M. Thiers à l’Académie française

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M. THIERS À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

La réception de M. Thiers à l’Académie française avait attiré samedi dernier un concours inaccoutumé de spectateurs. Les cinq classes de l’Institut se pressaient autour du jeune ministre. Mais une figure surtout attirait l’attention ; c’était M. de Talleyrand, réintégré par la révolution de 1830 dans la section des sciences morales, et qui venait assister au triomphe de son élève.

La position du récipiendaire était délicate, et ce n’était pas trop de l’habileté bien reconnue de l’orateur pour éluder toutes les difficultés de la séance. Avoir fait attendre si long-temps un discours de réception ! avoir traité comme un intermède, comme un délassement, les honneurs académiques ! avoir dit au premier corps littéraire de France : « Messieurs, je vous remercie de m’avoir nommé ; mais les affaires du conseil dévorent toutes mes journées. Trouvez bon qu’un ministre de sa majesté s’occupe d’abord du salut de l’état ; dans quelques mois, si les factions s’apaisent ou sont terrassées par mon génie, quand le ciel plus serein nous permettra de respirer librement, je vous préviendrai, et vous donnerai mon heure. » Cela sentait terriblement le marquis de Mascarille. Mais le mal était fait, il n’était plus possible de revenir sur une première maladresse.

L’éloge d’Andrieux n’était pas un thème très abondant. M. Thiers l’a bien senti. Le Meunier sans souci, Anaximandre, les Étourdis et le Manteau pouvaient tout au plus défrayer quelques périodes. En homme consommé dans les ruses du métier, l’orateur a pris le parti de Simonide pour l’éloge de son hôte. Il a saisi la transition toute naturelle du tribunat d’Andrieux à l’histoire politique de la France. Il était là sur son terrain, il se retrouvait au milieu de ses idées de chaque jour. Le jugement qu’il a porté sur l’égoïsme de Napoléon, samedi dernier, n’est pas en tout conforme à ses opinions de 1828. Lorsqu’il racontait, avec une franchise poétique à force de vérité, les campagnes d’Italie et d’Égypte, il n’était pas si indulgent au génie. Sans rabaisser la volonté ambitieuse du guerrier, il mettait la gloire au service de la liberté, et n’amnistiait pas avec une si large clémence la dictature militaire. Cette remarque n’a pas échappé à l’auditoire ; mais depuis quatre ans l’orateur n’en est plus à compter ses palinodies. De l’histoire de la constituante au gouvernement de la restauration, il y a si loin, vraiment, que nous aurions mauvaise grâce à chicaner le récipiendaire pour quelques pouces de terrain. — Quant aux malices inoffensives adressées par M. Thiers aux novateurs littéraires, nous n’en dirons rien ; nous lui rappellerons seulement qu’il ne faut pas battre sa nourrice ; qu’il n’oublie pas que ses admirateurs les plus ardens ne sont pas dans la littérature impériale. La jeunesse, qui s’est animée à sa voix, et qui ne s’attendait pas à le voir si tôt faire halte dans les antichambres du château, ne lui a pas demandé, pour applaudir à ses débuts, s’il avait lu le traité de Lucien sur la manière d’écrire l’histoire, s’il avait consulté les Institutions oratoires de Quintilien. Elle s’est livrée sans réserve à son enthousiasme, tandis que les poètes voltairiens se consultaient inutilement pour rattacher l’annaliste de la révolution aux écoles historiques de l’antiquité.

Pourquoi M. Thiers s’est-il cru obligé de répéter à l’Académie sa profession de foi politique, si verbeusement exposée au Palais-Bourbon ? Je ne sais. Est-ce que par hasard il se défiait de son mérite littéraire ? Ce serait de sa part une modestie bien puérile. A-t-il voulu trancher du grand seigneur, et donner à ces messieurs une leçon de sagesse ? S’il avait cette louable intention, il devait prendre un parti plus décisif et ne pas s’amuser aux niaiseries d’Athénée. Comme écrivain, il n’a pas été assez littéraire ; comme grand seigneur, il a été bien modéré dans sa morgue aristocratique. Il a été applaudi, et il méritait de l’être ; mais je l’eusse voulu plus nettement dessiné dans son allure.

Nous ne sommes pas assez heureux pour savoir quel jour et à quelle heure l’auteur de l’Ambitieux prononcera l’éloge de Marius à Minturnes ; mais puisque la mort de M. Parceval met un nouveau fauteuil à la disposition de l’Académie, ce sera pour elle, nous l’espérons, une occasion de se réhabiliter. Qu’elle appelle dans son sein M. Ballanche ou M. Hugo ; qu’elle rende une éclatante justice à l’auteur d’Antigone. Mais que M. Hugo se présente et qu’il ne recule pas devant les ennuis d’une candidature officielle ; car, si chacun des membres de l’Académie peut aller jusqu’à proclamer individuellement la supériorité de l’auteur des Orientales, on ne peut pas exiger d’un corps tout entier la même humilité et la même abnégation. Une société littéraire qui peut nommer comme siens Chateaubriand, Lamartine, Lemercier, Cousin, est en droit de traiter avec le poète le plus illustre et le plus populaire, sur le pied d’une égalité parfaite.

G. P.