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Manifeste du parti communiste/Andler

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Traduction par Charles Andler.
Georges Bellais (tome 1p. 19-74).

LE MANIFESTE COMMUNISTE

1. L’Europe est hantée par un spectre, le spectre du communisme. Toutes les puissances de la vieille Europe, le pape et le tsar, Metternich et Guizot, radicaux de France et policiers d’Allemagne, se sont liguées dans une sainte croisade pour traquer ce spectre.

Qu’on cite un parti d’opposition qui n’ait pas été décrié comme étant communiste par ses adversaires au pouvoir, qu’on cite un parti d’opposition qui n’ait pas retourné l’accusation de communisme comme une marque infamante, et contre les hommes d’opposition plus avancée, et contre ses adversaires des partis de réaction.

D’où il faut tirer une double leçon.

C’est d’abord que dès aujourd’hui le communisme est reconnu pour une puissance par toutes les puissances européennes ;

C’est ensuite qu’il est grand temps pour les communistes d’exposer ouvertement aux yeux du monde leurs vues, leurs buts, leurs tendances, et d’opposer à la légende puérile du spectre communiste un manifeste authentique du parti lui-même.

Des communistes des nationalités les plus diverses se sont donc réunis à Londres et ont rédigé le manifeste qui suit, et qui paraît en langues anglaise, française, allemande, italienne, flamande et danoise.

I

BOURGEOIS ET PROLÉTAIRES

2. Toute l’histoire de la société humaine jusqu’à ce jour est l’histoire de luttes de classes.

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître artisan et compagnon, — en un mot oppresseurs et opprimés, dressés les uns contre les autres dans un conflit incessant, ont mené une lutte sans répit, une lutte tantôt masquée, tantôt ouverte ; une lutte qui chaque fois s’est achevée soit par un bouleversement révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en conflit.

Aux époques de l’histoire qui ont précédé la nôtre, nous voyons à peu près partout la société offrir toute une organisation complexe de classes distinctes, et nous trouvons une hiérarchie de rangs sociaux multiples. C’est, dans l’ancienne Rome, les patriciens, les chevaliers, la plèbe, les esclaves ; au moyen-âge, les seigneurs, les vassaux, les maîtres artisans, les compagnons, les serfs, et presque chacune de ces classes comporte à son tour une hiérarchie particulière.

3. La société moderne, la société bourgeoise née de l’écroulement de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer des classes nouvelles, de nouvelles possibilités d’oppression, de nouvelles formes de la lutte à celles d’autrefois.

Notre âge, l’âge de la bourgeoisie, a néanmoins un caractère particulier : il a simplifié les antagonismes de classes. De plus en plus, la société tout entière se partage en deux grands camps ennemis, en deux grandes classes directement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.

Les serfs du moyen-âge engendrèrent les bourgeois des premières communes ; de cette bourgeoisie des communes se développèrent les premiers germes de la bourgeoisie moderne.

La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique fournirent un sol nouveau à la bourgeoisie qui levait. Le marché des Indes orientales et de la Chine, la colonisation de l’Amérique, les échanges commerciaux avec les colonies, la multiplication des moyens d’échange et, en général, des marchandises donnèrent au commerce, à la navigation, à l’industrie, un essor jusqu’alors inconnu, et, du même coup, hâtèrent la croissance de l’élément révolutionnaire présent au cœur de la société féodale qui s’écroulait.

4. Dorénavant, le mode féodal ou corporatif de l’exploitation industrielle ne suffisait plus à des besoins qui allaient grandissant à mesure que s’ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture vint prendre sa place. Les maîtres de métier furent refoulés par la classe moyenne industrielle, et à la division du travail entre les diverses corporations se substitua la division du travail dans l’atelier même.

Mais les marchés ne cessèrent point de grandir, les besoins ne cessèrent point de s’accroître. Ce fut au tour de la manufacture d’être insuffisante. Et la vapeur et le machinisme vinrent révolutionner la production industrielle. La manufacture céda la place à la grande industrie moderne ; la petite bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes.

La découverte de l’Amérique avait rendu possible le marché du monde : la grande industrie le réalisa. Le marché du monde fut pour le commerce, pour la navigation, pour les voies de communication par terre, le motif d’un développement immense, développement qui, à son tour, réagit sur la croissance de l’industrie ; et chaque élargissement nouveau de l’industrie, du commerce, de la navigation, des voies terrées marquait un nouveau pas en avant de la bourgeoisie, qui multipliait d’autant plus ses capitaux et refoulait plus loin, à l’arrière plan, l’ensemble des autres classes sociales, résidu et legs du moyen-âge.

5. Ainsi la bourgeoisie moderne apparaît comme le produit d’un long développement, de toute une série de révolutions dans le mode de production et les moyens de communication.

À chacun des degrés successifs de son ascension, la bourgeoisie réalisa un progrès politique d’ampleur égale. Classe écrasée sous la toute-puissance des seigneurs féodaux, association armée de pouvoirs et autonome dans les communes ; ici, république urbaine indépendante ; là, tiers-état taillable et corvéable de la monarchie ; puis, une fois venu l’âge des manufactures, contrepoids faisant équilibre à la noblesse, aussi bien dans la monarchie aristocratique que dans la monarchie absolue, pierre d’assise et base essentielle des grandes monarchies quelles qu’elles fussent, — l’institution de la grande industrie et du marché universel lui livra enfin, par droit de conquête, la souveraineté politique totale dans l’État représentatif moderne. La puissance gouvernementale moderne n’est autre chose qu’une délégation qui gère les intérêts communs de la classe bourgeoise tout entière.

6. Le rôle de la bourgeoisie dans l’histoire a été révolutionnaire au premier chef. Partout où la bourgeoisie s’est saisie du pouvoir, elle a détruit toutes les conditions féodales, patriarcales, idylliques de l’existence sociale. Elle a impitoyablement rompu les liens féodaux complexes et variés qui liaient chaque homme aux hommes que la naissance mettait au-dessus de lui, et elle n’a pas voulu qu’il subsistât entre les hommes d’autre lien que l’intérêt tout nu, où le sentiment n’a point de part, et que les strictes exigences du paiement au comptant. Les frissons sacrés des pieuses ardeurs, des élans chevaleresques, de la sensibilité bourgeoise, elle les a noyés dans le flot glacé de l’égoïsme calculateur. Elle a monnayé en valeurs d’échange la dignité de la personne humaine, et, à la place de toutes les libertés ardemment poursuivies et chèrement conquises, elle a installé, toute seule, la liberté sans âme des transactions commerciales. En un mot, à l’exploitation déguisée sous un illusoire costume de religion et de politique, elle a substitué l’exploitation patente, sans pudeur, directe et brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur nimbe tous les emplois de l’activité humaine que jusqu’alors on respectait et contemplait avec une pieuse vénération. Du médecin, du juriste, du prêtre, du poète, du savant, elle a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a arraché le voile d’émotion et de sentimentalité dont se glorifiait la famille, et le lien familial n’a plus été qu’une affaire d’argent.

La bourgeoisie a montré au grand jour comment l’expansion de force brutale, que la réaction admire si fort dans le moyen-âge, vint s’achever très logiquement dans la plus crapuleuse paresse. Elle a, comme personne ne l’avait fait avant elle, montré de quoi est capable l’activité humaine. Elle a réalisé de tout autres merveilles que les pyramides d’Egypte, les aqueducs romains et les cathédrales gothiques ; elle a accompli de tout autres campagnes qu’invasions et que croisades.

7. L’existence même de la bourgeoisie implique une transformation incessante des instruments de production, donc des conditions de la production, donc de tout l’ensemble des conditions sociales. Au contraire, l’immuable maintien de l’ancien mode de production était la condition essentielle d’existence pour toutes les classes industrielles du passé. Ce qui fait la marque caractéristique de l’âge bourgeois, c’est le bouleversement incessant de la production, c’est l’ébranlement sans répit de toutes les conditions sociales, c’est l’insécurité et l’agitation perpétuelles. Rompus les liens sociaux, immuables jusque-là et figés dans leur rouille, avec leur cortège d’idées et de croyances antiques et respectables ; usés, sans même avoir eu le temps de s’ossifier solidement, les liens de formation récente. Tout ce qui constituait l’esprit de caste et de stabilité s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et il faut qu’enfin les hommes envisagent d’un œil clair et désabusé l’existence humaine et les relations humaines.

8. Le besoin d’ouvrir à ses produits des débouchés toujours plus vastes incite la bourgeoisie à une course effrénée sur toute la surface du globe. Il faut qu’elle s’insinue partout, s’installe partout, accroche partout le réseau de ses échanges.

Par son exploitation du marché universel, la bourgeoisie a imposé la forme cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Elle a, au grand chagrin des réactionnaires, soustrait à l’industrie son assise nationale. Les antiques industries nationales ont été anéanties, et leur ruine se poursuit de jour en jour. Elles cèdent la place à des industries nouvelles, dont l’adoption est pour tous les peuples civilisés une question de vie ou de mort, à des industries qui élaborent non plus les matières premières indigènes, mais des matières premières empruntées aux régions les plus lointaines, et qui fabriquent non plus uniquement pour la consommation indigène, mais pour l’univers entier. Les besoins de jadis, auxquels suffisaient les produits nationaux, ont fait place à des besoins nouveaux, qui requièrent pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. Les antiques barrières où s’abritait la paix solitaire et béate des existences locales et nationales se sont écroulées devant l’infinie complexité des échanges qui font entre les nations une solidarité étroite et complexe. Production matérielle, production intellectuelle, c’est tout un. Les œuvres de l’esprit que produit chaque nation deviennent le bien commun de toutes. C’en est fait des œuvres exclusives et bornées, écrites pour un seul peuple : de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle.

9. En perfectionnant avec une rapidité prodigieuse l’ensemble des instruments de production, en rendant incomparablement plus faciles les communications, la bourgeoisie entraîne à la civilisation jusqu’aux actes les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie à l’aide de laquelle elle bat en brèche toutes les murailles de Chine, à l’aide de laquelle elle contraint à capituler les barbares les plus obstinés dans leur haine de l’étranger. Elle force toutes les nations du globe à adopter, sous peine de périr, son propre mode de produire ; elle les force à introduire chez elles-mêmes ce qu’on nomme civilisation, c’est-à-dire à devenir elles-mêmes bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image.

10. La bourgeoisie a fait la ville maîtresse souveraine de la campagne. Elle a créé des villes énormes, elle a multiplié le peuple des villes infiniment plus que la population des campagnes, et elle a ainsi arraché une part importante de la population à la stupidité de la vie rurale. De même qu’elle a soumis la campagne à la ville, elle a mis les pays barbares ou à demi barbares dans la dépendance des pays civilisés, les peuples de paysans dans la dépendance des peuples de bourgeois, l’Orient dans la dépendance de l’Occident.

11. La bourgeoisie met fin de plus en plus à l’émiettement des moyens de production, de la propriété, de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production, concentré la propriété en un petit nombre de mains. Le corollaire fatal, ce fut la centralisation politique. Des provinces indépendantes, à peine fédérées entre elles, ayant chacune leurs intérêts, leur législation, leur gouvernement, leurs douanes, furent serrées et pétries en une seule nation, ayant gouvernement unique, législation unique, un seul intérêt collectif de classe, une frontière douanière commune.

12. Il y a cent ans à peine que la bourgeoisie est la classe souveraine, et déjà elle a créé des forces productives dont le nombre prodigieux et la colossale puissance dépassent tout ce qu’ont su faire toutes les générations antérieures réunies. Les forces naturelles subjuguées, les machines, la chimie appliquée à l’industrie et à la culture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, des continents entiers ouverts, les fleuves rendus navigables, des populations entières jaillies du sol, — quel âge eût osé pressentir jadis que des forces productives aussi immenses dormaient au sein du travail social ?

13. Ainsi, nous avons vu naître de la société féodale les moyens de production et de consommation qui rendirent possible la formation de la bourgeoisie. Nous avons vu ces modes de production et ces moyens de communication, à un certain point de leur développement et de leur croissance, devenir incompatibles avec les conditions de production et d’échange de la société féodale, avec l’organisation féodale de l’agriculture et de la manufacture, en un mot avec le système féodal de la propriété. Tout ce système entrave la production au lieu de l’aider. Ce furent autant de chaînes. Il fallut que ces chaînes fussent brisées : elles furent brisées.

Et sur les débris de ce régime s’installa le régime de la libre concurrence avec la constitution sociale et politique qui en dérive logiquement, avec la toute-puissance économique et politique de la classe bourgeoise.

14. Nous assistons aujourd’hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de la production et des communications, le système bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait jaillir le prodige de ces puissants instruments de production et d’échange, — c’est le sorcier impuissant à maîtriser les puissances souterraines qu’il a évoquées. Voilà quelques dizaines d’années que l’histoire de l’industrie et du commerce n’est plus autre chose que l’histoire de la révolte des forces productives modernes contre le régime moderne de la production, contre un régime de la propriété qui est la condition même d’existence de la bourgeoisie et la condition de sa souveraineté. Il suffit de citer les crises commerciales, qui reviennent périodiquement, plus menaçantes à chaque retour, mettre en question l’existence de la société bourgeoise tout entière. Toute crise commerciale entraîne chaque fois non seulement l’anéantissement d’une bonne part des produits qui viennent d’être créés, mais encore la destruction de forces productrices antérieurement acquises. Une crise, c’est le déchaînement d’une épidémie sociale que tous les âges antérieurs eussent jugée insensée, d’une épidémie de surproduction. Brusquement, la société se trouve ramenée à un état momentané de barbarie. C’est comme si une famine, une guerre générale de destruction venaient lui couper brusquement les moyens d’existence. L’industrie, le commerce paraissent anéantis, et pourquoi ? Parce que cette société a trop de civilisation, trop de moyens d’existence, trop d’industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne servent plus alors à fortifier la situation de la propriété bourgeoise. Au contraire, elles ont prodigieusement dépassé dans leur croissance les proportions étroites de cette propriété. Cette propriété alors les entrave ; et, en jetant à bas cet obstacle, elles jettent aussi le désordre dans toute la société bourgeoise, elles menacent la propriété bourgeoise dans son existence même. Les conditions de l’existence bourgeoise sont devenues trop étroites pour retenir en elle toutes les richesses qu’elles ont servi à produire. — Quels sont les procédés dont use la bourgeoisie pour sortir de ces crises ? Le premier, c’est d’anéantir par la force une multitude de forces productives. Le second, c’est de conquérir des marchés nouveaux et d’exploiter plus à fond les marchés anciens. À quoi donc se réduisent ces procédés ? On le voit : c’est à préparer des crises encore plus formidables et qui touchent à plus d’industries ; à diminuer encore les moyens qu’on a de prévenir ces crises.

15. Ainsi, les armes, dont la bourgeoisie s’est servie pour abattre la féodalité, se retournent à présent contre elle-même.

Ce n’est pas tout. Ce ne sont pas les armes seulement, dont elle périra, qu’elle a forgées. Les hommes aussi qui useront de ces armes, — les ouvriers modernes, les prolétaires, — c’est elle qui les aura engendrés.

A mesure que grandit la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, à mesure aussi grandit le prolétariat, je veux dire cette classe des ouvriers modernes, qui n’ont de moyens d’existence qu’autant qu’ils trouvent du travail, et qui ne trouvent du travail qu’autant que leur travail accroît le capital. Ces ouvriers en sont réduits à se vendre eux-mêmes en détail. Ils sont une marchandise, un article de commerce comme un autre, et ils subissent le contre-coup, dès lors, de toutes les alternatives de la concurrence, de toutes les oscillations du marché.

Le développement du machinisme et la division du travail ont enlevé toute indépendance au travail des prolétaires ; et du même coup le travailleur ne peut plus prendre goût à son travail. Il est devenu un simple appendice de la machine et on ne lui demande que la manœuvre la plus simple, la plus monotone, la plus facile à apprendre. Pour avoir des ouvriers, il n’en coûte guère plus aujourd’hui que la dépense de ce qu’il faut pour vivre et pour se perpétuer. Or, le prix d’une marchandise (et le travail est une marchandise) équivaut aux frais qu’il en coûte de la produire. C’est pourquoi à mesure que le travail devient plus rébarbatif, le salaire diminue. Il y a plus : à mesure que le machinisme et la division du travail se développent, la masse du travail à fournir augmente : on augmente le nombre des heures de travail, on augmente le travail exigible dans un temps donné, on accélère la marche des machines, etc.

16. Par l’industrie moderne, le petit atelier du maître-artisan patriarcal est devenu la grande usine du capitaliste industriel. Des multitudes ouvrières, encaquées dans l’usine, y sont organisées militairement. Ce sont les simples soldats de l’industrie, et il y a toute une hiérarchie de sous-officiers et d’officiers pour les surveiller. Il ne suffit pas qu’ils soient les serfs de la classe bourgeoise, de l’État bourgeois. Tous les jours et à toute heure ils sont asservis à la machine, au contrôleur, surtout au fabricant bourgeois lui-même. Despotisme d’autant plus mesquin, d’autant plus haineux et plus exaspérant, qu’il proclame plus ouvertement le lucre pour sa fin unique.

17. A mesure que le travail manuel exige moins d’habileté et de force physique (et il en exige de moins en moins à mesure que l’industrie moderne se développe), on voit le travail des femmes évincer le travail viril. Les différences de sexe et d’âge n’ont plus d’importance sociale pour la classe ouvrière. Les ouvriers ne sont plus que des instruments de travail, dont les frais d’entretien varient avec l’âge et le sexe.

18. Et une fois terminée l’exploitation de l’ouvrier par le fabricant, et le salaire payé en espèces trébuchantes, elle n’a pas encore de fin. Car aussitôt accourent les autres espèces de bourgeois, le propriétaire, le commerçant au détail, le prêteur sur gages, etc., qui fondent sur l’ouvrier.

A leur tour, les classes moyennes d’autrefois (Mittelstände), les petits industriels, les commerçants et rentiers, les artisans et paysans, tous tombent dans le prolétariat. Leur petit capital ne suffit plus à la marche de la grande industrie ; il succombe dans la concurrence avec les grands capitalistes. Ou bien leur habileté est dépréciée par des méthodes de production nouvelles. Ainsi le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population.

19. Les phases de l’évolution que traverse le prolétariat sont multiples. Mais dès qu’il est né il a à lutter contre la bourgeoisie.

C’est une lutte des ouvriers, d’abord contre le bourgeois qui, individuellement et immédiatement, les exploite, et ceux qui engagent cette lutte sont d’abord des ouvriers isolés, ensuite les ouvriers de toute une fabrique, puis les ouvriers coalisés de toute une branche d’industrie dans un même centre. Ils dirigent leurs attaques non pas seulement contre les conditions existantes de la production bourgeoise. Ils s’en prennent aux instruments mêmes de la production. Ils détruisent les marchandises étrangères et concurrentes. Ils mettent en pièces les machines. Ils incendient les usines. Ils cherchent à rétablir la condition ruinée de l’ouvrier du moyen-âge.

20. C’est une phase durant laquelle les travailleurs forment une multitude éparse sur le pays, émiettée par la concurrence. La solidarité de la masse ouvrière, si elle vient à se produire, ne résulte pas encore de leur coalition propre. Ils ne se coalisent que sous la conduite d’une bourgeoisie, qui déjà se voit dans l’obligation, mais qui a encore la capacité de mettre en mouvement tout le prolétariat pour en arriver à ses fins politiques à elle. Par conséquent, à ce degré de révolution, les ouvriers ne luttent pas contre leurs ennemis vrais, mais, contre les ennemis de leurs ennemis, contre les vestiges de la monarchie absolue, contre les propriétaires fonciers, les bourgeois non industriels, les petits bourgeois. Ainsi la direction de tout le mouvement historique se concentre aux mains de la bourgeoisie. Toute victoire remportée est alors une victoire de cette bourgeoisie.

21. Mais le développement de l’industrie ne fait pas qu’augmenter en nombre le prolétariat. Il agglomère le prolétariat en masses plus denses ; et sa force en est grandie avec le sentiment qu’il en a. Les différences dans les intérêts et dans le genre de vie se nivellent entre les catégories diverses du prolétariat lui-même, à mesure que l’outillage mécanique détruit les différences dans le genre de travail et réduit presque partout le salaire à un niveau d’une égale modicité. Mais ce salaire des ouvriers subit des oscillations de jour en jour plus fréquentes, du fait de la concurrence croissante que les bourgeois se font entre eux, et qui entraîne des crises commerciales. La condition entière de l’ouvrier est de plus en plus mise en question à mesure que s’accélèrent le développement et l’amélioration incessante du machinisme. De plus en plus alors les collisions entre l’ouvrier individuel et le bourgeois individuel prennent le caractère de collisions entre deux classes. Le début, c’est que les ouvriers commencent à former des coalitions contre les bourgeois. L’objet de leur union est la défense de leur salaire. Ils vont jusqu’à fonder des associations durables, dans le but d’accumuler des munitions pour des soulèvements éventuels. Par endroits, la lutte éclate en émeutes.

22. Parfois les ouvriers remportent une victoire, mais passagère. Le bénéfice véritable de ces luttes n’est pas celui qui donne le succès immédiat. Il consiste dans l’union qui se propage de plus en plus entre les ouvriers. Cette union est facilitée par les moyens de communication multipliés que la grande industrie crée et qui permettent aux ouvriers de localités différentes d’entrer en relations mutuelles. Or, dès que cette union est faite, la multiplicité des luttes locales du même ordre se transforme en une lutte nationale unique, à direction centralisée, en une lutte de classe. Mais toute lutte de classe est une lutte politique. L’union que les bourgeois du moyen-âge, quand ils ne disposèrent que de chemins vicinaux, mirent des siècles à réaliser, les prolétaires modernes, grâce aux chemins de fer, la réalisent en peu d’années.

23. Cette organisation, toutefois, qui crée une classe prolétarienne et, par suite, un parti politique prolétarien, à tout instant se brise à nouveau par la concurrence des ouvriers entre eux. Mais toujours aussi elle se redresse plus forte, plus ferme, plus puissante. En tirant parti des dissentiments internes de la bourgeoisie, elle parvient à faire reconnaître de force, et par la loi, quelques-uns des intérêts des travailleurs. Ainsi pour la loi sur la journée de dix heures en Angleterre.

24. Les collisions de tout ordre qui se produisent dans l’ancienne société facilitent, en beaucoup de cas, l’évolution du prolétariat, La bourgeoisie est engagée dans une lutte incessante : d’abord contre l’aristocratie, puis contre les fractions de la bourgeoisie elle-même dont les intérêts se trouvent en conflit avec le progrès de l’industrie, et toujours contre la bourgeoisie de tous les pays étrangers. Dans toutes ces luttes, il lui faut faire appel au prolétariat, lui demander son aide, et ainsi l’entraîner dans le mouvement politique. De la sorte, elle fournit au prolétariat les moyens éducatifs qui lui ont servi à se former elle-même ; elle lui fournit des armes qui se retourneront contre elle.

25. De plus, comme nous l’avons vu, le progrès de l’industrie jette dans le prolétariat des fractions considérables de la classe dominante, ou du moins les menace dans leur existence. Ces bourgeois déclassés fournissent, eux aussi, une foule de moyens éducatifs au prolétariat.

Enfin, toutes les fois que la lutte des classes approche d’un moment décisif, le processus de décomposition de la classe dominante, de toute la société ancienne affecte une violence et une brutalité telles qu’un petit groupe de la classe dirigeante se détache de cette classe et se joint à la classe révolutionnaire, à qui l’avenir appartient. Comme autrefois une partie de la noblesse passa à la bourgeoisie, ainsi de nos jours une partie de la bourgeoisie passe au prolétariat ; et c’est le cas notamment pour un certain nombre d’idéologues bourgeois qui se sont élevés jusqu’à l’intelligence théorique de l’ensemble du mouvement historique.

26. De toutes les classes qui de nos jours s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire. Les autres classes s’étiolent et périssent devant la grande industrie ; le prolétariat émane d’elle comme son produit le plus authentique.

Les classes moyennes (Mittelstände), le petit industriel, le petit commerçant, l’artisan, le paysan, ne combattent la bourgeoisie que pour sauvegarder leur existence de classes moyennes menacées. Elles ne sont pas révolutionnaires par conséquent, mais conservatrices. Bien plus, elles sont réactionnaires. Elles tentent de faire rétrograder la roue de l’histoire. Ou si elles sont révolutionnaires, c’est en tant qu’elles discernent qu’elles sont condamnées à se fondre dans le prolétariat. Elles ne défendent pas alors leurs intérêts présents, mais leurs intérêts futurs. Elles quittent leur propre point de vue pour se placer au point de vue du prolétariat.

Quant à la canaille (Lumpenproletariat), à cette pourriture inerte qui forme les couches les plus basses de la société ancienne, parfois, d’un soubresaut brusque, une révolution prolétarienne l’entraîne dans son mouvement. Son genre de vie cependant la disposera plus communément à se laisser acheter pour des manœuvres réactionnaires.

27. Les conditions d’existence de la société ancienne sont détruites par les conditions d’existence qui sont faites au prolétariat. Le prolétaire n’a pas de propriété. Il vit avec sa femme et ses enfants dans des rapports qui n’ont plus rien de commun avec le lien de famille bourgeois. Il a perdu tout caractère national dans ce travail industriel moderne, dans cet assujettissement moderne au capital, qui est le même en Angleterre et en France, en Amérique et en Allemagne. Les lois, la morale, la religion, constituent pour lui autant de préjugés bourgeois, derrière lesquels se dissimulent autant d’intérêts bourgeois.

28. Toutes les classes qui successivement jusqu’ici se sont emparées du pouvoir, cherchaient à sauvegarder leur situation de fortune acquise en imposant à toute la société les conditions qui leur assuraient leur revenu propre. Les prolétaires ne pourront conquérir les forces productives sociales qu’en abolissant les méthodes par lesquelles jusqu’ici il leur était fait une part de revenu, et par conséquent il leur faudra abolir tout le régime existant de répartition des revenus. Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne. Ils ont à détruire, au contraire, toutes les garanties privées et toutes les sauvegardes privées qui existent.

29. Tous les mouvements sociaux jusqu’ici ont été accomplis par des minorités ou au profit de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité. Si le prolétariat, couche inférieure de la société présente, se soulève se redresse, il faudra bien que toute la superstructure de couches qui forme la société officielle soit emportée dans l’explosion de ce soulèvement.

30. La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie n’est pas dans son fond, mais elle sera dans sa forme, une lutte nationale. Il faut évidemment que le prolétariat de chaque pays vienne à bout d’abord de sa propre bourgeoisie.

En décrivant ainsi les phases les plus générales du développement prolétarien, nous avons suivi la guerre civile plus ou moins latente dans la société actuelle jusqu’au point où il éclate en une révolution ouverte, et où, par l’effondrement violent de la bourgeoisie, le prolétariat fondera sa domination.

31. Toutes les sociétés jusqu’à ce jour ont reposé, nous l’avons vu, sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais pour pouvoir opprimer une classe, du moins faut-il lui assurer des conditions d’existence qui lui permettent de traîner sa vie d’esclavage. Le serf, malgré son servage, s’était élevé au rang de membre de la commune ; le petit bourgeois était devenu bourgeois, malgré le joug de l’absolutisme féodal. L’ouvrier moderne, au contraire, au lieu de s’élever par le progrès de l’industrie, descend de plus en plus au-dessous de la condition de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme grandit plus vite encore que la population et la richesse. Il devient ainsi manifeste que la bourgeoisie est incapable de demeurer désormais la classe dirigeante de la société et d’imposer à la société, comme une loi impérative, les conditions de son existence de classe. Elle est devenue incapable de régner, car elle ne sait plus assurer à ses esclaves la subsistance qui leur permette de supporter l’esclavage. Elle en est réduite à les laisser tomber à une condition où il lui faut les nourrir au lieu d’être nourrie par eux. La société ne peut plus vivre sous le règne de cette bourgeoisie ; c’est-à-dire que l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec la vie sociale.

32. La condition à laquelle se trouve principalement liée l’existence et la domination de la bourgeoisie, c’est l’accumulation des richesses entre les mains des particuliers, la formation et l’accroissement d’un capital. La condition sans laquelle il n’y a pas de capital, c’est le salariat. Le salariat tient uniquement à la concurrence des ouvriers entre eux. Mais le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie, sans préméditation et sans résistance, est devenue, l’agent, au lieu de maintenir l’isolement des ouvriers par la concurrence, a amené leur union révolutionnaire par l’association. Ainsi le développement même de la grande industrie détruit dans ses fondements le régime de production et d’appropriation des produits où s’appuyait la bourgeoisie. Avant tout la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. La ruine de la bourgeoisie et la victoire du prolétariat sont également inévitables.

II

PROLÉTAIRES ET COMMUNISTES

33. Quel est le rapport des communistes aux autres prolétaires ?

Les communistes ne forment pas un parti distinct en face des autres partis ouvriers.

Ils n’ont pas des intérêts distincts des intérêts du prolétariat tout entier.

Ils n’établissent pas de principes distincts, sur lesquels ils aient dessein de modeler le mouvement ouvrier.

La différence entre les communistes et les autres partis prolétariens se réduit à ceci : 1o dans les diverses luttes nationales des prolétaires, les communistes font remarquer et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité, et communs à tout le prolétariat ; 2o dans les phases diverses que traverse la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie, les communistes représentent les intérêts du mouvement intégral.

34. Dans la pratique, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, celle qui sans trêve leur donne une impulsion nouvelle. Dans la théorie, ils ont sur la masse prolétarienne l’avantage que donne l’intelligence des conditions, de la marche et des résultats généraux du mouvement prolétarien.

Le but immédiat pour les communistes est le même que pour tous les autres partis prolétariens : la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la domination bourgeoise, la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

35. Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, sur des principes inventés ou découverts par tels et tels réformateurs du monde.

Elles ne sont que l’expression générale des conditions de fait données avec une lutte de classe existante, avec un mouvement historique qui se passe sous nos yeux. L’abolition des conditions existantes de propriété n’est pas un caractère spécial du communisme.

36. Les conditions de la propriété ont, en permanence, et toutes, été soumises au bouleversement, à la métamorphose.

Ainsi, la Révolution française a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoisie.

Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas qu’il abolisse une propriété ; c’est qu’il abolisse la propriété bourgeoise.

Mais la propriété privée bourgeoise des temps modernes est l’expression dernière et accomplie d’un état de choses où la production et l’appropriation des produits sont conditionnées par une lutte de classe, par une exploitation de l’homme par l’homme.

En ce sens les communistes ont le droit, en effet, de résumer leur théorie dans cette formule : abolition de la propriété privée.

37. On a souvent reproché aux communistes que nous sommes de vouloir abolir la propriété personnellement acquise par le travail de l’individu ; propriété qui, dit-on, forme la base de toute liberté, de toute activité, de toute indépendance personnelles. Quelle est donc cette propriété acquise par le travail, l’activité, le mérite individuels ?

Parle-t-on de la propriété du petit bourgeois, du petit paysan qui a existé avant la propriété bourgeoise ? Il n’est pas besoin que nous l’abolissions. Le développement de l’industrie l’a abolie déjà et tous les jours l’abolit davantage. Parle-t-on de la propriété privée bourgeoise moderne ?

Est-ce donc que le travail salarié, le travail du prolétaire crée une propriété à ce prolétaire ? Nullement. Elle crée du capital. Elle crée la propriété qui exploite le travail salarié, et qui ne peut s’accroître qu’en augmentant le nombre des travailleurs salariés, qu’elle exploitera à leur tour. La propriété, dans sa forme actuelle, se meut entre les pôles opposés du capital et du travail salarié. Considérons ces deux pôles de l’antithèse.

38. Être capitaliste, ce n’est pas seulement être en possession d’une certaine situation personnelle ; c’est occuper une situation sociale dans la production. Car le capital est un produit collectif, et il ne peut être mis en œuvre que par le travail collectif de beaucoup, ou même, en dernière analyse, que par le travail collectif de tous les membres de la société.

Le capital n’est donc pas une puissance attachée à une personne, il est une puissance inhérente à la société.

Lorsqu’on fait du capital une propriété collective, appartenant à tous les membres de la société, ce n’est donc pas de la propriété personnelle qui se transforme en propriété collective. Ce qui est changé, c’est le caractère social de la propriété. Elle cesse d’être une propriété de classe.

39. Passons au travail salarié.

Le prix moyen auquel s’achète le travail salarié, c’est le minimum du salaire, c’est-à-dire la somme des moyens de subsistance nécessaires à faire vivre le travailleur selon sa condition de travailleur. Ce que le travailleur salarié s’approprie par son travail suffit tout juste pour reproduire sa vie, sans plus. Nous ne voulons nullement abolir cette appropriation personnelle des produits du travail, qui a pour objet d’entretenir immédiatement la vie. Elle ne laisse pas de revenu net capable de lui conférer un pouvoir sur le travail d’autrui. Mais nous voulons abolir tout ce qu’il y a de misérable dans une méthode de répartition qui ne fait vivre le travailleur qu’afin d’accroître le capital et lui mesure la vie aux exigences des intérêts de la classe dirigeante.

40. Dans la société bourgeoise, le travail vivant n’est qu’un moyen d’augmenter le travail accumulé dans le capital. Dans la société communiste, le travail accumulé ne sera qu’un moyen d’élargir, d’enrichir, de stimuler la vie des travailleurs.

Dans la société bourgeoise, le passé règne sur le présent ; dans la société communiste, le présent régnera sur le passé. Dans la société bourgeoise, c’est le capital qui est indépendant et personnel ; l’individu qui travaille n’a ni indépendance ni personnalité.

Abolir cet état de choses, voilà ce que la bourgeoisie appelle abolir la personnalité et la liberté ! Avec raison. Et sans doute il s’agit d’abolir la personnalité, l’indépendance, la liberté bourgeoises.

41. Dans les conditions actuelles de la production bourgeoise, on entend par liberté la liberté du commerce, celle d’acheter et de vendre.

Mais s’il n’y a plus de maquignonnage d’aucune sorte, il n’y aura plus non plus de liberté du maquignonnage. Toute la phraséologie du libre maquignonnage, de même que les autres forfanteries libérales de la bourgeoisie actuelle, n’a de sens que par opposition au maquignonnage entravé, à la bourgeoisie asservie du moyen âge. Elles n’ont plus de sens devant l’abolition communiste de tout maquignonnage, de toutes les conditions bourgeoises de la production et de la bourgeoisie elle-même.

42. En un mot vous nous reprochez de vouloir abolir la propriété au sens où vous l’entendez. Et à coup sûr, c’est bien là ce que nous voulons.

Dès l’instant où le travail cesse d’être transformable en capital, en argent, en rente foncière, bref en un monopole virtuel de puissance sociale ; dès l’instant où la propriété personnelle cesse de pouvoir se convertir en propriété bourgeoise, vous déclarez que la personnalité est abolie.

Vous avouez donc que la personne, à votre sens, c’est le bourgeois, et le bourgeois propriétaire. À coup sûr, cette personnalité-là est à supprimer.

Le communisme n’ôte à personne le pouvoir de s’approprier des produits sociaux ; mais il ôte le pouvoir d’assujettir, en se l’appropriant, le travail d’autrui.

43. On a objecté que l’abolition de la propriété privée ferait cesser toute activité ; qu’une fainéantise générale ne tarderait pas sévir.

S’il en était ainsi, la société bourgeoise depuis longtemps aurait péri dans sa fainéantise. Car dans cette société, ceux qui travaillent ne s’enrichissent pas, et ceux qui s’enrichissent ne sont pas ceux qui travaillent. Le scrupule qu’on a se réduit à cette vérité de La Palisse : qu’il n’y aura plus de salariat quand il n’y aura plus de capital.

44. Les objections que l’on dirige contre la méthode communiste de produire et de répartir les objets matériels ont été dirigées de même contre la méthode future de créer et de répartir les produits de l’esprit. Pour un bourgeois, la suppression de la propriété de classe signifie l’arrêt de la production elle-même ; ainsi la suppression de la civilisation de classe signifie pour lui la suppression de toute civilisation.

Cette civilisation dont il déplore la perte, se réduit pour la majorité des hommes à un dressage qui fait d’eux des machines.

45. Mais abstenez-vous de discuter avec nous, si toute votre discussion se borne à apprécier avec ces notions bourgeoises (de liberté, de culture, de droit, etc.) l’abolition de la propriété bourgeoise. Vos idées ne sont-elles pas issues elles-mêmes des conditions bourgeoises de la production et la propriété ? Votre droit, qu’est-ce, sinon la volonté de votre classe érigée en loi, et dont l’objet est déterminé par les conditions matérielles de l’existence de votre classe ?

Une interprétation intéressée vous fait transformer en lois éternelles de la nature et de la raison les conditions de la production et de la propriété qui sont les vôtres, qui sont historiquement données, mais qui disparaîtront par l’évolution même de la production. C’est une prévention que vous partagez avec toutes les classes, qui de dirigeantes qu’elles étaient, ont passé au rang de classes déchues. Vous concevez que la propriété antique, que la propriété féodale aient pu naître et disparaître ; vous êtes condamnés à ne plus oser le concevoir pour la propriété bourgeoise.

46. On nous dit que nous abolissons la famille ! Et les plus radicaux s’indignent de ce honteux dessein des communistes.

Sur quoi donc repose la famille actuelle, la famille bourgeoise ? Sur le capital, sur l’enrichissement privé. Elle n’existe en son plein développement que pour la bourgeoisie. Mais elle a pour corollaire la disparition totale de la famille parmi les prolétaires, et la prostitution publique.

La famille des bourgeois disparaîtra, cela va sans dire, avec le corollaire qui la complète ; et tous deux disparaîtront avec le capital.

Nous reprochez-vous de vouloir mettre un terme à l’exploitation des enfants par les parents ? Oui ; nous faisons l’aveu de ce crime.

47. Nous brisons, dites-vous, les liens les plus tendres, en substituant à l’éducation familiale l’éducation sociale.

Mais votre éducation n’est-elle pas déterminée, elle aussi, par la société ? N’est-elle pas déterminée par les conditions sociales où l’éducation a lieu, par une intervention plus ou moins directe ou indirecte de la société, qui a pour moyens l’école et le reste ? Ce n’est pas une invention des communistes que cette action exercée par la société sur l’éducation. Ils se bornent, puisqu’elle existe, à vouloir en modifier le caractère ; ils arracheront l’éducation à l’influence de la classe dirigeante.

La phraséologie bourgeoise sur la famille, l’éducation, sur la tendresse entre parents et enfants devient plus répugnante à mesure que la grande industrie détruit plus complètement, parmi les prolétaires, les liens de famille, au point de traiter les enfants comme de simples articles de commerce et comme des instruments de travail.

48. « Mais vous voulez, vous autres communistes, introduire la communauté des femmes ! » nous crie en chœur toute la bourgeoisie.

Le bourgeois traite sa femme comme un simple instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être socialisés. Il en vient tout naturellement à penser que cette socialisation s’étendra aux femmes.

Il ne soupçonne pas qu’il s’agit précisément de mettre un terme à cette condition qui est faite aux femmes, de n’être que de simples instruments de production.

Rien de plus risible, au reste, que cette épouvante, si hautement morale, éprouvée par nos bourgeois devant la communauté des femmes qui, à les entendre, sera à l’ordre du jour parmi les communistes. Les communistes n’ont pas besoin d’introduire la communauté des femmes ; elle a existé presque de tout temps.

Quand à nos bourgeois, non contents d’avoir à leur disposition les femmes et les filles de leurs prolétaires et une prostitution officielle que nous ne mentionnons même pas, ils ne connaissent pas de plus grande joie que de séduire les femmes les uns des autres.

Le mariage bourgeois est en réalité la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on reprocher aux communistes de vouloir réaliser officiellement, et au grand jour de la tolérance, cette communauté des femmes, hypocrite jusqu’ici et clandestine. Il va de soi, au demeurant, qu’en abolissant les conditions actuelles de la production on ferait disparaître aussi la communauté des femmes qui en est issue, c’est à dire la prostitution officielle ou non officielle.

49. On a reproché encore aux communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut pas leur ôter ce qu’ils n’ont pas. Sans doute le prolétariat doit tout d’abord conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale souveraine, et se constituer lui-même en nation ; et en ce sens il est encore attaché à une nationalité. Mais il ne l’est plus au sens de la bourgeoisie.

Déjà le développement de la bourgeoisie elle-même, le libre-échange, l’universalisation du marché, l’uniformisation de la production industrielle et des conditions d’existence qu’elle entraîne, effacent par degrés les démarcations et les antagonismes entre nations.

La suprématie du prolétariat les effacera plus complètement, et une action combinée du prolétariat, de tous les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation.

A mesure qu’on abolira l’exploitation de l’homme par l’homme, l’exploitation des nations par les nations aussi s’abolira.

L’hostilité des nations entre elles disparaîtra avec l’antagonisme des classes dans la nation.

50. Les accusations que l’on dirige contre le communisme d’un point de vue religieux, philosophique ou, pour tout dire, idéologique, ne méritent pas de discussion détaillée.

Faut-il une perspicacité profonde pour comprendre que les idées des hommes, leurs aperçus concrets autant que leurs notions abstraites et, en un mot, leur conscience se modifient avec leurs conditions d’existence, avec leurs relations sociales, leur vie sociale ?

L’histoire des idées, que prouve-t-elle, sinon que la production intellectuelle se métamorphose avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’un temps n’ont jamais été que les idées de la classe dominante.

On parle d’idées qui révolutionnent la société tout entière. On ne fait ainsi que formuler un fait, à savoir que les éléments d’une société nouvelle se sont formés dans la société ancienne ; que la dissolution des idées anciennes va de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence.

C’est au moment où le monde antique allait périr, que les religions antiques furent vaincues par le christianisme. Quand les idées chrétiennes au xviiie siècle succombèrent à leur tour à la philosophie des lumières, c’était que la société féodale était engagée déjà dans une lutte mortelle avec la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne faisaient que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir.

51. Sans doute, dira-t-on, les idées religieuses, morales, philosophiques, politiques, juridiques, etc., se sont modifiées au cours de l’évolution historique. Mais la religion, la morale, la philosophie, la politique, le droit, sont restés immuables à travers ces modifications.

« Et n’y a-t-il pas des vérités éternelles, telles que la liberté, la justice, etc., qui sont vraies pour tout régime social ? Or le communisme abolit les vérités éternelles. Au lieu de transformer la religion, la morale, il les abolit. Il contredit ainsi à toute la marche antérieure de l’histoire ».

A quoi se réduit cette accusation ? L’histoire de toute la vie sociale jusqu’ici a eu pour ressort des antagonismes de classe, dont la forme seulement a varié avec les époques diverses.

Mais, en dépit de ces variations dans la forme des antagonismes, le fait persistant à travers tous les siècles passés, c’est l’exploitation d’une partie de la société par l’autre partie. Quoi d’étonnant alors que la conscience sociale de tous les siècles, pour variable et diverse qu’elle paraisse, offre de certaines formes communes ? Formes de conscience, qui ne tomberont en poussière qu’avec la disparition totale de l’antagonisme de classe.

La révolution communiste sera la rupture radicale avec le régime traditionnel de la propriété. Quoi d’étonnant que, dans sa marche, elle entraîne une rupture radicale avec les idées traditionnelles ?

52. Mais laissons là ces objections que la bourgeoisie fait au communisme.

Nous avons vu plus haut que la première démarche de la révolution ouvrière serait de constituer le prolétariat en classe régnante, de conquérir le régime démocratique.

Le prolétariat usera de sa suprématie politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tous les capitaux, pour centraliser entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat constitué en classe dirigeante, les instruments de production, et pour accroître au plus vite la masse disponible de forces productives.

53. Il va de soi que cela impliquera, dans la période de début, des infractions despotiques au droit de propriété et aux conditions bourgeoises de la production. Des mesures devront être prises qui, sans doute paraîtront insuffisantes et auxquelles on ne pourra pas s’en tenir, mais qui, une fois le mouvement commencé, mèneront à des mesures nouvelles et seront indispensables à titre de moyens pour révolutionner tout le régime de production. Ces mesures, évidemment, seront différentes en des pays différents. Cependant les mesures suivantes seront assez généralement applicables, du moins dans les pays les plus avancés :

1) Expropriation de la propriété foncière ; affectation de la rente foncière aux dépenses de l’État.

2) Impôt fortement progressif.

3) Abolition de l’héritage.

4) Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.

5) Centralisation du crédit aux mains de l’État par le moyen d’une banque nationale constituée avec les capitaux de l’État et avec un monopole exclusif.

6) Centralisation des industries de transport aux mains de l’État.

7) Multiplication des manufactures nationales, des instruments nationaux de production ; défrichement et amélioration des terres cultivables d’après un plan d’ensemble.

8) Travail obligatoire pour tous ; organisation d’armées industrielles, notamment en vue de l’agriculture.

9) Réunion de l’agriculture et du travail industriel ; préparation de toutes les mesures capables de faire disparaître progressivement la différence entre la ville et la campagne.

10) Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition des formes actuellement en usage du travail des enfants dans les fabriques. Réunion de l’éducation et de la production matérielle, etc.

54. Quand, par la marche des choses, les différences de classe auront disparu, quand la production entière sera concentrée entre les mains des individus associés, les pouvoirs publics perdront leur caractère politique. Le pouvoir politique, à vrai dire, est le pouvoir organisé d’une classe en vue de l’oppression d’une autre classe. Le prolétariat qui, dans sa lutte contre la bourgeoisie, opérera nécessairement son unification de classe, qui, par une révolution s’érigera en classe dirigeante, et, en sa qualité de classe dirigeante, supprimera violemment les conditions anciennes de la production, aura du même coup, et avec ces conditions de la production, supprimé les conditions mêmes qui amènent l’antagonisme de classe, l’existence des classes elles-mêmes, et il ôtera ainsi à sa propre suprématie le caractère d’une suprématie de classe.

À l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classe, se substituera une association où le libre développement de chacun sera la condition du libre développement de tous.

III

LITTÉRATURE SOCIALISTE ET COMMUNISTE

1) Le socialisme réactionnaire

a) Le socialisme féodal

55. Par leur situation historique, l’aristocratie française et l’aristocratie féodale étaient appelées à écrire des pamphlets contre la société bourgeoise moderne. N’avaient-elles pas succombé une fois de plus à cette bourgeoisie parvenue et exécrée, en France, dans la Révolution de juillet 1830, en Angleterre, dans le mouvement des reformbills ? Il ne s’agissait donc plus pour elles d’une lutte politique sérieuse. Il ne leur restait que la bataille littéraire. Mais, même en littérature, la vieille phraséologie de la Restauration était devenue insupportable. Pour éveiller des sympathies, l’aristocratie dut faire semblant de perdre de vue ses propres intérêts. C’est, en apparence, pour servir les intérêts de la classe ouvrière exploitée, qu’elle rédigea son réquisitoire contre la bourgeoisie. Elle se ménagea ainsi la satisfaction de pouvoir entonner des chants injurieux contre son nouveau maître, tout en lui soufflant à l’oreille des prophéties plus ou moins grosses de menaces.

Ainsi naquit le socialisme féodal. Il tient de la complainte et du libelle. On y perçoit l’écho du passé et déjà les grondements de l’avenir. Parfois il frappe au cœur la bourgeoisie par une critique amère, spirituelle, sanglante. Toujours il parut comique par son impuissance totale à comprendre la marche de l’histoire moderne.

56. En guise de drapeau, ces hommes arborèrent la besace des gueux prolétariens, et cherchèrent ainsi à ameuter le peuple. Mais à peine essayait-on de les suivre, qu’on apercevait les vieux écussons féodaux dont leurs chausses se blasonnaient par derrière, et le peuple de se disperser en s’esclaffant irrévérencieusement.

Quelques légitimistes français et la jeune Angleterre donnèrent ce spectacle joyeux.

Quand les féodaux démontrent que leurs procédés d’exploitation étaient différents dans la formule des méthodes d’exploitation bourgeoise, ils oublient de dire que leur exploitation s’entourait de circonstances et de conditions différentes elles aussi de celles d’aujourd’hui, et qui ne sont plus. Quand ils démontrent que, du temps de leur suprématie, il n’y avait pas de prolétariat, ils oublient d’ajouter que la bourgeoise moderne a fleuri nécessairement de l’ordre social féodal.

57. Au demeurant, ils ne dissimulent pas la tendance réactionnaire de leur critique ; et ce dont ils accusent principalement la bourgeoisie est, au contraire, d’amener, par son règne, le développement d’une classe qui fera crouler tout l’ancien ordre social.

Ce dont ils accusent la bourgeoisie, c’est moins encore d’enfanter un prolétariat que d’enfanter un prolétariat révolutionnaire.

C’est pourquoi, en politique, ils s’associent à toutes les mesures de violence contre la classe ouvrière. Et dans leur vie privée, en dépit de leur phraséologie pompeuse, ils ne se dédaignent pas de ramasser les pommes d’or du crottin industriel. À la loyauté, à la fidélité, à l’honneur féodal, ils savent substituer l’âpre trafic de la laine, des betteraves, de l’eau-de-vie.

58. Les prêtres sont toujours allés de pair avec les féodaux. Ainsi le socialisme clérical va de pair avec le socialisme féodal.

Rien de plus aisé que de donner une teinte socialiste à l’ascétisme chrétien. Le christianisme ne s’est-il pas élevé, lui aussi, contre la propriété privée, contre le mariage, contre l’État ? N’a-t-il pas préconisé en leur place la bienfaisance et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Église ? Le socialisme chrétien n’est qu’une eau bénite, faite pour donner aux rancunes aristocratiques la consécration du prêtre.

b) Le socialisme des petits bourgeois

59. L’aristocratie féodale n’est pas la seule classe précipitée dans la ruine par la bourgeoisie. Elle n’est pas la seule dont les conditions d’existence se soient atrophiées et aient dépéri dans la société bourgeoise moderne. Avant la bourgeoisie capitaliste moderne, il y a eu une petite bourgeoisie médiévale, une classe de petits cultivateurs. Cette classe, dans les pays où le développement industriel et commercial est arriéré, continue à végéter à côté de la bourgeoisie grandissante.

En outre, dans les pays où la civilisation moderne a tout son développement, une petite bourgeoisie nouvelle s’est formée. Elle flotte entre le prolétariat et la bourgeoisie. Elle est une sorte d’appendice de la société bourgeoise qui se reforme sans cesse. Mais constamment aussi les individus de cette classe sont précipités dans le prolétariat par la concurrence, et ils voient venir un temps où le développement de la grande industrie les aura fait disparaître comme classe à part dans la société moderne, et où ils seront remplacés dans le commerce, dans la manufacture, dans l’agriculture, par des contre-maîtres et par des domestiques.

60. Dans les pays, comme la France, où la classe paysanne forme bien plus de la moitié de la population, il est naturel que des écrivains, en plaidant la cause du prolétariat contre la bourgeoisie, aient, dans leur critique du régime bourgeois, appliqué l’étalon des notions de la petite bourgeoisie et des paysans, qu’ils aient pris fait et cause pour les ouvriers dans un esprit de petite bourgeoisie. Ainsi s’est formé le socialisme des petits bourgeois. Le chef de cette littérature, non seulement pour la France, mais pour l’Angleterre, c’est Sismondi.

Ce socialisme, avec une extrême subtilité, fit l’analyse des contradictions inhérentes aux conditions modernes de la production. Il mit à nu l’hypocrisie qui est le fond des plaidoyers optimistes des économistes. Il démontra d’une façon irréfutable les effets destructeurs du machinisme et de la division du travail, la concentration des capitaux et des propriétés foncières, la surproduction, les crises, la nécessité du déclin des petits bourgeois et des paysans, la misère du prolétariat, l’anarchie de la production, les disproportions criantes qui se révèlent dans la répartition des richesses, la guerre d’extermination industrielle entre nations, la dissolution des coutumes anciennes, des rapports de famille, des nationalités d’autrefois.

61. Le contenu positif de ce socialisme, cependant, quel est-il ? Ou bien il veut restaurer les anciennes méthodes de production et de communication, et avec eux le régime ancien de la propriété, toute la société ancienne ; ou bien il veut enserrer de force les moyens actuels de production et de communication dans un régime de propriété suranné, dont précisément ils ont brisé le cadre, qui ne pouvait pas ne pas être brisé. Dans les deux cas, il est à la fois réactionnaire et utopique.

Le régime corporatif pour la manufacture ; le régime patriarcal pour l’agriculture, voilà son dernier mot.

Plus tard cette école finit dans la lâcheté d’un marasme désabusé.

c) Le socialisme allemand ou socialisme « vrai »

62. La littérature socialiste et communiste de la France est née sous la pression d’une bourgeoisie dominante ; elle est l’expression littéraire de la lutte contre cette domination. Elle fut introduite en Allemagne à une époque où la bourgeoisie ne venait que de commencer sa lutte contre l’absolutisme féodal.

En Allemagne, des philosophes, ou des gens teintés de philosophie et de bel esprit, s’emparèrent avidement de cette littérature. Ils oublièrent seulement qu’en important en Allemagne ces écrits français on n’y transportait pas en même temps les conditions de l’existence française. Au regard de l’état de choses allemand, ces ouvrages français n’avaient plus de portée pratique immédiate : ils n’étaient plus qu’une manifestation purement littéraire. Ils apparurent comme une spéculation oiseuse sur la réalisation de la vraie nature humaine. Pareille éventualité s’était vue déjà au xviiie siècle. Les revendications de la Révolution française avaient paru de même, aux philosophes allemands d’alors, n’être que des revendications générales de « la raison pratique ». Les actes par lesquels se manifestait la volonté de la bourgeoisie française révolutionnaire, à leurs yeux, exprimaient les lois de la volonté pure, de la volonté telle qu’elle doit être, de la vraie volonté humaine.

63. L’effort de ces littérateurs allemands se borna à mettre en accord les nouvelles idées françaises avec leur vieille conscience philosophique, à saisir les idées françaises du point de vue de leur philosophie ancienne. Ils s’assimilèrent ces idées comme on s’assimile une langue étrangère, en les traduisant.

On sait comment les moines eurent coutume de recouvrir des récits d’une hagiographie absurde les manuscrits des ouvrages classiques du paganisme antique. Les littérateurs allemands, à l’égard de la littérature française profane, procédèrent en sens inverse. Ils glissèrent leurs absurdités philosophiques sous l’original français. Leurs ouvrages furent des palimpsestes où, derrière la critique française du régime monétaire actuel, ils écrivirent « aliénation de la vraie nature humaine » ; derrière la critique française de l’État bourgeois, « abolition de la suprématie de l’universalité abstraite », etc.

La substitution de ce jargon philosophique à l’analyse discursive française fut baptisée par eux : « philosophie de l’action », « vrai socialisme », « science allemande du socialisme », « recherche des fondements philosophiques du socialisme », etc.

La littérature socialiste et communiste française subit ainsi une véritable émasculation. Et, comme chez les Allemands elle n’était plus l’expression de la lutte d’une classe contre une autre classe, les Allemands se targuaient de s’être élevés au-dessus de l’étroitesse française, d’avoir plaidé la cause non des besoins vrais, mais des besoins de la vérité ; d’avoir défendu non pas les intérêts du prolétaire, mais les intérêts de la vraie nature humaine, de l’homme en général, qui ne fait pas partie d’une classe ni d’une réalité quelconque, mais qui n’existe que dans les cieux embrumés de la fantaisie philosophique.

64. Ce socialisme allemand, qui mettait un sérieux si solennel dans la gaucherie de ses exercices scolaires, qui en criait le boniment sur la place publique à son de trompe, perdit cependant bientôt sa première ingénuité pédantesque.

La lutte de la bourgeoisie contre la féodalité et contre la royauté absolue, le mouvement libéral en un mot, se fit plus sérieux en Allemagne, et surtout en Prusse.

L’occasion parut bonne au socialisme « vrai » d’opposer au mouvement politique les revendications socialistes ; de lancer les anathèmes traditionnels contre le libéralisme, contre le régime représentatif, contre la concurrence bourgeoise, la liberté bourgeoise de la presse, le droit bourgeois, la liberté et l’égalité bourgeoises ; d’enseigner aux masses populaires comment, à ce mouvement bourgeois, elles n’avaient rien à gagner et tout à perdre. Fort à propos, le socialisme allemand oublia que cette critique française, dont il n’était qu’une redite médiocre, supposait existante la société bourgeoise moderne, avec les conditions matérielles de vie qu’elle implique et la constitution politique qui s’y adapte ; conditions préalables dont, pour Allemagne, il s’agissait d’abord de conquérir la réalisation.

65. Les gouvernements absolus d’Allemagne avec leur séquelle de prêtres, de maîtres d’école, de hobereaux et de bureaucrates, trouvèrent dans les doctrines de ce socialisme l’épouvantail qu’il leur fallait pour réagir contre la bourgeoisie grandissante et menaçante.

Ce socialisme fut un habillage de confiseries dont s’enveloppa l’âpre traitement de coups de fouet et de coups de fusil, que les gouvernements administrèrent à la fièvre émeutière des ouvriers allemands.

Ainsi le socialisme « vrai » devint une arme, contre la bourgeoisie, aux mains des gouvernements. Et aussi bien son but immédiat était de défendre un intérêt réactionnaire, l’intérêt de la bourgeoisie allemande des petites villes. En Allemagne, la petite bourgeoisie, legs du xvie siècle et toujours renaissante depuis ce temps sous ces formes diverses, forme la base sociale réelle du régime existant.

66. Maintenir la petite bourgeoisie, c’est maintenir le régime allemand actuel. La suprématie politique et industrielle de la bourgeoisie capitaliste menace cette petite bourgeoisie d’une ruine certaine, d’abord par suite de la concentration des capitaux, puis parce qu’elle enfante un prolétariat révolutionnaire. Le socialisme « vrai » lui paraissait anéantir à la fois le capitalisme et la prolétarisation ; et d’une pierre, en l’utilisant, on faisait deux coups. Il se répandit avec la vitesse d’une épidémie.

Ce n’était qu’un vêtement tissé de la trame légère de la spéculation, broché de fleurs de rhétorique et de bel esprit, trempé comme d’une rosée de sentimentalité enfiévrée et tendre. Sous cette enveloppe éthérée, les socialistes allemands cachaient le squelette misérable de leurs « vérités éternelles ». Mais leur marchandise s’écoulait avec vitesse sous cette enveloppe.

De son côté, le socialisme allemand considéra de plus en plus comme sa mission de se faire l’avocat grandiloquent de cette petite bourgeoisie.

La nation allemande fut proclamée par lui, la nation normale, le philistin allemand fut proclamé l’homme normal. À chacune des bassesses de cet homme il donna un sens caché, profond et socialiste qui permettait de l’interpréter en sens contraire. Il alla au bout de sa pensée en s’élevant contre l’école communiste « brutalement destructive », et en faisant valoir l’impartialité avec laquelle il planait au dessus de toutes les luttes de classes. À peu d’exceptions près, tout ce qu’il circule en Allemagne d’écrits prétendus socialistes et communistes, relève de cette littérature énervante et malpropre[1].

2) Le socialisme conservateur ou bourgeois

67. Une partie de la bourgeoisie cherche à remédier au malaise social, afin d’assurer la durée de la société bourgeoise.

De ce nombre sont les économistes, les philanthropes, les humanitaires, ceux qui s’occupent d’améliorer le sort des classes ouvrières, d’organiser la bienfaisance, de protéger les animaux, de fonder des sociétés de tempérance, les réformateurs en chambre de tout poil. Des systèmes entiers se sont consacrés à l’élaboration de ce socialisme bourgeois.

Nous citerons comme exemple la Philosophie de la misère, de Proudhon.

Les socialistes bourgeois veulent maintenir les conditions d’existence de la société moderne, sans s’exposer aux luttes et aux périls que ces conditions entraînent nécessairement. Ils veulent la société actuelle, mais débarrassée des éléments qui la révolutionnent et la dissolvent. Ils veulent la bourgeoisie sans le prolétariat. Comment, pour la bourgeoisie, le monde où elle est souveraine ne serait-il pas le meilleur des mondes possibles ? De cette conception optimiste le socialisme bourgeois fait un système ou une ébauche de système. Il demande au prolétariat de réaliser ces systèmes, de faire son entrée dans la Jérusalem nouvelle. Il entend par là que le prolétariat doit s’en tenir à la société présente et ne se débarrasser que de l’idée haineuse qu’il s’en fait.

68. Une autre forme moins systématique, mais plus pratique, du socialisme bourgeois essaya de dégoûter les ouvriers de tout mouvement révolutionnaire en leur démontrant qu’un changement politique, de quelque ordre qu’il fût, ne pouvait leur être d’aucune utilité ; qu’un changement des conditions matérielles, de la vie, des conditions économiques, pouvait seul les servir. Mais ce que ce socialisme appelle un changement des conditions matérielles de la vie, ce n’est nullement l’abolition des conditions bourgeoises de la production, laquelle n’est réalisable que par la voie révolutionnaire. Il entend par là des réformes administratives qui auraient pour base le maintien des conditions de la production ancienne. Ces réformes ne changeraient rien aux rapports du capital et du travail. Tout au plus diminueraient-elles pour la bourgeoisie les frais de son gouvernement et de sa gestion économique.

Le socialisme bourgeois ne trouve son expression vraie que dans les figures de rhétorique pure et simple où il aboutit.

Le libre échange… dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des droits protecteurs… dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Des prisons cellulaires… dans l’intérêt de la classe ouvrière ! Voilà le dernier mot du socialisme bourgeois, et sa seule parole sérieuse.

Le socialisme de la bourgeoisie consiste à dire que les bourgeois sont des bourgeois… dans l’intérêt de la classe ouvrière.

3) Le socialisme et le communisme critico-utopique

69. Nous ne parlons pas ici de la littérature qui, dans toutes les grandes révolutions modernes, a exprimé les revendications du prolétariat (Écrits de Babeuf, etc.)

70. Les premières tentatives que fit le prolétariat, en un temps de bouleversement général, au temps où l’on renversait le régime féodal pour faire prévaloir son propre intérêt de classe, échouèrent de toute nécessité. Elles échouèrent parce que le prolétariat lui-même n’avait atteint encore qu’un développement rudimentaire, et parce qu’il lui manquait les conditions matérielles de son émancipation, lesquelles précisément ne sont qu’un produit de l’époque bourgeoise. La littérature révolutionnaire qui accompagne ces premiers mouvements du prolétariat est d’essence nécessairement réactionnaire. Elle enseigne un ascétisme universel et un égalitarisme grossier.

71. Les systèmes à proprement parler socialistes et communistes, ceux de Saint-Simon, de Fourier, d’Owen, etc., surgissent dans la première période de la lutte encore incomplètement engagée entre le prolétariat et la bourgeoisie. On l’a ci-dessus décrite (Voy. Bourgeois et prolétaires, §§ 19-21).

Les inventeurs de ces systèmes discernent nettement l’antagonisme des classes, l’action des éléments dissolvants qui travaillent la classe dominante. Ils ne discernent pas, dans la classe prolétarienne, l’énergie autonome, le mouvement politique qui lui sont propres.

Comme le développement de l’antagonisme de classe va de pair avec le développement de l’industrie, ces hommes ne trouvent pas réalisées non plus les conditions de l’émancipation prolétarienne. Ils se mettent donc en quête d’une science sociale, de lois sociales, capables de créer ces conditions.

À l’activité sociale absente, ils suppléèrent par leur inventivité personnelle ; aux conditions historiques de l’émancipation, ils suppléèrent par des conditions imaginaires ; à l’organisation d’un prolétariat lentement et spontanément mûri à la vie de classe, ils suppléèrent par une organisation de la société laborieusement enfantée par eux. Toute l’histoire universelle future se réduit pour eux à la propagande et à la mise en pratique de leurs plans de société.

72. Ils ont conscience, à vrai dire, que, dans ces projets, ils défendent surtout les intérêts de la classe laborieuse, celle qui est, à leurs yeux, la classe la plus souffrante. Et le prolétariat n’existe pour eux que sous cet aspect de la classe souffrante entre toutes.

Le développement très imparfait de la lutte de classe qu’ils observent, et leur propre situation de fortune, font qu’ils se croient eux-mêmes fort au-dessus de cet antagonisme des classes. C’est le genre de vie de tous les hommes, même des plus favorisés, qu’ils veulent améliorer. Aussi ne cessent-ils pas de faire appel à la société tout entière et sans distinction, ou même de préférence à la classe dirigeante. Ne suffit-il pas de comprendre leur système, pour y voir le meilleur plan possible de la meilleure des sociétés possibles ?

Il est logique encore qu’ils repoussent toute action politique, et toute action révolutionnaire notamment. Ils prétendent arriver à leur but par des voies pacifiques. Des expériences faites en petit, et dès lors nécessairement manquées, doivent fournir l’exemple dont la force persuasive frayera le chemin au nouvel évangile social.

Ces descriptions imaginaires de la société future surgissent en un temps où le prolétariat, n’ayant atteint qu’à un développement fort imparfait, n’a lui-même de sa position qu’une notion imaginaire. Elles disent son premier et instinctif effort vers une transformation universelle de la société.

73. Mais il y a, dans ces écrits socialistes et communistes, des parties critiques. Ils s’en prennent aux fondements mêmes de la société existante. Ils ont amoncelé des matériaux merveilleusement propres à éclairer les ouvriers. Quant à leurs propositions positives touchant la société future, par exemple celles qui tendent à abolir l’antagonisme entre les villes et les campagnes, à abolir la famille, l’entreprise privée, le salariat, à proclamer l’harmonie sociale, à transformer l’État en une simple administration de la production, elles signifient simplement qu’il faudrait faire disparaître l’antagonisme des classes. Or cet antagonisme, à peine commençant, ces systèmes n’en peuvent connaître encore que les débuts où il n’a pas encore de forme précise. Les propositions qu’ils formulent n’ont donc qu’un sens purement utopique.

74. Le socialisme et le communisme critico-utopique ont une importance décroissante à mesure que l’importance du mouvement historique va grandissant. À mesure que la lutte de classe s’engage et dessine ses lignes de bataille, cet effort de l’imagination pour s’élever au-dessus de cette lutte, et pour l’enrayer, est pratiquement plus stérile et théoriquement moins justifié.

À beaucoup d’égards les fondateurs de ces systèmes sont des révolutionnaires authentiques. Mais, pour la raison qu’on vient de dire, leurs disciples ne manquent jamais de former des sectes réactionnaires. Ils s’en tiennent aux idées vieillies des maîtres, même en face du développement historique du prolétariat qui déjà les a dépassées. Il est logique qu’ils cherchent à diminuer l’acuité de la lutte de classe, à chercher des compromis entre les extrêmes. Ils rêvent, comme par le passé, de réaliser par de menues expériences leurs utopies sociales, de fonder des phalanstères isolés, de faire de la colonisation intérieure, d’établir de petites Icaries[2]. Ils refont des éditions minuscules de la nouvelle Jérusalem. Or pour bâtir sur un sol réel ces châteaux en Espagne, il leur faut faire appel au cœur et au sac d’écus de la philanthropie bourgeoise. Peu à peu, ils passent à l’une des catégories de socialistes réactionnaires ou conservateurs plus haut décrites, et ils ne s’en distinguent que par un pédantisme plus systématique et par une foi fanatique et superstitieuse dans les effets merveilleux de leur science sociale.

C’est pourquoi ils s’opposent avec acharnement à tout mouvement politique des ouvriers. Car de tels mouvements supposeraient un manque de foi aveugle dans le nouvel évangile.

Les owenites anglais font, pour cette raison, de la réaction contre le chartisme, comme les fouriéristes français en font contre le réformisme.

IV

ATTITUDE DES COMMUNISTES
DEVANT LES DIVERS PARTIS D’OPPOSITION

75. Ce qui a été dit chapitre II suffit à déterminer, sans explication nouvelle, le rapport des communistes avec les partis ouvriers déjà constitués, avec les chartistes en Angleterre, avec les réformateurs agraires dans l’Amérique du Nord.

Sans doute ils livrent bataille pour les fins prochaines et immédiates, pour les intérêts proches et immédiats de la classe ouvrière. Mais, dans le mouvement du temps présent, ce qui les préoccupe et ce qu’ils défendent, c’est aussi l’avenir de ce mouvement. En France, les communistes se rallieront au parti démocrate-socialiste[3] contre la bourgeoisie conservatrice et radicale ; mais ils ne renonceront pas, pour cela, au droit de garder une parfaite indépendance critique devant les phrases et les chimères qui proviennent de la tradition révolutionnaire.

En Suisse, ils appuieront les radicaux, sans oublier que ce parti est un mélange d’éléments disparates, et que des démocrates socialistes de nuance française s’y coudoient avec des radicaux simplement bourgeois.

En Pologne, les communistes appuieront le parti qui pose comme condition à l’émancipation nationale une révolution agraire, c’est-à-dire le parti qui a provoqué l’émeute de Cracovie en 1846.

En Allemagne, le parti communiste luttera aux côtés de la bourgeoisie dans toutes les occasions où la bourgeoisie reprendra son rôle révolutionnaire ; avec elle, il combattra la monarchie absolue, la propriété foncière féodale, la petite bourgeoisie.

76. Mais pas un instant il n’oubliera d’éveiller parmi les ouvriers la conscience la plus claire possible de l’opposition qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, et qui en fait des ennemis. Il faut que les conditions sociales et politiques qui accompagneront le triomphe de la bourgeoisie se retournent contre la bourgeoisie elle-même comme autant d’armes dont aussitôt les ouvriers allemands sauront faire usage. Il faut qu’après la chute des classes réactionnaires en Allemagne, la lutte contre la bourgeoisie s’engage sans tarder.

77. C’est l’Allemagne surtout qui attirera l’attention des communistes. L’Allemagne est à la veille d’une révolution bourgeoise. Cette révolution elle l’accomplira en présence d’un développement général de la civilisation européenne et d’un développement du prolétariat que ni l’Angleterre au xviie siècle, ni la France au xviiie n’ont connu. La révolution bourgeoise allemande sera donc, et de toute nécessité, le prélude immédiat d’une révélation prolétarienne.

78. — En un mot, les communistes dans tous les pays appuieront tous les mouvements révolutionnaires contre l’état social et politique existant.

Dans tous ces mouvements, la question qu’ils mettront au premier plan, la question pour eux essentielle, est celle de la propriété, dût même le débat sur cette question n’être pas encore engagé très à fond.

Enfin les communistes travailleront de toutes parts à l’union et à l’entente des partis démocratiques de tous les pays.

Les communistes jugent indigne d’eux de dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils déclarent ouvertement que leurs desseins ne peuvent être réalisés que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel. Aux classes dirigeantes à trembler devant l’éventualité d’une révolution communiste ! Les prolétaires n’ont rien à y perdre, que leurs chaînes. Et c’est un monde qu’ils ont à y gagner.


Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
  1. La tourmente révolutionnaire de 1848 a balayé toute cette école misérable et a ôté à ses représentants de continuer ses contrefaçons socialistes. Le représentant principal et le type de l’école est M. Karl Grün (Note de l’édition de 1872).
  2. Owen appelle colonies à l’intérieur (home-colonies) ses sociétés communistes modèles. On appelait phalanstères les palais sociaux projetés par Fourier.

    On désigna du nom d’Icarie le pays imaginaire et utopique, dont Cabet décrit les institutions communistes. [Note de F. Engels.]

  3. Le parti qui, alors, en France, se nommait le parti démocrate-socialiste était celui que représentait Ledru-Rollin en politique et Louis Blanc en littérature. Il différait donc infiniment du socialisme démocratique de l’Allemagne actuelle. [Note de F. Engels.]