Mémoires de deux jeunes mariées/Chapitre 43

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Mémoires de deux jeunes mariées
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux2 (p. 141-142).

XLIII

MADAME DE MACUMER À LA COMTESSE DE L’ESTORADE.


Pour la première fois de ma vie, ma chère Renée, j’ai pleuré seule sous un saule, sur un banc de bois, au bord de mon long étang de Chantepleurs, une délicieuse vue que tu vas venir embellir, car il n’y manque que de joyeux enfants. Ta fécondité m’a fait faire un retour sur moi-même, qui n’ai point d’enfants après bientôt trois ans de mariage. Oh ! pensais-je, quand je devrais souffrir cent fois plus que Renée n’a souffert en accouchant de mon filleul, quand je devrais voir mon enfant en convulsions, faites, mon Dieu, que j’aie une angélique créature comme cette petite Athénaïs que je vois d’ici aussi belle que le jour, car tu ne m’en as rien dit ! J’ai reconnu là ma Renée. Il semble que tu devines mes souffrances. Chaque fois que mes espérances sont déçues, je suis pendant plusieurs jours la proie d’un chagrin noir. Je faisais alors de sombres élégies. Quand broderai-je de petits bonnets ? quand choisirai-je la toile d’une layette ? quand coudrai-je de jolies dentelles pour envelopper une petite tête ? Ne dois-je donc jamais entendre une de ces charmantes créatures m’appeler maman, me tirer par ma robe, me tyranniser ? Ne verrai-je donc pas sur le sable les traces d’une petite voiture ? Ne ramasserai-je pas des joujoux cassés dans ma cour ? N’irai-je pas, comme tant de mères que j’ai vues, chez les bimbelotiers acheter des sabres, des poupées, de petits ménages ? Ne verrai-je point se développer cette vie et cet ange qui sera un autre Felipe plus aimé ? Je voudrais un fils pour savoir comment on peut aimer son amant plus qu’il ne l’est dans un autre lui-même. Mon parc, le château me semblent déserts et froids. Une femme sans enfants est une monstruosité ; nous ne sommes faites que pour être mères. Oh ! docteur en corset que tu es, tu as bien vu la vie. La stérilité d’ailleurs est horrible en toute chose. Ma vie ressemble un peu trop aux bergeries de Gessner et de Florian, desquelles Rivarol disait qu’on y désirait des loups. Je veux être dévouée aussi, moi ! Je sens en moi des forces que Felipe néglige ; et, si je ne suis pas mère, il faudra que je me passe la fantaisie de quelque malheur. Voilà ce que je viens de dire à mon restant de Maure, à qui ces mots ont fait venir des larmes aux yeux. Il en a été quitte pour être appelé une sublime bête. On ne peut pas le plaisanter sur son amour.

Par moments il me prend envie de faire des neuvaines, d’aller demander la fécondité à certaines madones ou à certaines eaux. L’hiver prochain je consulterai des médecins. Je suis trop furieuse contre moi-même pour t’en dire davantage. Adieu.