurper l’usage,
Et quoi qu’elle m’ait dit, dites-moi davantage.
Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis
T’obligent à te taire auprès de ton Tircis ?


MÉLITE.


Tu parles à mes yeux, et mes yeux te répondent.


TIRCIS.


Ah ! mon heur, il est vrai, si tes désirs secondent
Cet amour qui paroît et brille dans tes yeux,
Je n’ai rien désormais à demander aux Dieux.


MÉLITE.


Tu t’en peux assurer : mes yeux si pleins de flamme
Suivent l’instruction des mouvements de l’âme.
On en a vu l’effet, lorsque ta fausse mort
A fait sur tous mes sens un véritable effort 345 ;
On en a vu l’effet, quand te sachant en vie,
De revivre avec toi j’ai pris aussi l’envie 346 ;
On en a vu l’effet, lorsqu’à force de pleurs
Mon amour et mes soins, aidés de mes douleurs,
Ont fléchi la rigueur d’une mère obstinée,
Et gagné cet aveu qui fait notre hyménée 347,
Si bien qu’à ton retour ta chaste affection
Ne trouve plus d’obstacle à sa prétention 348.
Cependant l’aspect seul des lettres d’un faussaire
Te sut persuader tellement le contraire,
Que sans vouloir m’entendre, et sans me dire adieu,
Jaloux et furieux tu partis de ce lieu 349.


TIRCIS.


J’en rougis, mais apprends qu’il n’étoit pas possible
D’aimer comme j’aimois, et d’être moins sensible ;
Qu’un juste déplaisir ne sauroit écouter
La raison qui s’efforce à le violenter 350 ;
Et qu’après des transports de telle promptitude,
Ma flamme ne te laisse aucune incertitude.


MÉLITE.


Tout cela seroit peu, n’étoit que ma bonté 351
T’en accorde un oubli sans l’avoir mérité,
Et que, tout criminel, tu m’es encore aimable.


TIRCIS.


Je me tiens donc heureux d’avoir été coupable,
Puisque l’on me rappelle au lieu de me bannir,
Et qu’on me récompense au lieu de me punir.
J’en aimerai l’auteur de cette perfidie 352,
Et si jamais je sais quelle main si hardie…


Scène III

Acte V, scène IV

Scène V


344. Var. Que par le souvenir de nos travaux passés,
Chassons-le, ma chère âme, à force de caresses ;
Ne parlons plus d’ennuis, de tourments, de tristesses
Et changeons en baisers ces traits d’œil langoureux
Qui ne font qu’irriter nos désirs amoureux.
[Adorables regards, fidèles interprètes
Par qui nous expliquions nos passions secrètes.]
Je ne puis plus chérir votre foible entretien :
Plus heureux, je soupire après un plus grand bien.
Vous étiez bons jadis, quand nos flammes naissantes
Prisoient, faute de mieux, vos douceurs impuissantes ;
Mais au point où je suis, ce ne sont que rêveurs
Qui vous peuvent tenir pour exquises faveurs :
Il faut un aliment plus solide à nos flammes,
Par où nous unissions nos bouches et nos âmes.
[Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis.] (1633-57)

345. Var. Fit dessus tous mes sens un véritable effort. (1633-57)

346. Var. De revivre avec toi je pris aussi l’envie. (1633-57).

347. Var. Lui faisant consentir notre heureux hyménée. (1633-57)

348. Var. Nous trouve toutes deux à sa dévotion ;
Et cependant l’abord ap des lettres d’un faussaire. (1633-57)
Var. Ne trouve plus d’obstacle à ta prétention ;
Et le premier aspect des lettres d’un faussaire. (1660)

349. Var. Furieux, enragé, tu partis de ce lieu.
tirs. Mon cœur, j’en suis honteux, mais songe que possible,
Si j’eusse moins aimé, j’eusse été moins sensible. (1633-57)

350. Var. La voix de la raison qui vient pour le dompter. (1633-57)

351. Var. Foible excuse pourtant, n’étoit que ma bonté. (1633-57)

352. Var. mél. Mais apprends-moi l’auteur de cette perfidie.
tirs. Je ne sais quelle main pût être assez hardie. (1633-57)


ap. L’édition de 1657 donne, par erreur, d’abord, pour l’abord.