Macaire, chanson de geste (Anonyme)/Préface

La bibliothèque libre.
Anonyme
Texte établi par François Guessard (p. i-cxxxiv).


PRÉFACE.



J’ai trouvé ce poëme sans titre dans l’unique manuscrit qui nous l’ait conservé, en sorte que j’en suis à la fois l’éditeur et le parrain.

Je lui ai donné un nom, je le sais, qui n’est guère recommandable. En dépit de son étymologie et du parfum de sainteté qu’il exhale, ce nom malheureux était déjà bien mal noté au moyen âge[1], et l’est aujourd’hui plus que jamais. Aussi ne l’ai-je pas choisi, mais subi, pour ainsi parler, et fort à contre-cœur, sachant surtout que ce n’était pas le véritable titre de l’ouvrage, celui qu’il portait autrefois et sous lequel il a été traduit à l’étranger. Ce vrai titre, tiré du nom de l’héroïne, était, sans aucun doute : La Reine Sibile. Mais comment le conserver à la version que je publie, où Sibile s’appelle Blanchefleur ? Substituer ce nouveau nom à l’ancien ce n’était pas remédier au mal ; c’était plutôt l’aggraver en introduisant un élément de confusion dans le catalogue de notre histoire littéraire. En effet, ce nom gracieux de Blanchefleur, si cher aux trouvères, se trouve déjà en tête d’une de leurs compositions, et bien qu’il y soit associé à un autre, je n’étais pas sans craindre cette répétition dans la série des titres de nos anciens poëmes. Voilà comment j’ai été conduit à préférer le nom d’un coquin à celui d’une reine vertueuse.

C’est dire assez que je n’avais guère à choisir qu’entre ces deux noms : celui de l’innocence et celui de son persécuteur. Il y a bien encore dans cette curieuse composition un troisième personnage qui y joue un grand rôle ; un personnage que l’histoire a longtemps emprunté au roman, que les arts, que le théâtre ont rendu populaire et dont l’érudition a discuté l’existence dans une savante dissertation. Ce n’est qu’un chien, il est vrai mais un chien célèbre : le chien de Montargis. Par malheur, je ne pouvais me servir de ce titre tout fait sans me rendre coupable d’un gros anachronisme, puisque le chien de Montargis n’a été ainsi nommé que longtemps après sa naissance, c’est-à-dire longtemps après la fin du XIIe siècle, date probable du poëme que je publie.

Si ce poëme n’appartenait pas au genre sérieux, au moins par l’intention, le meilleur titre qu’on lui pût adapter serait sans doute celui d’une des comédies de Molière, en substituant simplement le nom de Charlemagne à celui de Sganarelle. Le grand empereur, en effet, y joue un rôle analogue à celui de l’époux trop soupçonneux que notre grand comique a mis en scène, à cela près que Charlemagne, dont l’infortune n’est pas moins imaginaire que celle de Sganarelle, a cependant pour y croire de plus fortes raisons que lui.

C’est après ces réflexions, et non à la légère, comme on le voit, que je me suis décidé à restituer à notre histoire littéraire, sous le titre de Macaire, la chanson de la Reine Sibile, dont on connaissait depuis longtemps l’existence et le sujet, mais dont on croyait l’original à jamais perdu.

Je n’oserais dire absolument que je l’ai retrouvé. Ce serait faire trop d’honneur à l’Italien qui l’a enchâssé dans la vaste compilation d’où je le tire ; ce serait peut-être aussi paraître trop satisfait de mon essai de restitution. Or, je n’ai garde de tomber dans ces deux excès. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour reconnaître combien est altéré le manuscrit que je publie, et j’ai peur qu’il soit aussi trop aisé aux juges compétents d’apercevoir les imperfections de mon travail. J’estime toutefois que, l’un portant l’autre, le texte de Venise et le mien donneront au lecteur une idée suffisante de la singulière composition qu’ils reproduisent tellement quellement, et qui, défigurée d’un côté, s’efforce de reprendre de l’autre sa physionomie et ses traits primitifs.

Voici le fond de ce roman, dont une partie, et la moins vraisemblable, a été si longtemps prise au sérieux et considérée comme historique.

Charlemagne, oubliant trop aisément les souvenirs de Roncevaux, a admis à sa cour et dans son intimité un chevalier de cette race de Mayence qu’il eût dû haïr à jamais, un parent du traître Ganelon, Macaire de Losane. Il a bientôt sujet de s’en repentir. Macaire ose regarder d’un œil de convoitise l’épouse même de son seigneur, la belle et vertueuse Blanchefleur, fille de l’empereur de Constantinople. Il tente d’abord par de doux propos de conquérir ses bonnes grâces ; la reine le repousse et l’éconduit avec indignation. Irrité, mais non découragé, Macaire a recours, pour continuer sa poursuite, à l’entremise d’un nain fort aimé du roi, de la reine surtout, et très-familier avec elle. Le nain, séduit par de belles promesses, consent à servir les desseins de Macaire. Il en est bien puni. Blanchefleur le châtie, et si rudement qu’il en garde le lit pendant huit jours. Dès lors Macaire ne songe plus qu’à se venger, et c’est encore au nain qu’il demande assistance, au nain outragé comme lui, plus que lui, et animé du même esprit de vengeance. Il lui persuade de se cacher le soir derrière la porte de la chambre du roi, et quand Charlemagne se lèvera, selon sa coutume, avant l’aube du jour, pour assister à matines, d’aller prendre place dans sa couche, à côté de la reine. Charlemagne l’y trouvera au retour, ne manquera pas de croire Blanchefleur coupable et la fera brûler vive. Quant au nain, quel risque peut-il courir ? Il dira pour se justifier qu’il n’a fait que se rendre à l’appel de la reine, cette fois comme bien d’autres. D’ailleurs Macaire sera là pour le défendre, s’il y avait péril.

Le nain saisit avec joie l’occasion qui s’offre à lui de venger son affront. Il suit de point en point les instructions de Macaire, et de là la scène prévue. Charlemagne, en revenant de matines, aperçoit sur un banc les vêtements et dans son lit la grosse tête du nain. Il reste muet de confusion, de douleur, de courroux, sort de sa chambre éperdu, et se rend à la grande salle du palais, où il trouve Macaire déjà levé, avec quelques autres chevaliers. Il les conduit près de sa couche, où le nain est encore à côté de la reine endormie. Interrogé par Macaire lui-même, le nain répète la leçon qu’il a apprise du traître. Cependant Blanchefleur s’éveille, et, se voyant ainsi entourée, ainsi accusée, ne trouve pas un mot pour se défendre. Charlemagne jure qu’elle sera brûlée vive.

Il le jure ; mais si grande est sa tendresse pour Blanchefleur qu’il oublierait peut-être son serment n’était la crainte du blâme, n’étaient les instances de Macaire et des siens qui le poussent à faire justice. Il s’y résigne, et déjà le bûcher est allumé, lorsque Blanchefleur en face de la mort demande un confesseur. L’abbé de Saint-Denis vient remplir cet office. Il entend la malheureuse reine, l’interroge, se persuade de son innocence, et détourne Charlemagne de la livrer au supplice, d’autant plus qu’elle s’est déclarée enceinte. Alors, sur l’avis du duc Naimes, son sage conseiller, le roi lui fait grâce de la vie, et la bannit seulement de son royaume. Un jeune damoiseau nommé Aubri est chargé de la conduire en exil. Il part avec elle, au grand regret de chacun et de Charlemagne lui-même.

Macaire aussi, mais par un autre sentiment, voit ce départ avec un cruel déplaisir : sa vengeance lui échappe. Pour la ressaisir, il s’arme, monte à cheval, et s’élance à la poursuite de l’exilée et de son compagnon. Il les rejoint, somme Aubri de lui abandonner la reine, et, sur son refus, l’attaque et le tue. Effrayée à la vue du combat, la reine s’est enfuie dans un bois voisin. Macaire ne la retrouve pas, et revient à Paris chargé d’un crime de plus.

Aubri avait un lévrier qui le suivait partout. Le lévrier ne le quitte point, même après sa mort. Il reste là trois jours, et ce n’est que vaincu par la faim qu’il reprend le chemin de Paris. Il arrive à l’heure du dîner, court au palais, où les barons sont à table, aperçoit Macaire, se jette sur lui, le mord cruellement au visage, prend du pain sur la table et s’enfuit pour retourner auprès de son maître, laissant toute la cour dans l’étonnement. Les barons se demandent si Aubri est déjà de retour. Ils ont bien cru reconnaître son lévrier. Le chien revient une seconde fois à la même heure ; mais les gens de Macaire sont sur leurs gardes ; il ne peut l’atteindre et s’en retourne encore avec du pain. Alors les soupçons s’éveillent. Pour les éclaircir, Charlemagne et ses barons se promettent de suivre le chien quand il reviendra. Il revient, fait découvrir le corps d’Aubri et en même temps le crime de Macaire.

Interrogé par Charlemagne, l’accusé nie et offre de prouver son innocence par les armes ; mais personne n’ose combattre un adversaire aussi puissant, aussi bien apparenté. La justice restera-t-elle donc sans champion ? Le vieux duc Naimes s’indigne à cette pensée, et propose de mettre aux prises l’accusé et l’accusateur, Macaire et le chien d’Aubri. L’empereur et ses barons s’empressent d’y consentir. Les parents même de Macaire acceptent avec joie une épreuve qui ne leur paraît pas redoutable. Le duel a lieu ; Macaire est vaincu. Il fait l’aveu de son crime et en subit la peine. Il est traîné partout Paris à la queue d’un cheval, et brûlé ensuite.

Cependant qu’est devenue la reine, cette victime innocente que Charlemagne n’espère plus revoir ?

Après la mort d’Aubri, elle a erré longtemps dans le bois où elle s’est réfugiée. Comme elle en sort, elle rencontre un pauvre bûcheron nommé Varocher, qui la reconnaît, s’étonne de la trouver seule, et lui offre ses services. Blanchefleur lui fait part de son infortune, de son exil, et le supplie de l’accompagner jusqu’à Constantinople, où sont ses parents. Le bûcheron n’hésite pas : il prend à peine le temps de dire adieu à sa femme et à ses enfants, et se met en route avec l’exilée.

Varocher avait plus de cœur que de mine, et le contraste était grand entre cette jeune et belle reine et son rustique compagnon à l’aspect sauvage, à l’accoutrement grossier, à la chevelure épaisse et emmêlée. Un gros bâton noueux dont l’honnête bûcheron s’était armé achevait d’en faire un personnage des plus étranges, à ce point que nulle part on ne pouvait le regarder sans rire et sans le croire hors de son bon sens. C’est ainsi escortée que la reine voyage jusqu’en Hongrie. Sa grossesse ne lui permet pas d’aller plus loin. Elle s’arrête dans une hôtellerie, où elle ne tarde pas à accoucher d’un fils.

Blanchefleur, qui n’a garde de se faire connaître, donne à croire que Varocher est son époux, et le jeune héritier du sceptre de Charlemagne est sur le point d’avoir pour parrain l’hôte de sa mère. Mais la Providence ne permet pas cet abaissement, et comme on porte l’enfant au moutier, le roi de Hongrie survient à propos pour reconnaître sa haute origine et pour le tenir lui-même sur les fonts. Que son filleul soit de sang royal, le roi de Hongrie n’en saurait douter, puisque le nouveau-né porte une croix blanche empreinte sur l’épaule droite. C’est là un signe infaillible, et il ne faut rien moins que la simplicité de l’hôtelier pour croire qu’un enfant marqué d’un tel sceau puisse être le fils d’un homme de rien, d’un truand, d’un sauvage comme Varocher. Mais quel est son vrai père ? Le mystère est bientôt éclairci dans une entrevue que le roi fait demander à Blanchefleur. Elle ne cache rien à son royal compère, et ce n’est pas vainement qu’elle implore son assistance. À compter de ce moment elle reçoit une hospitalité digne d’elle, et, par les soins du roi, l’empereur de Constantinople ne tarde pas à être informé du sort de sa fille.

Il la fait d’abord ramener près de lui ; il songe ensuite à la venger. Rien ne peut désarmer sa colère ; rien ne peut le fléchir : ni la nouvelle du supplice de Macaire, ni les excuses de Charlemagne, ni ses offres de réparation. Après plusieurs ambassades inutiles, la guerre éclate entre le beau-père et le gendre. L’empereur de Constantinople, accompagné de sa fille, de son petit-fils et du fidèle Varocher, vient à la tête de cinquante mille hommes camper sous les murs de Paris. Charlemagne sort de la ville avec les siens ; les deux armées sont en présence ; elles en viennent aux prises.

À côté des chevaliers qui de part et d’autre font assaut de prouesses, Varocher se signale par des traits hardis, par des pointes audacieuses, mais qui sentent un peu la maraude et ne sont guère que des exploits de vilain. Il pénètre adroitement dans le camp de Charlemagne, d’abord seul, puis avec des compagnons âpres à la curée, et il trouve le moyen d’y faire main basse sur les plus beaux destriers, à commencer par celui du roi ; sur les plus riches armures, sur le butin le plus précieux. Début équivoque dans la carrière des armes, mais qui l’excite à y jouer un plus noble rôle. Ce vilain a senti en lui le cœur d’un chevalier ; il en désire le titre, le demande à l’empereur qu’il sert, l’obtient, revêt le haubert, lace le heaume, ceint l’épée, échange contre une lance au gonfanon flottant l’arme grossière que façonna à peine sa cognée de bûcheron, et ne se rappelle plus qu’avec dégoût le temps où il se chargeait de fardeaux comme une bête de somme.

Ainsi métamorphosé, le nouveau chevalier ne craint pas l’adversaire le plus redoutable. Il le dit et le prouve. Après plusieurs engagements sans résultat décisif, les deux empereurs conviennent de vider leur querelle par un combat singulier. C’est Ogier le Danois qui va défendre la cause de Charlemagne ; c’est Varocher que l’empereur de Constantinople a choisi pour champion. La lutte a lieu sans témoins, entre les deux camps. Devant le brave Danois, devant ce preux tant vanté, dont la renommée est venue jusqu’à lui, l’ancien bûcheron ne recule pas ; il lui tient tête et lui fait admirer sa vaillance à ce point qu’Ogier interrompt le combat pour lui demander son nom.

Varocher se fait connaître ; la confiance s’établit entre les deux chevaliers, et l’instant d’après ils se séparent, amis comme frères, pour aller, chacun de son côté, travailler à l’œuvre de la paix.

La joie du Danois est extrême. Il vient d’apprendre de Varocher que Blanchefleur vit encore, et qu’elle est dans la tente de son père. Rien ne pourrait le rendre plus heureux, si ce n’est de porter à Charlemagne cette nouvelle miraculeuse ; mais il ne l’a apprise que sous la condition de la tenir secrète. Comment donc amènera-t-il la conclusion de la paix ? En s’avouant vaincu par son adversaire. Si grand que soit le sacrifice, Ogier s’y résigne, et Charlemagne, abusé par ce généreux mensonge, n’a plus d’autre ressource que de se mettre à la merci du vainqueur.

Il députe Ogier et le vieux duc Naimes pour aller demander la paix à l’empereur de Constantinople, et les voit bientôt revenir avec un jeune et bel enfant à la tête blonde surmontée d’une plume de paon. Qui est-il ? D’où vient-il ? À ces questions de Charlemagne, c’est l’enfant lui-même qui répond, en le prenant par le menton : « Père, je suis votre fils, et si vous en doutez, voyez la croix blanche que je porte sur l’épaule. » Charlemagne, dans une étrange surprise, interroge le duc Naimes, interroge le Danois. Tous deux lui attestent que l’enfant dit vrai, et mettent le comble à sa joie et à son attendrissement en lui apprenant que Blanchefleur est vivante et consent à lui pardonner.

Ainsi préparée, la paix est aussitôt conclue. Les deux époux réconciliés rentrent ensemble à Paris, où de grandes fêtes célèbrent cet heureux événement. Varocher, comblé de présents, est institué champion en titre d’office à la cour de Charlemagne ; il retourne à sa chaumière, qu’il s’empresse de remplacer par un château avec donjon, donne à sa femme des habits de soie et de coton, et promet bien à ses deux fils qu’ils seront un jour armés chevaliers.

Tel est ce vieux poëme, dont je ne suis pas le premier à faire connaître le sujet. Il y a plus de six siècles que j’étais devancé dans cette tâche par un de nos anciens chroniqueurs, dont l’ouvrage est connu, à tort ou à raison, sous le nom d’Alberic de Trois-Fontaines. Voici sa notice[2] à la date de l’année 770 :

Cum matris hortatu, filiam Desiderii, Longobardorum regis, Karolus magnus duxisset, incertum qua de causa, eam post annum repudiavit, et Hildegardam Alemannam duxit, de genere Suevorum, precipue nobilitatis feminam, de qua filios tres genuit : Karolum, Pipinum, Ludovicum, et filias tres. Super repudiatione dicte regine, que dicta est Sibilia a cantoribus gallicis, pulcherrima contexta est fabula : de quodam nano turpissimo[3], cujus occasione dicta regina fuit expulsa ; de Albrico milite Montis Desiderii, qui eam debuit conducere, a Machario proditore occiso ; de cane venatico ejusdem Albrici qui dictum Macharium in presencia Karoli, Parisius, duello mirabili devicit ; de Gallerano de Bacaire et eodem Machario tractis turpiter et patibulo affixis ; de rustico asinario, Varochero nomine, qui dictam reginam mirabiliter reduxit in terram suam ; de latrone famoso, Grimoardo[4], in itinere invento ; de heremita et de fratre ejus Richero, Constantinopolitano imperatore, dicte regine patre, de expeditione in Franciam ejusdem imperatoris cum Grecis ; et de filio ejusdem Sibilie Ludovico nomine, cui dux Naaman filiam suam Blancafloram in uxorem dedit ; et de Karolo magno in monte Widomari a dicto Ludovico et Grecis obsesso ; de reconciliatione ejusdem regine cum Karolo, quod omnino falsum est ; de sex proditoribus de genere Ganalonis occisis, quorum duo supradicti, Macharius et Gallerannus, perierunt Parisius, duo ante portam montis Wimari, quorum unus fuit Almagius, et duo in ipso castro ; et cetera isti fabule annexa, ex magna parte falsissima, que omnia, quamvis delectent et ad risum moveant audientes, vel etiam ad lacrimas, tamen a veritate hystorie nimis comprobantur recedere, lucri gratia ita composita.

Ce passage n’est pas sans importance. Il a déjà servi au savant Bullet à chasser de l’histoire le chien de Montargis. Il va servir encore à une autre démonstration : à prouver qu’il a existé de notre poëme deux versions différentes, la première assez simple encore, la seconde compliquée d’épisodes sans rapport intime avec le sujet.

C’est cette seconde version qu’avait en vue Alberic de Trois-Fontaines. La version primitive est celle qu’a reproduite à sa façon le compilateur italien auquel je l’emprunte. Voilà ce qu’il s’agit d’établir d’abord pour en déduire ensuite la date approximative du poëme original.

Or il suffit d’un simple rapprochement pour se convaincre que l’analyse du chroniqueur ne saurait se rapporter à la version que je publie, où il n’est fait mention ni de Galeran de Bacaire, ni du fameux larron Grimoard, ni de l’ermite frère de l’empereur de Constantinople, ni du duc Naaman et de sa fille Blanchefleur, ni surtout de l’union de cette fille avec le fils de notre héroïne, lequel n’est encore qu’un enfant dans le récit qu’on lira ci-après, tandis que dans celui dont Alberic nous a transmis le sommaire, il est non-seulement mariable et marié, mais aussi en état de faire la guerre et d’assiéger son père Charlemagne. Voilà des différences dont le nombre, l’importance, et surtout la nature, indiqueraient assez l’existence de deux versions, si l’on ne pouvait l’établir autrement. Mais il est possible de la démontrer encore mieux, ou plutôt de la montrer. Il nous reste, en effet, de la version développée à laquelle se réfère le passage d’Alberic, des fragments qui, par un curieux hasard, mettent en scène et l’ermite dont il vient d’être question et le fameux larron Grimoard, en même temps que plusieurs des personnages de la version primitive.

Ces fragments, qui forment en tout 126 vers, se lisent sur quelques morceaux de parchemin détachés de la couverture d’un Jean de Lyra, relié au XVe siècle. C’est ce que nous apprend M. le baron de Reiffenberg, à qui ils avaient été communiqués par M. Bormans, alors professeur extraordinaire à l’université de Gand. Le savant éditeur de Philippe Mouskes les a publiés dans son introduction[5], mais sans savoir à quel poëme ils appartenaient. L’attribution en a été faite par l’illustre secrétaire de l’Académie impériale de Vienne, M. Ferdinand Wolf, non-seulement d’après le passage d’Alberic de Trois-Fontaines, mais encore d’après deux traductions, l’une espagnole, l’autre néerlandaise, de la chanson de la Reine Sibile, qui lui ont fourni la matière d’excellents mémoires dont il sera parlé plus amplement ci-après.

Par ces fragments on voit que la seconde version de notre poëme était en vers alexandrins, par conséquent non-seulement rajeunie, mais entièrement refaite et remaniée ; car il est évident d’autre part que la composition primitive, celle qu’avait sous les yeux le compilateur italien, était en vers de dix syllabes. Il l’a fort altérée sans doute, mais non pas assez pour effacer partout l’empreinte du mètre. C’est un point sur lequel je ne puis guère manquer d’être éclairé après mon travail de restitution, où la question se représentait à chaque ligne.

Il est hors de doute que l’Italien qui nous a conservé le seul exemplaire connu de notre poëme n’est pas l’auteur de cette composition. S’il ne l’a pas inventée, il l’a reproduite d’après un original français, et cet original ne saurait être la version en vers alexandrins analysée par Alberic, à moins de supposer que le compilateur en ait soigneusement retranché tous les épisodes et entièrement remanié la versification. Or, c’est une hypothèse qui me paraît difficile, sinon impossible à admettre.

La chanson de la Reine Sibile ou de Macaire, si l’on veut, comme celle de Huon de Bordeaux (et ce n’est pas la seule analogie qui rapproche ces deux ouvrages), a donc été composée d’abord en vers de dix syllabes, puis plus tard refaite dans le mètre alexandrin et développée au fond comme en la forme. S’il en est ainsi, comme tout conspire à le prouver, et si la seconde version avait déjà cours au temps où écrivait Alberic de Trois-Fontaines, c’est-à-dire dans la première moitié du XIIIe siècle, il y a grande apparence que le poëme original fut composé dès le commencement de ce siècle, au plus tard[6], et bien plus probablement à la fin du siècle précédent. Par qui ? Il faut se résoudre à l’ignorer.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’ouvrage eut le plus grand succès et en France et à l’étranger.

Suivons, en France d’abord, l’histoire curieuse de sa fortune.

Si mes conjectures sont fondées, je le répète, il est composé vers la fin du XIIe siècle, dans le même mètre que les plus anciennes chansons de geste, c’est-à-dire en vers de dix syllabes.

Au siècle suivant, il est entièrement refait en vers alexandrins, et augmenté d’épisodes considérables. Premier indice de son succès.

Au XIVe siècle, il n’est pas oublié, et tant s’en faut. J’en trouve d’abord la preuve dans une grande composition qui paraît dater de ce siècle au plus tard, la chanson de Tristan de Nanteuil (pour lui donner un titre qui lui manque)[7]. Un personnage de cette chanson, le traître Persant, fils de Hervieu de Lyon, était, dit l’auteur, de la race de Ganelon. Il ajoute :

Entre lui et Maquaire estoient compaignon,
Que le levrier mata à loy de champion.
Maquaires et Persant estoient compaignon [8].

Ailleurs, il rappelle plus explicitement encore le rôle que joue Macaire dans notre poëme :

Par lui et par son fait, par sa renoyerie,
Enchassa Charlemagne de France la garnye
Sebille la royne, que tant fut enseignye,
Et Loéys l’enffant, qui tant ot seignorie.
Fist le champ au levrier devant la baronnye [9],
De quoy il fut vaincqus ; car Dieu, le fil Marie,
Miracle y demoustra qui doit estre prisie,
Ainsy que vous orrés, s’il est qui le vous dye [10].

Et non-seulement, par ces allusions formelles, l’auteur de Tristan de Nanteuil montre que la chanson de Macaire ou de la Reine Sibile lui était bien connue ; mais il nous donne encore une sorte de supplément à la biographie de notre traître. Voici, selon lui, par quels menus forfaits, comme on disait alors, Macaire préludait aux crimes qu’il devait plus tard payer de sa vie. Après la mort de Gui de Nanteuil, Charlemagne remit la main sur la cité que ce vassal tenait de lui ; et qui chargea-t-il d’aller en prendre possession et de la gouverner ? Macaire de Losane, lequel fit preuve dans cet emploi d’une certaine capacité financière, mais s’y montra un peu enclin à l’exaction. Qu’on en juge :

Maquaires se parti o ceulx de sa partie
Et vint droit à Nanteul ung peu devant complie ;
Et sa commission, c’on lui avoit baillie
De par le roy Charlon, monstra la baronnye :
Qu’il estoit establis, par droite commandie
De l’empereur Charlon que Jhesus benéye,
C’on obéisse à lui sans faire villenye ;
Et qui lui mefferoit la monte d’une aillie,
Le roy lui donnoit force qu’i lui tollist la vie.
Charles estoit doubtés jusques en Romenye :
Nul n’ose reffuser n’à lui n’à sa mesnye ;
Maquaire demoura en ceste seignorie.
Tel coustume alleva, ains l’année acomplie,
De quoy en la cité fut la gent sy honnye
Que d’un seul huis ouvrir qui stiet sur la chaussie
Paioit on .vi. deniers la sepmaine acomplie ;
D’une fenestre ouvrir paioit on la moitie.
Qui sur couste gisoit où plume feust mussie,
Il paioit .vi. deniers, pour voir le vous affye,
S’il n’estoit gentilz homs et de chevallerie.
De .xx. sous marchander autant, quoy que nulz die ;
D’un chappon, .ii. deniers ; de my lot de boullie
Paioit on une maille, c’estoit chose taillie.
La cité de Nanteul fut adont bien honnye ;
Car Maquaire li gloux, qui l’avoit asservye,
Envoyoit chascun an par coustume assentie
Tant d’avoir Kallemaine de ceste roberie
Que le roy emplissoit en sa grant tresorie.
Cest ystoire n’est pas faicte de gaberie,
Ains est de verité par cronique fournye [11].

J’appelle sur ce passage l’attention des financiers qui font de la matière imposable l’objet de leur étude, et je leur signale particulièrement l’impôt sur les lits de plume, auquel Macaire soumit les habitants de Nanteuil.

Un autre poëte du même siècle, un poëte connu au moins des érudits, Gace de la Buigne[12], qui fut successivement chapelain de Philippe VI, du roi Jean et de Charles V, a raconté sommairement dans ses Déduits de la Chasse, non l’histoire entière dont je publie le récit primitif, mais seulement de cette histoire l’épisode qui se rattachait à son sujet, celui du chien[13]. Il dit à ce propos :

L’histoire trop longue seroit
Qui toute la reciteroit,
Aussi est elle aux paroiz painte ;
Pour ce la scaivent des gens mainte.

Et à la fin :

De preuve n’a mestier l’histoire,
Car en France est toute notoire.

Voilà un témoignage formel de la popularité conquise par notre chanson. On le voudrait seulement plus précis, plus complet. On voudrait savoir s’il s’agit de peintures représentant le combat de Macaire contre le chien, ou d’une suite de compositions inspirées par les principales scènes du roman. Il me paraît fort probable que Gace de la Buigne n’a ici en vue que la scène du combat ; mais ce qui est assuré, c’est qu’elle était peinte en plusieurs lieux. Les termes généraux aux paroiz, sans autre désignation, l’indiquent déjà, et le passage de Gaston de Foix, dont nous parlerons bientôt, ne permet pas d’en douter.

Il y a un moment orageux dans l’histoire de notre poëme, où le fond du récit primitif paraît sombrer, où l’épisode du chien s’en détache et surnage seul. L’amour criminel de Macaire pour la reine n’est plus alors la cause première du meurtre d’Aubri ; c’est par l’envie, par la haine que ce meurtre est vaguement expliqué. Le moment ne tardera guère, mais on peut croire qu’il n’est point venu à l’époque où écrit Gace de la Buigne[14]. On voit du moins que ce poëte connaît encore toute la fable imaginée au XIIe siècle, puisqu’il fait avouer à Macaire

Qu’avoit voulu le roy trahir
Et avec la royne gesir,
Qui estoit si très preude femme
Qu’on ne vit oncques meilleur dame.

Notons seulement que sur un point Gace de la Buigne s’éloigne un peu du récit original où Macaire est brûlé après avoir été traîné à la queue d’un cheval, tandis que d’après le chapelain,

Il fut pendu en ung gibet.

Voici ailleurs de simples additions. Le personnage qui ne porte dans notre texte que le nom d’Albaris ou Aubri, devient Aubri de Montdidier. Il meurt de la main de Macaire

au bois de Bondis,
A trois lieuves près de Paris.

Et le duel a lieu

En l’Ille Notre Dame ez prez.

Sans doute Gace de la Buigne trouva dans la seconde version ces détails qui ne sont point dans la première. C’est du moins chose sûre quant au nom d’Aubri, comme le prouve le passage d’Alberic de Trois-Fontaines rapporté ci-dessus[15].

On sait qu’à les entendre les auteurs de nos anciennes chansons de geste n’étaient rien moins que des historiens. Cette prétention, toujours affichée, trouvait créance dans la société laïque, et plus d’un clerc même s’y laissa prendre. Il y en eut sans doute comme Alberic de Trois-Fontaines qui n’enregistrèrent point avec une crédulité trop facile toutes les inventions des prétendus historiens ; mais Alberic lui aussi, malgré ses réserves, ne paraît-il pas en accepter au moins une partie ? Parmi les chroniqueurs qui ont puisé à cette source poétique, et sans témoigner aucune méfiance, nous en trouvons un qui pour écrire les règnes de Charlemagne et de Louis le Débonnaire a pris à pleines mains ses matériaux dans la plupart des chansons de geste. Il n’a pas oublié la nôtre, qu’il abrége, dit-il, mais à regret ; car l’istoire en est belle à oyr là où elle est au lonc. Il la connaît donc tout entière, et on le voit bien d’ailleurs, puisqu’il en rappelle les principaux traits et en nomme les personnages importants : la reine Sibile, Macaire, le nain, Aubri de Montdidier et le bûcheron Varocher, qui sous sa plume sans doute picarde devient Verroquier[16].

Où a-t-il pris que dans son duel contre Macaire le chien n’avoit pour toutes armeures que une queue ou tonnel trouée par les deux bouts ? Probablement dans la version en vers alexandrins de notre poëme. En tout cas, voilà la première mention que l’on rencontre de ce tonneau qui se retrouve dans les récits postérieurs du combat et dans les estampes qui le représentent.

L’ouvrage anonyme de ce compilateur, qui commence à la fondation d’Athènes par Jupiter, finit avec le règne de Charles V, à l’année 1380. C’est donc sans doute vers cette époque qu’il fut écrit[17].

Gaston Phébus, comte de Foix, qui mourut onze ans plus tard, connaissait l’histoire du chien d’Aubri, et l’a racontée dans son Livre de la Chasse[18] ; mais il en ignorait l’origine, et ne l’a pas tirée, comme notre chroniqueur, du roman dont elle fait partie. La preuve en est que, selon lui, Aubri de Montdidier traversant un jour la forêt de Bondy, y fut attaqué à l’improviste par Macaire, un homme qui le héoit par envie, senz autre raison. Si Gaston Phébus avait lu la chanson, il y aurait trouvé une autre raison que l’envie pour expliquer l’attaque de Macaire et le meurtre d’Aubri.

Le témoignage de Gaston Phébus n’en est pas moins précieux. Il confirme et complète celui de Gace de la Buigne au sujet des peintures qui représentaient le duel de Macaire et du chien, et cela en termes exprès : Feray ore un conte d’un levrier qui fu d’Auberi de Montdidier, lequel vous trouverez en France paint en moult de lieux.

Rien de particulier d’ailleurs dans le récit de Gaston Phébus, si ce n’est l’épreuve dont le roi s’avise pour éclaircir ses soupçons à l’endroit de Macaire : Fist prendre à Machaire une piesce de char et la li fist donner au levrier. Et tantost que le levrier vit Machaire, il laissa la char et courut sus à Machaire.

Très peu de temps après la mort du comte de Foix[19], l’auteur du Menagier de Paris donne place dans son curieux livre à la même anecdote. Ce bon bourgeois veut que les femmes soient amoureuses de leurs maris, et il n’est sorte d’argument qu’il n’emploie pour les y induire. Bêtes et gens servent également à son louable dessein, et tout exemple de fidélité et d’affection lui paraît bon à recueillir à l’appui de sa thèse :

Autre exemple, dit-il, peut estre prins du chien Maquaire qui vit tuer son maistre dedans un bois, et depuis qu’il fut mort ne le laissa, mais couchoit ou bois emprès luy qui estoit mort, et alloit de jour querre son vivre loin et l’apportoit en sa gueule, et illec retournoit sans menger, mais couchoit, buvoit et mengoit emprès le corps, et gardoit icelluy corps de son maistre au bois, tout mort. Depuis, icelluy chien se combati et assailli plusieurs fois celluy qui son maistre avait tué, et toutes fois qu’il le trouvoit l’assailloit et se combatoit ; et en la parfin le desconfi ou champs en l’Isle Nostre Dame à Paris, et encore y sont les traces des lices qui furent faites pour le chien et pour le champ[20].

C’était sans doute de mémoire que l’auteur du Menagier rapportait ainsi l’histoire du chien d’Aubri, puisqu’il paraît donner à ce chien le nom du meurtrier de son maître[21]. À cela près, les souvenirs du prudhomme sont assez exacts ; mais tout l’intérêt, toute la nouveauté de son témoignage est dans le trait final, dans ces lices dont il signale les traces encore visibles.

Une preuve tout aussi décisive non du duel, mais du meurtre qui y donna lieu, se trouve déjà dans le récit du chroniqueur anonyme mentionné ci-dessus. Aubri de Montdidier fut, dit-il, occis en ung bois en l’Ille de France, ou boys de Bondis. Sur quoi il ajoute : Et encore y est la fontaine Aubery.

C’est à la critique bouffonne qu’il appartient de faire justice de ce genre de preuve, et elle n’y a pas manqué. La critique sérieuse a fait remarquer ici que les lices dont parle l’auteur du Menagier pouvaient bien provenir de la grande fête qui fut donnée en l’île à la Pentecôte de 1313, lorsque Philippe le Bel et ses trois fils, et le roi d’Angleterre, prirent la croix[22].

Voici donc ce qu’est devenu notre poëme à la fin du XIVe siècle. Quelques lettrés seulement le connaissent encore dans son entier ; mais ceux-là même ne paraissent se plaire à en rappeler que le souvenir du chien d’Aubri. L’édifice construit par l’imagination du vieux trouvère est en ruines ; il n’en reste debout qu’une colonne, mais si bien assise, si bien protégée par la crédulité populaire, que rien ne pourra la renverser, et qu’elle formera à elle seule une sorte de monument.

Il est curieux de remarquer comment cette partie se dégage de l’ensemble où elle était comprise. L’auteur de Tristan de Nanteuil et le chroniqueur anonyme rapportent encore au règne de Charlemagne l’histoire du chien d’Aubri ; mais dans les récits de Gace de la Buigne, de Gaston Phébus et du Menagier, on ne voit apparaître qu’un roi sans nom : le roi de France. Cette vague désignation favorise, pour ainsi parler, la rupture du lien qui rattachait le chien d’Aubri au poëme natal. Il faut observer en outre que Gace de la Buigne, Gaston Phébus et le Menagier, durent avoir beaucoup plus de lecteurs que les auteurs de Tristan de Nanteuil et de la chronique anonyme, et par là durent singulièrement contribuer à isoler l’épisode du chien, à en faire une histoire à part.

Je dis histoire au sens le plus grave du mot. C’est à ce titre qu’elle se propage, surtout à compter du moment où le poëme est oublié. Personne, depuis Alberic de Trois-Fontaines, c’est-à-dire depuis 1240, ou environ, jusqu’en 1732, personne, à une exception près, ne fait mine d’en soupçonner l’authenticité, et tout le monde semble partager à cet égard le sentiment de Gace de la Buigne :

De preuve n’a mestier l’histoire,
Car en France est toute notoire.

Aussi est-elle reproduite au XVe siècle par un écrivain considérable du temps, par un grave historien, Olivier de la Marche, dans son Livre des Duels, autrement intitulé l’Advis de gage de bataille[23]. Le nouveau narrateur n’indique que vaguement la source où il puise son récit : Es anciennes cronicques ; on voit bien toutefois qu’il ne connaît pas le poëme d’où est sortie l’invention qu’il prend au sérieux. C’est par l’envie, comme Gaston Phébus, qu’il explique le crime de Macaire ; mais il insiste un peu plus sur ce point, comme s’il était mieux renseigné, et à l’entendre on le croirait sûr de son fait :

« Et dit la cronicque qu’un chevalier avoit un autre chevalier à compaignon, et pour ce que le compaignon estoit homme de verité et de grande vaillance, et de grande renommée, et estoit estimé, aimé et honoré du roy et des seigneurs, et avoit avancement devant le chevalier, ledit chevalier print telle envie et hayne sur son compagnon, que malicieusement et par orgueil, eux estans en un bois le chevalier frappa son compaignon d’une espée par derriere, et l’occit. »

Comment douter d’un fait ainsi attesté, et dont les moindres circonstances paraissent si bien connues de celui qui le raconte ?

D’après Gace de la Buigne et Gaston Phébus, le chien d’Aubri, voyant son maître mort, le couvrit de feuilles et de terre, on ne sait pourquoi. D’après Olivier de la Marche, ce fut le meurtrier qui prit ce soin, et dès lors, d’inexplicable qu’il était, ce détail devient fort admissible et sert à donner plus de vraisemblance à l’histoire.

La victoire du chien paraît aussi bien moins surprenante dans le récit d’Olivier de la Marche, où l’on trouve pour la première fois une disposition du combat très-propre à égaliser les chances des deux adversaires : Es prez fut Machaire enfouy jusques au fau du corps, en telle maniere qu’il ne se pouvoit tourner ne virer tout à sa guise.

Une petite gravure de la fin du XVIe siècle[24] fait voir Macaire dans cette situation, c’est-à-dire enterré à peu près jusqu’au nombril ; mais c’est la seule des représentations du célèbre duel où l’artiste se soit conformé à l’indication d’Olivier de la Marche.

Du vivant même de cet écrivain, sous le règne de Charles VIII, le combat du chien contre le meurtrier de son maître fut représenté par le pinceau sur le manteau d’une des cheminées de la grande salle du château de Montargis, et là il paraît certain que Macaire n’était point enfoui et qu’on le voyait en pied, libre de tous ses mouvements. J’essayerai de le prouver tout à l’heure, et je justifierai en même temps la date que j’assigne à la peinture de Montargis, tant de fois mentionnée comme remontant jusqu’au règne de Charles V. Je me borne en ce moment à indiquer l’origine évidente du nom si populaire sous lequel sera désigné plus tard le chien d’Aubri. Jusque-là, Montargis n’était pour rien en cette affaire, et il n’en était question ni de près ni de loin.

Vers la fin du XVe siècle ou au commencement du siècle suivant, un poëte qui mourut en 1523 ou environ,


Le bon Cretin au vers equivoqué

comme disait Clément Marot, n’oublie pas d’alléguer en faveur de la gent canine l’exemple de l’immortel lévrier, dans son Débat entre deux dames sur le passe-temps des chiens et oyseaux :


Levriers sont chiens ; direz-vous du contraire ?
Je croy qu’il n’est si simple créature
Qui ne ayme bien quelque beau chien retraire,
Entretenir, veoir, nourrir, et attraire
Auprès de soy, ou trop se desnature ;
Car ung chien est de si bonne nature
Qu’il ne peult veoir à son maistre debatre
Homme vivant, sans le vouloir combatre.

Tesmoing celluy qui combatit Maquaire ;
Ce fut combat de merveilleuse grace[25].

La brièveté de cette allusion prouve qu’au temps de Cretin l’histoire était de toute notoriété, puisque deux mots suffisaient pour en réveiller le souvenir. Mais le témoignage d’un poëte n’était pas de nature à la rendre plus croyable. Bien au contraire, celui d’un grand érudit, d’un critique aussi sévère que Jules Scaliger, devait lui imprimer un cachet d’authenticité fait pour commander la confiance. Ce témoignage ne lui manqua pas. « Loin de former quelque doute, dit Bullet[26], sur la vérité de l’histoire, Scaliger la rapporte comme une preuve éclatante de la fidélité et de l’attachement des chiens à leurs maîtres, » et cela avec sa plus belle latinité, avec le plus grand sérieux du monde, avec une admiration qui va presque jusqu’à l’enthousiasme. En effet, pour perpétuer la mémoire d’un pareil trait, la peinture lui paraît insuffisante ; il voudrait que le chien d’Aubri fût coulé en bronze. Picta est canis historia in cænaculo quodam regio. Pictura, vetustate dilutior atque obscurior facta, regum mandate semel atque iterum instaurata est, digna prorsus gallica magnanimitate quæ ære fusili assequatur perennitatem[27].

Il partageait le sentiment de Scaliger, ce personnage que Guillaume Bouchet a mis en scène dans ses Serées, et qui gardoit comme or l’histoire pour laquelle le seigneur de l’Escale demandait les honneurs du bronze[28].

À défaut du ciseau, le burin continua ce que le pinceau avait commencé. Vingt ans environ avant la fin du XVIe siècle parut une estampe anonyme en tête de laquelle on lit :

le combat d’un chien contre un gentilhomme qui avoit tué son maistre faict a montargis.

C’est, à n’en pas douter, la reproduction de la peinture dont j’ai fait mention ci-dessus, et à laquelle j’ai assigné pour date le règne de Charles VIII. Voici comment se justifient à la fois et cette date et le rapport de l’estampe à la peinture.

Quoiqu’il ne reste plus rien aujourd’hui du château de Montargis, on peut encore s’en faire une idée assez exacte, grâce aux quatre planches qu’Androuet du Cerceau a consacrées à cet édifice dans le premier volume de Les plus excellents Bastiments de France, publié en 1576. L’une des planches donne une vue de la grande salle, où l’on aperçoit deux cheminées : la première au milieu de la longueur, en face du spectateur ; la seconde, à l’extrémité de gauche. Des peintures qui ornaient le manteau de ces deux cheminées, du Cerceau n’a figuré l’une que par des traits indistincts ; il a pris soin, au contraire, d’indiquer le sujet de l’autre, celle qui surmontait la cheminée du milieu, par un croquis léger où l’on distingue fort bien un champ de combat, clos par une balustrade ; au milieu de ce champ, un homme assailli par un chien ; à gauche, un tonneau ; et autour de la balustrade, des spectateurs. Le même sujet, la même disposition, se retrouvent dans notre estampe. N’en est-ce point assez pour conclure qu’elle reproduit la peinture du château de Montargis ? Si l’on en doutait, certains détails de l’estampe, que ne pouvait relever le crayon de du Cerceau dans un croquis presque microscopique, suffiraient à dissiper toute incertitude. Mais, avant de les signaler, il faut rapporter un passage de la notice que renferme le premier volume de Les plus excellents Bastiments de France sur le château de Montargis.

« En ce lieu, dit l’auteur, les Roys ont souventefois fait leur résidence ; et neantmoins n’est l’on certain qui ont esté ceux qui ont faict bastir ces edifices, sinon qu’il se trouve au bas de la couverture de l’escallier de la grand’salle, où sont les armes de France, ces mots : Charles huitiesme, combien que par là on ne puisse inferer que ce soit luy qui seul ait fait faire les autres bastimens, comme estans beaucoup plus anciens, et de divers temps que de son regne. »

Ce passage éclaire précisément le point que nous avons en vue, le seul qui nous intéresse, c’est-à-dire qu’il fixe la date de la construction de la grande salle où figurait notre peinture, en quoi l’estampe qui, selon nous, la reproduit vient à point nommé confirmer le témoignage de du Cerceau. En effet, on y remarque des coiffures de femme d’une forme allongée et conique, en pain de sucre comme nous dirions vulgairement ; et c’est là tout juste une mode qui finit avec le XVe siècle. Cette coïncidence sert en même temps et à mieux dater la peinture, et à compléter la preuve que l’estampe qui nous occupe n’en est que la reproduction.

Si au XVIe siècle on avait eu souci de ce que nous appelons maintenant la couleur locale, et si l’on pouvait croire que, pour donner cette couleur à son œuvre, l’auteur de l’estampe gravée vers 1580[29] ait eu l’idée de rappeler une mode antérieure de près d’un siècle, notre argument serait aussi faible qu’il nous paraît solide. Mais chacun sait à quoi s’en tenir sur ce point. Si quelques détails de l’estampe, comme les plumes qui ornent les coiffures des hommes, ne sont pas du XVe siècle, mais du temps du graveur, c’est sans aucun doute que, retenant de la peinture obscurcie ou endommagée ce qu’il en pouvait voir encore, pour le reste, pour les parties effacées, il prenait ses modèles autour de lui[30].

Il serait superflu de décrire cette estampe que chacun peut voir à la Bibliothèque impériale[31]. Notons seulement que, comme dans le croquis dont nous parlions tout à l’heure, Macaire y est figuré en pied et non enterré jusques au fau du corps, selon l’indication d’Olivier de la Marche.

Disons aussi, pour en finir, que l’auteur du croquis et celui de l’estampe pourraient bien être le même, à savoir Androuet du Cerceau. L’âge de la gravure permet de le croire, et si on la compare à celles que renferment Les plus excellents Bastiments de France, cette supposition devient presque une certitude.

Peu de temps avant l’époque probable de la publication de cette gravure, en 1571, un nouveau récit de l’histoire du chien d’Aubri avait paru dans un recueil d’Histoires prodigieuses où il était fort à sa place. Ce récit n’est qu’une amplification de celui de Scaliger, ou du seigneur de l’Escale, comme dit l’auteur, lequel est un de nos anciens historiens, mais non des meilleurs, F. de Belleforest. Scaliger, sans doute pour ne pas compromettre sa latinité, avait évité avec grand soin d’écrire aucun nom propre. Belleforest, à son exemple, ne nomme pas davantage les personnes, et sa narration ne contient qu’un nom de lieu, celui de Montargis.

Le roy, dit-il, qui ne vouloit qu’un accident si memorable fût effacé par l’inclemence et oubly du temps, feit tirer cette histoire au chasteau de Montargis, où encore elle est effigiée, pour le salaire de la vaillance de ce chien, auquel les richesses n’eussent de rien servy pour recompence.

Sauf ce nom de Montargis qu’il connaît et ajoute au récit de Scaliger, Belleforest en est réduit à de vagues appellations, et le plaisant est qu’il s’en plaint :

Mais un malheur a suivy l’heur des François, que comme ils ont esté vaillans en guerre et justes en leurs jugemens, ils ont aussi esté simples et peu soigneux à escrire leurs gestes, tellement que ceste histoire si remarquable est si obscurement traictée que la seule painture est celle qui nous l’a remise sus, sans que nous ayons cest heur de scavoir ny le nom du roy, ny le temps que cela advint, ny le nom de ceulx pour qui la partie a esté dressée[32].

Si Belleforest ne s’en fût pas tenu à la seule autorité de Scaliger, il eût été plus exactement renseigné. C’est ce que fit remarquer doctement, plus tard, un continuateur des Histoires prodigieuses, Jean de Marconville[33]. Ce continuateur, qui connaît le récit d’Olivier de la Marche, trouve dans celui de Belleforest plusieurs poincts contrarians à la verité du faict. D’abord Belleforest avance que le combat a eu lieu à Montargis, sous ombre que le pourtrait en a esté veu dans le chasteau dudit Montargis. En second lieu, il croit à tort que le gentilhomme était armé de toutes pièces. De plus, il oublie le principal, c’est que le meurtrier estoit enfouy dans terre jusques au fau du corps, n’ayant que les deux bras libres, suffisans toutefois pour se defendre contre l’animal, si autre n’eust combatu contre luy que la simple furie et animosité d’un chien, joint que nos ancestres sont notoirement taxez d’incuriosité et nonchalance, disant qu’ils n’ont tenu conte de remarquer le temps ny le nom du roy sous lequel ce spectacle est advenu, ny le nom de l’homicide ny du massacré. Pour les vindiquer donc de cet outrage, je vous en veux icy reciter l’histoire avec telle naifveté que nous l’apprend messire Olivier de la Marche, jadis premier maistre d’hostel de la maison de Philippes, archiduc d’Austriche, duc de Bourgongne, etc.

C’est en tête de cette critique et de l’histoire racontée encore une fois d’après Olivier de la Marche que se trouve la petite gravure dont j’ai parlé ci-dessus[34].

Voilà donc, à la fin du XVIe siècle, les circonstances du fait très-diversement rapportées. On n’est pas d’accord sur tel ou tel point ; mais le fait lui-même semble à l’abri du doute, à part un mot qui échappe à un homme de sens, André Thevet, dans sa Cosmographie universelle[35], où il dit à propos du château de Montargis : Dans ce chasteau estoit de mon jeune aage figurée une histoire d’un levrier qui combattit et desfeit un gentilhomme qui avoit cauteleusement tué son maistre. De dire que la chose soit advenue, je n’en veux rien affermer, tant y a que cela estoit effigié contre un manteau de cheminée[36]. Mais ce doute d’un bon esprit pouvait-il affaiblir l’autorité d’écrivains tels qu’Olivier de la Marche et Jules Scaliger ?

Cependant, quelque chose manquait encore à leurs récits pour satisfaire pleinement les curieux et donner plus de prise à la crédulité : l’histoire était sans date, comme l’avait remarqué Belleforest. Je ne sais qui se chargea de lui en assigner une, car je n’ose me flatter d’avoir réussi à recueillir toutes les pièces de ce procès. Ce que je puis dire seulement, c’est que dans le Discours notable des duels, par Messire Jean de la Taille, ouvrage de la fin du XVIe siècle, se trouve une version qui laisse beaucoup moins à désirer que les précédentes au point de vue chronologique. Sans doute l’auteur n’y indique pas l’année et le jour du fameux combat ; mais il est en mesure de nous apprendre qu’il eut lieu sous Charles V[37] ! C’est déjà quelque chose : avec le temps on fera mieux, comme je le montrerai plus loin.

En attendant, l’histoire se dédouble un moment par suite de cette absence de noms propres que j’ai signalée dans le récit de Belleforest. Un recueil qui parut en 1608[38] reproduit sous ce titre : De la fidelité d’un levrier, l’amplification du prolixe Comingeois, sans aucun nom propre, hors celui de Montargis ; après quoi le lecteur trouve un autre exemple de la feaulté d’un levrier, commencant en ces termes : Messire Olivier de la Marche racomte en son livre des duels une histoire qui a beaucoup de ressemblance avec la precedente (on se ressemblerait à moins), de deux cavalliers, compagnons de cour et de guerre, desquels l’un s’appelloit messire Aubery de Montdidier, etc.

Olivier de la Marche n’ayant point parlé de la peinture de Montargis, qui fut faite vers le temps où il écrivait son Livre des Duels, et peut-être après, l’auteur de notre recueil ne reconnut pas l’identité de ses deux exemples.

La date du règne de Charles V mise en avant par Jean de la Taille se retrouve dans tous les récits postérieurs, et d’abord dans celui que renferme le Vray et ancien Usage des duels, par le sieur d’Audiguier, lequel m’a tout l’air de copier son devancier, comme ce seul titre le donne à croire : Duel d’un levrier d’attache contre un archer des gardes de Charles V, dit le Sage[39]. Levrier d’attache, archer des gardes, sont des désignations empruntées à Jean de la Taille. Mais voici qui appartient en propre au sieur d’Audiguier : L’histoire dit qu’il (l’archer) fut puny, mais elle ne dit point de quelle mort, ny pourquoy, ny de quelle façon il avoit tué son amy. Si ce chien eust esté grec, au temps qu’Athenes estoit en son lustre, il eust esté nourry aux despens du public, son nom seroit dans l’histoire, et son corps ensevely avec plus de raison et de merite que celuy de Xantipus.

Parmi les nombreux ouvrages sur le duel que nous ont légués les XVIe et XVIIe siècles, l’un des plus importants est le plaidoyer de Claude Expilly sur l’édit des duels de 1609. L’auteur, qui d’avocat devint président au parlement de Grenoble, et compte en même temps au nombre des grammairiens qui tentèrent de réformer l’orthographe française, a raconté à son tour le duel du chien d’Aubri contre le meurtrier de son maître[40]. Il n’en connaît pas de plus mémorable, dit-il, et on le croit sans peine : Le duel qui avint du tams du roy Charles V et an sa presance antre le chevalier Macaire et le levrier d’Aubry de Mondidier dans le bois de Bondis et le plus notable et digne de memoire de tous ceus qui se firent onques. Bien digne de mémoire, en effet, s’il eût eu lieu réellement ; mais c’est sur quoi Expilly ne propose pas le plus léger doute. Il sait seulement que plusieurs racontent l’histoire avec quelque diversité.

Douze ans après la publication des plaidoyers d’Expilly, en 1648, paraît Le Vray Theatre d’honneur et de chevalerie, par Marc de Vulson, sieur de la Colombiere, et l’on pense bien que l’auteur d’un tel livre ne pouvait se priver d’y produire le glorieux et inévitable lévrier. Aussi donna-t-il une nouvelle édition de son histoire empruntée surtout à Scaliger et à Jean de la Taille. Vulson de la Colombière paraît avoir goûté beaucoup les réflexions de d’Audiguier ci-dessus rapportées : Si ce chien eust esté grec, etc. Il se les approprie presque mot pour mot, et sans indiquer la source où il les puise, procédé étrange et qui fait jouer à ce gentilhomme un vilain rôle sur son theatre d’honneur.

Il ne laisse pas pour cela de se donner des airs de critique : Il y avoit, dit-il, un gentilhomme que quelques uns [41] qualifient avoir esté Archer des gardes du roy, et que je crois plutost devoir nommer un Gentilhomme ordinaire, ou un Courtisan, par ce que l’histoire latine dont j’ay tiré cecy [42] le nomme Aulicus, etc.

À quoi Montfaucon ne dédaigna pas de répondre plus tard : La difficulté que fait là-dessus La Colombiere lorsqu’il dit qu’un auteur l’appelle Aulicus, et que cela ne peut convenir à un gentilhomme archer du roi ; cette difficulté, dis-je, n’est rien, car un gentilhomme qui est ordinairement auprès du roi pour le garder se peut fort bien appeler Aulicus.

Quoique le récit de La Colombière ne soit ni le premier ni le dernier, c’est celui qui est resté en possession de l’estime des savants, celui que rapporte Montfaucon[43], celui que de nos jours on cite le plus volontiers[44].

À en croire le catalogue des Monuments de l’histoire de France récemment publié par M. Hennin, le récit de Vulson de la Colombière serait accompagné d’une planche in-folio représentant le combat en duel de Macaire et du chien d’Aubri, ce qui est exact ou le paraît à première vue si l’on consulte les exemplaires du Vrai Theatre d’honneur et de chevalerie conservés à la bibliothèque de l’Arsenal et à la Mazarine. Mais la gravure qu’on y voit ne me semble pas avoir été faite pour l’ouvrage, et sans doute elle y a été ajoutée après coup[45].

Il est fort probable que l’estampe dont il s’agit parut peu de temps après le livre de La Colombière, et que l’éditeur de ce livre, Augustin Courbé, en enrichit les exemplaires qui lui restaient, ou du moins quelques-uns. La question du reste est de bien peu d’importance. Il est plus intéressant de rectifier ici les renseignements inexacts que donnent deux ouvrages spéciaux sur l’auteur de l’estampe, lequel est un graveur connu, René Lochon, déjà habile en 1651 (ce qui ne permet guère de le faire naître en 1640, ni même en 1636), et maniant encore le burin en 1673, sinon plus tard[46].

L’estampe de Lochon est la reproduction en contre-partie de la gravure du XVIe siècle mentionnée ci-dessus. Elle se sent de l’influence de l’original et en rappelle le faire. Aussi la croirait-on plus ancienne qu’elle ne l’est réellement. Elle porte en tête cette double légende :

montargo initvm canis certamen adversvs nobilem heri interfectorem.
combat d’vn chien contre vn gentilhomme qvi avoit tve son maistre. faict a montargis.

Elle fut publiée à Paris, chez Jacques Lagniet, cet éditeur dont on connaît le Recueil des plus illustres Proverbes (1657-63)[47]..

Le même Lagniet en publia une réduction dont on peut voir deux exemplaires au Cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale[48]. Cette réduction est une eau-forte anonyme en tête de laquelle on lit :

la maniere que les françois estois habillié il y a environ 300 ans soubs le regne de charles vi et charles vii


et au-dessous, le titre français de la gravure de Lochon.

Au bas de l’estampe est un récit du combat qui ne fait qu’abréger celui de Vulson de la Colombière[49].

Plus tard, en 1666, un grave conseiller d’État recommence à célébrer la loyauté du chien d’Aubri, non sans prétendre à rectifier le récit de La Colombière, qui alleguant cette histoire dit ne scavoir le genre de mort du traître Macaire. Mais messire Guillaume Ribier est mieux informé ; il sait de science certaine que Machant (c’est ainsi qu’il l’appelle) fut pendu et étranglé au gibet de Montfaucon[50].

À soixante ans de là, voici le P. Vanière qui exerce sa muse latine sur le même sujet, et lui fait chanter les louanges du molosse vengeur, thème innocent dont il n’abuse pas, du reste, puisqu’il n’y consacre que treize vers[51]. Dans cette galerie de crédules narrateurs et d’admirateurs si bénévoles, qui s’attendrait à voir figurer l’un des plus savants, l’un des plus célèbres bénédictins de Saint-Maur, Dom Bernard de Montfaucon ? C’est pourtant lui qui y tient la plus grande place. Dans le tome III des Monuments de la monarchie françoise, qui parut en 1731, se trouve une planche ainsi intitulée : Le Combat d’un chien contre un gentilhomme qui avoit tué son maistre faict à Montargis soubs le regne de Charles V, en 1371.

La date de 1371 est une nouveauté. C’est le progrès que j’annonçais ci-dessus. Montfaucon le premier a accepté cette date et l’a mise en circulation, on verra tout à l’heure sur quel fondement. À cela près, son estampe n’est qu’une copie en contre-partie de celle qu’on peut attribuer à Androuet du Cerceau. Le savant bénédictin en fait ainsi connaître l’origine :

« Le fameux duel d’un gentilhomme de la cour du roi Charles V, dit le Sage, contre un chien dont ce gentilhomme avoit tué le maître, est un fait si extraordinaire, que le lecteur sera sans doute bien aise d’en voir ici l’estampe. L’histoire de ce duel se voit encore sur le manteau d’une des cheminées de la grande salle du château de Montargis, mais la poussière qui s’y est attachée depuis si longtemps fait qu’on ne peut distinguer qu’avec peine les parties qui la composent. Le R. P. Noël Seurrad, ci-devant prieur de Ferrières, m’a procuré une vieille estampe faite, il y a près de deux cens ans, de l’histoire représentée sur cette cheminée ; c’est d’après cette estampe qu’on a fait faire la planche suivante. Voici l’histoire de ce duel rapportée dans le Theatre d’honneur et de chevalerie de La Colombière. »

Après la relation qu’il emprunte à La Colombière, Montfaucon explique les détails de l’estampe et ajoute :

« Ce duel se fit l’an 1371, s’il faut s’en rapporter (il ne le fallait pas) à la date marquée au haut de la planche, ajoutée à la main longtemps après que la planche fut faite. Le meurtrier était le chevalier Macaire, gentilhomme, archer des gardes du Roi.....

Ce combat eut l’issue que La Colombière marque ci-dessus. Le chevalier Macaire pour être délivré du chien qui l’étrangloit, promit de confesser tout ; il avoua qu’il étoit auteur du meurtre, et fut envoyé au gibet, disent les mémoires qu’on m’a envoyés de Montargis. Il est surprenant qu’aucun des historiens du temps n’ait fait mention d’un fait si extraordinaire. »

Voilà, certes, une surprise naïve et des plus étranges ; mais ce qui est plus fort encore, c’est cette mention de mémoires envoyés de Montargis. Et que pouvaient donc être ces mémoires, sinon un ou plusieurs des récits que nous venons de passer en revue ? En ce cas, il n’était guère nécessaire de les tirer de Montargis, puisqu’ils étaient ailleurs. Assurément Montfaucon ne veut point ici abuser ses lecteurs ; il s’est donc laissé abuser lui-même de la façon la plus singulière. Est-ce qu’à Montargis, à part la peinture du château, on pouvait rien savoir sur le trop fameux duel ? Il est vrai que le titre de l’estampe reproduite par Montfaucon indique Montargis comme le théâtre du combat ; mais le récit de La Colombière porte que ce combat eut lieu dans l’île Notre-Dame, et cette différence si notable eut dû suffire pour éveiller la critique endormie de Montfaucon, lequel, après quelques recherches à Paris, en aurait su beaucoup plus long qu’aucun de ses correspondants de Montargis.

L’inconcevable facilité avec laquelle un homme de ce mérite avait accueilli pareille histoire fut spirituellement relevée en 1732 par un rédacteur anonyme du Journal littéraire de La Haye. Après avoir annoncé la publication du tome III des Monuments de la monarchie françoise, le journaliste ajoutait :

« Nous avons été surpris d’y trouver, sous le règne de Charles V, le prétendu duel d’un gentilhomme de la cour de ce roi contre un chien. Le fait avec toutes ses circonstances se trouve dans l’Almanach de Milan de cette année, et il convient si bien à un pareil ouvrage que nous n’avons garde de l’en tirer. Notre auteur le rapporte cependant sans le révoquer le moins du monde en doute, non plus que l’authenticité d’un tableau où ce duel est représenté... et dont on trouve ici une estampe.. Il ne faut que comparer cette estampe avec toutes les autres de ce volume pour voir que ce prétendu monument n’est d’aucune autorité. Notre auteur trouve surprenant qu’aucun des historiens du temps n’ait fait mention d’un fait si extraordinaire. Pour nous, vu les circonstances de ce fait, nous eussions trouvé bien plus étonnant encore qu’ils en eussent fait mention[52]. »

Montfaucon, nous dit un correspondant du Mercure de France[53], « ne jugea pas à propos d’interrompre ses grandes occupations pour prendre lui-même son fait et cause ; » mais il trouva des défenseurs officieux, et d’abord, selon toute apparence, l’abbé Lebeuf. Encore un grand savant compromis dans cette affaire, si, comme on ne peut guère en douter, il est l’auteur de la Lettre écrite d’Auxerre à M. Maillart, avocat au Parlement de Paris, pour soutenir la vérité du fond de l’histoire du chien de Montargis[54].

La thèse était embarrassante, même réduite à ces termes, et il fallait être l’ami de Montfaucon, un ami zélé, pour se faire le champion d’une cause aussi douteuse. À la lecture de la lettre on devine aisément le sentiment qui anime l’auteur, quel qu’il soit, et l’on reconnaît l’embarras qu’il éprouve. Il souhaite, dit-il, qu’on retrouve l’ancienne chronique citée par Olivier de la Marche ; il souhaite « que cela arrive pour confondre les adversaires du P. de Montfaucon ; » mais en même temps il avoue qu’il lui semble difficile d’attribuer l’histoire au règne de Charles V. Une fois embarqué dans cette question, il jette à la mer tout ce qu’il désespère de sauver, et ne laisse pas d’être fort en peine avec le reste.

Ce n’est pas l’érudition qui lui manque assurément pour se tirer d’affaire ; il en a une à son service aussi solide qu’étendue ; mais cette érudition même le gêne plus qu’elle ne l’aide. Il en est réduit, en somme, à des raisonnements comme celui-ci : « Il est vrai que nous n’avons point d’écrivain du siècle même de l’événement qui en ait fait mention ; mais il est ordinaire que les histoires les plus singulières ne sont pas celles qui sont écrites le plutôt. On suppose qu’elles ont tellement frappé qu’on ne les oubliera jamais et qu’il est inutile de les écrire. C’est beaucoup que malgré cette négligence on ait retenu les noms des deux chevaliers qui font le sujet de l’histoire. »

Pour concilier les contradictions des divers récits, l’auteur de la lettre se livre à des suppositions très-hasardées qu’il serait superflu de reproduire. En désespoir de cause, il conclut ainsi : « Je me contenterai, pour appuyer la réalité du fait, de rapporter le témoignage d’un personnage qui certainement ne passait point pour crédule et qui ne donnait point dans la fable : c’est Jules Scaliger, mort en 1558. »

Belle autorité, en effet, que celle d’un personnage mort en 1558, fût-il Jules Scaliger, pour attester la réalité d’un fait réputé antérieur de près de deux siècles !

Quant au règne sous lequel l’événement aurait eu lieu, le correspondant de M. Maillart pense que pour le déterminer il faudrait retrouver dans quelques chartes les noms d’Aubri de Montdidier et du chevalier Macaire ; il ajoute que pour lui « il a trouvé un Macaire de Sainte-Menehould, chevalier français vivant en 1204. »

Un mois après la date de cette lettre paraît, encore dans le Mercure de France, un Supplément à ce qui a été inséré (le mois précédent) au sujet de l’histoire du chien de Montargis, où par occasion il est parlé d’un chien renommé dans l’histoire orientale[55]. L’auteur de ce supplément paraît surtout s’être proposé de placer son historiette orientale, qui est du reste assez jolie. Quant à son argumentation en faveur du chien de Montargis, elle peut se résumer ainsi : l’histoire du combat de ce chien était regardée comme indubitable dans les XVe et XVIe siècles ; elle n’a d’ailleurs rien qui choque la vraisemblance ; en quoi l’auteur a raison sur le premier point, mais sans prouver autre chose que la crédulité des XVe et XVIe siècles ; et sur le second point, il est permis de penser qu’il se montre bien accommodant.

Ainsi défendue, quoique avec plus de chaleur que de force, contre les doutes de la critique, l’histoire du chien de Montargis devait fournir encore une longue carrière. Elle rencontra cependant, quarante ans après l’article du journaliste de La Haye, un adversaire plus redoutable, c’est-à-dire mieux armé.

Leibnitz avait publié à Hanovre, en 1698, son édition de la chronique d’Alberic de Trois-Fontaines. Personne apparemment ne l’avait lue, personne du moins de ceux que nous venons de citer : ni Montfaucon, ni son critique de La Haye, ni ses défenseurs du Mercure, sans quoi la querelle ne serait pas née ou n’aurait pas pu durer. Mais un savant plus connu aujourd’hui par ses erreurs que par ses mérites, le Franc-Comtois Bullet, releva un jour dans la chronique d’Alberic le passage que nous avons rapporté plus haut, et, ce texte à la main, fouetta vivement le chien de Montargis pour le renvoyer au roman d’où il était sorti. Si depuis lors on a vu le fidèle lévrier rentrer dans l’histoire derrière son maître, la faute n’en est point à Bullet. Il avait très-bien réussi à l’en mettre hors. « Je n’aurois pu me décider, disait ce savant, à nier un fait soutenu d’un monument, consigné dans nos chroniques, cité par des écrivains de réputation, respecté par Scaliger, adopté par Montfaucon, si je n’avois découvert une preuve incontestable de sa fausseté[56]. »

En effet, quelle preuve plus incontestable que le passage d’Alberic ? Tout ce qu’on y pouvait ajouter, c’était de retrouver et de produire le roman que le chroniqueur avait eu sous les yeux. Telle est la tâche que je me suis donnée et que je remplis aujourd’hui. Réussirai-je mieux que Bullet à reléguer au pays des fables l’anecdote du chien de Montargis ? Rien ne me paraît moins assuré, car dans le champ de l’histoire, comme ailleurs, mauvaise herbe croît toujours. En veut-on la preuve pour ce cas particulier ?

La dissertation de Bullet est de 1771 ; or voici depuis lors jusqu’à ce jour la destinée du chien de Montargis.

En 1776, en 1778, paraissent deux éditions successives des Essais historiques sur Paris, de Poullain de Saint-Foix[57], et dans ces deux éditions on retrouve sous la rubrique : Isle Notre-Dame ou Saint-Louis, une nouvelle relation du combat déjà raconté tant de fois. Les réflexions de Saint-Foix à ce sujet peuvent passer pour curieuses : « Quelques auteurs, dit-il, ont cru que c’étoit sous le règne de Charles VI[58] que vivoit un chien dont la mémoire mérite d’être conservée à la postérité. D’Audiguier prétend que c’étoit un lévrier ; j’en doute, attendu que le nez dans les chiens est le mobile du sentiment ; or, les lévriers n’ont pas de nez ; et, par conséquent, s’ils caressent un maître, s’ils se trouvent à son lever, à son coucher, ce n’est que par l’habitude, comme des courtisans, sans s’y attacher et sans l’aimer. Je les crois absolument incapables de ces traits de bonté de cœur dont je vais faire le récit. »

Ce récit terminé, Saint-Foix ajoute :

« On ne sera point étonné que ce chien ait resté plusieurs jours sur la fosse de son maître ni qu’il ait marqué de la fureur à la vue de son assassin ; mais la plupart des lecteurs ne voudront pas croire qu’on ait ordonné le duel entre un homme et un chien. Il me semble cependant que, pour peu qu’on ait parcouru l’histoire et vécu dans le monde, on doit être tout au moins aussi persuadé des travers de l’esprit humain que du bon cœur des chiens. »

Voilà, si je ne me trompe, le burlesque vraiment agréable : celui qui s’ignore ! J’en extrais un autre échantillon non moins précieux des Mémoires de l’Académie celtique. Un savant dont le nom n’est pas oublié, Eloi Johanneau, proposait à résoudre, en 1807, aux membres et associés correspondants de cette académie, la question ci-après :

« Y a-t-il à Montargis quelques vestiges du culte du chien, quelques traditions, quelques fables, quelques monuments, quelques usages, quelques mots qui y aient rapport, et qui puissent donner lieu de croire que cette ville, dont le nom semble venir du français mont, du celtique ar (du) et ki (chien), était chez les Celtes ce qu’était la ville de Cynopolis ou du chien chez les Egyptiens, ce qu’est encore chez les Gallois la colline du chien, nommée Moel Gylan[59] ? »

L’année suivante, l’histoire du chien de Montargis prend place, comme de raison, dans une Histoire des Chiens célèbres[60], et avec des variantes qui donneraient à croire que l’auteur a trouvé des documents nouveaux. C’est ainsi qu’il attribue la haine de Macaire pour Aubri à une querelle très-vive qu’ils auraient eue en jouant à la paume. Mais le renseignement le plus neuf est celui-ci : « Nous lisons dans un commentateur de Monstrelet que le chien avait déjà sauvé la vie à son maître quelques années auparavant, et qu’il le tira par ses habits des eaux du Gave, rivière de Béarn. »

J’ouvre une édition de la Morale en action datée de 1810, et j’y vois figurer avec honneur le chien d’Aubri de Montdidier, « dont la mémoire, est-il dit, a mérité d’être conservée à la postérité. »

Le 18 juin 1814 fut représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de la Gaîté, un mélodrame historique de Guilbert de Pixerécourt intitulé : Le Chien de Montargis, ou la Forêt de Bondy.

Certes, l’auteur avait bien le droit de s’emparer de ce sujet, historique ou non, et je n’ai garde de le lui reprocher ; mais Guilbert de Pixerécourt n’était pas un simple dramaturge : c’était de plus une manière de bibliophile et qui se piquait de quelque érudition. Il aurait donc pu se dispenser, par cette raison, de joindre à l’édition de sa pièce[61] la note historique qui la précède, ainsi que les noms des auteurs qui rapportent l’anecdote et sur lesquels on a dû s’appuyer.

Ce mélodrame eut le plus grand succès dans sa nouveauté[62]. Je l’ai vu représenter vingt ans plus tard, mais sans que ma curiosité pût endurer l’épreuve jusqu’au bout ; et aujourd’hui, en le comparant au poëme que je publie, je m’assure que la littérature populaire du moyen âge n’était nullement inférieure à celle du commencement de ce siècle.

Un Album du département du Loiret publié en 1827[63] renferme l’histoire sommaire du château de Montargis, et, bien entendu, la mention de la cheminée au-dessus de laquelle se voyait la peinture faite sous Charles VIII. Cette date est exactement indiquée d’après Androuet du Cerceau ; mais pour ce qui est du combat, on ne sait comment l’auteur, homme sérieux, s’est avisé d’annoncer qu’il allait raconter « ce fait si souvent embelli et dénaturé, en suivant les versions de Belleforest, d’Expilly et de Scaliger, » pour s’éloigner ensuite de ces versions autant qu’il le pouvait. Exemple :

« Un soldat de l’armée de Charles VIII nommé Macaire, rencontra dans la forêt de Bondi un marchand appelé Montdidier, accompagné de son chien, et l’assassina. »

Soldat, Charles VIII, marchand, Mondidier ! autant de nouveautés qui ne se rencontrent que dans l’Album du Loiret. Un autre album publié en 1830, et composé de gravures pour servir à l’histoire de France d’Anquetil[64], en contient une avec cette légende : « Singulier duel qui eut lieu l’an 1371, par ordre du Roi, entre le chevalier Macaire et le chien dit de Montargis (dessin l’époque). » C’est une mauvaise réduction de l’estampe de Montfaucon, reproduite ici on ne sait pourquoi, puisque le chien de Montargis n’est pas même nommé par Anquetil.

En 1834, le Magasin Pittoresque, à ses débuts, n’oublia pas le chien de Montargis[65]. Il respecta le récit de Vulson de la Colombiere, et le reproduisit après Montfaucon ; mais la gravure que cet auteur a donnée dans ses Monuments de la monarchie françoise lui parut « empreinte du goût de la Renaissance... Les costumes sont en partie romains » (proposition bien difficile à établir). En conséquence, il en publia une nouvelle avec costumes du XIVe siècle, et cette gravure a eu beaucoup de succès à Montargis[66]. L’auteur de la notice n’ignorait pas que le chien de Montargis avait été considéré comme un animal fabuleux, et il a jugé prudent de le dire ; mais quoi ! « il n’est rien au monde, ajoute-t-il, dont l’existence n’ait été contestée au moins une fois. » Sa conclusion est celle-ci : « Inventée ou réelle, l’anecdote est curieuse. »

À la bonne heure ! le lecteur est averti. Mais que dire de la biographie ci-après, annexée en 1835 à la Description historique et pittoresque du département de la Somme, par MM. H. Dusevel et P. A. Scribe [67] ?

« Aubry de Montdidier, ainsi appelé du lieu de sa naissance, était un chevalier plein de courage et fort aimé de Charles V, qui lui avait en plusieurs occasions donné des témoignages de son estime particulière. Un courtisan nommé Macaire l’assassina dans la forêt de Bondy. Le chien d’Aubry ayant divulgué son crime, un combat singulier entre cet animal et Macaire fut aussitôt ordonné par le roi..... Le chien ayant saisi Macaire à la gorge, le força d’avouer son forfait, etc. »

Il est heureux pour la Somme d’avoir d’autres personnages à inscrire dans ses fastes. Elle se consolera plus aisément de perdre celui-ci.

La dissertation de Bullet était restée inaperçue, ou peu s’en faut, de 1771 à 1842[68]. Il ne fallait rien moins qu’un chercheur comme M. Francisque Michel pour la remettre en lumière. Il n’y a pas manqué dans son savant mémoire sur la popularité du roman des Quatre Fils Aymon[69], où il parle incidemment de notre poëme, considéré alors comme à jamais perdu.

En 1844, un correspondant du Magasin Pittoresque réveille aussi le souvenir de la dissertation de Bullet, non sans ajouter beaucoup de son propre fonds aux arguments du savant Franc-Comtois. Il a remarqué que dix ans auparavant, le Magasin Pittoresque avait accueilli trop complaisamment la légende du chien de Montargis, et il le lui reproche avec une certaine véhémence dans deux lettres successives, où il examine la question, d’abord par le côté moral, et en second lieu par le côté historique. Ce critique le prend de haut ; il ne badine pas, et l’on s’en aperçoit trop. « L’honneur de la France, dit-il, est en quelque sorte en jeu dans cette histoire célèbre... Non ! jamais la noblesse de France n’aurait honoré de sa présence un pareil combat..... Et c’est sur un roi que l’on a surnommé le Sage qu’on voudrait faire reposer une si monstrueuse action ! !.....Aussi n’est-ce pas tant le chien qui importe au côté moral de cette histoire : c’est le roi, c’est l’action du roi qui est véritablement contre nature. »

Ces lettres ne sont point signées ; mais qui n’en reconnaîtrait l’auteur ? Elles sont de Joseph Prudhomme, à n’en pas douter[70].

Il faut croire qu’elles auront échappé aux investigations de mon ancien et excellent maître, M. Bouillet, pour qu’il ait permis à Aubri de Montdidier de se faufiler avec son chien dans ce Dictionnaire universel d’Histoire et de Géographie que tout le monde connaît et apprécie[71].

La Biographie portative universelle, qui n’est pas moins appréciée et qui est aussi d’un grand secours, a admis, il est vrai, Aubri de Montdidier dans ses colonnes ; mais elle a pris le soin de mettre le lecteur en garde par cet avertissement relatif au fameux duel : « L’authenticité de cet événement a été révoquée en doute par plusieurs écrivains, entre autres par le savant Bullet. »

On ne retrouve pas ce Cave canem dans la Nouvelle Biographie universelle publiée par MM. Firmin Didot frères ; mais, tout au contraire, l’écrivain qui s’est chargé de nous renseigner sur Aubri de Montdidier, encore qu’il juge bizarre l’idée du roi de faire lutter Macaire contre le chien accusateur, ne laisse pas, pour la faire passer, de la déclarer conforme aux mœurs du moyen âge. « Cette tradition, ajoute-t-il, est devenue le sujet de plusieurs ballades, et a donné lieu, en France et en Allemagne, à des compositions dramatiques qui, sous le titre du Chien de Montargis, ou du Chien d’Aubry et de la Forêt de Bondy, ont attiré la foule aux boulevards parisiens, au théâtre de Vienne et à plusieurs autres théâtres de l’Allemagne. »

J’ai le regret de n’avoir pu retrouver la trace des ballades auxquelles fait allusion le biographe d’Aubri de Montdidier. Je n’ai pu davantage mettre la main sur le texte dont il s’est autorisé pour faire du lévrier d’Aubri un dogue, et pour allonger le simple nom de Macaire, qui, sous sa plume est devenu Richard de Macaire[72].

La première édition de la Biographie universelle (Michaud) avait négligé Aubri de Montdidier ; la seconde a comblé cette lacune et reproduit en substance le récit de Vulson de la Colombière, qu’on attribue par inadvertance à Montfaucon.

Ainsi, ni l’érudition de Bullet, ni la force des considérations morales développées par Joseph Prudhomme, n’ont pu venir à bout du chien de Montargis. L’invincible lévrier a triomphé d’eux comme il avait triomphé de Macaire, comme il triomphera de moi, hélas !

Aussi n’était-ce pas pour engager avec lui une lutte inutile, mais seulement par goût pour l’histoire littéraire, que je faisais paraître, en 1857, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes[73], mes notes sur le manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc, où j’ai trouvé le poëme de Macaire. Ces notes n’ont pas été inutiles, qu’il me soit permis de le dire : M. Édouard Fournier s’en est servi pour faire connaître au public qui le lit, et qui ne me lit point, l’origine de la fable du chien de Montargis[74]. Elles ont peut-être provoqué aussi l’édition du poëme de Macaire qui vient de précéder la mienne.

Mais avant de parler de cette édition, et pour suivre l’ordre des dates, il faut jeter un coup d’œil sur deux petits romans, rejetons tardifs et débiles qu’un reste de séve a fait sortir récemment encore de la vieille souche que je déterre. Par une évolution curieuse, la légende du chien de Montargis, après avoir pénétré dans l’histoire, est revenue comme d’elle-même à son point de départ, je veux dire au roman. C’est sous cette forme qu’on la retrouve dans les Animaux historiques[75] et dans le Choix de Légendes populaires[76], deux ouvrages qui datent l’un et l’autre de 1861.

« Et moi je vous dis que cette nouvelle faveur dont vient d’être encore l’objet ce damné d’Aubry de Montdidier m’était due ! Jusques à quand rencontrerai-je cet homme sur mon chemin ? » Tel est le début du récit que renferment les Animaux historiques, et où la haine de Macaire pour Aubri s’explique par l’envie, comme dans la plupart des relations antérieures. Une gravure accompagne le texte ; elle représente Macaire assailli par le chien.

Dans le Choix de Légendes populaires, l’histoire est beaucoup moins simple : ce n’est plus l’envie qui anime Macaire contre Aubri, c’est une rivalité d’amour. L’auteur a suivi le sentiment de ce magistrat qui, à l’annonce d’un crime, ne manquait jamais de demander : « Où est la femme ? » Ne la trouvant point ici, il l’a inventée. C’est une certaine Jeanne de Montessan, promise à Macaire, mais aimée d’Aubri et le payant de retour, comme on disait naguère. D’autres inventions non moins heureuses contribuent à étoffer le récit. C’était le droit de l’auteur d’en user de la sorte avec cette vieille histoire qu’il voulait rajeunir et habiller à la mode du jour ; mais ne l’aurait-il pu sans prendre à partie Charles V et M. Flourens, l’un pour avoir eu recours « au jugement de Dieu dans presque tous les cas un peu graves, » l’autre pour avoir dénié la réflexion aux bêtes ? N’aurait-il pu s’abstenir aussi de donner à croire aux bonnes gens que l’affaire était « mentionnée aux registres du parlement, où se trouve également un extrait du procès-verbal constatant les diverses péripéties et le résultat du combat ? » — Eh ! non vraiment, il ne l’aurait pu sans réduire d’autant le nombre de lignes de sa petite drôlerie. C’est encore le cas de répéter avec le moine de Trois-Fontaines : Lucri gratia ita composita.

Ici se termine l’histoire de notre poëme en France.


Reprenons cette histoire à l’étranger, où la chanson de Macaire ne fut pas accueillie avec moins de faveur.

Qu’elle ait d’abord pénétré en Italie et de très-bonne heure, c’est un point hors de doute. Le manuscrit de Venise où je l’ai retrouvée date du XIVe siècle, et de la première moitié de ce siècle plutôt que de la seconde. En outre, comme la version estropiée par le compilateur italien différait manifestement, pour le fond comme pour la forme, de celle qu’avait sous les yeux, vers 1240, le moine de Trois-Fontaines, comme cette version était à la fois plus simple et en vers d’un mètre plus ancien, il y a toute apparence que la chanson de Macaire ou de la Reine Sibile fut connue en Italie dans sa nouveauté.

On ne la trouve que plus tard en Espagne, où elle est traduite en prose[77]. Cette traduction espagnole, aussi rare aujourd’hui que la traduction anglaise de Huon de Bordeaux par lord Berners, a été heureusement l’objet d’une notice publiée à Vienne, en 1833, par M. Ferdinand Wolf[78]. On en sait donc tout ce qu’il est nécessaire d’en savoir, et aussi sûrement que si elle était à la disposition de chacun. Par l’analyse complète du récit que M. Wolf a pris le soin de nous donner, on reconnaît aisément aujourd’hui ce que le savant allemand devinait alors, à savoir que le traducteur espagnol de la Reine Sibile avait sous les yeux une version très-développée, peut-être une rédaction en prose de ce poëme. J’ajoute qu’il me paraît en avoir usé très-librement avec son texte, et avoir enrichi l’histoire de circonstances qu’il n’a pas dû trouver dans l’original français, de personnages qui n’y figuraient probablement point, tels que Ganelon[79].

Popularisée en Espagne par cette traduction, l’histoire de la reine Sibile n’y est pas tombée dans l’oubli, puisqu’elle a fourni le sujet de deux ouvrages dramatiques dont l’un a été imprimé à Barcelone en 1757, et l’autre à Madrid en 1846. Le premier, intitulé : Los Carboneros de Francia y Reina Sevilla, comedia famosa, est attribué à Francisco de Rojas[80] ; le second porte pour titre : La Reina Sibila, drama comico original en tres actos y en verso, por D. Ramon de Valladares y Saavedra. M. Wolf, à qui j’emprunte ces indications, ne connaît de ce dernier ouvrage que le titre ; il ne sait, par conséquent, si l’auteur s’est inspiré de la comédie du siècle précédent, ou s’il a repris la légende pour son compte et en a tiré un autre parti. Quant à la comedia famosa, dont il a eu un exemplaire sous les yeux, voici ce qu’en dit le savant allemand :

« Les principaux personnages de cette pièce sont : Carlo magno, — Conde de Maganza (hijo de Galalon), — Almirante de Francia, — Reyna Sevilla, — Ricardo, emperador (del oriente), — Blancaflor, — Teodoro, — Lauro, — Bariquel, Zumaque, Gila, — Luis, infante.

« Le comte de Mayence, fils de Ganelon, remplace Macaire ; Ricardo ou Richier est le père de la reine Sibile ; Blanchefleur, sœur de l’almirante et rivale de la reine, est en dernier lieu fiancée à son fils Louis ; Teodoro est un serviteur de la reine auquel le comte de Mayence fait jouer le rôle du nain ; Lauro, charbonnier, père adoptif de Louis, est substitué à Varocher, qui figure néanmoins dans la comédie sous le nom de Bariquel mais comme personnage accessoire avec deux autres charbonniers : Zumaque et Gila.

« L’auteur de cet ouvrage a conservé de la légende quelques traits qui la rappellent ; mais il en a complétement effacé la simplicité et la naïveté, d’abord en la compliquant d’additions malheureuses, et ensuite en y introduisant des grotesques (les charbonniers), qui font de sa comédie une pièce moitié intrigue, moitié farce, dans laquelle le langage ampoulé de la cour fait contraste avec le parler populaire des personnages rustiques[81]. »

C’est encore à M. Wolf que nous devons de connaître une traduction néerlandaise de notre poëme[82], imprimée à Anvers par Wilhelm Worsterman dans la première moitié du XVIe siècle, de 1500 à 1544. M. Wolf l’a soigneusement comparée, chapitre par chapitre, à la traduction espagnole, et n’a relevé entre ces deux versions que des différences assez légères pour lui donner à croire qu’elles ont été faites l’une et l’autre sur un même texte français.

Depuis la publication du premier mémoire de M. Wolf, d’autres savants ont repris l’étude du même sujet : en Allemagne, M. Von der Hagen[83] et M. Massmann[84] ; en Danemark, M. Svend Grundtvig[85]. M. Massmann, dans sa Kaiserchronik, a donné le sommaire d’un vieux poëme allemand du XIVe siècle, qui, sous ce titre : La Malheureuse Reine de France, n’est autre chose qu’une imitation de notre chanson de geste. Qu’on en juge :

« La reine repousse avec indignation le maréchal de son époux, qui a osé lui parler d’amour. Pour se venger de cet affront, un jour que le roi est allé de grand matin à la chasse, le traître, profitant du sommeil de celle qu’il veut perdre, pénètre jusqu’à son lit et y place à côté d’elle un nain qui dormait dans la grande salle du palais. Puis il court dénoncer au roi le crime dont il a préparé, dont il lui montre la preuve. Dans sa fureur, le roi veut tuer la reine ; mais il en est détourné par le duc Léopold d’Autriche. Il se contente de la remettre aux mains d’un chevalier qui la conduira en pays étranger, elle et un jeune enfant qui lui est né depuis peu. Le chevalier part avec l’exilée ; mais il est bientôt rejoint par le maréchal, qui l’attaque et le blesse mortellement. La reine se sauve dans une forêt voisine ; le maréchal revient à la cour sans avoir pu la retrouver.

« Le chevalier avait un chien qui ne le quittait jamais. Le chien lèche les blessures de son maître, mais sans pouvoir le ranimer. Pressé par la faim, il revient à la cour, où il arrive à l’heure du dîner, se jette sur le maréchal et le mord, saisit un pain sur la table et s’en retourne. Chaque jour, on le voit ainsi revenir et s’attaquer de même au maréchal. De là la découverte du meurtre. Le duc Léopold ( qui dans cette version allemande joue le même rôle que le duc Naimes dans le récit français) propose de mettre aux prises le chien accusateur et le maréchal accusé. Le duel a lieu, le chien est vainqueur, et le maréchal confesse son crime.

« Cependant, la reine a trouvé asile chez un pauvre charbonnier de la forêt où elle s’est réfugiée. Elle y fait, pour vivre, des ouvrages de soie que le charbonnier va vendre à la ville. C’est grâce à cette circonstance qu’après de longues et inutiles recherches, le roi finit par retrouver avec son enfant celle qu’il a si injustement bannie. »

On voit par ce sommaire qu’à l’exception de la fin du récit, le poëme allemand analysé par M. Massmann n’a pas dû coûter beaucoup à l’imagination de son auteur.

Un des plus récents historiens de la littérature allemande, M. Menzel, a donné aussi une brève notice de ce poëme[86]. Il en signale l’origine française, fait remarquer que la même fable se retrouve dans la version néerlandaise de l’histoire de la Reine Sibile, et compare l’ouvrage à d’autres compositions dont le sujet, sans être absolument identique, ne laisse pas de rappeler celui de la Malheureuse Reine de France, non-seulement pour le fond, mais encore pour certains détails de la forme.

En Allemagne comme en France, l’épisode du chien, détaché du poëme dont il faisait partie, a été pris au sérieux et mis au nombre des faits historiques. Philippe Camerarius[87] l’a rapporté comme tel dans ses Operæ horarum subcisivarum, sive Meditationes historicæ[88].

Mais c’est tout près de nous, en 1817, que l’Allemagne, assista au plus beau triomphe du chien d’Aubri. Toujours vivant, toujours aussi redoutable, il fut engagé, pour ainsi parler, dans un nouveau duel non moins étrange que le premier, et sortit encore vainqueur de cette épreuve, où il avait pour adversaire le grand poëte Gœthe. Voici comment. Le mélodrame de Guilbert de Pixerécourt avait été traduit en allemand, et le grand-duc de Saxe-Weimar, soit caprice personnel, soit plutôt faiblesse pour une favorite[89] à qui Gœthe n’avait pas l’heur de plaire, voulut se donner le divertissement de faire représenter la pièce devant lui. L’auteur de Faust, qui était alors surintendant du théâtre de Weimar, ne put supporter l’idée de voir un chien figurer sur ce théâtre, et refusa de se prêter à un tel abaissement de l’art dramatique. Mais sa résistance fut inutile. On fit venir de Leipzig l’acteur Karlsten, qui avait dressé un caniche pour jouer le rôle du lévrier, et le surintendant n’eut d’autre ressource que de renoncer à ses fonctions. Il en fut relevé par une lettre du grand-duc en date du 13 avril 1817[90]. On dit qu’à cette occasion Gœthe avait adressé à Charles-Auguste un quatrain qui se terminait ainsi : « Puisque le chien triomphe, c’est au poëte à se retirer[91]. »

Si l’Angleterre n’a pas imité notre poëme d’aussi près que l’Allemagne, il n’en est pas moins sûr qu’elle l’a connu et qu’elle en a tiré parti. D’abord la cathédrale de Peterborough en possédait une version ou un extrait dont le texte était peut-être latin, à en juger par ce titre : Qualiter Sybilla regina posita sit in exilium extra Franciam et quomodo Makayre occidit Albricum de Modisdene. Mais au delà de cette indication on ne sait rien du manuscrit auquel elle se rapporte. La bibliothèque dont il faisait partie est aujourd’hui dispersée ou perdue[92].

Une preuve plus complète et plus décisive de l’intérêt que la chanson de la Reine Sibile a excité en Angleterre est l’imitation partielle qu’on en trouve dans un vieux poëme intitulé Sir Triamour. Cette imitation, bien qu’un peu dissimulée, n’en est pas moins manifeste. Elle a été reconnue et signalée par M. Ferdinand Wolf dans son mémoire sur la traduction espagnole de La Reine Sibile[93]. Voici, en substance, la partie du poëme anglais qui se rapporte visiblement au nôtre :

« Aradas, roi d’Aragon, serait le plus heureux des rois s’il était père. C’est l’unique satisfaction qui manque à son bonheur et à celui de la belle Marguerite, sa femme. Pour obtenir cette faveur du ciel, il fait vœu d’aller en terre sainte, et part, laissant la reine grosse. Il a confié la garde de son royaume à son grand maître Marrock ; mais Marrock, loin de répondre à une telle confiance, s’éprend d’un amour criminel pour la reine. Il est éconduit, feint de se repentir, mais au fond de l’âme jure de se venger. À son retour, le roi, dont le pèlerinage a été on ne peut plus heureux, se réjouit de voir qu’il a été exaucé d’avance. Mais Marrock lui persuade que l’enfant auquel la reine va donner le jour est le fruit d’un commerce coupable. Marguerite, dit-il, a trompé sa surveillance ; il l’a trouvée dans les bras d’un chevalier inconnu auquel il a tranché la tête de sa main. Le roi veut qu’elle expie sa trahison par la mort ; Marrock lui conseille de la condamner seulement à l’exil. Marguerite est donc bannie. Elle part sous la conduite d’un vieux chevalier, sir Roger, lequel avait pour compagnon habituel un lévrier (greyhound) qu’il avait élevé et dont il était très-aimé.

« Marrock les rejoint bientôt avec une bande d’affidés, qui tombent pour la plupart sous les coups de sir Roger ; mais le vieux chevalier, attaqué par derrière, tombe à son tour pour ne plus se relever. La reine s’est réfugiée dans un bois, où Marrock et quatre des siens qui survivent ne peuvent réussir à la retrouver.

« Le lévrier demeure auprès du corps de son maître, qu’il recouvre de mousses et de feuilles. Marrock revient à la cour, et la reine, conduite par la Providence, arrive en Hongrie, où elle accouche d’un fils. Elle est recueillie par un chevalier hongrois qui lui donne l’hospitalité dans son château. L’enfant est baptisé sous le nom de sir Triamour.

« Cependant, sept jours après la mort de sir Roger, son lévrier, poussé par la faim, apparaît tout à coup au palais du roi d’Aragon, à la grande surprise de tous, et particulièrement d’Aradas, qui ne s’explique point ce retour inattendu. Le chien reçoit sa pitance, disparaît, puis revient une seconde, une troisième fois. Cette fois Marrock est là. Le lévrier lui saute à la gorge, le mord et s’en retourne auprès de son maître. Il est suivi, fait découvrir le corps de sir Roger, et du même coup le crime de Marrock. Sir Roger est enterré, et le fidèle lévrier meurt quelques jours après sur sa tombe. Marrock est traîné et pendu. »

Telle est la partie du poëme anglais où l’auteur s’est certainement aidé de la chanson française qui nous occupe. Quant au reste, les deux récits ne se ressemblent que par le dénoûment, où, après une longue suite d’aventures, Aradas retrouve Marguerite et son fils, auquel il a sauvé la vie sans le connaître[94].

De nos jours, Walter Scott a aussi mis à profit l’histoire du chien d’Aubri, qui n’était pas inconnue à sa vaste érudition. Il y a fait une allusion très-claire dans le Talisman, ou Richard en Palestine (chap. XXIV).

« Dans votre propre pays, mon frère, dit Richard au roi de France, une affaire semblable a été décidée par un combat solennel entre l’homme et le chien, comme appelant et défendant. Le chien fut victorieux ; l’homme confessa son crime, et il fut puni de mort. — Je sais, mon frère, répondit Philippe, qu’un combat semblable a eu lieu sous le règne d’un de nos prédécesseurs, à qui Dieu fasse grâce ; mais c’était dans un temps déjà éloigné de nous[95]. »

Par conséquent, Walter Scott entendait parler de la légende primitive, non de la version qui place l’histoire au temps de Charles V, et sans doute il avait relevé le fait dans la chronique du moine de Trois-Fontaines.

L’auteur du mélodrame The Dog of Montargis, représenté pour la première fois sur le théâtre de Covent-Garden le 30 septembre 1814, n’était pas allé si loin en chercher le sujet. Cette pièce n’est qu’une imitation avouée de la pièce française de Guilbert de Pixerécourt[96].

Ainsi, on peut l’affirmer de science certaine, la chanson de la Reine Sibile ou de Macaire, en même temps qu’elle obtenait en France un succès prodigieux, se répandait à l’étranger, était connue, traduite, imitée, en Italie, en Espagne, en Hollande, en Allemagne, en Angleterre.

Méritait-elle tant d’honneur ? C’est une question résolue si l’on ne consulte que le goût des contemporains. L’un d’eux, le moine de Trois-Fontaines, déjà cité, déclare cette chanson fort belle, pulcherrimam ! et c’est au point de vue littéraire qu’elle lui apparaît ainsi ; car, en sa qualité d’historien, il n’en est guère satisfait : il y trouve bien des faussetés. À cet égard, je n’éprouve aucun embarras à me ranger de son avis ; mais sur le premier point, j’ai peine à prendre parti pour ou contre lui.

Me mettre de son côté, c’est me compromettre aux yeux de ces sévères historiens de la littérature qui se demandent gravement et à priori si le beau a pu exister au moyen âge.

Ne point partager son sentiment, c’est entreprendre de prouver que ce qui a plu n’a pas dû plaire. J’en ai le droit, je le sais ; j’entends même répéter chaque jour que ce droit, celui de la critique, est imprescriptible. Mais pourquoi critiquer cette vieille chanson ? Pourquoi me montrer plus difficile que ceux qui, pendant des centaines d’années, l’ont écoutée ou lue avec plaisir ? Outre que je me sens un grand fonds d’indulgence pour ce trouvère inconnu auquel je me suis comme associé, dont je suis presque devenu le collaborateur, j’ai peur de m’armer contre lui de certains principes ignorés de son temps, de certaines règles qu’on ne connaissait point. Ma tâche serait simple si j’avais réussi, comme tels experts en littérature, à me faire du beau un type idéal et à y rapporter tout. Ils procèdent à leur aise, à peu près comme ces vérificateurs des poids et mesures, qui, munis de leur étalon, n’acceptent que les litres ou les mètres qui s’y ajustent. Le malheur est que l’étalon me manque et que je ne sais où le trouver. Je dois reconnaître, cependant, pour rendre hommage à la vérité et pour ne point m’attirer de fâcheuses affaires, qu’à prendre pour type l’Iliade ou l’Enéide, la chanson de la Reine Sibile me paraît fort loin d’en approcher ; mais, en revanche, elle m’offre plus d’intérêt (Dieu me pardonne !) que la Thébaïde de Stace. C’est de la conception seule qu’il s’agit, bien entendu ; de la forme du poëme, je n’en puis parler, à moins de juger celle que je lui ai donnée. Et si l’on me demande ce qui m’intéresse particulièrement dans cette rapsodie, voici ma réponse :

Ce n’est pas l’héroïne, cette victime innocente bien digne assurément de la noble compassion qu’excite toujours le spectacle de la vertu aux prises avec le malheur, mais par cela même se faisant un peu tort en ce qu’elle tombe dans le lieu commun, en ce qu’elle est un type de tous les temps, de tous les pays, de toutes les littératures.

Ce n’est pas davantage Charlemagne, qui prête plus à rire qu’à pleurer, et qui rappelle trop Sganarelle.

Ce n’est pas non plus le fameux duel du lévrier contre le meurtrier de son maître, encore que l’invention soit singulière et ait fait un assez beau chemin dans le monde. À mon gré, on ne pouvait mieux s’y prendre pour rendre le duel ridicule que d’imaginer celui-là, en sorte qu’on peut se demander si l’auteur a voulu démontrer l’excellence de cette procédure ou la tourner en dérision.

Ce n’est pas enfin le traître, quoiqu’il me soit cher, ce bon traître du moyen âge, ce traître de regrettable mémoire, trop naïvement scélérat, trop niaisement pervers pour donner à personne l’envie de lui ressembler, et, quoique je déplore la transformation qu’il a subie de nos jours pour devenir un rusé, un madré, un spirituel coquin, pour se changer enfin de Macaire tout court en Robert-Macaire[97].

Ce qui m’intéresse, c’est le personnage de Varocher, de ce brave bûcheron, si compatissant, si honnête, si dévoué, qui dans l’accomplissement des devoirs que sa générosité s’impose, se révèle à lui-même, se sent grandir, se juge de taille à être chevalier, veut le devenir, le devient, et se montre digne de ceindre l’épée et de chausser l’éperon d’or.

On dirait que notre poëte a tracé d’avance le portrait d’un de ces enfants du peuple, d’un de ces paysans à l’écorce grossière, mais à la sève généreuse, au cœur chaud et héroïque, que la France moderne a vus plus d’une fois conquérir une épée et se montrer capables des mêmes vertus, des mêmes exploits que les plus hauts barons dont l’histoire ait gardé le souvenir.

Une telle figure dans une œuvre de ce temps-ci serait encore faite pour plaire, pour exciter l’admiration, mais non certes la surprise. Dans la littérature des temps féodaux, elle produit l’effet d’une découverte. Passe encore s’il s’agissait d’un bourgeois ; mais Varocher n’est qu’un vilain, de la plus humble et de la plus pauvre condition, un homme de rien, un truand, un sauvage, comme il est qualifié en propres termes par l’un des chevaliers de la suite du roi de Hongrie.

Il ne manque pas, sans doute, dans nos chansons de geste, de personnages qui partent de très-bas pour arriver très-haut ; mais ils ne s’élèvent pas comme Varocher ; ils se relèvent, et, dès lors, toute analogie entre eux et lui disparaît et s’efface, à ce point de laisser apercevoir, si l’on veut, une différence totale, une entière opposition.

Le fameux Rainouart au tinel, par exemple, ce Rainouart que Dante a mis en Paradis, où le trouvons-nous avant ses exploits ? Dans une cuisine, au-dessous des marmitons dont il est le jouet et le plastron. Mais, à la fin, il se découvre qu’il est fils de roi. Quelle conclusion tirer de là, sinon la confirmation du proverbe : bon sang ne peut mentir ?

Robastre, l’homme à la cognée, dans le poëme de Gaufrey, débute par être charretier et finit par devenir roi de Hongrie. Mais il a pour père un lutin, le lutin Malabron, doué d’un pouvoir féerique qui le place entre les rois et Dieu. Une telle naissance oblige plus encore que noblesse.

Le laboureur Gautier, dans Gaydon, est aussi rustre qu’on le puisse désirer de manières et de langage, et ne laisse pas pour cela de sentir et d’agir assez noblement. C’est que d’origine il est noble, en effet. Gautier est un petit gentilhomme déchu et qui a pris de mauvaises habitudes dans la vie rustique. Il n’est pas né très-haut, il est vrai, mais enfin il est né.

La création de semblables personnages a donc tout au moins une signification ambiguë, et si l’on n’y veut pas voir un artifice pour faire mieux ressortir les avantages de la naissance, il y faut reconnaître une précaution jugée nécessaire par les écrivains du temps pour pouvoir attribuer un beau rôle à des acteurs populaires ou présentés comme tels. Ici on n’a pas à choisir entre ces deux suppositions. La naissance de Varocher les supprime, puisqu’il est vilain de père et de mère. C’est un type complet, c’est un caractère dont l’idée et même l’exécution font honneur à notre poëte, qui l’a tracé à grands traits, mais d’une main heureuse, sinon exercée. Il est à noter que cette figure toute française a disparu dans les imitations allemande et anglaise dont nous venons de parler.

Comme Varocher met son cœur et son bras au service d’une reine et d’un empereur, il ne pouvait trop déplaire aux grands, et, d’un autre côté, son origine lui assurait une nombreuse clientèle dans les rangs inférieurs. Il y a donc lieu de croire qu’il dut beaucoup contribuer au succès de l’ouvrage où il tient une place si honorable.

À part l’invention de ce personnage, qui me paraît original, c’est une question difficile à résoudre que celle de savoir ce qui appartient en propre à notre poëte, ce qu’il a pu emprunter soit à l’histoire, soit à des récits légendaires antérieurs au sien.

S’il en fallait croire le moine de Trois-Fontaines, l’héroïne de ce récit ne serait autre que la fille de Didier, roi des Lombards, répudiée par Charlemagne après un an de mariage ; cette répudiation aurait été le germe de la chanson de la Reine Sibile[98]. Il est très-vrai que Charlemagne, en 771, répudia la seconde de ses neuf femmes, Désirée, fille de Didier, un an après l’avoir épousée ; mais on n’a jamais su pourquoi, et le moine de Trois-Fontaines en convient lui-même : Incertum qua de causa. Dès lors, comment sait-il si bien que c’est Désirée qui a été chantée sous le nom de Sibile ? Pourquoi Désirée plutôt qu’Himiltrude, aussi répudiée avant elle ? Il y a grande apparence que le bon moine, cherchant à rattacher les chansons de geste à l’histoire véritable, aura imaginé cette attribution on ne peut plus douteuse. L’auteur de la chanson de la Reine Sibile n’avait pas plus en vue Himiltrude que Désirée, et s’il eût été de l’école de Chrestien de Troyes, son héroïne serait sans doute la femme du roi Artus au lieu d’être celle de Charlemagne. Il s’est proposé simplement d’intéresser aux malheurs d’une reine injustement accusée et punie, dont l’innocence est à la fin reconnue. Voilà le thème de son ouvrage et de bien d’autres qu’il faudrait pouvoir comparer et classer historiquement pour savoir d’où part l’idée qui en fait le fond, et ce qui revient à chaque pays, à chaque auteur, dans les développements qu’elle a reçus, dans les récits divers auxquels elle a donné lieu. Un savant danois, M. Svend Grundtvig, s’est donné cette tâche, et si la difficulté du sujet ne lui permettait pas de l’achever, il paraît du moins l’avoir poussée très-loin. C’est un bon juge, M. Ferdinand Wolf, qui lui rend ce témoignage[99].

« Depuis que j’ai fait connaître, dit M. Wolf, la version espagnole de la Reine Sibile, cette légende a été l’objet de savantes recherches qui en ont montré le rapport plus ou moins intime avec beaucoup d’autres récits répandus dans toute l’Europe. Je citerai surtout les travaux de M. Svend Grundtvig, qui a traité le sujet de la façon la plus complète et la plus approfondie dans son excellente collection des Chants populaires du Danemark. Il ne s’est pas contenté de faire connaître les chants populaires danois, islandais, et des îles Feroë qui s’y rattachent ; il a de plus, dans son introduction, rassemblé et soumis à la critique toutes les traditions historiques ou légendaires du même ordre, tant celles qu’on connaissait que celles qu’il a découvertes. À la fin de cette recherche, conduite avec une vaste érudition et une grande sagacité, il en résume ainsi les résultats :

« Il serait très-intéressant que quelqu’un nous donnât une explication satisfaisante de la connexion qui relie entre elles les formes si diverses de la légende ; mais le moment, je crois, n’est pas encore venu pour cela. Toutefois, et à titre de simple essai, je veux tenter ici de montrer le chemin que cette légende a suivi dans ses pérégrinations, et d’indiquer comment elle s’est développée et ramifiée.....

« Elle était primitivement commune à plusieurs tribus gothiques, telles que celles des Langobards (Gundeberga) et des Francs. Par ces derniers, elle fut d’abord appliquée à l’ancien duc des Francs Hugo (le Hugon de la légende d’Oliva), puis transportée de celui-ci à Hugo Theodoricus, qui devint en Allemagne Hugdietrich, et plus tard (quand les légendes franques et ostrogothiques se furent confondues ou provisoirement mêlées) à un Dietrich de Rome (poëme de Crescentia), et par là au personnage purement poétique de Dietrich de Berne. Pendant quelle prenait racine en France et en Flandre, où elle trouvait de nouveaux supports (Charlemagne — Geneviève), la légende se propageait en Allemagne à la faveur d’une chanson populaire qui célèbre Dietrich de Berne et son épouse Gudalind (Gunild) ; elle trouvait accès en Angleterre, en Danemark, en Islande et aux îles Feroë. En Allemagne, elle fut rapportée d’abord à Richarda ; plus tard, à Cunégonde et Henri, d’où les Anglais prirent texte pour la transporter à Gunild et Henri, auxquels succédèrent une Elinor et un Henri. Pendant ce temps, la version allemande empruntait des traits nouveaux aux récits français. En Danemark, on adopta la narration anglaise de Gunild et Henri, mais on l’appliqua plus tard à Henri le Lion, et, à la fin, on renonça à toute attache historique. En Islande et aux îles Feroë, on conserva les noms de Dietrich et de Gunild, mais le fond de l’histoire se modifia sensiblement sous l’influence de la légende de Cunégonde. »

Tel est le résumé des recherches de M. Svend Grundtvig. Il y manque, pour le rendre clair, le détail de ces recherches mêmes ; mais on peut le trouver dans l’ouvrage du savant danois. Ce qui y manque encore plus, pour le rendre sûr et concluant, ce sont des dates. Réussira-t-on jamais à combler cette lacune ? J’en doute fort. Quant à présent, il est impossible de marquer la place qu’occupe historiquement notre poëme dans cette série de récits de la même famille, mais d’une famille si mêlée qu’on n’y peut reconnaître ni les degrés de parenté ni les affinités. Notons seulement, d’après M. Grundtvig, que si la légende objet de ses recherches n’est pas d’origine française, elle a été du moins marquée en France d’un cachet particulier dont on retrouve l’empreinte en Allemagne.

L’épisode du chien doit-il être mis au nombre des embellissements que le fond de l’histoire aurait reçus chez nous, et peut-on en faire honneur à notre poëte ? Bullet ne l’a pas cru ; il prétend que le chien d’Aubri descend en droite ligne du chien de Pyrrhus. « Je crois, dit-il, avoir trouvé dans Plutarque l’histoire véritable ou fausse qui a donné lieu à la fable du chien de Montargis. Je la rapporte suivant la traduction d’Amyot. Les grâces naïves et touchantes de son ancien langage valent bien les expressions froides et compassées du nôtre[100] :

« Pyrrhus, allant par pays, rencontra un chien qui gardoit le corps de son maistre que l’on avoit tué, et, entendant des habitans qu’il y avoit déjà trois jours qu’il estoit auprès sans en bouger et sans boire ny manger, commanda que l’on enterrast le mort et qu’on amenast chien quand et luy, et qu’on le traitast bien. Quelques jours après, on vint à faire la monstre et reveue des gens de guerre, passans par devant le roy, qui estoit assis en sa chaire, et avoit le chien auprès de luy, lequel ne bougea aucunement, jusques à ce qu’il apperceut les meurtriers qui avoient tué son maistre, ausquels il courut sus incontinent avec grands abbays et grande aspreté de courroux, en se retournant souvent devers Pyrrhus ; de maniere que non seulement le roy, mais aussi tous les assistans, entrerent en suspicion grande que ce devoient estre ceulx qui avoient tué son maistre : si furent arrestez prisonniers, et leur procez fait là-dessus, joinct quelques autres indices et presomptions que l’ont eut d’ailleurs à l’encontre d’eux ; tellement qu’à la fin ils advouerent le meurtre et en furent punis. »

« Un chien attaque les meurtriers de son maître en présence de Pyrrhus : sur cet indice et sur d’autres présomptions, ce roi les fait arrêter. On leur fait leur procès ; ils sont forcés d’avouer leur crime ; ils en sont punis : voilà le fond de l’histoire de celui de Montargis. »

Sans doute, c’est le fond de l’histoire, et il n’est pas impossible que notre poëte ait mis à profit l’anecdote rapportée par Plutarque et répétée par Tzetzès vers le temps même où fut composée la chanson de la Reine Sibile[101] ; mais, cela même admis, il faut reconnaître que l’invention du fameux duel transforme le chien de l’antiquité en un chien du moyen âge et donne à sa fidélité une couleur tout à fait locale. On peut douter du mérite de cette invention, mais il est surabondamment prouvé qu’elle frappa beaucoup et fut très-goûtée. Sans parler des bonnes gens qui y ont ajouté foi depuis le XIIe siècle jusqu’à nos jours, et pour rester au point de vue littéraire, deux auteurs au moins, certainement postérieurs au nôtre, l’ont trouvée si heureuse qu’ils l’ont imitée.

L’un d’eux surtout eût sagement fait de n’y point songer : c’est celui qui s’avisa de substituer au chien un champion fort peu digne d’un tel rôle, un singe. Dans la version en prose et très-amplifiée du poëme si connu d’Amis et Amiles, l’histoire des deux compagnons se prolonge fort au delà de leur mort. Ils ont été tués tous deux par Ogier en Lombardie ; Lubias, femme d’Amis, apprend cette nouvelle et va la porter à Bellissant, veuve d’Amiles, qui a laissé deux enfants : Anceaulme et Florisset. Lubias empoisonne Bellissant, s’empare des enfants d’Amiles et veut les faire noyer. Ils sont sauvés par deux cygnes. Un singe aussi s’intéresse aux jeunes héritiers d’Amiles, et prouve le crime de Lubias en combattant contre Lambert son champion, qui est ignominieusement vaincu[102].

Cette première imitation a été signalée par Gaillard comme un emprunt fait par le roman à l’histoire ; car il admettait « le fait rapporté et prouvé dans les Monuments de la monarchie françoise de Dom Montfaucon. » Après l’avoir rappelé, il ajoute : « Dans le roman, c’est un singe au lieu d’un chien qui combat et qui est vainqueur, ce qui est encore moins naturel. Il est vrai que l’auteur du roman donne à ce singe une intelligence qui n’est guère que le partage des hommes, et surtout un attachement pour ses maîtres qui est bien plus le partage des chiens. Une autre circonstance particulière au roman, et qui n’est pas heureuse, c’est que le singe ne combat que contre un champion, au lieu que le chien avait combattu contre l’assassin même. La plupart des autres circonstances concernant le choix des armes et les précautions prises pour que ni l’homme ni l’animal n’eussent l’un sur l’autre, autant qu’il se pourroit, aucun avantage, sont à peu près les mêmes dans l’histoire et dans le roman ; et le romancier assure que de son temps l’histoire de ce combat était représentée sur les murs de la grande salle du palais à Paris, comme celle du combat du chien l’est au château de Montargis. C’est ce qu’il est impossible de vérifier aujourd’hui quant au combat du singe, la grande salle dont il s’agit, et qui était ornée de peintures et de sculptures, ayant perdu tous ces ornements dans l’incendie du Palais du 7 mars 1618[103]. »

La seconde imitation est constatée d’abord par la grande et gracieuse enquête que firent le curé et le barbier dans la bibliothèque de Don Quichotte. « Bénédiction ! dit le curé en jetant un grand cri, vous avez là Tirant le Blanc. Donnez-le vite, compère, car je réponds bien d’avoir trouvé en lui un trésor d’allégresse et une mine de divertissements. C’est là que se rencontre Don Kirie-Eleison de Montalban, un valeureux chevalier, et son frère Thomas de Montalban, et le chevalier de Fonseca, et la bataille que livra au dogue le brave Detriant, etc.[104]. »

Dans un Catalogue général des romans, ouvrage manuscrit du philologue Ritson, qui a appartenu à Heber et qui est aujourd’hui au Musée britannique, on lit à propos de Tirant le Blanc : « L’auteur fait battre son héros avec un chien, et cette lutte singulière est racontée dans Montfaucon comme un événement réel survenu en 1371[105]. »

Voilà donc notre poëte plus imité qu’imitateur, car le rapport est manifeste entre le duel qu’il a imaginé et ceux qu’on retrouve après lui dans les ouvrages précités ; rien ne démontre, au contraire, qu’il ait tiré parti de l’anecdote rapportée par Plutarque et rappelée par Tzetzès. Il a pu tout aussi bien et beaucoup mieux connaître le fait analogue mais nullement identique que raconte saint Ambroise dans son Hexameron[106], et qu’il fait précéder de cette généralité : « Les chiens ont souvent fourni des preuves évidentes contre des homicides, et la plupart du temps on en a cru leur muet témoignage ; » propositions un peu excessives sans doute, mais dont l’étendue même prouve que dans l’épisode du chien d’Aubri c’est le duel qui est le trait saillant, que le reste n’a rien de particulier et était du domaine commun bien avant notre poëte.

Aussi n’est-on pas peu surpris de trouver la mention de ce duel accolée au récit de saint Ambroise dans un historien anglais du moyen âge, Gerald de Barri ou Gerald le Cambrien, qui emprunte mot pour mot à l’Hexameron l’histoire du chien d’Antioche, en indiquant la source à laquelle il la puise, mais la complète ainsi de son chef, sans aucun avertissement, et comme s’il continuait à la transcrire[107] :

Ob tantam igitur et tam vehementem homicidii præsumptionem (milite tamen constanter inficiante) judicatum est duello rei certitudinem experiri, in campo itaque constitutis, et vulgi circumstante corona, hinc cane dentibus armato, illinc baculo cubitali milite munito : tandem cane victore victus homicida succubuit et ignominiosam publico patibulo pœnam dedit[108].

Si l’on veut savoir où Gerald de Barri a pris ce supplément dont il gratifie avec tant de discrétion l’auteur de l’Hexameron, la question n’est pas difficile à résoudre : c’est à notre poëme qu’il a fait l’emprunt. Ce bâton dont il sait si bien la longueur, ce baculum cubitale, voici les vers qui lui en ont donné la mesure :

Et in sa man li dono un baston
Qe un braço estoit voire lon[109],

Et où et comment a-t-il pu lire ou entendre réciter la chanson de Macaire ou de la Reine Sibile ? En France, à Paris, où il vint au moins deux fois : la première en 1166, à l’âge de vingt ans, la seconde, dix ans plus tard, en 1176[110]. Il y séjourna en tout sept ans, et, jeune comme il l’était, et curieux, et enclin à croire les récits merveilleux, il ne put manquer de s’intéresser à ceux des jongleurs tout en étudiant la théologie et les décrétales. De là, selon moi, le souvenir adapté au récit de saint Ambroise par Gérald le Cambrien dans l’itinéraire du voyage qu’il fit, en 1188, avec l’archevêque de Cantorbéry. La date assignée ci-dessus à la composition de notre poëme favorise cette explication, et réciproquement, l’explication une fois admise, achève de justifier la date.

C’en est assez et trop peut-être sur l’origine de la fable du chien. Terminons l’examen de la composition où cette fable tient une si grande place.

Dans son étude sur la légende qui forme le fond de la chanson de Macaire, M. Svend Grundtvig paraît croire que le personnage du nain est d’invention française. C’est tant pis pour notre auteur. Il ne pouvait rien imaginer de plus grossièrement déplaisant, et le malheur est qu’il semble en avoir eu conscience. L’empereur de Constantinople, informé par un messager de Charlemagne du crime dont sa fille est accusée, se refuse avec indignation à la croire coupable : « Non, dit-il, ma fille n’a pu commettre un tel péché... et avec un nain encore ! » Cette invraisemblance le révolte.

Le grotesque, sinon l’odieux de la combinaison, disparaît dans deux poëmes postérieurs où elle est de nouveau mise en œuvre : le poëme de Florent et Octavien[111] et celui de Doon de la Roche[112]. Dans le premier, c’est un varlet ; dans le second, c’est un garçon qui joue le rôle du nain. Mais on assiste toujours à cette scène grossière, tandis que dans le poëme anglais de sir Triamour un goût plus délicat l’a mise en récit, substituant d’ailleurs, comme on l’a vu ci-dessus, un chevalier inconnu aux personnages ignobles qui figurent dans les trois chansons françaises[113]. Parmi les ressorts que notre poëte a mis en jeu pour le mouvement de sa composition, il en est un singulier qu’il n’a pas créé sans doute, car il s’en sert comme de chose déjà connue et admise, je veux parler de ce signe que porte sur l’épaule droite le jeune fils de Charlemagne, et qui pour des yeux clairvoyants est un sûr indice de sa royale origine. C’est une espèce de sceau ou de marque de fabrique dont l’idée vient on ne sait d’où, à moins d’accepter sur ce point les renseignements très-précis que nous donnent les Reali di Francia dans un curieux passage, déjà noté par M. Wolf[114]. Le second livre de cette compilation italienne, qui contient une version fort libre du poëme de Floovant, débute par une sorte de petit traité ex professo sur la question qui nous occupe.

« Fiorello ou Florel, roi de France et petit-fils de Constantin, était fort affligé pour plusieurs raisons, mais surtout parce qu’il ne pouvait avoir d’enfants. Il fit donc des vœux, alla en pèlerinage à Rome, et de là au saint sépulcre, toujours priant Dieu de lui donner un héritier à qui il pût transmettre sa couronne. Il fut exaucé : sa femme devint grosse après vingt ans de stérilité et mit au monde un fils qui portait sur l’épaule droite une croix de sang entre cuir et chair. De là vient ce qu’on dit de la croix vermeille que portaient sur l’épaule droite les héritiers de la noble maison de France. Ce fut le premier enfant qui naquit avec ce signe couleur de sang : aussi reçut-il au baptême le nom de Fioravante, ce qui revient à dire, en français, Fleuravant, ou : En avant la fleur ! Plusieurs personnes présagèrent qu’il serait roi de France et de beaucoup d’autres provinces et royaumes, et le signe merveilleux qu’il avait reçu au sein de sa mère fut l’heureux augure des destinées de la maison de France... Ce signe fut plus tard appelé la nielle[115], et tous ceux de sa race le portèrent, mais non en forme de croix. Il y en eut cinq seulement qui le portèrent précisément sous cette forme : les autres avaient un signe couleur de sang ; mais comme il ne figurait pas une croix, on lui donna le nom de nielle. De ceux qui naquirent avec la croix, le premier fut Fleuravant ; le second, Beuve ; le troisième, Charlemagne ; le quatrième, Roland, et le cinquième Guillaume d’Orange[116].

On retrouve la trace de cette légende dans le poëme déjà cité de Florent et Octavien. Octavien, empereur de Rome, a le même sujet d’affliction que Florel :

Dolans fu l’emperere qui moult fist à prisier
Qu’avoir ne poet enfans de sa gente moullier.


Mais, à la fin, il a bien sujet de se consoler : l’impératrice donne le jour à deux jumeaux qui ont

Cascun se crois vremeille qui moult reluisoit cler
Dessus leur diestre espaulle [117].

On voit par là que notre poëte n’a pas suivi la légende à la lettre, puisque de la croix vermeille il a fait une croix blanche, ou bien c’est après lui que cette légende se sera modifiée, et que la croix blanche sera devenue vermeille.

En somme, l’examen des principaux éléments de sa composition n’est nullement défavorable à ce vieux trouvère, qui de nos jours eût pu être un bon dramaturge et se faire applaudir sur nos théâtres des boulevards à plus juste titre que ne l’a été son faible imitateur Guilbert de Pixerécourt. La chanson de Macaire, en effet, n’est point une épopée, mais bien l’étoffe d’un grand mélodrame : aussi en a-t-on taillé un dans le seul morceau qui en restât. Quelques fils du tissu peuvent bien ne pas appartenir à celui qui l’a tramé, mais le reste lui fait encore une assez belle part et permet de croire qu’il n’était pas indigne du succès qu’il a obtenu.

Un tel genre de succès, celui qu’on demande aux lettres, peut se composer de deux éléments : l’honneur et le profit, ou se réduire à l’un des deux seulement, soit par la force des choses, soit par la volonté des écrivains. Quelles furent, à cet égard, les aspirations des auteurs de nos chansons de geste, et en particulier de celui qui nous occupe ? Question curieuse, qu’un contemporain pouvait seul bien résoudre ; et précisément il s’en trouve un qui l’a résolue, tout juste à propos de notre poëme. C’est encore le moine de Trois Fontaines, dans le passage ci-dessus rapporté, où il dit : « Toutes ces inventions, propres sans doute à divertir un auditoire, à y provoquer le rire et même les larmes, sont cependant trop éloignées de la vérité historique. Elles n’ont d’autre but que le gain. Lucri gratia ita composita[118].

Voilà donc notre auteur et ses confrères accusés d’être plus sensibles à l’argent qu’à la vérité et à la gloire. Peut-être y a-t-il un peu d’humeur dans ce jugement du moine de Trois-Fontaines. Peut-être se place-t-il trop exclusivement à son point de vue d’historien. Cependant, il ne laisse pas de rendre justice à la chanson de la Reine Sibile, puisqu’il la trouve fort belle ; et, d’autre part, si l’on remarque que cette chanson est anonyme comme presque toutes les autres compositions du même genre et du même âge, on est disposé à croire que ce clerc a bien jugé les littérateurs laïques de son temps. S’ils avaient visé à l’honneur plus qu’à l’argent ou seulement autant, auraient-ils négligé de signer leurs ouvrages ? La signature se montre avec la prétention à l’art, c’est-à-dire à la gloire, et voilà pourquoi, selon moi, il y a bien moins de compositions anonymes dans le second âge de la poésie française que dans le premier, dans la période qui commence à Chrestien de Troyes que dans celle qui précède.

Quoi qu’il en soit, cette question en amène une autre, celle de savoir comment notre poëte put réaliser le gain en vue duquel il écrivit sa chanson, s’il en faut croire le moine de Trois Fontaines. De deux choses l’une : ou il était son propre éditeur, c’est à-dire qu’il s’en allait lui-même débiter son récit, ou il lui fallait traiter avec les jongleurs, ces éditeurs ambulants du moyen âge. Dans le premier cas, nulle difficulté : il recevait, comme un simple jongleur, soit les deniers des petites gens, soit les livraisons en nature que lui offrait la générosité des grands, et qui consistaient d’ordinaire, on le sait, en robes, en manteaux, en vêtements confectionnés, parfois même en roussins ou en mulets. Or, s’il recevait en ce genre au delà de ses besoins, ce qu’il faut bien croire, notre auteur devait se transformer, pour écouler sa recette, en marchand d’habits et en marchand de chevaux. Il se trouvait, à l’égard du public, dans la situation où l’usurier place l’emprunteur en détresse auquel il fait un prêt partie en argent, partie en objets divers à liquider, par exemple, en paletots ou en redingotes, à moins qu’il ne préfère lui offrir quelque peau de lézard, « curiosité agréable pour pendre au plancher d’une chambre ».

Que si l’écrivain voulait se soustraire à ce trafic, il y a toute apparence qu’il traitait avec les jongleurs en leur vendant le manuscrit de son ouvrage pour le débiter à leurs risques et périls ; car, comme il n’avait nul moyen de contrôler leur recette, il ne pouvait guère s’en réserver une part pour ses droits d’auteur.

À en juger par ce que nous savons du succès de la chanson de Macaire, on peut croire qu’elle enrichit le trouvère auquel on devait le plaisir de l’entendre, ou qu’elle valut à ses éditeurs un grand nombre de manteaux et de roussins. En sus de quoi, si insensible à la gloire qu’on le suppose, il dut quelque peu s’applaudir de son heureuse veine, et, s’il pouvait aujourd’hui se réveiller, il aurait sujet d’être bien plus fier encore en voyant la place qu’il a conquise dans les souvenirs de la postérité.

J’aime à penser qu’en ce cas la présente édition lui serait agréable, en dépit des imperfections qu’il ne manquerait pas de me reprocher, et je me persuade qu’il m’en saurait d’autant plus de gré que je n’en prétends tirer ni le plus petit manteau ni le moindre roussin.


D’un ouvrage jadis si répandu et dont la vogue a été si grande il ne reste plus aujourd’hui qu’un seul manuscrit complet, et quel manuscrit ! Encore n’y a-t-il pas longtemps qu’on le connaît. En 1833, M. Wolf souhaitait qu’on retrouvât l’original français de l’histoire espagnole de la Reyna Sebilla. Trois ans plus tard, M. de Reiffenberg commençait sans le savoir à exaucer ce vœu en publiant les fragments de la seconde version de notre poëme dont j’ai déjà fait mention et que je reproduis ci-après. Mais c’est en 1856 seulement que j’ai reconnu à Venise l’existence du texte que je publie. Je l’ai signalé en 1857[119] d’après des notes prises à la hâte, mais suffisantes pour le but provisoire que je me proposais. Mon dessein était dès lors de recueillir cette épave littéraire dans la collection des Anciens Poëtes de la France. Elle y prend place aujourd’hui, et je comptais bien que mon édition serait la première, voire à jamais la seule ; mais c’était compter sans l’Allemagne, qui nous dispute avec tant de zèle et souvent de succès le soin d’étudier les origines de notre langue et de notre littérature. Un jeune professeur de l’université impériale de Vienne, M. Adolf Mussafia, a publié dans ces derniers temps deux des poëmes italianisés de la bibliothèque de Saint-Marc que j’avais indiqués comme de curieux témoins de notre ancienne influence : la Prise de Pampelune et la chanson de Macaire[120]. Il a bien fait dans l’intérêt de nos communes études, et rien qu’à ce titre il aurait droit à mes remercîments, si son extrême courtoisie ne méritait encore de ma part une gratitude plus personnelle. M. Mussafia, qui a dédié son volume à un des maîtres de la philologie romane, a bien voulu me faire partager cet honneur en associant mon modeste nom au nom illustre de Frédéric Dietz. Je me féliciterais davantage de ce rapprochement si je pouvais le croire mérité, et si je ne savais combien M. Dietz a sujet de s’en plaindre.

La publication de M. Mussafia est venue assez tôt pour que la mienne ne fût plus la première ; elle est venue trop tard pour que son travail pût m’être profitable, et c’est là seulement ce que je regrette. Entre son texte et le mien on pourra noter çà et là quelques différences, heureusement légères, dont les unes tiennent à un parti pris[121], mais dont d’autres doivent marquer de petites inexactitudes de transcription, et ici je suis disposé d’avance à tenir ces erreurs pour miennes et à les prendre à mon compte. J’ai fait ma copie à Venise en quelques jours, avec l’aide de mon confrère et ami M. de Montaiglon, et malgré l’attention que nous avons apportée à ce travail rapide, il y a tout lieu de croire que M. Mussafia, qui a eu à Vienne le manuscrit de Venise à sa disposition et qui était ainsi dans de meilleures conditions que nous, soit pour la transcription, soit surtout pour la révision des épreuves, a dû être plus rigoureusement exact. Ce que j’en dis d’ailleurs est par simple scrupule, le sens demeurant le même quand çentilment, par exemple, se trouve d’un côté écrit par un a et de l’autre par un e, double orthographe que le même scribe employait le plus souvent au moyen âge. Dans un texte comme celui-ci, qui ne peut jamais devenir un testo di lingua, de telles différences ne sauraient tirer à conséquence.

M. Mussafia, dans la préface qu’il a mise en tête du poëme de Macaire, s’est surtout proposé d’en étudier le langage, ce langage étrange qui n’est ni du français ni de l’italien, qui participe de l’un et de l’autre, et qui, en somme, est un chef-d’oeuvre de barbarie ; mais la barbarie elle-même a sa grammaire telle quelle, et c’est là sans doute ce que le jeune philologue a voulu constater. Il me paraît y avoir aussi bien réussi que le sujet le permettait.

Pour moi, dans le temps où M. Mussafia se livrait à cette étude, j’entreprenais, non de considérer en lui-même le langage de notre poëme, mais de l’examiner par comparaison avec le français des chansons de geste de la fin du XIIe siècle ou du commencement du siècle suivant, de rechercher en quoi il s’en rapproche, en quoi il s’en éloigne au point de vue du vocabulaire, de la grammaire, du mètre, et d’en faire à ce triple point de vue une sorte de commentaire perpétuel. En d’autres termes, je m’imposais la tâche de montrer quelles altérations, et combien profondes, le compilateur de Venise a fait subir au poëme qu’il avait sûrement sous les yeux. De là l’essai de restitution que je propose au lecteur à côté du texte franco-vénitien.

Si j’avais pu penser que ce texte fût entièrement l’ouvrage de l’Italien qui l’a écrit, mon entreprise serait tant soit peu puérile ; elle consisterait seulement à ouvrir une sorte de concours entre nous deux, et ne tendrait qu’à montrer jusqu’à quel point me sont plus familières qu’à lui et notre ancienne langue et notre ancienne versification. Mais persuadé comme je le suis que le Macaire de Venise correspond à une chanson française aujourd’hui perdue, j’ai pu raisonnablement, j’aime à le croire, tenter de la retrouver, ou du moins d’en reconstituer une qui s’en rapprochât, afin de me donner plus de chance de faire partager mon sentiment, afin de rendre mon hypothèse plus acceptable, en lui donnant un corps.

J’ai pris plaisir, je l’avoue, à cette étude, à ce jeu d’érudition, de patience, si l’on veut ; mais ce n’est point par caprice que je m’y suis laissé entraîner. Ce n’est pas non plus par simple conjecture que j’ai cru à l’existence du modèle dont notre poëme n’est à mes yeux que la copie défigurée. Ce poëme fût-il le seul en son genre, à n’en considérer que la forme, puisque le fond ne peut faire question, on serait déjà peu disposé à y voir une composition entièrement originale ; mais on s’y sent encore moins enclin quand on sait que sur les rayons de la même bibliothèque et ailleurs reposent des ouvrages analogues, lesquels, vérification faite, ne sont que d’anciens poëmes français altérés à divers degrés par des copistes ou par des jongleurs italiens.

Voici les titres des poëmes dont je veux parler, et dont il nous reste à la fois un ou plusieurs manuscrits purement français, une ou plusieurs copies plus ou moins italianisées :

Aliscans : une copie italianisée[122].

Anséis de Carthage : id.[123].

Aspremont : quatre copies italianisées[124].

Florimont  : une copie faite en Italie, mais très-peu italianisée[125]. Foulque de Candie : Deux copies italianisées[126].

Gui de Nanteuil : une copie italianisée[127].

Renaut de Montauban : une copie faite en Italie, mais très-peu italianisée[128].

Roncevaux ou Roland : une copie italianisée[129].

À ces textes étendus il faut ajouter plusieurs fragments d’Aye d’Avignon, dont l’un est à Bruxelles, dont d’autres ont été récemment retrouvés à Venise par M. Mussafia. Le premier a été publié d’abord par M. de Reiffenberg, puis par M. Achille Jubinal, enfin par M. P. Meyer et par moi, dans l’édition que nous avons donnée du poëme d’Aye d’Avignon[130]. Nous en avons signalé les premiers l’origine italienne, et c’est depuis lors que M. Mussafia a retrouvé et publié les fragments du même poëme qu’on lit dans ses Handschriftliche studien[131]. Ces fragments, comme le jeune philologue l’établit fort bien, se rattachent à celui de Bruxelles : ils faisaient partie du même manuscrit.

Ainsi, sans parler de la compilation d’où j’extrais Macaire, on peut compter déjà neuf poëmes analogues au nôtre, qui n’ont absolument d’original que les fautes dont ils sont parsemés, que les altérations qu’ils ont subies sous la plume de leurs éditeurs italiens.

Ouvrons maintenant le manuscrit de la bibliothèque de Saint-Marc, où la chanson de Macaire occupe la dernière place. Que trouvons-nous en tête de ce recueil de récits réunis ou même amalgamés ? Un nouveau poëme, le dixième en son genre, à ajouter à ceux que je viens d’indiquer. C’est le poëme de Beuve d’Hanstone, manifestement copié sur un modèle français, mais copié à la façon du compilateur. Le voilà donc, lui aussi, cet Italien auquel j’emprunte le texte de Macaire, qui en use, au moins une fois, comme ses pareils, comme ses compatriotes les éditeurs des chansons de Roland, d’Aspremont, de Gui de Nanteuil, d’Anséis de Carthage, etc. Il n’est pas impossible sans doute qu’il en ait usé autrement pour le reste de sa compilation, et en particulier pour le poëme de Macaire ; mais n’a-t-on pas aussi quelque raison de croire à priori qu’il a dû suivre jusqu’au bout la même méthode, et qu’après avoir copié le premier récit de son recueil, il n’a probablement pas inventé le dernier ? Et pourquoi l’aurait-il inventé, quand il pouvait le trouver tout fait, aussi bien que Beuve d’Hanstone ?

Il est vrai que dans le temps même où je reconnaissais à Venise l’existence du poëme de Macaire, M. Léon Gautier y analysait une longue chanson de geste qu’il a mise en lumière[132] et qui, au moins pour la forme, pour l’agencement des matériaux, est l’œuvre d’un Italien, Nicolas de Padoue. De là une objection dont je ne pouvais manquer de tenir compte, et qui paraît diminuer la vraisemblance de mon hypothèse. Elle la diminuerait, en effet, s’il y avait parité dans les deux cas, mais bien s’en faut qu’il en soit ainsi.

L’Entrée en Espagne (c’est le titre que M. Gautier a donné à la composition de Nicolas de Padoue) se rattache sans doute à une partie importante du cycle carlovingien, mais sans correspondre nommément à aucun poëme connu. Tout au contraire, on reconnaît au premier coup d’œil dans la chanson de Macaire celle de la Reine Sibile, celle d’où est sortie l’histoire du chien de Montargis : première différence.

En second lieu, l’auteur de l’Entrée en Espagne nous fait savoir et son nom et son pays, nous indique les sources où il a puisé une bonne part de son récit, et, pour le reste, se vante d’avoir volé de ses propres ailes. Rien de semblable ni dans Macaire ni dans toute la compilation à laquelle ce poëme se rattache si mal.

Enfin, l’Entrée en Espagne est du XIVe siècle, à n’en pas douter, et, comme l’a très-bien fait remarquer M. Léon Gautier, c’est une œuvre tout à fait analogue à celle de Girard d’Amiens. Même forme, même mètre, même caractère de la narration. Quoi de pareil dans Macaire ? Tout y révèle une composition d’une date bien antérieure et d’un bien autre ordre.

Mais quand on ne pourrait signaler des différences aussi tranchées entre les deux ouvrages, encore resterait-il dix raisons contre une, dix présomptions, si l’on veut, en faveur de la solution qui me semble la meilleure, puisqu’au cas particulier qu’offre l’Entrée en Espagne, on en peut opposer dix autres où les Italiens n’ont été que des copistes.

Je ne devais pas me presser, cependant, de conclure sur des arguments aussi généraux. À tout prendre, Nicolas de Padoue n’était pas peut-être le seul Italien qui se fût avisé de rimer en français. Il y avait donc lieu d’y regarder de plus près et d’examiner en lui-même le poëme de Macaire pour savoir s’il se prêtait ou non à ma supposition. Ainsi ai-je fait, allant au-devant des objections qu’il était aisé de pressentir et que j’ai soulevées moi-même.

Ces objections, d’où les tirer ? D’où induire que la plume italienne qui a écrit Macaire ne suivait pas un modèle français ? Évidemment de la barbarie du langage, de l’emploi d’un certain nombre de termes purement italiens, d’un certain nombre de rimes absolument inadmissibles. Et il faut avouer qu’à raisonner ainsi on ne saurait être trop mal venu, car on a pour soi toutes les apparences. Au fond, pourtant, cette argumentation est loin d’être aussi forte qu’elle peut le sembler, et rien de plus facile que de la réduire à néant. Pour cela, il suffit de comparer quelqu’un des poëmes en français italianisé que j’ai indiqués ci-dessus avec le texte en français pur d’après lequel il a été écrit. Mais avant de faire cette comparaison particulière, jetons un coup d’œil sur l’ensemble des poëmes italianisés et voyons comment procédaient les copistes ou les jongleurs qui nous les ont transmis.

Ils n’altéraient pas toujours au même degré, et loin de là, les chansons françaises qu’ils voulaient faire connaître dans leur pays.

Tantôt ils les transcrivaient purement et simplement, en laissant seulement échapper çà et là quelques notations, quelques caprices d’orthographe, conformes à leurs habitudes de prononciation ou d’écriture. Exemples : les fragments d’Aye d’Avignon, les copies des poëmes de Florimont et de Renaut de Montauban.

Tantôt ils s’abandonnaient davantage aux entraînements de l’idiome natal, et modifiaient au fond, mais dans une certaine mesure, les textes qu’ils avaient sous les yeux. Exemples : le poëme de Gui de Nanteuil (manuscrit de Venise), les poëmes d’Anséis de Carthage et d’Aspremont. (Manuscrit de Paris, Bibl. Imp., fr. 1598.)

Tantôt enfin ils en usaient avec plus de liberté encore, comme s’ils se proposaient autant de traduire que de copier. De là une véritable transformation, non pas égale, non pas suivie, mais d’un train irrégulier, comme celui d’une course coupée d’obstacles. C’est ainsi qu’on les voit procéder dans la Chanson de Roland, dans le poëme d’Aspremont (manuscrits de Venise), dans ceux d’Aliscans et de Foulque de Candie.

Mais que ces textes divers paraissent se diviser en trois classes selon le degré d’altération qu’on y remarque, c’est une vue de peu d’importance. Il est bien plus intéressant de rechercher à quoi tient l’altération, de quelle source elle découle, ce qui réduit la question à deux termes. Ou c’est involontairement, ou c’est à dessein et de propos délibéré, que les Italiens ont altéré nos anciens poëmes. Il n’y a pas de milieu, et à mon sens, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre, selon qu’il s’agit de modifications purement orthographiques et toutes superficielles, ou de changements qui s’attaquent au fond, à la teneur même des originaux.

Que des étrangers aient substitué, sans le vouloir et même sans le savoir, leurs habitudes d’orthographe aux habitudes françaises, il n’y a là rien de surprenant. Des substitutions analogues n’avaient-elles pas lieu, en France même, de province à province[133] ? Mais au-delà de ces légères érosions qui n’ont endommagé pour ainsi parler, que l’épiderme des textes, tout ce qui les a entamés plus profondément était, sans aucun doute, atteinte volontaire et préméditée.

Dans quel dessein ? Il n’est pas toujours facile de s’en rendre compte, je l’avoue, lorsqu’on examine une à une et par le menu les nombreuses modifications que tel poëme français a subies en Italie ; mais, à prendre la question dans sa généralité, on n’y trouve qu’une solution satisfaisante, et c’est le désir ou le besoin qu’ont sûrement éprouvé certains éditeurs italiens de nos anciens poëmes, d’abord de les rendre plus intelligibles pour ceux de leurs compatriotes auxquels ils se proposaient de les réciter ou de les faire lire, et ensuite de satisfaire une manie dont ils paraissent avoir été possédés, celle de rimer exactement, richement même, et pour l’oreille et pour l’œil. Voilà leur double but dans le travail de transformation, de déformation, si l’on veut, auquel ils se sont livrés sans autre souci, sans aucun respect ni du langage, qu’ils ont massacré impitoyablement, ni de la mesure, qu’ils ont rompue comme à plaisir et jusqu’à laisser croire qu’ils n’en avaient nul sentiment.

Quelques exemples justifieront ces diverses propositions. Je les tire d’un poëme fameux au moyen âge, et en Italie non moins qu’en France, du poëme d’Aspremont. Il nous en reste au moins neuf manuscrits français ou anglo-normands, et quatre copies italianisées que j’ai indiquées ci-dessus. J’ai choisi parmi ces copies celle qui est conservée à la Bibliothèque impériale (Ms. fr. 1598), pour la comparer à un texte pur que j’ai entre les mains et qui est emprunté à divers manuscrits de Paris, de Berlin, de Rome et de Londres, et, des principaux points de cette comparaison, voici ceux qu’il me suffira de signaler.

Après l’annonce du sujet, la chanson d’Aspremont débute par un grand éloge du duc Naimes, ce vieux et sage conseiller de Charlemagne, ce Nestor (je le dis tout bas) de l’épopée carlovingienne.

Oez de Nayme com avoit bon mestier :
Il ne servoit mie de losengier,
Ne des frans homes à la cort ampirier ;
Les frans linages fist au roi essaucier,
Et dou servise son seignor aprochier[134].

En d’autres termes, il favorisait la noblesse et non le clergé. C’est ce que le trouvère donne à entendre, et son poëme, qui ne manque pas d’allusions politiques, explique ailleurs et fort clairement ce panégyrique. Cela dit en passant, lisons les mêmes vers ou ceux qui y répondent dans notre copie italianisée :

Savés de Naimes ki est som mister ?

Il ne servi onques de losenge mener,
Ne volt franc home acuser à l’emperer ;
Le bom lignage fist al roi exaucer,
Et del servire son segnor ne volt se oblier.

Personne ne contestera et ne peut contester que celui qui a écrit ces cinq vers ou plutôt ces cinq lignes n’eût sous les yeux le modèle ci-dessus. Comment l’a-t-il suivi ? On le voit de reste. Quatre fois sur cinq il a rompu la mesure ; pour rendre l’idée renfermée dans losengier, il a imaginé la périphrase losenge mener, quoique losengier se retrouve en italien sous la forme lusinghiere ou lusinghiero ; il a substitué à la locution ampirier à la cort (empirer à la cour) l’expression acuser à l’emperer, dont le dernier mot est un barbarisme et forme une rime inadmissible[135]. Enfin, il a dénaturé le sens du cinquième vers. Ce n’est certes pas par distraction qu’il en a usé ainsi ; c’est donc de son plein gré, et pourquoi ? Apparemment parce que servir de losenge mener lui a paru plus clair que servir de losengier ; parce que accuser à l’empereur lui semblait comme de fait plus facile à comprendre que empirer à la cour ; enfin parce qu’à changer le sens du dernier vers il trouvait le même avantage.

Continuons notre comparaison.

L’armée de Charlemagne est en Italie, non loin de celle du chef sarrasin Agolant ; mais les deux armées sont séparées par une montagne dont le passage n’est pas facile, comme l’indique son nom, Aspremont. Le duc Naimes, porteur d’un message de son maître, s’est engagé dans les défilés de cette montagne, où il avance péniblement de péril en péril. Le voilà aux prises avec une ourse qui a faonné de nouvel, et qui, au point du jour, est revenue à l’endroit même où se trouve le duc,

A ses hoursiaus où ele les laissa.


Elle se dresse devant le messager de Charlemagne ; mais d’un coup d’épée il lui coupe les deux pattes où elle veut l’enserrer.

Qui dont oïst la noise que mena,
Que la montagne trestote en resona !
A la grant noise que ele demena
Ez vus venu .I. hours et .I. lupart[136].


Ces quatre vers sont réduits à trois dans la copie italianisée :

Mais killa oïst et nosse k’ella fa,
Tuit le montangnes entor li ressona
Atant hec vos .II. ursi et .I. leopart salva[137].


De ces trois vers deux sont faux ; de ces trois rimes deux sont inadmissibles. Fa est italien, non français ; et salva n’est ni l’italien salvatico ni le français sauvage. C’est un moyen terme barbare, mais qui rime avec ressona et fa, tandis que leopart laissait beaucoup à désirer de ce côté. Salva n’a pas été fabriqué à autre fin, on le sent bien ; mais l’emploi de fa est moins aisé à expliquer. Faire noise, sans doute, peut paraître plus simple que mener noise ; mais alors pourquoi notre italien a-t-il tout à l’heure substitué à losengier la locution mener losenge, qui est fort équivoque, et dont je ne connais pas d’exemple. C’est là une de ces modifications arbitraires, au moins en apparence, un de ces caprices dont j’entendais parler plus haut, lorsque j’ai reconnu qu’en maint passage on ne se rendait pas facilement compte du motif qui a porté les Italiens à altérer les récits de nos trouvères. Toujours est-il que la plupart du temps, quinze fois sur vingt au moins, on le devine sans peine. Je le prouve par de nouveaux exemples :

Ne soiés mie trop avers despensier[138],


dit le duc Naimes à Charlemagne dans un bon texte d’Aspremont :

Ne soiés pas trop avair al despenser,


lui dit-il, selon notre leçon italianisée. Vers faux, mesure rompue, pour éviter l’expression dépensier trop avare.

Paien esgardent le Karlon mesagier


devient :

Païen esgarde de Charle le messager.

Encore la mesure rompue, parce que le Karlon mesagier était difficile à comprendre pour des auditeurs ou des lecteurs italiens.

De saint Morise a chosi l’oriflor


était fort intelligible pour des Français qui savaient que choisir signifiait voir, discerner, distinguer. Mais en Italie voir avait chance d’être mieux entendu, et de là ce vers faux :

De santo Morisse vit l’orieflor.

Notre Italien a-t-il toujours bien entendu lui-même le sens du français ? Je n’oserais l’affirmer. Naimes dit à Charlemagne : « Donnez à vos chevaliers, donnez-leur dès maintenant, car ils en ont besoin. »

Donés lor ore, quar il en ont mestier.


Ore c’est-à-dire à cette heure, et non or (aurum) comme ici :

Donés à lor vostre ors, à cel ki n’ont mistier.


Rien de moins obscur, à ce qu’il semble, que ces deux vers :

L’uns fu vers l’autre de parler convoitous
Por les noveles dont il sunt desirrous.


Ainsi n’en a pas jugé celui qui les a éclaircis de la sorte :

L’uns fu all’ altre del parler covotos
Por les novelles savoir dont il sont desiros.

Mais ici, à défaut de texte pur, la restitution serait aisée ; elle le serait beaucoup moins ailleurs. Dans une bataille, par exemple, le païen Gorant a affaire au duc Naimes :

O il vit le duc, sovre li est corru ;
Et Naymes est del schu covru
Che Gorant en fu tuit experdu.

Il faut d’abord remplacer dans ce passage le mot covru, qui est un barbarisme et une rime inadmissible. Ensuite on se demande pourquoi Gorant est tout éperdu par cela seul que le duc Naimes s’est couvert de son écu, chose si simple et si peu dangereuse pour le mécréant. De là, nécessité de remanier tout le second vers et pour le fond et pour la forme. La tâche ne serait pas impossible à qui aurait lu quelques récits de joutes et de combats dans nos anciens poëmes, où il n’en manque pas. Il retrouverait peut-être :

Où voit duc Naime sore li a coru ;
Et li vassaus l’a si bien recéu
Que li paiens en fu toz esperdus.


qui est la bonne leçon. Mais l’a si bien reçu est une plaisanterie, et pour populaire qu’elle soit, il y a là une certaine finesse de langage devant laquelle un étranger, et un médiocre étranger, a reculé pour tomber à la fois dans le barbarisme et dans le non-sens.

Plus difficile serait la restitution de ce passage :

Atant vient Rolandin sor .I. cival corant ;
Mais illert travallés et stant ;
Por tuit l’or del mont nel poit mener plus avant.

Quant à la mesure, si le second vers est trop court, en revanche les deux autres sont trop longs ; et, pour le langage, il y a là un mot dont on ne saurait s’accommoder : c’est le mot stant, qui n’a jamais été français, mais qui représente l’italien stanco (las, fatigué). Ce serait hasard qu’on réussît à deviner la vraie lecture ; mais on en pourrait proposer une acceptable, celle-ci entr’autres :

Ez Rolandin sor .I. cheval corant ;
Mais li destriers fu las et recréans
Si que nel pot onc mener plus avant[139].


On n’aurait pas rencontré juste, si l’on consulte le manuscrit de Berlin, où on lit :

Ez Rolandin parmi le champ poignant.
Tant out coru le destrier afferant
Ne puet aler, soz lui va recréant.


Mais on n’aurait pas fait grand tort à celui qui écrivit ces trois vers, puisqu’on en aurait rendu le sens très-fidèlement, en français du temps et en vers d’une juste mesure. Rien ne prouve d’ailleurs qu’un autre manuscrit ne renfermât pas un texte plus voisin de celui du manuscrit italien et de mon essai de restitution. Ai-je besoin de dire que les manuscrits divers d’un poëme sont rarement identiques, alors même qu’ils ne contiennent qu’une seule version de ce poëme ? Si cette vérité était à démontrer, la chanson d’Aspremont, entre autres, m’en fournira mille preuves. J’en relève deux seulement en passant.

Dans le vers si fort altéré que je citais tout à l’heure

Et Naymes est del schu covru


supposons qu’au lieu de restituer

Et li vassaus la si bien recéu,


selon la leçon du manuscrit français 2495, on eût proposé :

Et li dus Naimes l’a si bien atendu.


Un critique qui viendrait à découvrir, après cette restitution, le manuscrit indiqué, serait-il fondé à triompher de la différence qu’il noterait entre l’hypothèse et la réalité ? En aucune façon, puisqu’un autre manuscrit, le manuscrit 123 du fonds de La Vallière, donne atendu au lieu de recéu.

Autre cas analogue :

Les vers du manuscrit de Berlin que je viens d’opposer à une restitution purement hypothétique se retrouvent dans le manuscrit de La Vallière, mais avec des variantes :

Ez vos Rolant parmi le champ poignant ;
Tant a coru le jor sor l’auferrant
Ne pot aler, ançois vet recréant,

Sans doute ici les différences ne sont pas bien importantes ; mais on en trouve, et à foison, de plus considérables, comme le savent de reste tous ceux qui s’occupent de l’étude de nos anciens poëmes.

Que le lecteur me permette encore deux ou trois citations, pour achever d’établir ce que j’ai avancé au sujet de la rime.

On lit dans le manuscrit français 2495 :

En l’ost de France ot cele nuit grans plors
Li navré getent les granz plainz mervillos ;


et dans la version italianisée :

Celle nuit fu auques ennoios
Les navrés gete li plait doloros[140].

Ennoios est français, il est vrai ; mais il faudrait ici ennoiose, à cause du genre du mot nuit. Ce n’est donc plus un barbarisme, mais un solécisme, dont notre Italien s’est rendu coupable pour esquiver plors, qui à son oreille comme à ses yeux ne pouvait figurer à la rime avec mervillos et autres mots de même désinence.

Ailleurs, dans une tirade en ir, il trouve ce vers :

Soient Lonbart apresté et garni.

Ce dernier mot ne lui paraît pas supportable ; il modifie donc le vers de la sorte :

Mais Longobardi s’aprestent del garnir,


pour obtenir une rime exacte.

Enfin, dans une tirade en ier :

Trestote s’ire li ont fait rengraignier

ne le satisfait pas au point de vue de la clarté ; il traduit ainsi fort librement :

Trestuit sa ire li font al vis montier.


vers qui serait juste et admissible sous cette forme :

Trestote s’ire li font al vis monter.


Je dis monter et non montier, ce verbe n’étant pas de ceux qui prenaient l’i, comme briser ou baptiser, par exemple, lesquels s’écrivaient souvent brisier, bautisier. Voilà donc à la fois et une modification du vers pour le sens et une altération fautive du mot monter en vue de la rime.

Je ferais un volume, et un gros volume, des exemples de ce genre que je pourrais tirer soit de la chanson d’Aspremont, soit de celle d’Anséis de Carthage, qui a été aussi défigurée par le même Italien, Jean de Bologne[141]. En fait de rimes inadmissibles, je signalerais encore dans l’Aspremont et delenquire (delinquere), et despone (deponere), et veras (pour vraie), et malaguras (pour maleurés), et nasce (pour naquit), et sorprendu (surpris), et gessu (participe de gesir), et tant d’autres de même pâte. De la chanson d’Anséis, qui est pourtant un peu moins altérée que la première, je ne serais pas plus en peine d’extraire des passages comme celui-ci :

« Por som comgé somes da lui parti
« Por .I. mesage dont nos adati :
« Femes alons quere qui soit assom pareli. »

Ainsi parle un conseiller d’Anséis, le sage Ysoré, à sa fille, qui s’est follement éprise du jeune héros.

Celle l’entent ; tuit li sangue li fermi ;
Pemsable fu, oit li cors smari[142].


Pareli, smari, deux rimes inadmissibles ; pemsable, autre barbarisme, sans parler du reste. Voici le texte pur ainsi défiguré :

« Par son congiés somes de lui parti
« Por un message dont nos a aati.
« Feme alons querre qui afiere endroit li. »

Cele l’entent, tous li sans li fremi ;
Pensive fu, li cuers amorti[143].

Mais il serait aussi superflu que fastidieux de pousser plus loin ces rapprochements. J’ai assez montré comment en usaient les éditeurs italiens de nos anciens poëmes à l’égard des textes qu’ils avaient sous les yeux. J’ai assez mis en évidence le double but qu’ils se proposaient en les altérant. J’ai assez fait voir et expliqué la barbarie de leur langage.

Cette barbarie, notons-le bien, n’est pas toujours et partout la même. Elle varie d’abord de poëme à poëme ; elle varie ensuite, à ne considérer qu’un texte, de tirade à tirade, de vers à vers ; et pourquoi dans les deux cas ? Dans le premier, cela tient au degré d’ignorance des jongleurs italiens ; dans le second, au degré de difficulté que leur offraient les diverses parties d’un même poëme.

Plus on est ignorant, plus on suppose que les autres le sont, et plus on est enclin à traduire, à commenter, à gloser. Médiocre inconvénient, quand les textes sont respectés ; mais ici traduction, commentaire ou glose se produisaient non à côté du texte, mais à ses dépens, et le transformaient pour l’expliquer. En second lieu, un même texte n’est pas partout aussi difficile à entendre, ne foisonne pas également en idiotismes. C’est donc naturellement sur les points les plus obscurs que se portera l’effort du commentateur. De là les différences que je viens de signaler, et qu’il m’importait de faire remarquer.

Cela posé, je tire ma conclusion.

Puisque les poëmes modérément italianisés, comme celui d’Aspremont et d’Anséis de Carthage, fourmillent de barbarismes, de solécismes, de termes purement italiens, de rimes inadmissibles, etc., encore qu’ils aient eu pour types des textes en français pur, si l’on trouve une composition comme la chanson de Macaire, dont le langage aussi laisse tout à désirer et de la même manière, sera-t-on admis à tirer argument de cette incorrection, de cette grossièreté de forme, pour soutenir que c’est un original et non une copie ? Poser la question, c’est y répondre. Ne parlons donc plus de la barbarie de langage de notre poëme ; car, non-seulement elle ne renverse pas ma thèse, mais même elle la soutient, du moment où elle se montre inégale, du moment où elle éclate, pour ainsi dire, dans telle tirade plutôt que dans telle autre, dans tel vers plus que dans celui qui le suit ou le précède.

Il faut bien d’ailleurs, si je puis ainsi m’exprimer, que la chanson de Macaire soit écrite dans un langage barbare, sans quoi il n’y aurait point de problème à résoudre. Si l’Italien qui nous l’a transmise avait suivi pas à pas le modèle que je lui suppose, au lieu de s’en éloigner parfois et beaucoup, comme il l’a fait, je n’aurais rien à démontrer, et je pourrais me contenter d’une simple affirmation.

Cet argument mis de côté, aucune autre objection grave ne fait-elle obstacle à ma supposition ? Peut-être. Le nom de l’héroïne du poëme m’a un instant arrêté. On sait que dans la version analysée par Albéric de Trois-Fontaines la malheureuse reine s’appelait Sibile. Pourquoi a-t-elle nom Blanchefleur dans le texte de Venise ? Je l’ignore. Mais je suis sûr, par les raisons précédemment alléguées, qu’entre la version vénitienne de Macaire et la version française dont parle Albéric, il y avait de bien autres différences et de fond et de forme. N’est-il pas possible que dans la version primitive, en vers de dix syllabes, représentée, selon moi, par le texte de la bibliothèque de Saint-Marc, l’héroïne se nommât Blanchefleur, et qu’un réviseur, en changeant le mètre du poëme et en compliquant la fable, ait aussi jugé à propos de changer le nom du principal personnage, soit pour faire oublier la première narration, soit pour donner plus de nouveauté à la sienne, soit pour quelque autre raison difficile à deviner ? Il n’y a rien là qui répugne à la vraisemblance. Mais eût-on sujet de croire que ce changement de nom est du fait de notre Italien, qu’en résulterait-il ? C’est qu’il aurait modifié son modèle un peu plus que je ne l’imagine. En ce cas, les vers où figure le nom de Blanchefleur seraient à refaire. Voilà tout. Je les aurais refaits, si, dans le doute, on ne devait s’abstenir, et ici le doute était plus que permis.

En somme, je ne vois pas sur quel fondement solide on s’appuierait pour attribuer au poëme de Macaire l’originalité que je lui dénie. Je vois, au contraire, les raisons principales qu’on pourrait mettre en avant dans cette direction se retourner contre qui les voudrait faire valoir, et militer à l’inverse en ma faveur. En effet, si Macaire est en la forme l’œuvre d’un Italien qui savait très-mal le français (et ce dernier point ne sera pas contesté), comment expliquer l’inégalité d’ignorance de l’auteur ? Comment se fait-il que certains vers seulement soient de tout point inadmissibles, tandis que d’autres en bien plus grand nombre se laissent assez aisément réduire et ramener aux habitudes. de notre langage ? C’est que ceux-là qui sont à refaire en entier ont été refaits entièrement. C’est que les autres, dont on peut tirer parti, n’ont été que plus ou moins endommagés. Voilà la réponse, dans mon hypothèse. En trouverait-on une aussi simple si l’on supposait le contraire ?

Quelques exemples que je donnerai ci-après me feront mieux comprendre et montreront en même temps de quelles lumières je me suis éclairé dans la voie un peu obscure où l’on me reprochera peut-être d’avoir mis les pieds. Je dis peut-être ; c’est sûrement que je devrais dire ; car déjà j’ai entendu cette objection : « Ce n’est pas tout que de se proposer un but, même utile, il faut encore pouvoir l’atteindre, et comment l’espérer en pareil cas ? Par quelle méthode y arriver ? l’arbitraire est le seul chemin qui y conduise ; et ne craignez-vous pas d’en avoir la preuve accablante le jour où l’on découvrirait l’original français de votre poëme ? »

J’ai paré ce dernier coup tout à l’heure en rappelant que divers manuscrits d’un même poëme offrent toujours entre eux des différences qui parfois sont assez sensibles. Je ne saurais donc être mortellement atteint par la découverte dont je suis menacé. J’ose même espérer que je n’en recevrais pas de blessures trop profondes, grâce aux précautions que j’ai dû, que j’ai pu prendre contre cette mauvaise chance.

On n’est pas aussi dénué de ressources qu’on le pourrait croire dans une entreprise comme celle où je me suis engagé, puisque les éléments de comparaison abondent entre les textes en français italianisé et les textes en français pur. Par là on peut se faire une idée assez exacte des procédés, pour ainsi parler, selon lesquels les Italiens ont défiguré une partie de nos anciens poëmes. J’ajoute qu’à restituer un texte en vers, il y a moins d’incertitude, moins de péril qu’à faire le même essai sur un texte en prose, et cela à cause du mètre, qui d’un côté marque mieux les fautes, et de l’autre ne permet pas d’aller trop loin chercher les corrections, en resserrant dans de certaines limites le choix des mots ou des tours à mettre en œuvre. Enfin, on m’accordera bien aussi qu’un commerce assidu et prolongé avec nos anciens trouvères est encore un moyen de ne pas tomber dans des suppositions trop choquantes.

Est-ce à dire que je me flatte d’avoir partout remplacé le terme ou le tour du compilateur de Venise par l’expression même qu’il avait sous les yeux? Assurément non. Pareille divination serait presque impossible, mais aussi presque inutile. Je m’explique.

Si, par malheur (horresco referens !) l’Énéide n’était parvenue jusqu’à nous que sous une forme barbare, analogue à celle qu’a reçue en Italie la chanson de la Reine Sibile, nous n’aurions plus que le tableau d’un grand maître gratté et repeint par un barbouilleur. Les traits qu’il aurait respectés nous permettraient encore de suivre la fable imaginée par le poëte de Mantoue, et, jusqu’à un certain point, d’en apprécier les beautés de conception ; mais la pureté du dessin, mais l’éclat du coloris, mais toutes les richesses du pinceau seraient à jamais perdus pour nous ; et quel insensé pourrait songer à les retrouver, à nous les rendre ? Les Églogues et les Géorgiques nous aideraient bien à mesurer la perte, mais non à la réparer. Tout au contraire, pour restaurer un monument littéraire de l’âge auquel appartient la chanson de la Reine Sibile, on peut très-utilement s’aider de l’étude des monuments contemporains.

C’est que Virgile, comme tous les maîtres des grandes époques, avait un style ; c’est que les trouvères n’en avaient point, et que, dans le même temps, ils puisaient tous comme à une source commune les expressions de leurs idées. De là cette conséquence que, lorsque leurs récits sont beaux, c’est par le fond qu’ils valent, bien plus que par la forme, qui fait presque tout le prix de l’Énéide. Aussi la Chanson de Roland, défigurée comme elle l’a été par un jongleur italien, retient-elle encore beaucoup de sa valeur. Aussi l’Iliade aurait-elle bien mieux résisté que l’Énéide à semblable profanation.

Qu’on me pardonne, en un si petit sujet, d’évoquer les grandes ombres d’Homère et de Virgile. C’est le fait d’un fidèle qui, s’en allant prier à la plus modeste chapelle d’une cathédrale, ne laisse pas de fléchir un genou devant le maître-autel.

Il résulte de ce qui précède que ma tentative peut sembler excusable, pourvu que j’aie rétabli le texte de Macaire, sinon absolument tel qu’il était, au moins tel qu’il aurait pu être ; c’est-à-dire, pourvu qu’à un mot, à un tour inadmissible, j’aie substitué un terme, une locution ayant cours à l’époque où fut composé, selon moi, l’original français dont j’essaye de donner une idée.

Ai-je réussi à m’acquitter de ma tâche dans ces limites ? Pour le prouver, il me faudrait tout justifier : et ce que je conserve du texte de Venise, et ce que je propose comme correction partout où il me semble défectueux. Mais, à ce compte, le commentaire serait vingt fois plus long que le texte. J’ai donc dû me borner et laisser beaucoup à l’appréciation du lecteur, lequel, selon le degré de sa compétence, pourra juger superflues ou insuffisantes les notes qui terminent ce volume, mais m’en pardonnera, je l’espère, l’excès ou le manque, s’il veut bien considérer qu’entre tout et rien il est un moyen terme honnête, et qu’en m’y arrêtant j’ai fait le possible et le nécessaire.

Voici maintenant les exemples que j’annonçais tout à l’heure. Ils achèveront de démontrer, si je ne m’abuse, que le poëme de Macaire n’est original qu’en ce qu’il a de mauvais. Ils feront voir aussi la méthode que j’ai suivie pour lui rendre une forme ou identique ou équivalente à sa forme primitive. Je choisis ces exemples en petit nombre, mais de façon à ce qu’ils comprennent la généralité des cas.

On sait que dans son voyage à Constantinople, Blanchefleur est contrainte de s’arrêter en Hongrie par le terme de sa grossesse.

A la terça noit qu’i furent alberçé,
Cella dame partori una bel arité. (P. 116.)

De ces deux vers, le premier n’est que légèrement altéré, on le voit bien. Sauf l’addition du premier mot, qui n’est nullement nécessaire, on peut le conserver en le repolissant ainsi

La tierce nuit que furent hebergié.


Mais le second vers a été bien plus endommagé. Il renferme, sans parler du reste, deux mots, partori, arité, dont l’un est purement italien, et dont l’autre n’a pas la forme qu’exige ici le sens. Comment réparer ce dommage? D’abord en recherchant l’expression française à laquelle répond partori, et qui pourrait être : s’accoucher de, se délivrer de ou s’agesir de.

La mesure n’admet pas les deux premières, c’est donc la troisième qui est la bonne. S’agesir donne au parfait s’agiut, dont le vers s’accommode très-bien, mais à la condition de le placer avant le mot dame ; d’où il suit que cella ou celle doit être rejeté et remplacé par l’article. On a alors ce premier hémistiche s’agiut la dame ; reste pour le second : una bel arité. La forme arité n’a été mise là que pour esquiver iretier, rime inexacte aux yeux de notre compilateur. Il ne manque donc qu’une syllabe pour rétablir le vers, et quand j’aurais suppléé moult au lieu de très, par exemple, aurais-je rien changé d’essentiel ou de brillant au texte que j’essaye de retrouver?

S’agiut la dame d’un moult bel iretier

me paraît donc une solution presque forcée, presque inattaquable du problème. Je justifie d’ailleurs s’agiut par ce vers de Philippe Mouskes :

D’un fil s’agiut, s’ot nom Guillaumes.

J’ai dit en quel équipage Varocher accompagne la reine. Il semble si étrange, qu’on le tient pour fou :

Por li baston qu’el oit groso e quaru
E por li çevo q’el oit si velu. (P. 112.)


Le second de ces deux vers est à peine modifié, et le premier ne serait pas plus difficile à restituer, n’était le mot quaru, qui est un barbarisme. Pourquoi donc, en dehors de l’orthographe, le compilateur italien s’est-il borné à cette seule modification ? C’est qu’il ne pouvait rien trouver de plus simple et de plus clair que le texte français, à l’exception d’un mot auquel il a jugé à propos de substituer quaru. Et quel était ce mot, qui, si je vois juste, devait être de deux syllabes, terminé en u, et d’une signification équivalente à celle de quaru ? C’était costu ou cornu. On disait bâton costu ou bâton cornu aussi bien que bâton carré, au sens de bâton noueux, qui a des côtes, qui n’est point rond[144]. Comme carré ici est rejeté par la rime, c’est costu qu’il faut lire plutôt que cornu, car cornu se retrouve en italien sous la forme cornuto, et rien n’y répond au mot costu. De là l’élimination de ce mot, remplacé par quaru, qui se rapproche de l’italien quadrato. J’ai donc lu :

Por le baston qu’il ot gros et costu.
Et por le chief que il ot si velu.

Et quand même j’aurais à tort préféré costu à cornu, où serait le mal ?

Il y a des corrections qui, pour être plus considérables, ne m’en paraissent pas moins sûres. Macaire dit à Charlemagne (p. 36) : « Vous tardez trop à punir la reine ; si vous en croyez le duc Naime, vous serez honni et blâmé par le monde :

Vu serés desoré e vitupéré el mon.


Ni desoré ni vitupéré ne sont de la langue du temps, et la mesure les repousse aussi ; el mon seul peut être maintenu. Il s’agit donc de trouver un tour qui rende l’idée renfermée dans vu serés desoré et vituperé et qui s’adapte au mètre. Ce tour, il revient fréquemment dans nos vieux poëmes. On lit dans Huon de Bordeaux (p. 40) :

Tu en aroies honte et reprovier grant ;


dans Aliscans (p. 7) :

Honte en aurai et reprovier tos tans


Honte répond à desoré pour deshonoré ; reprovier (italien : rimprovero) à vitupéré, et la locution, jointe à el mon que je conserve, donne exactement ce vers de dix syllabes :

Honte en aurés et reprovier el mont.


Il y a donc dix à parier contre un que j’ai rencontré juste, et plût à Dieu que je fusse partout aussi sûr de mon fait ! C’est chose impossible toutes les fois qu’une idée peut se rendre par deux ou trois expressions de même valeur au fond, mais différentes en la forme, et dont la mesure s’accommode également. La faute seule est certaine ; la correction, double ou triple, laisse place à l’incertitude. « Aubri, dit l’empereur au chevalier qui doit conduire Blanchefleur en exil, allez faire vos préparatifs de départ :  »

Albaris sire, alez vos pariler. (P. 60.)

Pariler ne serait pas inadmissible sous la forme parillier ; mais on trouve le plus souvent en ce sens apparillier ou des synonymes tels que aprester, atorner, conréer, adober. Apparillier seul est rejeté par la mesure ; tous les autres s’y adaptent fort bien. Lequel choisir? on ne sait, mais qu’importe ?

Lorsque Varocher dit à l’empereur de Constantinople :

E no son çivaler, ançi son un poltron ;
Ma s’el vos plai çençer moi al galon
Le brant d’açer .  .  .  .  .  .  . (P. 212).


Je ne puis douter que poltron et galon ne soient deux mots introduits là par le compilateur italien. Galon[145], au sens de côté, de flanc, n’a jamais été français, et poltron n’était pas en usage au temps où fut composée la chanson de la Reine Sibile. Il n’a d’ailleurs eu en aucun temps la signification que lui donne le texte de Venise : homme de condition inférieure, par opposition à chevalier. C’est garçon qui s’employait en ce sens, comme le prouve l’exemple cité aux notes. Jusque-là rien d’incertain ; mais pour le second vers peut y avoir doute. Je lirais volontiers :

En moi n’avés chevalier, ains garçon ;
Mais se vos plaist ceindre moi au giron
Le branc d’acier.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Toutefois rien n’empêche de croire que le bon texte donnât :

Mais se vos plaist me ceindre au lez en son


ou : au lez selonc. Plus sûre est la correction du premier vers où je change le tour, contraint que j’y suis par la double forme gars, garçon, dont la deuxième seulement convient à la rime.

On comprend à quels développements m’entraîneraient des justifications comme celles qui précèdent. Je ne puis m’y laisser aller pour plusieurs raisons, et en particulier parce qu’il ne serait guère séant de faire la cuisine sous les yeux de ses convives. Tout au plus me permettrai-je, avant le benedicite, de réclamer l’indulgence des plus délicats pour quelques incongruités de mon menu. J’ai pour excuse qu’on se les permettait sur les meilleures tables du moyen âge. Il s’agit des licences que j’ai prises, à l’exemple des trouvères les plus recommandables, tant en matière de grammaire qu’en fait de versification. Je suis prêt à les défendre, les armes à la main, si la critique m’appelait en champ clos ; mais au cas où, dans cette joute, ma lance et mon épée viendraient à se briser, j’espère qu’on voudra bien se contenter de me recevoir à merci.


P. S. — Le manuscrit de la Bibliothèque de l’Arsenal B. L. F. 226 contient une version en prose du poëme de Macaire. Je l’ai su trop tard pour enregistrer ce fait à sa place ; assez tôt pour le noter ici. J’en ai trouvé l’indication dans le livre récent de M. Léon Gautier, les Épopées françaises, ouvrage que je n’oserais louer, tant l’auteur s’y est montré bienveillant pour moi, si la récompense qu’il a obtenue de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ne mettait mes éloges à l’abri du soupçon.

Le manuscrit indiqué par M. Gautier avait passé par mes mains ; mais je m’étais contenté à tort, pour en prendre note provisoire, du titre de Monglane, sous lequel il figure dans la Bibliothèque de l’Arsenal. Le jeune et savant auteur des Épopées françaises en a pris plus ample connaissance et a reconnu, jointe à divers romans de la geste de Garin de Monglane, la version que je signale après lui.

Cette version, qui occupe environ le dernier quart du manuscrit, a été faite évidemment sur le poëme en vers alexandrins résumé par Albéric de Trois-Fontaines. Elle a l’avantage d’en donner une idée bien plus complète que le sommaire du chroniqueur ; mais quand je l’aurais lue plus tôt je n’en aurais pu tirer aucun secours pour la solution des questions relatives au texte que je publie.


  1. Voyez, par exemple, Huon de Bordeaux, p. 116 :

    Là est Macaires, .i. traïtres prouvés.

    Fierabras, p. 133 :

    L’emperere manda Guenelon et Hardré,
    Grifonnet d’Autefuelle o le grenon mellé,
    Alori et Macaire et des autres assés.

    Aiol et Mirabel, ms. de la Bibl. imp., La Val., 80, fol. 120 v°, col. 2 :

    Makaire de Losane fu malparliers.

    Notre Macaire s’appelle précisément comme celui qui figure dans Aiol et Mirabel :

    Machario de Losane se fait apeler.

  2. D’après le manuscrit de la Bibliothèque impériale, fonds latin, 4896-A (fol. 33 v° et 34 r°), manuscrit dont le texte est beaucoup plus correct que celui de l’édition de Leibnitz. (Le passage se trouve à la page 105 de cette édition. Hanovre, 1698.)
  3. Nano et non vano, comme on lit dans l’édition de Leibnitz.
  4. Et non Girimardo, selon la leçon fautive de Leibnitz.
  5. Philippe Mouskes, t. I, p. 610 et suiv. — Je reproduis ces fragments en appendice, p. 307 et suiv. du présent volume.
  6. Voyez ci-après, p. xc, une nouvelle raison pour croire que le poëme est du XIIe siècle.
  7. Voyez sur cette chanson la préface de Parise la Duchesse, édition de MM. Guessard et Larchey p. vii-xii, et surtout la préface de Gui de Nanteuil, édition de M. P. Meyer, p. xvii-xxii.
  8. Manuscrit de la Bibliothèque impériale, fr, 1478, fol. 139 v°.
  9. C’est-à-dire : Il combattit en champ clos contre le lévrier d’Aubri, devant tous les barons.
  10. Fol. 17 r°.
  11. Fol. 17.
  12. Et non de la Bigne ou de la Vigne, comme on l’a presque toujours nommé. La preuve s’en trouve au cabinet des titres de Bibliothèque impériale (titres scellés, sous le nom de la Buigne). Là, on peut voir deux quittances de ce poëte en sa qualité de premier chapellain du roy, l’une datée du 14 janvier 1350, l’autre du 23 février 1379. À cette seconde quittance est apposé son sceau en cire rouge, qui se compose d’une fasce chargée d’une étoile et accompagnée de trois besants ou tourteaux. Une troisième quittance de clercs de la chapelle du roi, du 14 janvier 1350, fut donnée sous le seel de Monseigneur Gace de la Buigne. Ce sont les seuls renseignements que je puisse ajouter à l’excellente notice sur Gace de la Buigne et sur son poëme, que renferme le rare et curieux volume de M. le duc d’Aumale, intitulé : Notes et documents relatifs à Jean, Roi de France, et à sa captivité en Angleterre.
  13. Voyez ce récit dans notre Appendice, sous le n° II, p. 312-315.
  14. Époque difficile à préciser. On sait seulement que Gace de la Buigne commença son poëme à Hertford, en Angleterre, vers le mois d’avril 1359, et qu’il l’acheva en France après le mois de novembre 1373. (Voyez la notice précitée de M. le duc d’Aumale.)
  15. De Albrico milite Montis Desiderii.
  16. Voyez l’Appendice, sous le n° III, p. 315-317.
  17. Il m’a été signalé par mon savant confrère et ami M. Léopold Delisle. C’est le manuscrit de la Bibliothèque impériale, fr. 5003, intitulé au dos : Chroniques de France. Fauchet, à qui il a appartenu, a écrit ce renvoi à la marge du fol. 96, où se lit le passage qui nous occupe : « Voyez Phœbus le conte de Foix, au Livre de la Chasse, et Gaces de la Vigne. » Peiresc, qui avait eu le manuscrit entre les mains, y a relevé, en 1612, le sommaire de notre histoire. (Voyez le manuscrit de la Bibliothèque impériale, lat., n° 10,000, fol. 318.)
  18. Appendice, IV, p. 318-319.
  19. C’est-à-dire entre juin 1392 et septembre 1394, comme l’a établi le savant éditeur du Menagier, M. J. Pichon.
  20. T. I, p. 93.
  21. Sans doute, au XIIe siècle et encore au siècle suivant le chien Maquaire eût signifié sans difficulté : le chien de Maquaire ; mais à la fin du XIVe siècle, il est difficile d’admettre cette signification ; en tout cas, la construction admise, c’est le chien Aubri qu’il faut lire.
  22. Voyez la note de M. J. Pichon au lieu cité.
  23. Voyez ci-après Appendice, V, p. 319-321.
  24. Histoires prodigieuses.... divisées en six tomes. C’est dans le sixième tome recueilly par I. D. M. (Jean de Marconville), que se trouve cette gravure, à la p. 51. In-18, Paris, ve Cavellat, 1598.
  25. Les Poésies de Guillaume Cretin, Paris, Coustelier, 1723, 1 vol. in-12, p. 87.
  26. Dans la dissertation dont il sera parlé plus loin.
  27. Voyez le récit dans notre Appendice, sous le n° VI, p. 321-322.
  28. « Puis nous va dire que ce cousin gardoit comme or l’histoire d’un chien qui fut si fidèle à son maistre, après sa mort, que toutes les fois qu’il trouvoit celuy qui l’avoit assassiné et occis de guet à pent, il l’assailloit et se ruoit sur luy ; si bien que par ceste conjecture, et que le chien alloit souvent où avoit esté enterré son maistre, qu’on trouva là, il fut convaincu d’homicide : comme il se trouve escrit et pourtraict en une sale de Montargis. » (Serées de Guillaume Bouchet, liv. 1er, septième serée, p. 230. Rouen, 1635.)
  29. Je m’appuie pour lui donner cet âge sur le sentiment éclairé de M. Thomas Arnauldet, du cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale.
  30. Je n’avance rien ici sans avoir pris l’avis d’un juge dont la compétence est bien connue, mon confrère et ami M. Jules Quicherat.
  31. L’exemplaire fort rare, unique peut-être, qui est actuellement conservé au cabinet des estampes, appartenait tout récemment encore à la Bibliothèque de Sainte-Geneviève. M. Hennin ne l’a pas connu, puisqu’il ne l’indique point dans son catalogue. Montfaucon a décrit cette estampe le jour où il eut l’idée malencontreuse de la faire reproduire dans les Monuments de la Monarchie françoise.
  32. Histoires prodigieuses extraites de plusieurs fameux autheurs, divisées en deux tomes, le premier mis en lumiere par P. Boaisteau, surnommé Launay, natif de Bretagne ; le second, par Cl. de Tesserant, et augmenté de dix histoires, par F. de Belleforest, Comingeois. Paris, 2 vol. in-18, 1571. — Le récit de Belleforest se trouve au t. II, fol 295-298. — Le même auteur traduisit et augmenta la Cosmographie de Munster (Paris, in-fol., 1575), dans laquelle il fait mention de la peinture du château de Montargis, et renvoie pour l’explication du sujet à ses Histoires prodigieuses (p. 331, col. 2).
  33. Voyez ci-dessus la note de la p. xxviii.
  34. P. xxviii.
  35. 2 vol. in-fol. Paris, 1575.
  36. T. II, liv. XV, fol. 573.
  37. L’auteur, après avoir rappelé un combat à cheval fait à Parme entre deux Espagnols, ajoute : « Mais que me fait aller si loing en Italie mandier la forme de tels combats donnez par lieutenants de roy, entre estrangers, quand nous en avons en France, aussi bien ou mieux ordonnez, par les roys mesmes. Ne fust-ce qu’un entre autres, qui fut donné par le roy Charles cinquiesme, surnommé le Sage, non point entre deux hommes, mais entre un levrier d’attache et un archer de ses gardes. » (P. 51-53. 1 vol. in-18, Paris, 1607.)
  38. Choix de plusieurs histoires et autres choses memorables, tant anciennes que modernes, appariées ensemble. Paris, Mettayer, 1 vol. in-12.
  39. Paris, 1617, in-8o, p. 363–367.
  40. Voyez ce récit, Appendice, VII, p. 323-324. Il offre un spécimen de l’orthographe d’Expilly.
  41. Jean de la Taille et le sieur d’Audiguier.
  42. C’est le récit de Scaliger.
  43. Monuments de la monarchie françoise, t, III, p. 68 et suiv.
  44. On le trouvera à l’Appendice, sous le n° VIII, p. 324-328.
  45. D’abord, dans les deux exemplaires de la Bibliothèque impériale, dont l’un est de la réserve, on chercherait vainement cette estampe, et rien n’indique qu’elle ait jamais dû en faire partie. En second lieu, dans l’ouvrage de la Colombière les planches indiquent par un chiffre gravé les feuillets du texte auxquels elles se rapportent. On voit bien un renvoi de ce genre sur les deux estampes ajoutées aux exemplaires de l’Arsenal et de la Mazarine, mais le renvoi est écrit à la main et, dans chaque exemplaire, de la même main et de la même encre.
  46. Dans l’Histoire artistique et archéologique de la Gravure en France, par Alfr. Bonnardot, Parisien (Paris, 1849, in-8o), on lit, p. 261 :

    « René ou Robert Lochon, né en 1640, grava en 1659 et 1673. »

    Cette dernière date est exacte ; à la première il faut substituer au moins 1651, année où parut simultanément en italien et en français le Traité de la Peinture, de Léonard de Vinci, pour lequel Lochon grava des planches (Paris, Langlois, in-fol.). — René, et non Robert, était le prénom de Lochon, qui a signé quelques gravures : Ren. et Renatus.

    M. Charles Le Blanc, dans son Manuel de l’Amateur d’estampes (Paris, Jannet, 1856), dit que René Lochon était né à Boissy en 1636 ou 1640. — Il a signé l’estampe qui nous occupe : r. lochon lutetianus.

  47. Il a inséré ici son nom et son adresse dans le tonneau du chien, où on lit : A Paris chez Jaq. Lagniet deriere le four Levesque sur le cay de la Megiss[erie].
  48. Recueil de Fevret de Fontette, intitulé : Histoire de France, à la date de 1371.
  49. M. Hennin n’indique pas cette estampe dans son catalogue ; il l’a peut-être négligée comme de peu d’importance.
  50. Voyez le récit de Ribier, Appendice, IX, p. 328-330.
  51. Nec minus ultorem Galli stupuere molossum.
    Æternum facti monimentum curia pictis
    Servat adhuc muris. Nudos in imagine dentes
    Exerit, et lacero victor canis insidet hosti.
    Illius ante oculos dominus clam vulnere cæco
    Conciderat, multo fundens cum sanguine vitam ;
    Visus deinde cani media sicarius aula
    Vindictam stimulat, memores que resuscitat iras.
    Ergo virum sine more feris latratibus urgens,
    Judicium ostendit sceleri, pœnam que reposcens
    Irruit ; et quanquam sicarius iret in armis,
    Sola que protegeret pietas spectanda molossum,
    Hostica vindicibus dens morsibus ilia rupit.

    (Prædium rusticum, 1. IV.)
  52. Journal littéraire de La Haye, année 1732. t. XIX, Ire partie, p. 259.
  53. Décembre 1734.
  54. Mercure de France, novembre 1734. — Un extrait de cette lettre a été réimprimé dans la Collection des meilleures dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’histoire de France, par MM. C. Leber, J.-B. Salgues et J. Cohen. T. XVIII, in-8o, Paris, 1830. Une note de M. Leber (p. 183) est ainsi conçue : « Cette lettre doit être de l’abbé Lebeuf. » En effet, lettre écrite d’Auxerre est déjà un premier indice en faveur de la supposition de M. Leber, et l’érudition dont fait preuve le défenseur anonyme de Montfaucon en est un second plus significatif encore.
  55. Mercure, décembre 1734. — Un extrait de ce supplément a été aussi réimprimé dans la collection précitée, même tome, pages 189-193.
  56. Dissertations sur la mythologie françoise et sur plusieurs points curieux de l’histoire de France, par M. Bullet. Un vol. in-12. Paris, 1771. — La Dissertation sur le chien de Montargis que renferme ce volume (p. 64-92) a été réimprimée par M. C. Leber, avec des notes, dans la collection citée plus haut.
  57. Celle de 1778 comprend les œuvres complètes. Voyez le t. III de cette édition et le t. I de la précédente.
  58. Comme on l’a vu plus haut, ce n’est point au règne de Charles VI, mais à celui de Charles V, que l’on rattache l’histoire.
  59. Mémoires de l’Académie celtique, t. I, p. 97.
  60. Par A. J. Freville. 2 vol. in-12. Paris, 1808. Une petite gravure, représentant le chien qui saisit Macaire à la gorge, accompagne le récit.
  61. Paris, Barba, 1814, broch. in-8.
  62. Succès durable, car la pièce resta au répertoire jusqu’en 1835. On la joua presque sans interruption pendant vingt et un ans, et en 1831 notamment on ne trouvait rien de plus intéressant à donner au public en un jour de représentation gratuite.

    Elle a été reprise il y a onze ans, le 30 avril 1853, toujours sur le même théâtre. Parmi les pièces détachées conservées à la Bibliothèque impériale, se trouve une feuille volante déposée à cette époque, et intitulée : Notice sur le fait historique qui a donné lieu à la pièce du chien de Montargis.

    Cette reprise donna lieu à un article de journal ayant pour titre : Les animaux dramatiques, et signé Charles Richomme. (Journal des Dames, mai 1853.) J’y puise les renseignements ci-après, que j’ai pu vérifier, et même compléter. Dans le mélodrame de Guilbert de Pixerécourt figurait un chien (le chien d’Aubri), auquel l’auteur avait donné le nom de Dragon. Ce rôle fut créé dans l’origine par un caniche nommé Vendredi, appartenant à l’un des administrateurs du théâtre de la Gaîté. Parmi ses successeurs on cite avec éloge Catulle, qui avait été dressé par un artiste du même théâtre et qui recevait 5 fr. de feux par représentation. Enfin, en 1853, Miro, qui s’était déjà fait connaître avantageusement dans la Bergère des Alpes, trouva dans la reprise du Chien de Montargis l’occasion de nouveaux succès.

  63. Par C.-F. Vergnaud Romagnesi, in-fol.
  64. Édition Fayot. Paris, Hocquart, 1830.
  65. Deuxième année, 1834, p. 89.
  66. La preuve en est qu’on en voit une copie dans l’église Sainte-Marie-Madeleine de cette ville, sur une verrière toute récente.

    L’imprimerie de Montargis en avait fait faire aussi une réduction qui ornait ses factures.

  67. Deux vol. in-8o, Amiens, Paris, 1836.
  68. Voyez cependant Legrand d’Aussy, Fabliaux ou contes traduits ou extraits, 3e éd., Paris, 1839, t. I, p. 324 :

    « Cette historiette, dit l’auteur, qui se trouve répétée sérieusement dans beaucoup de livres, n’est qu’une fiction d’un de nos vieux romans, bien antérieure au temps où on la place, puisqu’il en est parlé dans Alberic de Trois-Fontaines. »

    Voyez aussi Dulaure, Histoire physique, civile et morale des environs de Paris, sous la rubrique : Montargis. L’histoire du duel y est rappelée ; mais Dulaure dit en note : « Il est reconnu que ce combat est une fable. »

  69. Inséré dans les Actes de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux, IVe année, 1842, p. 57.
  70. Magasin Pittoresque, 12e année, p. 346 et 394.
  71. Voyez l’article Aubry de Montdidier, dont l’auteur dit que ce chevalier fut assassiné en 1371, près de Montargis, par un de ses compagnons d’armes, Richard de Macaire. Je ne sais où il a pu prendre ce prénom et cette particule.
  72. Peut-être ce texte, quant au nom de Richard de Macaire, est-il simplement le dictionnaire de M. Bouillet.
  73. Quatrième série, t. III, p. 394-414.
  74. L’Esprit dans l’histoire, 2e éd., 1860, p. 41-43
  75. Par Ortaire Fournier. 1 vol. in-8o. Paris, Garnier frères, p. 114-119.
  76. Trois vol. in-4o. Paris, 1861, t. III, p. 193-224.
  77. Sous ce titre : Hystoria de la reyna Sebilla. L’ouvrage a eu deux éditions au moins. On lit à la fin de la première : Fue empremido el presente libro de la reyna Sebilla nueuamente corregido y emendado en la muy noble et muy leal ciudad de Seuilla por Juan Cromberger. A. XXIX del mes de Enero año mil y quinientos y treynta y dos (1532). In-4° gothique.

    M. Fr. Michel (Actes de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, IVe année, 1842), dans la note 3 de son mémoire sur la popularité du roman des Quatre Fils Aymon, a reproduit le chapitre X de cette traduction : Como el cuerpo de Auberin fue llevado à Paris honrradamente : y de como el perro de Auberin en campo vencio a Macayre : por donde se descubrio la traycion.

    Une autre édition de l’Hystoria de la reyna Sebilla fut publiée à Burgos en 1551. Elle est signalée dans les Obras de D. Leandro Fernandez de Moratin, dadas a luz por la Real Academia de la Historia. Madrid, 1830-1831. In-8, t. I., Origenes del Teatro español, Ire partie, p. 96.

  78. Uber die neuesten Leistungen der Franzosen für die Herausgabe ihrer National-Heldengedichte. Wien, 1833. In-8, p. 124-159.
  79. V. p. 126 du mémoire de M. Wolf. J’ai déjà eu l’occasion de faire la même observation à propos des traductions néerlandaises de Huon de Bordeaux, que M. Wolf nous a fait connaître. (Voyez la préface de Huon de Bordeaux.)
  80. Schack, Histoire de la Littérature dramatique en Espagne (Geschichte der dramat. Lit. and Kunst in Spanien. Berlin, 1846, in-8.), t. III, p. 296, en cite une autre édition où on l’attribue également à Francisco de Rojas ; mais il ajoute qu’elle est incontestablement plus ancienne et probablement de Mira de Mescua. (Note de M Wolf.)
  81. Voyez le mémoire de M. Wolf, cité ci-après, tirage à part, p. 15, 16.
  82. Uber die beiden wiederaufgefundenen Niederlandishen Volksbücher von der Koniginn Sibille und von Huon von Bordeaux (Mémoires de l’Académie impériale de Vienne, t. VIII. — Tirage à part, Vienne, 1857, p. 3-16.)
  83. Gesammtabenteur, Stuttgart, 1850, in-8, t. I, p. civ-cxii ; — et : Die Schwansage, Berlin, 1848, in-4, p. 53.
  84. Die Kaiserchronik, Quedlinburg, 1854, in-8, t. IV, p. 893-917.
  85. Danmarks Gamle Folkeviser, Copenhague, 1853, in-4, t. I., p. 177-213.
  86. Wolfgang Menzel, Deutsche Dichtung, Stuttgart, 1858, t. Ier., p. 299-300.
  87. En allemand Cammer-meister. Il naquit à Nuremberg en 1537 et y mourut en 1624.
  88. Après avoir cité divers exemples de la fidélité des chiens, entre autres celui du chien de Pyrrhus, il ajoute :

    Tale aliquid aliquantoque splendidius, nimirum duello ipso cum sicario, in Gallia accidit, non adeo multi sunt anni, fidejubente pictura, quam continuo atque eventu rei exaratam ad hunc diem conspici audio in arce oppidi cui vulgo nomen Montargis ; et sequentia, quæ ob nimiam prolixitatem omitto. (Francfort, 1615. Centuria secunda, p. 359.)

  89. La Jagmann.
  90. Correspondance de Charles-Auguste et de Goethe, (Briefwechsel des Grossherzogs Carl August von Sachsen-Weimar eisenach mit Gœthe in den Iahren von 1775 bis 1828.) Weimar, 1863, 2 vol., t. II, n° 369.
  91. Je n’ai pu vérifier cette dernière partie de l’anecdote dont j’ai trouvé l’indication dans un article de M. Charles Richomme, déjà cité ci-dessus.
  92. « Les manuscrits de Peterborough, comme nous nous en sommes assuré nous-même, n’existent plus, » dit M. Francisque Michel à propos de l’indication ci-dessus, qu’il a relevée dans le catalogue des manuscrits de l’église de Peterborough, donné par Gunton à la suite de son histoire de cette église. (Mémoire sur la popularité du roman des Quatre Fils Aymon, — Actes de l’Académie de Bordeaux, IVe année, 1842, note 12e, p. 90.)
  93. P. 139.
  94. Voyez les Specimens of early english metrical romances, by George Ellis. London, 1848, p. 491-505.
  95. Traduction Defauconpret.
  96. The Dog of Montargis, or the Forest of Bondy, a melodrama in two acts. (Adapted from the french.) Lacy’s acting edition. Londres, sans date.
  97. Cette transformation a été déjà indiquée et expliquée dans la préface de Gui de Nanteuil.
  98. Voyez ci-dessus, p. xii.
  99. Voyez le mémoire précité de M. Wolf (Vienne, 1857, tirage à part, p. 6).
  100. Traité : Quels animaux sont les plus advisez, ceulx de la terre ou ceulx des eaux.
  101. Dans la quatrième Chiliade, où Tzetzès dit que pareil trait s’était renouvelé de son temps.
  102. Voyez le récit de ce combat dans l’édition de Verard, fol. lxxiiii-lxxvii.
  103. Histoire de Charlemagne, in-8o, Paris, 1782, t. III, p. 488-490. Voyez aussi The History of fiction, by John Dunlop, Edinburgh, 1816, deuxième édition, t. I, p. 434-429, et le premier mémoire précité de M. Wolf, p. 137-138, à la note.
  104. Traduction Viardot.
  105. Je tire ce renseignement des Notes extraites de la Bibliotheca Grenvilliana publiées dans le Bulletin de l’Alliance des arts, éd. pet. in-8, 1842-43, p. 302. — Voyez sur Tirant le blanc le Manuel du Libraire de M. Brunet.
  106. Sæpe necis illatæ evidentia canes ad redarguendos reos indicia prodiderunt, ut muto eorum testimonio plerumque sit creditum. Antiochæ ferunt in remotiori parte urbis crepusculo necatum virum, qui canem sibi adjunctum haberet. Miles quidam prædandi studio minister cædis extiterat : tectus idem tenebroso adhuc diei exordio in alias partes concesserat : jacebat inhumatum cadaver, frequens spectantium vulgus astabat : canis questu lacrymabili domini deflebat ærumnam. Forte is qui necem intulerat (ut se habet versutia humani ingenii ) quo conversandi in medio authoritate præsumpta fidem assisceret innocentiæ, ad illam circonspectantis populi accessit coronam, et velut miserans appropinquavit ad funus. Tum canis, sequestrato paulisper questu doloris, arma ultionis assumpsit, atque apprehensum tenuit, et velut epilogo quodam miserabile carmen immurmurans, universos convertit in lachrymas, fidem que probationi detulit, quod solum tenuit ex plurimis nec dimisit. Denique perturbatus ille, quod tam manifestum rei indicem, neque odii, neque inimicitiarum, neque invidiæ aut injuriæ alicujus poterat objectione evacuare, crimen diutius nequivit refellere. Itaque, quod erat difficilius, ultionem persecutus est, quia defensionem præstare non potuit. (Divi Ambrosii opera, Hexameron, lib. VI, in-fol., Paris, 1559, p. 882, col. 2.)
  107. Il en efface seulement les derniers mots, la conclusion, depuis : crimen diutius nequivit refellere.
  108. Giraldi Cambrensis Itinerarium Cambriæ, lib. I, Londres, in-12, 1585, p. 124-125.
  109. Voyez ci-après, p. 88.
  110. Voyez Wharton, Anglia sacra, t. II, p. 374, et la correction indiquée dans la préface du même tome, p. xx. Voyez aussi Life of Giraldus de Barri en tête de la traduction anglaise de l’Itinerarium Cambriæ : The itinerary of archbishop Baldwin through Wales, translated into english by sir Richard Colt Hoare Londres, 1806, 2 vol. in-4.
  111. C’est un poëme encore inédit, en vers alexandrins, que je crois du XIVe siècle, et dont on connaît quatre manuscrits, conservés trois à Paris, à la Bibliothèque impériale, et le quatrième à la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford.
  112. Poëme inédit en vers alexandrins, qui me paraît du XIIIe siècle, et dont le manuscrit unique est au Musée britannique (Manuscrit Harléien, 4404).
  113. L’auteur de Sir Triamour n’a pas imité seulement notre poëme ; il s’est inspiré aussi de celui de Florent et Octavien. Son Aradas, roi d’Aragon, qui regrette si fort de n’avoir point d’enfants, est dans la même situation qu’Octavien :

    Dolans fu l’emperere qui moult fist à prisier
    Qu’avoir ne poet enfans de sa gente moullier.

  114. Mémoire de 1832, déjà cité, p. 138.
  115. Il niello.
  116. Reali di Francia, lib. II, cap. I.
  117. Manuscrit de la Bibl. imp., Sorbonne, 446, fol. 67.
  118. Voyez ci-dessus, p. xiii.
  119. Notes sur un manuscrit français de la bibliothèque de Saint-Marc. (C’est le Ms. français coté XIII, ZZ. 3.) Bibliothèque de l’École des Chartes, IVe série, tome III, p. 394-414.
  120. Altfranzösische Gedichte aus Venezianischen Handschriften, herausgegeben von Adolf Mussafia. 1 vol. in-8. Vienne, 1864.
  121. Quelques vers, évidemment intervertis, selon moi, ont été replacés dans leur ordre naturel ; quelques leçons inintelligibles ont été corrigées ; enfin quelques éléments du texte réunis par M. Mussafia sont séparés à dessein dans ma lecture.
  122. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. coté viii. civ. 5. Voyez le Romvart de M. Adalbert Keller, p. 29 et suiv., et les Handschriftliche studien de M. Adolf Mussafia (2e fascicule). Vienne, 1863, p. 29 et suiv.
  123. Paris, Bibl. impériale, Ms. fr., 1598, provenant de Mazarin.
  124. Paris, Bibl. imp., Ms. fr., 1598 ; Venise, Bibl. de S. Marc. Ms. iv. civ. 3 ; et Ms. vi. civ. 3. ?? Manuscrit 3205 de la seconde vente Solar. (Vendu 3150 fr. à un acquéreur inconnu.) J’ai eu sous les yeux ce dernier manuscrit ainsi que les trois autres. Pour les deux manuscrits de Venise, voyez les extraits qu’en a publiés M. Immanuel Bekker dans les mémoires de l’Académie de Berlin, année 1839, p. 252 à 291. Voyez aussi le Romvart, p. 1 et 26, et les corrections de M. Mussafia, Handschriftliche studien, p. 5-18.
  125. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. xxii. civ. 6. Le scribe italien qui a copié ce manuscrit y a ajouté une mention finale où on reconnaît facilement son origine :

    A la fin de nostre enscript
    Renduns gracie à Yesu Crist,
    Che por scripre soir et matin
    Nos a conduit à laudable fin.

  126. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. xix. civ. 3 ; Ms. xx. civ. 3. Le premier est incomplet par la fin, le second par le commencement (de 225 vers environ) ; tous deux renferment une même version. Le n° xx parait copié sur le n° xix.
  127. Voyez sur ce manuscrit Gui de Nanteuil, édition de M. P. Meyer, p. xxiv-xxxiv et 100-105.
  128. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. coté xvi. civ. 3. C’est sûrement une copie italienne : on s’en aperçoit dès la seconde tirade :

    Li bernage fu grant quant il fu ascemblé ;
    Ne fu si grant véu puis que Çarlle fu né.

    Çarlle ainsi écrit serait un indice suffisant ; mais à part quelques oublis de ce genre, le scribe n’a pas altéré son texte.

  129. Venise, Bibl. de S. Marc, Ms. iv. civ. 3. M.Bekker, M. Keller, M. Génin, en ont publié : le premier, quelques vers seulement ; le second, près de 300 vers, et le troisième, 600, dans son édition de la Chanson de Roland. (Voyez les corrections de M. Mussafia, Handschriftliche studien, p. 11-18.) Plus récemment, M. Theodor Müller en a publié un grand nombre dans les notes de l’édition du même poëme qu’il a donnée à Gœttingue (1863).
  130. Voyez Aye d’Avignon, p. xxiii, xxv, xxvi et 130, 131.
  131. P. 50-53.
  132. Bibliothèque de l’École des Chartes, 4e série, t. IV.
  133. On conserve encore, par exemple, telle ordonnance royale, écrite à Paris, à la chancellerie, dans la meilleure langue du XIIIe siècle dont la copie se retrouve à Amiens, où elle a été transcrite par le clerc de la municipalité avec une orthographe en partie picarde, en partie conforme à celle de l’original.
  134. Ms. Laval, 123.
  135. Emperer pour emperere (empereur) se retrouve dans tous les poëmes italianisés, soit à la rime, soit ailleurs. Per, mer, pour père, mère, sont des barbarismes analogues.
  136. Ms. fr., 2495.
  137. Ms. fr., 1598, fol. 11 r°, col. 1.
  138. Ms. fr., 2495.
  139. Rien de si simple que de substituer recréant à stant, pour peu qu’on ait l’habitude du vieux langage. On pourrait conserver travaillés si la mesure ne s’y opposait ; il est fort bon en ce sens.
  140. Ms. 1598, fol. 22 v°, col 2.
  141. À la fin de chacun des deux poëmes dans le Ms. fr. 1598, on lit cette mention :

    Qui scripsit scribat, semper cum domino vivat ;
    Vivat in celis Johannes de Bononia in nomine felis (sic.).

  142. Ms., 1598, fol. 55 r°, col. 2.
  143. Ms fr., 12,548, fol. 4 r°, col. 2.
  144. Voir aux notes, sur la page 112. — Bâton carré se lit à la page 114 de notre poëme, où j’ai pu le conserver parce que la rime l’admet.
  145. Italien gallone.