Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/V/12

La bibliothèque libre.
XII


CHAPITRE XII.


le marchand de jouets d’enfants.


La porte de la boutique s’ouvrit.

Le jour baissant, rendu plus sombre encore par l’obscurité du passage, m’empêcha d’abord de distinguer les traits du marchand de jouets d’enfants ; il portait d’ailleurs un vieux chapeau enfoncé sur les yeux, et le collet de sa redingote couleur tabac d’Espagne, relevé, sans doute de crainte du froid, lui cachait les oreilles et une partie du visage.

Malgré le dépit courroucé qu’il avait témoigné, l’adolescent s’approcha du marchand et lui adressa la parole avec une sorte d’obséquiosité timide, inquiète, presque suppliante :

— Bonjour, mon cher Monsieur Bonin, — lui dit-il, — je venais pour…

Le marchand, interrompant le jouvenceau, dit vivement à la vieille :

— Tu ne l’as donc pas averti que ça ne se pouvait pas ?

— Je le lui ai dit, archi-répété, — grommela la vieille ; — il a voulu rester…

Alors, s’adressant à l’adolescent, M. Bonin lui dit d’un ton fort significatif :

— Bonsoir, jeune homme.

Et il lui tourna brusquement le dos.

— Mais, Monsieur Bonin, — reprit le jouvenceau d’une voix suppliante, — je vous en supplie… si vous saviez… je vais vous expliquer pourquoi je…

— Inutile… inutile… — s’écria M. Bonin, sans même regarder l’adolescent, — j’ai dit non… c’est non… Bonsoir.

— Mais, Monsieur Bonin… je vous en conjure… écoutez-moi donc.

— Allez vous coucher, jeune homme, ça vous rafraîchira le sang, — dit M. Bonin au jouvenceau, — encore une fois, bonsoir.

Puis, s’adressant au chasseur, le marchand de jouets d’enfants lui dit :

— Vous venez de la part du duc ?

— Oui, Monsieur, voilà une lettre de mon maître…

Au moment où le chasseur remettait son message à M. Bonin, l’adolescent, furieux sans doute d’être ainsi humilié devant témoins, s’écria :

— Eh bien ! puisqu’il en est, je vous dénonce comme un fripon que vous êtes, Monsieur Bonin ;… je dirai que je ne songeais pas à mal, lorsque j’ai reçu une lettre dans laquelle on me disait qu’une personne sachant que mon père était riche, me proposait des avances sur l’héritage qui me reviendrait un jour… Je dirai…

— Ta, ta, ta, vous direz… vous direz !! quoi ? que direz-vous ? Voilà comme sont ces petits messieurs-là, — reprit le marchand en haussant les épaules avec une expression de dédaigneuse insouciance, — ils viennent vous proposer d’escompter la mort de papa ou de maman, parce qu’ils n’ont pas la patience d’attendre l’héritage, dont ils sont friands… et quand d’honnêtes marchands refusent de favoriser leur désordre, ils viennent les injurier chez eux ; ça fait pitié… voilà tout.

— Comment ! vous osez dire, — s’écria l’adolescent en s’exaltant de plus en plus, — vous osez dire que vous n’êtes pas complice de ce capitaine de hasard qui m’a fait signer pour cent mille francs de lettres de change en blanc, pour lesquelles j’ai été censé recevoir de lui un chargement de bois de campèche et de jambons d’ours, — un brevet d’invention et d’exploitation pour les aérostats lycophores, — mille bouteilles de Lacryma-Christi, deux mille exemplaires de Faublas, — je ne sais combien de quintaux de rhubarbe, — une cession de dix lieues carrées de territoire au Texas, — une partie de plumes d’autruche. — et une créance hypothécaire sur le bey de Tunis… objets et propriétés imaginaires, dont je n’ai jamais vu que les bordereaux et les prétendus titres, et que vous m’avez rachetés en bloc, vous… pour la somme de treize mille trois cents francs ?

À l’énumération des étranges valeurs données à l’adolescent, le chasseur et la soubrette partirent d’un fou rire. Je ne partageai pas cette hilarité, car j’ignorais complètement alors ce que c’était que les prêts usuraires.

L’adolescent n’eut pas l’air de remarquer cette impertinente gaîté ; mais sa colère redoubla, et il s’écria en s’adressant au marchand :

— Je vous dis, moi, que vous êtes complice de ce fripon de capitaine, vous le sentiez si bien que vous m’aviez proposé une affaire soi-disant bien meilleure, puisque, au lieu de prétendues marchandises, il s’agissait d’espèces, et qu’aujourd’hui même vous deviez me remettre vingt mille francs contre un blanc-seing signé de moi… et vous osez nier votre promesse !

— Une dernière fois, jeune homme, je déclare que jamais je ne serai complice de vos folles prodigalités… Allez trouver papa et maman. Soyez bien gentil, et ne faites pas de bruit dans ma boutique… sinon j’enverrai Laridon chercher la garde…

— Puisqu’il en est ainsi, — s’écria le jeune homme exaspéré, — vous entendrez parler de moi…

— Quand vous voudrez… je suis en règle… — dit le marchand avec calme, pendant que l’adolescent sortait en refermant violemment la porte.

— Imbécile, — dit à demi-voix M. Bonin.

Et il prit des mains du chasseur, et lut la lettre que celui-ci était sur le point de lui remettre, au moment où la colère de l’adolescent fit explosion.

Plus j’entendais la voix de M. Bonin, voix claire, aiguë, à l’accent sardonique, plus il me semblait la reconnaître. En vain je tâchais de distinguer les traits de cet homme ; je ne pouvais y parvenir, grâce à son collet toujours relevé, à son chapeau toujours enfoncé sur les yeux, et au jour de plus en plus sombre qui envahissait la boutique, au fond de laquelle je me tenais immobile.

— Vous direz au duc, — dit au chasseur le marchand de jouets d’enfants, après avoir lu, — que je n’ai pas le temps d’aller aujourd’hui chez lui, examiner les objets dont il me parle… qu’il les apporte ou qu’il les envoie demain soir, de sept à huit heures, à l’heure de mon dîner, je les verrai, et je dirai ce que ça vaut.

— Comment ? comment ? — reprit le chasseur avec l’impertinente familiarité d’un laquais de grande maison, — ce n’est pas ça ; M. le duc entend que vous veniez le voir aujourd’hui.

— Eh bien ! M. le duc ne me verra pas, voilà tout, — répondit M. Bonin avec une froide ironie ; — qu’il vienne demain… à l’heure de mon dîner… il me trouvera…

— C’est tout de même joliment drôle qu’un duc et pair, fils d’un maréchal de l’Empire, soit obligé d’être à vos ordres, — dit le chasseur blessé pour ainsi dire dans l’amour-propre de son maître.

— Ah bah ? vraiment ! — dit le marchand de jouets, — il faut pourtant qu’il se donne cette petite peine-là, puisqu’il veut emprunter sur les crachats, l’épée et autres brimborions en diamants de feu son père, ce cher petit seigneur ! Quant à vous, mon garçon, croyez-moi, si votre jeune maître vous doit des gages, faites-vous payer… Il est à bout de ses pièces. Quand la maison se lézarde… les rats s’en vont,… et ils ont bon nez… Profitez de l’apologue… Bonsoir.

Le chasseur parut en effet assez frappé de l’apologue, et sortit après avoir fait un signe d’intelligence à la soubrette.

Celle-ci remit à son tour une lettre au marchand de jouets, qui dit, en la lisant :

— À la bonne heure, ta maîtresse à toi est une femme d’ordre, mon enfant ; elle est cupide, elle est avare ; elle songe à l’avenir, elle pense au solide, et elle n’a pas dix-huit ans ! et elle est belle comme un astre… Mais aussi elle connaît ses fils de famille par cœur ; et elle joue de ces imbéciles-là sur tous les airs, tant qu’ils sont ses amants… Voyons ce qu’elle me veut.

Et, ce disant, M. Bonin décacheta la lettre.

J’ai su depuis ce qu’elle contenait ; le voici dans toute sa naïve simplicité, sauf une horrible orthographe qu’il est inutile de rapporter :

« Mon bon vieux,

» Le petit marquis veut me donner pour soixante mille francs de diamants, mais il n’est pas en fonds pour le moment, son intendant attend des rentrées d’ici à trois ou quatre mois… des vraies rentrées… j’en suis sûre… mais trois mois !… c’est long, et puis vaut mieux tenir qu’attendre… et puis, il y a un Russe très-riche dont on m’a parlé… vous comprenez ; enfin, ce serait comme le denier d’adieu du marquis, aussi je lui ai dit que je voulais les diamants tout de suite, et que, comme il n’avait pas d’argent comptant… je connaissais quelqu’un qui pourrait lui prêter soixante mille francs, mais à 20 % d’intérêts payé d’avance pour six mois.

» Ce quelqu’un-là, c’est moi ; mais en apparence ça sera vous ; j’ai ordonné à mon agent de change de vendre pour 3,200 livres de mes rentes, vous vous aboucherez avec l’intendant du petit marquis, vous exigerez une lettre de change, à six mois, bien en règle, et vous serez censé lâcher les fonds, que l’on ira toucher chez mon notaire sur un mot de vous ; il est prévenu. De cette façon-là, j’aurai les diamants tout de suite, et je bénéficierai des 15 % d’intérêts, car il y aura, bien entendu, 5 % de commission pour vous.

» Si vous flairez quelque affaire solide et avantageuse (je ne veux pas de carottage ni de mineurs), écrivez-moi, j’ai encore une centaine de mille francs disponibles pour un an environ, car je guigne toujours cette fameuse ferme de Brie… C’est un gros nanan, mais, tôt ou tard, il sera dans mon sac.

» N’oubliez pas d’aller demain matin chez l’intendant du petit marquis. Toute à vous, mon bon vieux.

malvina charançon. »

— Et cet amour de femme-là n’a pas dix-huit ans ! — s’écria le marchand de jouets après avoir lu. — Quelle tête ! quelle intelligence pratique des affaires !

Puis s’adressant à la soubrette :

— Tu diras à ta maîtresse que c’est bien… Je ferai ce qu’elle demande. En voilà une qui te paie exactement tes gages… j’en suis sûr, hein ?  ?..

— Oh ! Monsieur… je crois bien ! je les place chez elle… Ma maîtresse !! c’est plus sûr qu’un notaire !!

Et la soubrette sortit pour aller sans doute rejoindre le chasseur qui n’avait pas probablement quitté le passage.

La nuit était alors tout-à-fait venue. Soudain d’éblouissants jets de gaz éclairèrent le passage et l’intérieur de la boutique du marchand de jouets. Cet homme ôta son chapeau et rabaissa le collet de sa redingote.

Je reconnus mon ancien maître… la Levrasse.

Une sorte de frayeur rétrospective me fit un instant frissonner, surtout lorsque j’eus remarqué les profondes cicatrices d’une large brûlure qui s’étendait depuis le bas de la joue jusqu’au front, brûlure sans doute occasionnée par l’incendie de la voiture nomade, allumé par Bamboche. La figure de la Levrasse était toujours imberbe, blafarde et sardonique. Il me parut à peine vieilli ; seulement au lieu de porter ses cheveux à la chinoise, il les portait coupés très-ras et en brosse, ce qui changeait peu l’aspect de sa physionomie ; je ne pus maîtriser une certaine émotion en présentant la lettre de Robert de Mareuil ; mais je ne ressentais pour le bourreau de mon enfance aucune haine personnelle, si cela peut se dire ; c’était un mélange de dégoût, de mépris et d’horreur qui me soulevait le cœur ; j’aurais voulu, par un sentiment d’équité, voir ce misérable livré à toutes les rigueurs des lois ; mais j’aurais cru me souiller en exerçant sur lui de violentes représailles, que ma jeunesse, ma force et ma résolution eussent rendues faciles.

Avant que la boutique fût éclairée, je m’étais tenu à l’écart et dans l’ombre, dans une espèce de renfoncement formé par la baie de la porte de l’arrière-boutique ; la Levrasse n’avait donc pas jusqu’alors remarqué ma présence ; aussi, à ma vue, il recula d’un pas, et dit à la vieille femme d’un air surpris et contrarié :

— D’où diable sort-il ? Il était donc là ? et moi qui, tout-à-l’heure, me croyais en famille.

— Comment ? — reprit la vieille, — vous ne l’avez pas aperçu ? Moi, je croyais que vous le gardiez exprès pour la fin.

La Levrasse haussa les épaules, frappa du pied et me dit en m’examinant avec attention :

— Qui êtes-vous ? d’où venez-vous ? que voulez-vous ?

— Monsieur, je viens vous apporter une lettre de la part de M. le comte Robert de Mareuil.

À ce nom une vive satisfaction se peignit sur les traits de la Levrasse, et il me dit :

— Donnez… donnez cette lettre… je m’attendais à la recevoir hier.

Après avoir lu la lettre que je lui donnai, et dont le contenu sembla lui plaire beaucoup, il me dit avec un accent d’extrême bienveillance :

— Mon garçon, vous direz à M. le comte Robert de Mareuil que j’aurai l’honneur d’être chez lui demain matin sur les dix heures, ainsi qu’il le désire.

Puis la Levrasse m’ouvrit fort poliment la porte de la boutique en me répétant :

— Demain, à dix heures… ne l’oubliez pas, mon ami, je serai chez M. le comte Robert de Mareuil.

Je sortis de la boutique de la Levrasse avec de nouveaux et puissants motifs de réflexion, d’intérêt, de crainte et de curiosité ; j’étais presque certain que le capitaine dont avait parlé le cul-de-jatte était aussi ce même capitaine que l’adolescent regardait comme le complice des prêts usuraires du marchand de jouets d’enfants : en un mot, qu’il s’agissait encore du capitaine Bambochio.

Quant à la Levrasse, que je retrouvais sous le nom de M. Bonin, marchand de jouets d’enfants, alors seulement je me souvins qu’en effet l’ancien saltimbanque s’appelait Bonin, nom quelquefois inscrit sur nos affiches, mais que j’avais complètement oublié. Je m’étonnai peu du ténébreux métier qu’il faisait, sous le prétexte de vendre des jouets d’enfants ; plus tard seulement j’eus une idée complète de cette nouvelle infamie.

Quelle singulière fatalité, après tant de vicissitudes, de pérégrinations, réunissait ces trois hommes — Bamboche, — le cul-de-jatte, — et la Levrasse ?

Quelle communauté d’intérêts avait pu leur faire oublier la haine implacable dont ils devaient être animés les uns contre les autres ? Comment Bamboche avait-il pu renoncer à ses ressentiments de vengeance contre la Levrasse ?

Je n’en pouvais douter, Bamboche avait été l’auteur ou le complice de bien basses, de bien coupables actions… pourtant je ne sentais pas diminuer mon attachement pour lui. Il se mêlait à cette amitié une sorte de pitié douloureuse, car j’avais été témoin des sincères velléités de retour vers le bien, auxquelles avait souvent obéi Bamboche ; je ne sais quel vague espoir me disait que mon influence sur cette nature énergique lui serait peut-être salutaire. Mon désir de le revoir était bien vif, mais j’eus assez d’empire sur moi pour ne hasarder aucune tentative de rapprochement avant d’avoir arrêté le plan de conduite que je devais tenir à l’endroit des hommes et des choses qui me semblaient importer aux intérêts de Régina.

De retour chez mes nouveaux maîtres, je rapportai au comte Robert de Mareuil la favorable réponse du marchand de jouets d’enfants ; il me parut radieux, et son ami Balthazar se livra aux démonstrations de joie les plus bruyantes et les plus excentriques. Il voulait absolument aller le soir même aux Funambules pour décerner une ovation à Basquine, qu’il admirait de confiance, car il ne l’avait jamais vue jouer, mais Robert de Mareuil ayant rappelé à son ami que leur soirée devait avoir un but plus sérieux, le poète dut en soupirant ajourner son projet.

Après leur frugal dîner, dont les reliefs me suffirent, mes maîtres me prévinrent qu’il serait inutile de les attendre, et m’engagèrent à me coucher, ajoutant qu’ils m’éveilleraient à leur retour, s’ils avaient besoin de quelque chose.

Avant son départ, Robert de Mareuil m’avait ordonné d’ouvrir sa malle, son sac de nuit, et de mettre en ordre les effets qu’ils contenaient.

Cette besogne fut bientôt accomplie, car il était difficile de voir une garde-robe moins nombreuse et plus fatiguée que celle du comte Robert. Le seul objet de luxe que je trouvai dans cette espèce d’inventaire, fut un beau nécessaire à écrire, en cuir de Russie, à fermoir et à serrure d’argent, dont Robert de Mareuil possédait sans doute la clé.

En allant et venant dans cet appartement, j’observai une chose qui ne m’avait pas frappé tout d’abord.

Je remarquai dans la cloison qui séparait la chambre de mes maîtres de celle que je devais occuper, une sorte de replâtrage circulaire de six pouces environ de diamètre, et élevé de trois pieds au-dessus du plancher.

Évidemment cette muraille avait été primitivement percée par le tuyau d’un poêle (destiné sans doute à chauffer alors la pièce ou j’allais coucher) qui allait se perdre en formant un coude à travers la cheminée de la chambre voisine.

Dans cette chambre, occupée par mes maîtres, le papier de la tenture cachait ces vestiges ; mais dans la pièce où je couchais l’on n’avait pas pris soin de les dissimuler…

Il me vint alors une pensée blâmable en soi, je l’avoue, mais qu’autorisaient peut-être les craintes croissantes que m’inspiraient les étranges relations de Robert de Mareuil, et ce que j’avais pu pénétrer de ses desseins sur Régina…

En laissant, du côté de la chambre voisine, le papier de tenture qui cachait l’ancien passage du tuyau, mais en retirant de mon côté les matériaux qui l’obstruaient, je pouvais ne perdre aucune parole de mes maîtres, lors même qu’ils eussent parlé à voix très-basse… Pour masquer l’ouverture de cette espèce de conduit acoustique, je prenais derrière le buffet un morceau de tenture, et je l’ajustais soigneusement à la place du replâtrage apparent dans ma chambre.

J’hésitai avant de me décider à commettre cet abus de confiance, je m’interrogeai sévèrement, me demandant à quel mobile j’obéissais ?

Quel but je me proposais ?

Et enfin, si une nécessité absolue m’autorisait à agir ainsi ?

À ces questions que je me posais en toute sincérité, je répondis :

Le mobile auquel j’obéis est le dévoûment le plus absolu que puisse inspirer un amour aussi passionné que respectueux et désintéressé, un amour qui doit être et sera toujours ignoré de celle qui l’inspire…

Le bien que je me propose est de protéger, de défendre, autant que me le permet mon humble condition, une noble jeune fille que je crois… que je sens menacée.

La nécessité qui m’impose l’obligation d’agir comme je fais, est absolue : je n’ai aucun autre moyen de m’assurer des véritables intentions de Robert de Mareuil… et d’ailleurs, j’en atteste le ciel !… si mes soupçons ne sont pas fondés, si je reconnais la droiture du caractère de ce jeune homme, si ses projets, si ses espérances sont partagées par Régina, quelque douloureuse que me soit cette résolution, je serai aussi zélé pour servir les desseins de Robert de Mareuil que je leur aurais été hostile dans le cas contraire.

Enfin, dernière épreuve, après m’être demandé en mon âme et conscience, si mon action aurait été approuvée par Claude Gérard, à la sanction de qui je reportais toujours mentalement mes actions… je me décidai…

Au bout d’une demi-heure, une communication acoustique, parfaitement masquée, existait entre la chambre voisine et la mienne. Les sons m’arrivaient si distinctement, qu’ayant allumé du feu dans la cheminée de cette chambre occupée par mes maîtres, j’entendis parfaitement les légers pétillements du bois, quoique la porte fût fermée.

Ceci fait, j’attendis avec impatience le retour de Robert de Mareuil en m’étendant sur la peau d’ours que Balthazar m’avait généreusement octroyée, mon chevet tourné du côté de la communication que je venais d’établir.