Mémoires de John Tanner/Appendice/03

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Traduction par Ernest de Blosseville.
Arthus Bertrand (2p. 367-372).


CHAPITRE III.


LES TOTEMS.


Les noms de famille. — Devoirs qu’ils imposent. — Les Algonquins. — Les Chippewyans du Nord. — Les tribus de l’Ouest. — Les Dahcotahs ou Sioux. — Catalogue de totems. — Tatouage.


Chez les Indiens de la race algonquine, chaque homme reçoit de son père un totem ou nom de famille. Ils affirment que, selon leurs coutumes, nul n’a le droit de changer de totem. Comme cette marque distinctive passe d’un homme à tous ses enfans et à tous les prisonniers qu’il adopte, il est évident qu’à l’instar des généalogies des Hébreux, ces totems doivent fournir une énumération complète de toutes les origines des familles.

Cette institution ne diffère pas de celle de nos noms de famille ; mais les devoirs d’amitié et d’hospitalité sont plus scrupuleusement observés, ainsi que les degrés de prohibition d’alliance. C’est dans les mœurs des Indiens un grand crime d’épouser une femme qui ait le même totem que son mari, et ils citent des exemples de jeunes hommes mis à mort par leurs plus proches parens pour expier la violation de cette règle.

Ils disent aussi que ceux qui ont le même totem, quand bien même ils seraient de bandes distinctes et hostiles, sont tenus, en toute circonstance, à se traiter, lorsqu’ils se rencontrent, non seulement comme des amis, mais comme des frères, des sœurs et des membres d’une même famille.

Quant à l’origine de cette institution et au devoir de sa stricte observance, les Indiens prétendent n’avoir aucune tradition ; ils supposent que le totem leur a été donné au commencement par leur créateur. Ces signes sont maintenant très nombreux comme les surnoms parmi eux, et, en considérant leur nombre, il est impossible de ne pas reconnaître qu’il y a eu un temps où on les changeait pour en adopter de nouveaux plus facilement qu’aujourd’hui.

Il n’est pas jusqu’à présent bien constaté qu’aucune tribu indienne de l’Amérique du Nord, excepté celles de la race algonquine, ait ces distinctions généalogiques. Nous nous sommes bien assuré que les tribus de la grande famille des Chippewyans du Nord n’en ont pas. De longues relations avec des bandes de Dahcotahs du Mississipi ou de Saint-Pierre, parmi lesquelles nous comptions les Hoochawgenahs, ou Winnebagoes et les Ioways, ne nous ont révélé aucune trace de semblables coutumes, non plus qu’un séjour passager parmi les Otoes, les Kansas, les Omawhawes, et d’autres tribus occidentales. Nous ne pouvons toutefois parler des Indiens de l’Ouest avec une entière confiance ; car Renville, interprète pour les Sioux, après beaucoup d’hésitation et d’examen, a fini par nous dire qu’il croyait à l’existence d’une coutume à peu près analogue chez ce dernier peuple.

Les Algonquins, on doit l’observer, croient que tous les autres Indiens ont des totems ; mais comme ils ne connaissent pas ceux des bandes hostiles, dans leurs correspondances par peinture, l’omission de totem sert à désigner un ennemi. Les bandes d’Ojibbeways qui vivent près de la frontière du pays des Sioux comprennent toujours qu’une figure d’homme sans totem signifie quelqu’un de cette nation.

L’ours, le petit brochet et le poisson blanc sont les totems de quelques familles. Le moose passe pour avoir été, dans l’origine, celui de la nation des Ottawwaws. Ce peuple s’étant accru de l’accession de diverses autres bandes, beaucoup de nouveaux totems se sont introduits avec elles, et sont aujourd’hui entremêlés dans les familles de la race primitive. Le renne, l’aigle à tête blanche, le faucon femelle, le serpent d’eau, l’arbre fourchu, la grue, la mouette et le petit poisson-chat sont des totems bien connus. Le chat sauvage est un totem commun chez les Muskegoes. Net-no-kwa et Wa-me-gon-a-biew avaient le castor. Tanner conservait le serpent à sonnettes, totem de Manito-o-geezhik et de Kish-kau-ko qui l’avaient enlevé.

Nous pourrions en énumérer bien d’autres encore, mais ceux-là suffisent pour donner une idée des principaux objets dont les Indiens font dériver leurs noms. Le nom vulgaire d’un homme peut être et est souvent changé, soit lorsqu’il part pour la guerre, soit à l’occasion de quelque événement remarquable. Le totem ne change jamais. Il n’est pas vrai qu’ils aient toujours la figure de leur totem tatouée sur quelque partie de leur corps ; il ne l’est pas non plus qu’ils portent constamment sur eux une peau ou quelque autre marque qui les fasse immédiatement reconnaître. Cela peut arriver quelquefois ; mais le plus souvent, dans leurs rencontres, ils sont respectivement obligés de se questionner sur leurs totems.