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Œuvres de La Rochefoucauld - T.1/Réflexions ou sentences et maximes morales

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(Redirigé depuis Maximes)
Texte établi par D. L. Gilbert, Librairie de L. Hachette et Cie (Tome premierp. 23-267).


RÉFLEXIONS OU SENTENCES

ET

MAXIMES MORALES


PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION (1665)[1].


AVIS AU LECTEUR.

Voici un portrait du cœur de l’homme que je donne au public, sous le nom de Réflexions ou Maximes morales[2]. Il court fortune de ne plaire pas à tout le monde, parce qu’on trouvera peut-être qu’il ressemble trop, et qu’il ne flatte pas assez. Il y a apparence que l’intention du peintre n’a jamais été de faire paroître cet ouvrage, et qu’il seroit encore renfermé dans son cabinet, si une méchante copie qui en a couru, et qui a passé même, depuis quelque temps, en Hollande[3], n’avoit obligé un de ses amis de m’en donner une autre, qu’il dit être tout à fait conforme à l’original ; mais toute correcte qu’elle est, possible n’évitera-t-elle pas la censure de certaines personnes qui ne peuvent souffrir que l’on se mêle de pénétrer dans le fond de leur cœur, et qui croient être en droit d’empêcher que les autres les connoissent, parce qu’elles ne veulent pas se connoître elles-mêmes[4]. Il est vrai que, comme ces Maximes sont remplies de ces sortes de vérités dont l’orgueil humain ne se peut accommoder, il est presque impossible qu’il ne se soulève contre elles, et qu’elles ne s’attirent des censeurs[5]. Aussi, est-ce pour eux que je mets ici une Lettre[6] que l’on m’a donnée, qui a été faite depuis que le manuscrit a paru[7], ci dans le temps que chacun se mêloit d’en dire son avis. Elle m’a semblé assez propre pour répondre aux principales difficultés que l’on peut opposer aux Réflexions, et pour expliquer les sentiments de leur auteur ; elle suffit pour faire voir que ce qu’elles contiennent n’est autre chose que l’abrégé d’une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l’Église, et que celui qui les a écrites a eu beaucoup de raison de croire qu’il ne pouvoit s’égarer en suivant de si bons guides, et qu’il lui étoit permis de parler de l’homme comme les Pères en ont parlé. Mais si le respect qui leur est dû n’est pas capable de retenir le chagrin des critiques, s’ils ne font point de scrupule de condamner l’opinion de ces grands hommes en condamnant ce livre, je prie le lecteur de ne les pas imiter, de ne laisser point entraîner son esprit au premier mouvement de son cœur, et de donner ordre, s’il est possible, que l’amour-propre ne se mêle point dans le jugement qu’il en fera ; car s’il le consulte, il ne faut pas s’attendre qu’il puisse être favorable à ces Maximes : comme elles traitent l’amour-propre de corrupteur de la raison, il ne manquera pas de prévenir l’esprit contre elles. Il faut donc prendre garde que cette prévention ne les justifie, et se persuader qu’il n’y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions que la chaleur et la subtilité que l’on témoignera pour les combattre[8] : en effet il sera difficile de faire croire à tout homme de bon sens que l’on les condamne par d’autre motif que par celui de l’intérêt caché, de l’orgueil et de l’amour-propre. En un mot, le meilleur parti que le lecteur ait à prendre est de se mettre d’abord dans l’esprit qu’il n’y a aucune de ces Maximes qui le regarde en particulier, et qu’il en est seul excepté, bien qu’elles paroissent générales[9] ; après cela, je lui réponds qu’il sera le premier à y souscrire, et qu’il croira qu’elles font encore grâce au cœur humain. Voilà ce que j’avois à dire sur cet écrit en général ; pour ce qui est de la méthode que l’on y eût pu observer, je crois qu’il eût été à désirer que chaque maxime eût eu un titre du sujet qu’elle traite, et qu’elles eussent été mises dans un plus grand ordre ; mais je ne l’ai pu faire sans renverser entièrement celui de la copie qu’on m’a donnée[10] ; et comme il y a plusieurs maximes sur une même matière, ceux à qui j’en ai demandé avis ont jugé qu’il étoit plus expédient de faire une Table, à laquelle on aura recours pour trouver celles qui traitent d’une même chose.



PRÉFACE

DE LA CINQUIÈME ÉDITION (1678)[11].


LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

Cette cinquième édition des Réflexions morales est augmentée de plus de cent nouvelles maximes[12], et plus exacte que les quatre première[13]. L’approbation que le public leur a donnée est au-dessus de ce que je puis dire en leur faveur, et si elles sont telles que je les crois, comme j’ai sujet d’en être persuadé, on ne pourroit leur faire plus de tort que de s’imaginer qu’elles eussent besoin d’apologie[14]. Je me contenterai de vous avertir de deux choses : l’une, que par le mot d’intérêt, on n’entend pas toujours un intérêt de bien, mais le plus souvent un intérêt d’honneur ou de gloire ; et l’autre (qui est comme le fondement de toutes ces Réflexions), que celui[15] qui les a faites n’a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché, et qu’ainsi la manière dont il parle de ce nombre infini de défauts qui se rencontrent dans leurs vertus apparentes, ne regarde point ceux que Dieu eu préserve par une grâce particulière[16].

Pour ce qui est de l’ordre de ces Réflexions, on n’aura pas de peine à juger[17] que, comme elles sont toutes sur des matières différentes, il étoit difficile d’y en observer ; et bien qu’il y en ait plusieurs sur un même sujet, on n’a pas cru les devoir toujours[18] mettre de suite, de crainte d’ennuyer le lecteur ; mais on les trouvera dans la Table.


RÉFLEXIONS MORALES.


Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés[19].(éd. 4.)

I

Ce que nous prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses actions et de divers intérêts que la fortune ou notre industrie savent arranger[20], et ce n’est pas toujours par valeur et par chasteté que les hommes sont vaillants et que les femmes sont chastes. (éd. 2*[21].)

II

L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs[22]. (éd. 1.)

III

Quelque découverte que l’on ait faite dans le pays de l’amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues[23]. (éd. 1*.)

IV

L’amour-propre est plus habile que le plus habile homme du monde[24]. (éd. 1.)

V

La durée de nos passions ne dépend pas plus de nous que la durée de notre vie[25]. (éd. 1.)

VI

La passion fait souvent un fou[26] du plus habile homme et rend souvent[27] les plus sots habiles. (éd. 1*.)

VII

Ces[28] grandes et éclatantes actions qui éblouissent les yeux sont représentées par les politiques comme les effets des grands desseins[29], au lieu que ce sont d’ordinaire les effets de l’humeur et des passions. Ainsi la guerre d’Auguste et d’Antoine, qu’on rapporte à l’ambition qu’ils avoient de se rendre maîtres du monde, n’étoit peut-être qu’un effet de jalousie[30]. (éd. 1*.)

VIII

Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours. Elles sont comme un art de la nature dont les règles sont infaillibles[31] ; et l’homme le plus simple qui a de la passion persuade mieux que le plus éloquent qui n’en a point. (éd. 1*.)

IX

Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu’il est dangereux de les suivre, et qu’on s’en doit défier[32], lors même qu’elles paroissent les plus raisonnables[33]. (éd. 1*.)

X

Il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours[34] l’établissement d’une autre[35]. (éd. 1*.)

XI

Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires : l’avarice produit quelquefois la prodigalité, et la prodigalité l’avarice ; on est souvent ferme par foiblesse, et audacieux par timidité[36]. (éd. 1*.)

XII

Quelque soin que l’on prenne de couvrir ses passions

par (les apparences de piété et d’honneur, elles paroissent toujours au travers de ces voiles[37]. (éd. 1*.)

XIII

Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts que de nos opinions[38] (éd. 2.)

XIV

Les hommes ne sont pas seulement sujets à perdre le souvenir[39] des bienfaits et des injures : ils haïssent même ceux[40] qui les ont obligés, et cessent de haïr ceux qui leur ont fait des outrages[41]. L’application à récompenser le

bien, et à se venger du mal, leur paroît une servitude à laquelle ils ont peine de se soumettre[42]. (éd. 1*.)

XV

La clémence des princes n’est souvent qu’une politique[43] pour gagner l’affection des peuples[44] (éd. 1*.)

XVI

Cette clémence, dont on fait une vertu[45], se pratique tantôt par vanité[46], quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble[47]. (éd. 1*.)

XVII

La modération des personnes heureuses vient du calme que la bonne fortune donne à leur humeur[48]. (éd. 1*.)

XVIII

La modération est une crainte de tomber dans l’envie et dans le mépris que méritent ceux[49] qui s’enivrent de leur bonheur[50] ; c’est une vaine ostentation de la force de notre esprit ; et enfin[51] la modération des hommes dans leur plus haute élévation est un désir de paroître[52] plus grands que leur fortune[53]. (éd. 1*.)

XIX

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui[54]. (éd. 1.)

XX

La constance des sages n’est que l’art de renfermer[55] leur agitation dans le cœur[56]. (éd. 1*.)

XXI

Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelque-fois une constance et un mépris de la mort qui n’est en effet que la crainte de l’envisager[57] ; de sorte qu’on peut

dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux[58]. (éd. 1*.)

XXII

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des maux à venir[59], mais les maux présents triomphent d’elle[60]. (éd. 1*.)

XXIII

Peu de gens connoissent la mort : on ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par coutume[61], et la plupart des hommes meurent parce qu’on ne peut s’empêcher de mourir[62]. (éd. 1*.)

XXIV

Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur de leurs infortunes, ils font voir qu’ils ne les soutenoient que par la force de leur ambition, et non par celle de leur âme, et qu’à une grande vanité près[63], les héros sont faits comme les autres homme[64]. (éd. 1*.)

XXV

Il faut de plus grandes vertus[65] pour soutenir la bonne fortune que la mauvaise[66]. (éd. 1*.)

XXVI

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement[67]. (éd. 1.)

XXVII

On fait souvent vanité des passions même les plus criminelles ; mais l’envie[68] est une passion timide et honteuse[69] que l’on n’ose[70] jamais avouer, (éd. 1*.)

XXVIII

La jalousie est, en quelque manière, juste et raisonnable, puisqu’elle ne tend[71] qu’à conserver un bien qui nous appartient ou que nous croyons nous appartenir, au lieu que l’envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres[72]. (éd. 1*.)

XXIX

Le mal que nous faisons ne nous attire pas[73] tant de persécution et de haine que nos bonnes qualités[74]. (éd. 1*.)

XXX

Nous avons plus de force[75] que de volonté, et c’est souvent pour nous excuser à nous-mêmes que nous nous imaginons que les choses sont impossibles[76]. (éd. 1*.)

XXXI

Si nous n’avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les autres[77]. (éd. 1*.)

XXXII

La jalousie se nourrit dans les doutes, et elle devient fureur, ou elle finit, sitôt qu’on passe du doute à la certitude[78]. (éd. 1*.)

XXXIII

L’orgueil se dédommage toujours et ne perd rien[79], lors même qu’il renonce à la vanité[80]. (éd. 1*.)

XXXIV

Si nous n’avions point d’orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres[81]. (éd. 1.)

XXXV

L’orgueil est égal dans tous les hommes, et il n’y a de différence qu’aux moyens et à la manière de le mettre au jour[78]. (éd. 1.)

XXXVI

Il semble que la nature, qui a si sagement disposé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donné l’orgueil pour nous épargner la douleur de connoître nos imperfections[82]. (éd. 1*.)

XXXVII

L’orgueil a plus de part[83] que la bonté aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes, et nous ne les reprenons pas tant[84] pour les en corriger, que pour leur persuader[85] que nous en sommes exempts[86]. (éd. 1*.)

XXXVIII

Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes[87]. (éd. 1.)

XXXIX

L’Intérêt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de personnages, même[88] celui de désintéressé. (éd. 1*.)

XL

L’intérêt, qui aveugle les uns, fait la lumière des autres[89]. (éd. 1.)

XLI

Ceux qui s’appliquent trop aux petites choses deviennent ordinairement incapables des grandes[90]. (éd. 1.)

XLII

Nous n’avons pas assez de force[91] pour suivre toute notre raison[92]. (éd. 1*.)

XLIII

L’homme croit souvent se conduire lorsqu’il est conduit[93] et pendant que par son esprit il tend à un but[94], son cœur l’entraîne[95] insensiblement à un autre[96]. (éd. 1*.)

XLIV

La force et la foiblesse de l’esprit sont mal nommées ;

elles ne sont, en effet, que la bonne ou la mauvaise disposition des organes du corps[97] (éd. 1.)

XLV

Le caprice de notre humeur[98] est encore plus bizarre

que celui de la fortune, (éd. 1*.)

XLVI

L’attachement ou l’indifférence que les philosophes avoient pour la vie n’étoit qu’un goût de leur amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que du goût de la langue, ou du choix des couleurs[99]. (éd. 1*.)

XLVII

Notre humeur met le prix à tout ce qui nous vient de la fortune[100]. (éd. 2.)

XLVIII

La félicité est dans le goût, et non pas dans les choses ; et c’est par avoir ce qu’on aime qu’on est heureux, et non par avoir[101] ce que les autres trouvent aimable. (éd. 1*.)

XLIX

On n’est jamais si heureux ni si malheureux qu’on s’imagine[102]. (éd. 1*.)

L

Ceux qui croient avoir du mérite se font un honneur d’être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu’ils sont dignes[103] d’être en butte à la fortune[104]. (éd. 1*.)

LI

Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de nous-mêmes que de voir que nous

désapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre[105]. (éd. 1*.)

LII

Quelque différence qui paroisse[106] entre les fortunes, il y a néanmoins[107] une certaine compensation[108] de biens et de maux qui les rend égales[109]. (éd. 1*.)

LIII

Quelques grands avantages que la nature donne, ce n’est pas elle seule, mais la fortune avec elle qui fait les

héros[110]. (éd. 1*.)

LIV

Le mépris des richesses étoit dans les philosophes[111] un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune, par le mépris des mêmes biens dont elle les privoit ; c’étoit un secret pour se garantir de l’avilissement[112] de la pauvreté ; c’étoit[113] un chemin détourné pour aller à la considération qu’ils ne pouvoient avoir par les richesses[114]. (éd. 1*.)

LV

La haine pour[115] les favoris n’est autre chose que

l’amour de la faveur. Le dépit de ne la pas posséder se console et s’adoucit par le mépris que l’on témoigne de ceux qui la possèdent ; et nous leur refusons nos hommages[116], ne pouvant pas leur ôter ce qui leur attire ceux de tout le monde[117]. (éd. 1*.)

LVI

Pour s’établir dans le monde, on fait tout ce que l’on peut pour y paroître établi[118]. (éd. 1.)

LVII

Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d’un grand dessein, mais des effets du hasard[119]. (éd. 1*.)

LVIII

Il semble que nos actions aient des étoiles heureuses ou malheureuses, à qui elles doivent une grande partie[120] de la louange et du blâme qu’on leur donne[121]. (éd. 1*.)

LIX

Il n’y a point d’accidents si malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents ne puissent tourner à leur préjudice[122]. (éd. 1*.)


LX

La fortune tourne tout à l’avantage de ceux qu’elle favorise[123]. (éd. 1*.)

LXI

Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune[124]. (éd. 2.)

LXII

La sincérité est une ouverture[125] de cœur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l’on voit d’ordinaire[126] n’est qu’une fine dissimulation, pour attirer la confiance des autres[127]. (éd. 1*.)

LXIII

L’aversion du mensonge est souvent[128] une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d’attirer à nos paroles[129] un respect de religion[130]. (éd. 1*.)

LXIV

La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font du mal[131]. (éd. 1*.)

LXV

Il n’y a point d’éloges qu’on ne donne à la prudence ;

cependant elle ne sauroit nous assurer du moindre événement[132]. (éd. 1*.)

LXVI

Un habile homme doit relier[133] le rang de ses intérêts, et les conduire chacun dans son ordre ; notre avidité le trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour désirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables[134]. (éd. 1*.)

LXVII

La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit[135]. (éd. 2.)

LXVIII

Il est difficile de définir l’amour : ce qu’on en peut dire[136] est que, dans rame, c’est une passion de régner ; dans les esprits, c’est une sympathie ; et dans le corps, ce n’est qu’une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime[137] après beaucoup de mystères. (éd. 1*.)

LXIX

S’il y a un amour pur et exempt du mélange de nos autres passions, c’est celui[138] qui est caché au fond du cœur, et que nous ignorons nous-mêmes, (éd. 1*.)

LXX

Il n’y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas[139]. (éd. 1.)

LXXI

Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés, quand ils ne s’aiment plus[140]. (éd. 5.)

LXXII

Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié[141]. (éd. 1.)

LXXIII

On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de galanterie, mais il est rare d’en trouver qui n’en aient jamais eu qu’une[142]. (éd. 1*.)

LXXIV

Il n’y a que d’une sorte d’amour[143], mais il y en a mille différentes copies. (éd. 1*.)

XXV

L’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel, et il cesse de vivre dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre[144]. (éd. 1.)

LXXVI

Il est du véritable amour comme de l’apparition[145] des esprits : tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu[146]. (éd. 1*.)

LXXVII

L’amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a[147] non plus de part[148] que le Doge à ce qui se fait[149] à Venise. (éd. 1*.)

LXXVIII

L’amour de la justice n’est, en la plupart des hommes[150], que la crainte de souffrir l’injustice. (éd. 1*.)

LXXIX

Le silence est le parti le plus sur de celui qui se défie de soi-même[151]. (éd. 1.)

LXXX

Ce qui nous rend si changeants dans nos amitiés, c’est qu’il est difficile de connoître les qualités de l’âme, et facile[152] de connoître celles de l’esprit[153]. (éd. 1*.)

LXXXI

Nous ne pouvons rien aimer que par rapport à nous, et nous ne faisons que suivre notre goût et notre plaisir quand nous préférons nos amis à nous-mêmes ; c’est néanmoins par cette préférence seule que l’amitié peut être vraie et parfaite[154]. (éd. 5.)

LXXXII

La réconciliation avec nos ennemis[155] n’est qu’un désir de rendre notre condition meilleure[156], une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais événement[157]. (éd. 1*.)

LXXXIII

Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts, et qu’un échange de bons offices ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner[158]. (éd. 1*.)

LXXXIV

Il est plus honteux de se défier de ses amis que d’en être trompé[159]. (éd. 2.)

LXXXV

Nous nous persuadons souvent[160] d’aimer les gens plus puissants que nous, et néanmoins c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié. Nous ne nous donnons pas[161] à

eux pour le bien que nous leur voulons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir. (éd. 1*.)

LXXXVI

Notre défiance justifie la tromperie d’autrui[162]. (éd. 2.)

LXXXVII

Les hommes ne vivroient pas longtemps en société, s’ils n’étoient les dupes les uns des autres[163]. (éd. 5.)

LXXXVIII

L’amour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes qualités de nos amis à proportion de la satisfaction que nous avons d’eux ; et nous jugeons de leur mérite par la manière dont ils vivent avec nous[164]. (éd. 1*.)

LXXXIX

Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement[165]. (éd. 2*.)

XC

Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos défauts que par nos bonnes qualités[166]. (éd. 5.)

XCI

La plus grande ambition n’en a pas la moindre apparence, lorsqu’elle se rencontre dans mie impossibilité absolue d’arriver où elle aspire. (éd. 2.)

XCII

Détromper un homme préoccupé de son mérite est lui rendre un aussi mauvais office que celui[167] que l’on rendit à ce fou d’Athènes[168] qui croyoit que tous les vaisseaux qui arrivoient dans le port étoient à lui[169]. (éd. 2*.)

XCIII

Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n’être plus en état de donner de mauvais exemples[170]. (éd. 1.)

XCIV

Les grands noms abaissent au lieu d’élever ceux qui ne les savent pas soutenir[171]. (éd. 2.)

XCV

La marque d’un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l’envient le plus sont contraints de le louer[172]. (éd. 2.)

XCVI

Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude que celui qui lui a fait du bien[173]. (éd. 5.)

XCVII

On s’est trompé lorsqu’on a cru que l’esprit et le jugement étoient deux choses différentes[174] : le jugement n’est que la grandeur de la lumière de l’esprit[175] ; cette lumière pénètre le fond des choses, elle y remarque tout ce qu’il tant remarquer, et aperçoit celles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurer d’accord[176] que c’est l’étendue de la lumière de l’esprit qui produit tous les effets qu’on attribue[177] au jugement[178]. (éd. 1*.)


XCVIII

Chacun dit du bien de son cœur[179], et personne n’en ose dire de son esprit[180] (éd. 1.)


XCIX

La politesse de l’esprit consiste à penser des choses honnêtes et délicates. [181]. (éd. 1*.)


C

La galanterie de l’esprit est de dire des choses flatteuses d’une manière agréable [182]. (éd. 1*.)

CI

Il arrive souvent que des choses se présentent plus achevées à notre esprit qu’il ne les pourroit faire avec beaucoup d’art[183]. (éd. 1*.)

CII

L’esprit est toujours la dupe du cœur[184]. (éd. 1.)

CIII

Tous ceux qui connoissent leur esprit ne connoissent pas leur cœur[185]. (éd. 1*.)

CIV

Les hommes et les affaires ont leur point de perspective : il y en a[186] qu’il faut voir de près, pour en bien juger ; et d’autres[187] dont on ne juge[188] jamais si bien que quand on en est éloigné, (éd. 1*.)

CV

Celui-là n’est pas raisonnable à qui le hasard fait trouver la raison, mais celui qui la connoît, qui la discerne et qui la goûte[189]. (éd. 1.)

CVI

Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le détail, et comme il est presque infini, nos connoissances sont toujours superficielles et imparfaites

[190]. (éd. 1*.)

CVII

C’est une espèce de coquetterie de faire remarquer qu’on n’en fait jamais[191]. (éd. 2.)

CVIII

L’esprit ne sauroit jouer longtemps le personnage du cœur[192] (éd. 2.)

CVIX

La jeunesse change ses goûts par l’ardeur du sang, et la vieillesse conserve les siens par l’accoutumance[193]. (éd. 2*.)

CVX

On ne donne rien si libéralement que ses conseils[194]. (éd. 1*.)

CXI

Plus on aime une maîtresse, et plus on est prêt de la haïr[195]. (éd. 2.)

CXII

Les défauts de l’esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage[196]. (éd. 2.)

CXIII

Il y a de bons mariages, mais il n’y en a point de délicieux[197]. (éd. 2.)

CXIV

On ne se peut consoler d’être trompé[198] par ses ennemis, et trahi par ses amis, et l’on est[199] souvent satisfait de l’être par soi-même. (éd. 1*.)

CXV

Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s’en apercevoir[200] qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent. (éd. 1*.)

CXVI

Rien n’est moins sincère que la manière de demander et de donner des conseils : celui qui en demande paroît avoir une déférence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien qu’il ne pense qu’à lui faire approuver les siens, et à le rendre garant de sa conduite ; et celui qui conseille paye la confiance qu’on lui témoigne d’un zèle ardent et désintéressé, quoiqu’il ne cherche le plus souvent[201], dans les conseils qu’il donne, que son propre intérêt ou sa gloire[202]. (éd. 1*.)

CXVII

La plus subtile[203] de toutes les finesses est de savoir bien feindre[204] de tomber dans les pièges que l’on nous tend,

et[205] on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. (éd. 1*.)

CXVIII

L’intention de ne jamais tromper nous expose à être souvent trompés[206]. (éd. 1.)

CXIX

Nous sommes si accoutumés à nous déguiser aux autres, qu’enfin[207] nous nous déguisons à nous-mêmes. (éd. 1*.)

CXX

L’on fait plus souvent des trahisons par foiblesse que par un dessein formé de trahira[208]. (éd. 1*.)

CXXI

On fait souvent du bien pour pouvoir impunément faire du mal[209]. (éd. 1*.)

CXXII

Si nous résistons à nos passions, c’est plus par leur foiblesse que par notre force. (éd. 2.)

CXXIII

On n’auroit guère de plaisir si on ne se flattoit jamais[210]. (éd. 2.)

CXXIV

Les plus habiles affectent toute leur vie de blâmer[211] les finesses, pour s’en servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intérêt. (éd. 1*.)

CXXV

L’usage ordinaire de la finesse est la marque[212] d’un petit esprit, et il arrive presque toujours[213] que celui qui s’en sert pour se couvrir en un endroit, se découvre en un autre. (éd. 1*.)

CXXVI

Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque d’habileté[214]. (éd. 1*.)

CXXVII

Le vrai moyen d’être trompé, c’est de se croire plus fin que les autres[215]. (éd. 1*.)

CXXVIII

La trop grande[216] subtilité est une fausse délicatesse, et la véritable délicatesse est une solide subtilité. (éd. 1*.)

CXXIX

suffit quelquefois d’être grossier[217] pour n’être pas trompé par un habile homme[218]. (éd. 1*.)

CXXX

La foiblesse est le seul défaut que l’on ne sauroit corriger[219]. (éd. 2.)

CXXXI

Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l’amour, c’est de faire l’amour[220]. (éd. 2.)

CXXXII

Il est plus aisé d’être sage pour les autres que de l’être pour soi-même[221]. (éd. 1*.)

CXXXIII

Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridicule des méchants originaux[222]. (éd. 2*.)

CXXXIV

On n’est jamais si ridicule par les qualités que l’on a que par celles que l’on affecte d’avoir[223]. (éd. 1.)

CXXXV

On est quelquefois aussi différent de soi-même que des autres[224]. (éd. 1*.)

CXXXVI

Il y a des gens qui n’auroient jamais été amoureux, s’ils n’avoient jamais entendu parler de l’amour[225]. (éd. 2.)

CXXXVII

On parle peu, quand la vanité ne fait pas parler[226]. (éd. 1*.)

CXXXVIII

On aime mieux dire du mal de soi-même que[227] de n’en point parler. (éd. 1*.)

CXXXIX

Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens qui paroissent raisonnables et agréables dans la conversation, c’est qu’il n’y a presque personne[228] qui ne pense plutôt à ce qu’il veut dire qu’à répondre précisément à ce qu’on lui dit[229]. Les plus habiles[230] et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine attentive, au même temps que l’on voit, dans leurs yeux et dans leur esprit, un égarement pour ce qu’on leur dit, et une précipitation pour retourner à ce qu’ils veulent dire, au lieu (le considérer que c’est un mauvais moyen de plaire aux autres, ou de les persuader, que de chercher si fort à se plaire à soi-même, et que bien écouter et bien répondre est une des plus grandes perfections qu’on puisse avoir dans la conversation[231]. (éd. 1*.)

CXL

Un homme d’esprit seroit souvent bien embarrassé sans la compagnie des sots[232]. (éd. 1.)

CXLI

Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer, et nous sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouver de mauvaise compagnie[233]. (éd. 1*.)

CXLII

Comme c’est le caractère des grands esprits de faire entendre en peu de paroles[234] beaucoup de choses, les petits esprits, au contraire[235], ont le don de beaucoup parler, et de ne rien dire[236]. (éd. 1*.)

CXLIII

C’est plutôt par l’estime de nos propres sentiments[237] que nous exagérons les bonnes qualités des autres, que par l’estime de leur mérite[238] ; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsqu’il semble que nous leur en donnons[239]. (éd. 1*.)

CXLIV

On n’aime point à louer, et on ne loue jamais personne sans intérêt[240]. La louange est une flatterie habile, cachée, et délicate, qui satisfait différemment celui qui la donne et celui qui la reçoit : l’un la prend comme une récompense de son mérite ; l’autre la donne pour faire remarquer son équité et son discernement[241]. (éd. 1.)

CXLV

Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui font voir, par contre-coup, en ceux que nous louons, des défauts que nous n’osons découvrir d’une autre sorte[242]. (éd. 1*.)

CXLVI

On ne loue d’ordinaire[243] que pour être loué. (éd. 1*.)

CXLVII

Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit[244]. (éd. 1*.)

CXLVIII

Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent[245]. (éd. 1.)

CXLIX

Le refus des louanges est un désir d’être loué deux fois[246]. (éd. 1.)

CL

Le désir de mériter les louanges qu’on nous donne fortifie notre vertu, et celles que l’on donne à l’esprit, à la valeur et à la beauté contribuent à les augmenter[247]. (éd. 1.)

CLI

Il est plus difficile de s’empêcher d’être gouverné que de gouverner les autres[248]. (éd. 2.)

CLII

Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourroit nuire[249]. (éd. 1*.)

CLIII

La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre[250]. (éd. 1.)

CLIV

La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne sauroit corriger[251] (éd. 3*.)

CLV

Il y a des gens dégoûtants avec du mérite, et d’autres qui plaisent avec des défauts[252]. (éd. 1*.)

CLVI

Il y a des gens dont tout le mérite[253] consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteroient tout s’ils changeoient de conduite[254] (éd. 1*.)

CLVII

La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquérir[255]. (éd. 1*.)

CLVIII

La flatterie est une fausse monnoie, qui n’a de cours que par notre vanité[256]. (éd. 5.)

CLIX

Ce n’est pas assez d’avoir de grandes qualités ; il en faut avoir l’économie[257]. (éd. 1.)

CLX

Quelque éclatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande, lorsqu’elle n’est pas l’effet d’un grand dessein[258]. (éd. 1*.)

CLXI

Il doit y avoir une certaine proportion[259] entre les actions et les desseins, si on en veut tirer tous les effets qu’elles peuvent produire[260]. (éd. 1*.)

CLXII

L’art de savoir bien mettre en œuvre[261] de médiocres qualités dérobe l’estime, et[262] donne souvent plus de réputation que le véritable mérite. (éd. 1*.)

CLXIII

Il y a une infinité de conduites qui paroissent ridicules, et dont les raisons cachées sont très-sages et très-solides[263]. (éd. 1*.)

CLXIV

Il est plus facile de paroître digne des emplois qu’on n’a pas que de ceux que l’on exerce[264]. (éd. 1*.)

CLXV

Notre mérite nous attire l’estime des honnêtes gens, et noire étoile celle du public[265]. (éd. 1.)

CLXVI

Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même[266]. (éd. 1*.)

CLXVII

L’avarice est plus opposée à l’économie que la libéralité[267]. (éd. 2.)

CLXVIII

L’espérance, toute trompeuse qu’elle est[268], sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable. (éd. 1*.)

CLXIX

Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent[269] dans notre devoir, notre vertu en a souvent[270] tout l’honneur. (éd. 1*.)

CLXX

Il est difficile de juger si un procédé[271] net, sincère et honnête est un effet de probité ou d’habileté[272]. (éd. 1*.)

CLXXI

Les vertus se perdent[273] dans l’intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer. (éd. 1*.)

CLXXII

Si on examine bien les divers effets de l’ennui, on trouvera qu’il fait manquer à plus de devoirs que l’intérêt[274]. (éd. 5.)

CLXXIII

Il y a diverses sortes de curiosité : l’une d’intérêt, qui nous porte à désirer d’apprendre ce qui nous peut être utile ; et l’autre d’orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent[275]. (éd. 1*.)

CLXXIV

Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu’à prévoir celles qui nous peuvent arriver[276]. (éd. 1*.)

CLXXV

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons[277], donnant tantôt la préférence à l’une, tantôt à l’autre : de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrêtée[278] et renfermée dans un même sujet. (éd. 1*.)

CLXXVI

Il y a deux sortes de constance en amour : l’une vient[279] de ce que l’on trouve sans cesse dans la personne que l’on aime[280] de nouveaux sujets d’aimer[281], et l’autre vient de ce que l’on se fait[282] un honneur d’être constante[283]. (éd. 1*.)

CLXXVII

La persévérance n’est digne ni de blâme, ni de louange, parce qu’elle n’est que la durée des goûts et des sentiments, qu’on ne s’ôte et qu’on ne se donne point[284]. (éd. 1.)

CLXXVIII

Ce qui nous fait aimer les nouvelles connoissances[285] n’est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le dégoût de n’être pas[286] assez admirés de ceux qui nous connoissent trop, et l’espérance de l’être davantage de ceux qui ne nous connoissent pas tant[287]. (éd. 1*.)

CLXXIX

Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis pour justifier par avance notre légèreté[288]. (éd. 1*.)

CLXXX

Notre repentir n’est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu’une crainte de celui qui nous en peut arriver[289]. (éd. 1*.)

CLXXXI

Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l’esprit[290] ou de sa foiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d’autrui, et[291] il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses[292]. (éd. 1*.)

CLXXXII

Les vices entrent dans la composition des vertus, comme les poisons entrent dans la composition des remèdes[293] : la prudence les assemble et les tempère, et elle s’en sert utilement contre les maux de la vie. (éd. 1*.)

CLXXXIII

Il faut demeurer d’accord, à l’honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par les crimes[294]. (éd. 5*.)

CLXXXIV

Nous avouons nos défauts, pour réparer par notre sincérité le tort qu’ils nous font dans l’esprit des autres[295]. (éd. 1*.)

CLXXXV

Il y a des héros en mai comme en bien[296]. (éd. 1.)

CLXXXVI

On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices, mais on méprise tous ceux qui n’ont aucune vertu[297]. (éd. 1*.)

CLXXXVII

Le nom de la vertu sert à l’intérêt aussi utilement que les vices[298]. (éd. 1.)

CLXXXVIII

La santé de l’âme n’est pas plus assurée que celle du corps ; et quoique l’on paroisse éloigné des passions[299], on n’est pas moins en danger de s’y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien[300]. (éd. 1*.)

CLXXXIX

Il semble que la nature ait prescrit à chaque homme[301], dès sa naissance, des bornes pour les vertus et pour les vices[302]. (éd. 1*.)

CXC

H n’appartient qu’aux grands hommes d’avoir de grands défauts[303] (éd. 1.)

CXCI

On peut dire[304] que les vices nous attendent, dans le cours de la vie, comme des hôtes chez qui[305] il faut successivement loger ; et je doute que l’expérience nous les fit éviter, s’il nous étoit permis[306] de faire deux fois le même chemin. (éd. 1*.)

CXCII

Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c’est nous qui les quittons[307]. (éd. 1*.)

CXCIII

Il y a des rechutes dans les maladies de l’âme, comme

dans celles du corps ; ce que nous prenons pour notre guérison n’est, le plus souvent, qu’un relâche, ou un changement de mal[308]. (éd. 1*.)

CXCIV

Les défauts de l’âme sont comme les blessures du corps : quelque soin qu’on prenne de les guérir, la cicatrice paroît toujours, et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir[309]. (éd. 1*.)

CXCV

Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs[310]. (éd. 1*.)

CXCVI

Nous oublions aisément nos fautes lorsqu’elles ne sont sues que de nous[311]. (éd. 1*.)

CXCVII

Il y a des gens de qui l’on peut ne jamais croire du mal[312] sans l’avoir vu ; mais il n’y en a point en qui il nous doive surprendre en le voyant. (éd. 1*.)

CXCVIII

Nous élevons la gloire des uns pour abaisser[313] celle des autres, et quelquefois[314] on loueroit moins Monsieur le Prince[315] et M. de Turenne si on ne les vouloit point blâmer tous deux[316]. (éd. 1*.)

CXCIX

Le désir de paroître habile empêche souvent de le devenir[317]. (éd. 1*.)

CC

La vertu n’iroit pas si loin[318] si la vanité ne lui tenoit compagnie. (éd. 1*.)

CCI

Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde[319] se trompe fort ; mais celui qui croit qu’on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage. (éd. 1*.)

CCII

Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes ; les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connoissent parfaitement, et les confessent[320]. (éd. 1*.)

CCIII

Le vrai honnête homme[321] est celui qui ne se pique de rien[322]. (éd. 1.)

CCIV

La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu’elles ajoutent à leur beauté[323]. (éd. 1*.)

CCV

L’honnêteté des femmes est souvent l’amour[324] de leur réputation et de leur repos, (éd. 1*.)

CCVI

C’est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens[325]. (éd. 1.)

CCVII

La folie nous suit dans tous les temps de la vie[326]. Si quelqu’un paroît sage, c’est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune. (éd. 1*.)

CCVIII

Il y a des gens niais qui se connoissent[327], et qui emploient habilement leur niaiserie. (éd. 1*.)

CCIX

Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit[328]. (éd. 1*.)

CCX

En vieillissant, on devient plus fou et plus sage[329]. (éd. 1.)

CCXI

Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles[330], qu’on ne chante qu’un certain temps[331]. (éd. 1*.)

CCXII

La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu’ils ont, ou par leur fortune[332]. (éd. 1*.)

CCXIII

L’amour de la gloire, la crainte de la honte[333], le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l’envie d’abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes[334]. (éd. 1*.)

CCXIV

La valeur est, dans les simples soldats, un métier périlleux qu’ils ont pris pour gagner leur vie[335]. (éd. 1*.)

CCXV

La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l’on arrive rarement[336]. L’espace qui est entre-deux est vaste, et contient toutes les autres espèces de courage : il n’y a pas moins de différence entre elles qu’entre les visages et les humeurs. Il y a des hommes qui[337] s’exposent volontiers au commencement d’une action, et qui se relâchent et se rebutent aisément par sa durée ; il y en a qui sont contents[338] quand ils ont satisfait à l’honneur du monde, et qui font fort peu de chose[339] au delà[340]. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur ; d’autres se laissent quelquefois entraîner à des terreurs générales[341] ; d’autres vont à la charge, parce qu’ils n’osent demeurer dans leurs postes. Il s’en trouve[342] à qui l’habitude des moindres périls affermit le courage, et les prépare à s’exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves à coups d’épée, et qui craignent les coups de mousquet ; d’autres sont assurés aux coups de mousquet, et appréhendent de se battre à coups d’épée. Tous ces courages, de différentes espèces, conviennent en ce que[343], la nuit augmentant[344] la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager[345]. Il y a encore un autre ménagement plus général ; car ou ne voit point d’homme qui fasse tout ce qu’il seroit capable de faire dans une occasion, s’il étoit assuré d’en revenir[346] : de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose de la valeur[347]. (éd. 1*.)

CCXVI

La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu’on seroit capable de faire devant tout le monde[348]. (éd. 1*.)

CCXVII

L’intrépidité est une force extraordinaire de l’âme, qui l’élève au-dessus des troubles, des désordres et des émotions que la vue des grands périls pourroit exciter en elle, et c’est par cette force que les héros[349] se maintiennent en un état paisible, et conservent l’usage libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les plus terribles[350]. (éd. 1*.)

CCXVIII

L’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu[351]. (éd. 2*.)

CCXIX

La plupart des hommes s’exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur ; mais peu se veulent toujours exposer[352] autant qu’il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s’exposent. (éd. 1*.)

CCXX

La vanité, la honte, et surtout le tempérament, font

souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes[353]. (éd. 1*.)

CCXXI

On ne veut point perdre la vie, et on veut acquérir de la gloire : ce qui fait que[354] les braves ont plus d’adresse et d’esprit pour éviter la mort, que les gens de chicane n’en ont pour conserver leur bien[355]. (éd. 1*.)

CCXXII

Il n’y a guère de personnes[356] qui, dans le premier penchant[357] de l’âge, ne fassent connoître par où leur corps et leur esprit doivent défaillir. (éd. 2*.)

CCXXIII

Il est de la reconnoissance comme de la bonne foi des marchands : elle entretient le commerce, et nous ne payons pas parce qu’il est juste de nous acquitter[358], mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent. (éd. 1*.)

CCXXIV

Tous ceux qui s’acquittent des devoirs de la reconnoissance ne peuvent pas pour cela se flatter d’être reconnoissants[359]. (éd. 1*.)

CCXXV

Ce qui fait le mécompte[360] dans la reconnoissance qu’on attend des grâces que l’on a faites[361], c’est que l’orgueil de celui qui donne et l’orgueil de celui qui reçoit ne peuvent convenir du prix du bienfait[362]. (éd. 1*.)

CCXXVI

Le trop grand empressement qu’on a de s’acquitter d’une obligation est une espèce d’ingratitude[363]. (éd. 1*.)

CCXXVII

Les gens heureux ne se corrigent guère, et ils croient[364] toujours avoir raison, quand la fortune soutient leur mauvaise conduite[365]. (éd. 5*.)

CCXXVIII

L’orgueil[366] ne veut pas devoir, et l’amour-propre ne veut pas payer[367]. (éd. 1*.)

CCXXIX

Le bien que nous avons reçu de quelqu’un veut que nous respections le mal qu’il nous fait[368]. (éd. 1*.)

CCXXX

Rien n’est si contagieux que l’exemple, et nous ne faisons jamais de grands biens ni de grands maux qui n’en produisent de semblables[369]. Nous imitons les bonnes actions par émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature, que la honte retenoit prisonnière, et que l’exemple met en liberté[370]. (éd. 1*.)

CCXXXI

C’est une grande folle de vouloir[371] être sage tout seul[372]. (éd. 2*.)

CCXXXII

Quelque prétexte que nous donnions à nos afflictions, ce n’est souvent que l’intérêt et la vanité qui les causent[373]. (éd. 1*.)

CCXXXIII

Il y a dans les afflictions diverses sortes d’hypocrisie. dans l’une, sous prétexte[374] de pleurer la perte d’une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes ; nous regrettons la bonne opinion qu’elle avoit de nous ; nous pleurons la diminution[375] de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts[376] ont l’honneur des larmes qui ne coulent que pour les vivants. Je dis que c’est une espèce d’hypocrisie, à cause que dans ces sortes d’afflictions, on se trompe soi-même[377]. Il y a une autre hypocrisie, qui n’est pas si innocente, parce qu’elle impose[378] à tout le monde[379] : c’est l’affliction de certaines personnes qui aspirent à la gloire d’une belle et immortelle douleur. Après que le temps, qui consume tout, a fait cesser celle qu’elles avoient en effet, elles ne laissent pas[380] d’opiniâtrer leurs pleurs, leurs plaintes et leurs soupirs ; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent à persuader, par toutes leurs actions, que leur déplaisir ne finira qu’avec leur vie[381]. Cette triste et fatigante vanité se trouve d’ordinaire dans les femmes ambitieuses : comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mènent à la gloire, elles s’efforcent de se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable affliction[382]. Il y a encore une autre espèce de larmes qui n’ont que de petites sources, qui coulent et se tarissent facilement : on pleure[383] pour avoir la réputation d’être tendre ; on pleure pour être plaint ; on pleure pour être pleuré ; enfin[384] on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas[385]. (éd. 1*.)

CCXXXIV

C’est plus souvent par orgueil que par défaut de lumières qu’on s’oppose avec tant d’opiniâtreté[386] aux opinions les plus suivies : on trouve les premières places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernières[387]. (éd. 5*.)

CCXXXV

Nous nous consolons aisément des disgrâces[388] de nos amis, lorsqu’elles servent à signaler notre tendresse pour eux[389]. (éd. 1*.)

CCXXXVI

Il semble que l’amour-propre soit la dupe de la bonté, et qu’il s’oublie lui-même, lorsque nous travaillons pour l’avantage des autres : cependant c’est prendre le chemin le plus assuré pour arriver à ses fins ; c’est prêter à usure, sous prétexte de donner ; c’est enfin s’acquérir tout le monde par un moyen subtil et délicat[390]. (éd. 1*.)

CCXXXVII

Nul ne mérite d’être loué de bonté, s’il n’a pas la force d’être méchant[391] : toute autre bonté n’est le plus souvent qu’une paresse ou une impuissance de la volonté[392]. (éd. 1*.)

CCXXXVIII

Il n’est pas si dangereux de faire du mal à la plupart des hommes que de leur faire trop de bien[393]. (éd. 1*.)

CCXXXIX

Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands, parce que nous la[394] regardons comme un effet de notre mérite, sans considérer qu’elle ne vient le plus souvent que de vanité, ou d’impuissance de garder le secret[395]. (éd. 1*.)

CCXL

On peut dire de l’agrément, séparé de la beauté, que c’est une symétrie[396] dont on ne sait point les règles, et un rapport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs, et avec l’air de la personne[397]. (éd. 1*.)

CCXLI

La coquetterie est le fond de l’humeur des femmes[398] ; mais toutes ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison[399]. (éd. 1*.)

CCXLII

On incommode souvent les autres, quand on croit ne les pouvoir jamais incommoder[400]. (éd. 1*.)

CCXLIII

Il y a peu de choses impossibles d’elles-mêmes, et[401] l’application pour les faire réussir nous manque plus[402] que les moyens[403]. (éd. 1*.)

CCXLIV

La souveraine habileté consiste à bien connoître le prix des choses[404]. (éd. 1*.)

CCXLV

C’est une grande habileté que de savoir cacher son habileté[405]. (éd. 1*.)

CCXLVI

Ce qui paroît générosité n’est souvent qu’une ambition déguisée, qui méprise de petits intérêts, pour aller à de plus grands[406]. (éd. 1*.)

CCXLVII

La fidélité qui paroît en la plupart des hommes n’est qu’une invention de l’amour-propre, pour attirer la confiance ; c’est un moyen de nous élever au-dessus des autres, et de nous rendre dépositaires des choses les plus importantes[407]. (éd. 1*.)

CCXLVIII

La magnanimité méprise tout, pour avoir tout[408]. (éd. 1*.)

CCXLIX

Il n’y a pas moins d’éloquence dans le ton de la voix, dans les yeux, et dans l’air de la personne, que dans le choix des paroles[409]. (éd. 1*.)

CCL

La véritable éloquence consiste à dire tout ce qu’il faut, et à ne dire que ce qu’il faut[410]. (éd. 1*.)

CCLI

Il y a des personnes à qui les défauts siéent bien, et d’autres qui sont disgraciées avec leurs bonnes qualités[411]. (éd. 1*.)

CCLII

Il est aussi ordinaire de voir changer les goûts, qu’il est extraordinaire[412] de voir changer les inclinations[413]. (éd. 1*.)

CCLIII

L’intérêt met en œuvre toutes sortes de vertus et de vices[414]. (éd. 1*.)

CCLIV

L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission, dont on se sert pour soumettre les autres ; c’est un artifice de l’orgueil qui s’abaisse pour s’élever ; et bien qu’il se transforme en mille manières, il n’est jamais mieux déguisé et plus capable de tromper que lorsqu’il se cache sous la figure de l’humilité[415]. (éd. 1*.)

CCLV

Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes[416] et des mines qui leur sont propres, et ce rapport, bon ou mauvais, agréable ou désagréable, est ce qui fait que les personnes[417] plaisent ou déplaisent. (éd. 1*.)

CCLVI

Dans toutes les professions, chacun affecte une mine et un extérieur, pour paroître ce qu’il veut qu’on le croie : ainsi on peut dire que le monde n’est composé que de mines[418]. (éd. 1*.)

CCLVII

La gravité est un mystère du corps inventé pour cacher les défauts de l’esprit[419]. (éd. 1*.)

CCLVIII

Le bon goût vient plus du jugement que de l’esprit[420]. (éd. 5.)

CCLIX

Le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne[421]. (éd. 2*.)

CCLX

La civilité est un désir d’en recevoir et d’être estimé poli[422]. (éd. 1*.)

CCLXI

L’éducation que l’on donne d’ordinaire aux jeunes gens est un second amour-propre qu’on leur inspire[423]. (éd. 1*.)

CCLXII

Il n’y a point de passion où l’amour de soi-même règne si puissamment que dans l’amour, et on est toujours plus disposé à sacrifier le repos de ce qu’on aime qu’à perdre le sien[424]. (éd. 1*.)

CCLXIII

Ce qu’on nomme libéralité n’est le plus souvent que la vanité de donner[425], que nous aimons mieux que ce que nous donnons. (éd. 1*.)

CCLXIV

La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui ; c’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber[426] ; nous donnons du secours aux autres, pour les engager à nous en donner en de semblables occasions, et ces services que nous leur rendons sont, à proprement parler, des biens que nous nous faisons à nous-mêmes[427] par avance[428]. (éd. 1*.)

CCLXV

La petitesse de l’esprit fait l’opiniâtreté[429], et nous ne croyons pas aisément ce qui est au delà de ce que nous voyons[430]. (éd. 1*.)

CCLXVI

C’est se tromper que de croire qu’il n’y ait que les violentes passions, comme l’ambition et l’amour, qui

puissent[431] triompher des autres. La paresse, toute languissante qu’elle est, ne laisse pas d’en être souvent la maîtresse : elle usurpe sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ; elle y détruit et y consume insensiblement les passions et les vertus[432]. (éd. 1*.)

CCLXVII

La promptitude à croire le mal, sans l’avoir assez examiné, est un effet de l’orgueil et de la paresse[433] : on veut trouver des coupables, et on ne veut pas se donner la peine d’examiner les crimes[434]. (éd. 1*.)

CCLXVIII

Nous récusons des juges pour les plus petits intérêts, et nous voulons bien que notre réputation et notre gloire dépendent du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur préoccupation, ou par leur peu de lumière ; et ce n’est que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons, en tant de manières, notre repos et notre vie[435]. (éd. 1*.)

CCLXIX

Il n’y a guère d’homme assez habile pour connoître tout le mal qu’il fait[436]. (éd. 2*.)

CCLXX

L’honneur acquis est caution de celui qu’on doit acquérir[437]. (éd. 1*.)

CCLXXI

La jeunesse est une ivresse continuelle : c’est la fièvre de la raison[438]. (éd. 1*.)

CCLXXII

Rien ne devroit plus humilier les hommes qui ont mérité de grandes louanges[439], que le soin qu’ils prennent encore de se faire valoir par de petites choses[440]. (éd. 5*.)

CCLXXIII

Il y a des gens, qu’on approuve dans le monde, qui n’ont pour tout mérite que les vices qui servent au commerce de la vie[441]. (éd. 1*.)

CCLXXIV

La grâce de la nouveauté est à l’amour ce que la fleur est sur les fruits : elle y donne[442] un lustre qui s’efface aisément, et qui ne revient jamais[443]. (éd. 5*.)

CCLXXV

Le bon naturel, qui se vante d’être si sensible, est souvent étouffé par le moindre intérêt[444]. (éd. 1*.)

CCLXXVI

L’absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint[445] les bougies, et allume le feu. (éd. 1*.)

CCLXXVII

Les femmes croient souvent aimer, encore qu’elles n’aiment pas[446] : l’occupation d’une intrigue, l’émotion d’esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d’être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent[447] qu’elles ont de la passion, lorsqu’elles n’ont que de la coquetterie[448]. (éd. 1*.)

CCLXXVIII

Ce qui fait que l’on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu’ils abandonnent presque toujours[449] l’intérêt de leurs amis pour l’intérêt du succès de la négociation[450], qui devient le leur par l’honneur d’avoir réussi[451] à ce qu’ils a voient entrepris[452]. (éd. 1*.)

CCLXXIX

Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c’est souvent moins par reconnoissance que par le désir de faire juger de notre mérite[453]. (éd. 1*.)

CCLXXX

L’approbation que l’on donne à ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l’envie secrète que l’on porte à ceux qui y sont établis[454]. (éd. 1*.)

CCLXXXI

L’orgueil, qui nous inspire tant d’envie, nous sert souvent aussi à la modérera[455]. (éd. 2*.)

CCLXXXII

Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité, que ce seroit mal juger que de ne s’y pas laisser tromper[456]. (éd. 1*.)

CCLXXXIII

Il n’y a pas quelquefois moins d’habileté à savoir profiter d’un bon conseil[457], qu’à se bien conseiller soi-même[458]. (éd. 1*.)

CCLXXXIV

Il y a des méchants qui seroient moins dangereux[459] s’ils n’avoient aucune bonté. (éd. 1*.)

CCLXXXV

La magnanimité est assez définie par son nom[460] ; néanmoins on pourroit dire[461] que c’est le bon sens de l’orgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges. (éd. 1*.)

CCLXXXVI

Il est impossible crainier une seconde fois ce qu’on a véritablement cessé d’aimer[462]. (éd. 1*.)

CCLXXXVII

Ce n’est pas tant la fertilité de l’esprit qui nous fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire, que c’est le défaut de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à notre imagination, et qui nous empêche de discerner d’abord ce qui est le meilleur[463]. (éd. 1*.)

CCLXXXVIII

Il y a des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent en certains temps, et la grande habileté consiste à connoître quand il est dangereux d’en user[464]. (éd. 1*.)

CCLXXXIX

La simplicité affectée est une imposture délicate[465]. (éd. 2.)

CCXC

Il y a plus de défauts dans l’humeur que dans l’esprit[466]. (éd. 2.)

CCXCI

Le mérite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits[467]. (éd. 2.)

CCXCII

On peut dire de l’humeur des hommes, comme de la plupart des bâtiments, qu’elle a diverses faces, les unes agréables, et les autres désagréables[468]. (éd. 2*.)

CCXCIII

La modération ne peut avoir le mérite de combattre l’ambition et de la soumettre : elles ne se trouvent jamais ensemble. La modération est la langueur et la paresse de

rame, comme l’ambition en est l’activité et l’ardeur[469]. (éd. 1*.)

CCXCIV

Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n’aimons pas toujours ceux que nous admirons[470]. (éd. 2*.)

CCXCV

Il s’en faut bien que nous ne[471] connoissions toutes nos volontés[472]. (éd. 2*.)

CCXCVI

Il est difficile d’aimer ceux que[473] nous n’estimons point ; mais il ne l’est pas moins d’aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous[474]. (éd. 2*.)

CCXCVII

Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté ; elles roulent ensemble, et exercent successivement un empire secret en nous, de sorte qu’elles ont une part considérable à toutes nos actions, sans que nous le puissions connoître[475]. (éd. 1*.)

CCXCVIII

La reconnoissance de la plupart des hommes n’est qu’une secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits[476]. (éd. 2*.)

CCXCIX

Presque tout le monde prend plaisir à s’acquitter des petites obligations ; beaucoup de gens ont de la reconnoissance pour les médiocres ; mais il n’y a quasi personne qui nait de l’ingratitude pour les grandes[477]. (éd. 2*.)

CCC

Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses[478]. (éd. 2*.)

CCI

Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner[479]. (éd. 2*.)

CCCII

Ce n’est d’ordinaire que dans de petits intérêts où nous prenons le hasard de ne pas croire aux apparences[480]. (éd. 3*.)

CCCIII

Quelque bien qu’on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau[481]. (éd. 3.)

CCCIV

Nous pardonnons souvent à ceux qui nous ennuient, mais nous ne pouvons pardonner à ceux que nous ennuyons[482]. (éd. 3.)

CCCV

L’intérêt, que l’on accuse de tous nos crimes, mérite souvent d’être loué de nos bonnes actions[483]. (éd. 3.)

CCCVI

On ne trouve guère d’ingrats tant qu’on est en état de faire du bien[484]. (éd. 3*.)

CCCVII

Il est aussi honnête d’être glorieux avec soi-même qu’il est ridicule de l’être avec les autres[485]. (éd. 3.)

CCCVIII

On a fait une vertu de la modération, pour borner l’ambition des grands hommes[486], et pour consoler les gens médiocres de leur peu de fortune et de leur peu de mérite[487]. (éd. 3.)

CCCIX

Il y a des gens destinés à être sots, qui ne font pas seulement des sottises par leur choix, mais que la fortune même contraint d’en faire[488]. (éd. 3*.)

CCCX

n arrive quelquefois des accidents dans la vie d’où il faut être un peu fou pour se bien tirer[489]. (éd. 3.)

CCCXI

S’il y a des hommes dont le ridicule n’ait jamais paru, c’est qu’on ne l’a pas bien cherché[490]. (éd. 3*.)

CCCXII

Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble[491], c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes. (éd. 3*.)

CCCXIII

Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu’aux moindres particularités de ce qui nous est arrivé, et que nous n’en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à une même personne[492] ? (éd. 3*.)

CCCXIV

L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes nous doit faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent[493]. (éd. 3.)

CCCXV

Ce qui nous empêche d’ordinaire de faire voir le fond de notre cœur à nos amis, n’est pas tant la défiance que nous avons deux, que celle que nous avons de nous-mêmes[494]. (éd. 3*.)

CCCXVI

Les personnes foibles ne peuvent être sincères[495]. (éd. 3*.)

CCCXVII

Ce n’est pas un grand malheur d’obliger des ingrats, mais c’en est un insupportable d’être obligé à un malhonnête homme[496]. (éd. 3.)

CCCXVIII

On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais on n’en trouve point pour redresser un esprit de travers[497]. (éd. 3*.)

CCCXIX

On ne sauroit conserver longtemps les sentiments qu’on doit avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs[498] si on se laisse la liberté de parler souvent de leurs défauts[499]. (éd. 3.)

CCCXX

Louer les princes des vertus qu’ils n’ont pas, c’est leur dire impunément des injures[500]. (éd. 3*.)

CCCXXI

Nous sommes plus près d’aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons. (éd. 3.)

CCCXXII

Il n’y a que ceux qui sont méprisables qui craignent d’être méprisés[501]. (éd. 3.)

CCCXXIII

Notre sagesse n’est pas moins à la merci de la fortune que nos biens[502]. (éd. 3.)

CCCXXIV

Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour[503]. (éd. 3.)

CCCXXV

Nous nous consolons souvent, par foiblesse, des maux dont la raison n’a pas la force de nous consoler[504]. (éd. 3.)

CCCXXVI

Le ridicule déshonore plus que le déshonneur[505]. (éd. 3.)

CCCXXVII

Nous n’avouons de petits défauts que pour persuader que nous n’en avons pas de grands[506]. (éd. 3.)

CCCXXVIII

L’envie est plus irréconciliable que la haine[507] (éd. 3.)

CCCXXIX

On croit quelquefois haïr la flatterie, mais on ne hait que la manière de flatter[508]. (éd. 3*.)

CCCXXX

On pardonne tant que l’on aime[509]. (éd. 3.)

CCCXXXI

Il est plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux que quand on en est maltraité[510]. (éd. 3*.)

CCCXXXII

Les femmes ne connoissent pas toute leur coquetterie[511]. (éd. 3.)

CCCXXXIII

Les femmes n’ont point de sévérité complète sans aversion[512]. (éd. 3.)

CCCXXXIV

Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leur passion[513]. (éd. 3.)

CCCXXXV

Dans l’amour, la tromperie va presque toujours plus loin que la méfiance[514]. (éd. 3.)

CCCXXXVI

Il y a une certaine sorte d’amour dont l’excès empêche la jalousie[515]. (éd. 3.)

CCCXXXVII

Il est de certaines bonnes qualités comme des sens : ceux qui en sont entièrement privés ne les peuvent apercevoir, ni les comprendre[516]. (éd. 3*.)

CCCXXXVIII

Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons[517]. (éd. 3*.)

CCCXXXIX

Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu’à proportion de notre amour-propre[518]. (éd. 3.)

CCCXL

L’esprit de la plupart des femmes sert plus à fortifier leur folie que leur raison[519]. (éd. 3.)

CCCXLI

Les passions de la jeunesse ne sont guère plus opposées au salut que la tiédeur des vieilles gens[520]. (éd. 4*.)

CCGXLII

L’accent du pays où l’on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur, comme dans le langage[521]. (éd. 4*.)

CCCXLIII

Pour être un grand homme, il faut savoir profiter de toute sa fortune[522]. (éd. 4.)

CCCXLIV

La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées[523] que le hasard fait découvrir. (éd. 4*.)

CCCXLV

Les occasions nous font connoître aux autres, et encore plus[524] à nous-mêmes. (éd. 4*.)

CCCXLVI

Il ne peut y avoir de règle dans l’esprit ni dans le cœur des femmes, si le tempérament n’en est d’accord[525]. (éd. 4.)

CCCXLVII

Nous ne trouvons guère de gens de bon sens que ceux qui sont de notre avis[526]. (éd. 4*.)

CCCXLVIII

Quand on aime, on doute souvent de ce qu’on croit le plus[527]. (éd. 4.)

CCCXLIX

Le plus grand miracle de l’amour, c’est de guérir de la coquetterie[528]. (éd. 4.)

CCCL

Ce qui nous donne tant d’aigreur contre ceux qui nous font des finesses, c’est qu’ils croient être plus habiles que nous[529]. (éd. 4.)

CCCLI

On a bien de la peine à rompre quand on ne s’aime plus[530]. (éd. 4*.)

CCCLII

On s’ennuie presque toujours avec les gens avec qui il n’est pas permis de s’ennuyer[531]. (éd. 4.)

CCCLIII

Un honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non pas comme un sot[532]. (éd. 4*.)

CCCLIV

Il y a de certains défauts qui, bien mis en œuvre, brillent plus que la vertu même[533]. (éd. 4*.)

CCCLV

On perd quelquefois des personnes qu’on regrette plus qu’on n’en est affligé ; et d’autres dont on est affligé, et qu’on ne regrette guère[534]. (éd. 4.)

CCCLVI

Nous ne louons d’ordinaire de bon cœur que ceux qui nous admirent[535]. (éd. 4.)

CCCLVII

Les petits esprits sont trop blessés de[536] petites choses[537] ; les grands esprits les voient toutes, et n’en sont point blessés[538]. (éd. 4*.)

CCCLVIII

L’humilité est la véritable preuve des vertus chrétiennes : sans elle, nous conservons tous nos défauts, et ils sont seulement couverts par l’orgueil, qui les cache aux autres, et souvent à nous-mêmes[539]. (éd. 4*.)

CCCLIX

Les infidélités devroient éteindre l’amour, et il ne faudroit point être jaloux, quand on a sujet de l’être : il n’y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui soient dignes qu’on en ait pour elles[540]. (éd. 4*.)

CCCLX

On se décrie beaucoup plus auprès de nous par les moindres infidélités qu’on nous fait, que par les plus grandes qu’on fait aux autres[541]. (éd. 4.)

CCCLXI

La jalousie naît toujours avec rameur, mais elle ne meurt pas toujours avec lui[542]. (éd. 4.)

CCCLXII

La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs amants pour les avoir aimés, que pour paroître plus dignes d’être aimées[543]. (éd. 4*.)

CCCLXIII

Les violences qu’on nous fait nous font souvent moins de peine[544] que celles que nous nous faisons à nous-mêmes. (éd. 4*.)

CCCLXIV

On sait assez qu’il ne faut guère parler de sa femme, mais on ne sait pas assez qu’on devroit encore moins parler de soi[545]. (éd. 4*.)

CCCLXV

Il y a de bonnes qualités qui dégénèrent en défauts quand elles sont naturelles, et d’autres qui ne sont jamais parfaites quand elles sont acquises : il faut, par exemple, que la raison nous fasse ménagers de notre bien et de notre confiance ; et il faut, au contraire, que la nature nous donne la bonté et la valeur[546]. (éd. 4*.)

CCCLXVI

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres[547]. (éd. 4*.)

CCCLXVII

Il y a peu d’honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier[548]. (éd. 4*.)

CCCLXVIII

La plupart des honnêtes femmes sont des trésors cachés, qui ne sont en sûreté que parce qu’on ne les cherche pas[549]. (éd. 4.)

CCCLXIX

Les violences qu’on se fait pour s’empêcher d’aimer sont souvent plus cruelles que les rigueurs de ce qu’on aime[550]. (éd. 4.)

CCCLXX

Il n’y a guère de poltrons qui connoissent toujours toute leur peur[551]. (éd. 4.)

CCCLXXI

C’est presque toujours la faute de celui qui aime de ne pas connoître quand on cesse de l’aimer[552]. (éd.éd. 4.)

CCCLXXII

La plupart des jeunes gens croient être naturels, lorsqu’ils ne sont que mal polis et grossiers[553]. (éd. 5.)

CCCLXXIII

Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-mêmes, après avoir trompé les autres[554]. (éd. 4.)

CCCLXXIV

Si on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est bien trompé[555]. (éd. 4*.)

CCCLXXV

Les esprits médiocres condamnent d’ordinaire tout ce qui passe leur portée[556]. (éd. 5.)

CCCLXXVI

L’envie est détruite par la véritable amitié, et la coquetterie par le véritable amour[557]. (éd. 4.)

CCCLXXVII

Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de n’aller point jusqu’au but, c’est de le passer[558]. (éd. 4*.)

CCCLXXVIII

On donne des conseils, mais ou n’inspire point de conduite[559]. (éd. 4*.)

CCCLXXIX

Quand notre mérite baisse, notre goût baisse aussi[560]. (éd. 4*.)

CCCLXXX

La fortune fait paroître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paroître les objets[561]. (éd. 4.)

CCCLXXXI

La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité[562]. (éd. 4*.)

CCCLXXXII

Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qu’il lui plaît[563]. (éd. 4*.)

CCCLXXXIII

L’envie de parler de nous, et de faire voir nos défauts du côté que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie de notre sincérité[564]. (éd. 4.)

CCCLXXXIV

On ne devroit s’étonner que de pouvoir encore s’étonner[565]. (éd. 4.)

CCCLXXXV

On est presque également difficile à contenter quand on a beaucoup d’amour, et quand on n’en a plus guère[566]. (éd. 4.)

CCCLXXXVI

Il n’y a point de gens qui aient plus souvent tort que ceux qui ne peuvent souffrir d’en avoir[567]. (éd. 4*.)

CCCLXXXVII

Un sot n’a pas assez d’étoffe pour être bon[568]. (éd. 4*.)

CCCLXXXVIII

Si la vanité ne renverse pas entièrement les vertus, du moins elle les ébranle toutes[569]. (éd. 4.)

CCCLXXXIX

Ce qui nous rend la vanité des autres insupportable, c’est qu’elle blesse la nôtre[570]. (éd. 4.)

CCCXC

On renonce plus aisément à son intérêt qu’à son goût[571]. (éd. 4.)

CCCXCI

La fortune ne paroît jamais si aveugle qu’à ceux à qui elle ne fait pas de bien[572]. (éd. 4*.)

CCCXCII

Il faut gouverner la fortune comme la santé[573] : en jouir quand elle est bonne, prendre patience quand elle est mauvaise, et ne faire jamais de grands remèdes sans un extrême besoin. (éd. 4*.)

CCCXCIII

L’air bourgeois se perd quelquefois à l’armée, mais il ne se perd jamais à la cour[574]. (éd. 4.)

CCCXCIV

On peut être plus fin qu’un autre, mais non pas plus fin que tous les autres[575]. (éd. 4*.)

CCCXCV

On est quelquefois moins malheureux d’être trompé de ce qu’on aime, que d’en être détrompé[576]. (éd. 4.)

CCCXCVI

On garde longtemps son premier amant, quand on n’en prend point de second[577]. (éd. 4*.)

CCCXCVII

Nous n’avons pas le courage de dire, en général,

que nous n’avons point de défauts, et que nos ennemis n’ont point de bonnes qualités ; mais, en détail, nous ne sommes pas trop éloignés de le croire[578]. (éd. 4.)

CCCXCVIII

De tous nos défauts, celui dont nous demeurons le plus aisément d’accord, c’est de la paresse : nous nous persuadons qu’elle tient à toutes les vertus paisibles, et que, sans détruire entièrement les autres, elle en suspend seulement les fonctions[579]. (éd. 4*.)

CCCXCIX

Il y a une élévation qui ne dépend point de la fortune : c’est un certain air qui nous distingue et qui semble nous destiner[580] aux grandes choses ; c’est un prix que nous nous donnons imperceptiblement à nous-mêmes ; c’est par cette qualité que nous usurpons les déférences des autres hommes, et c’est elle d’ordinaire qui nous met plus au-dessus d’eux que la naissance, les dignités, et le mérite même[581]. (éd. 4*.)

CD

Il y a du mérite sans élévation, mais il n’y a point d’élévation sans quelque mérite[582]. (éd. 4.)

CDI

L’élévation est au mérite ce que la parure est aux belles personnes[583]. (éd. 4.)

CDII

Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c’est de l’amour[584]. (éd. 4*.)

CDIII

La fortune se sert quelquefois de nos défauts pour nous élever, et il y a des gens incommodes dont le mérite

seroit mal récompensé si on ne vouloit acheter leur absence[585]. (éd. 4.)

CDIV

Il semble que la nature ait caché dans le fond de notre esprit des talents et une habileté que nous ne connoissons pas ; les passions[586] seules ont le droit de les mettre au jour, et de nous donner quelquefois des vues plus certaines et plus achevées que l’art ne sauroit faire[587]. (éd. 4.)

CDV

Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d’expérience, malgré le nombre des années[588]. (éd. 4.)

CDVI

Les coquettes se font honneur d’être jalouses de leurs amants, pour cacher qu’elles sont envieuses des autres femmes[589]. (éd. 4*.)

CDVII

Il s’en faut bien que ceux qui s’attrapent à nos finesses ne nous paroissent aussi ridicules que nous nous le paroissons à nous-mêmes, quand les finesses des autres nous ont attrapés[590]. (éd. 4.)

CDVIII

Le plus dangereux ridicule des vieilles personnes qui ont été aimables, c’est d’oublier qu’elles ne le sont plus[591]. (éd. 4.)

CDIX

Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions, si le monde voyoit tous les motifs qui les produisent[592]. (éd. 4.)

CDX

Le plus grand effort de l’amitié n’est pas de montrer nos défauts à un ami ; c’est de lui faire voir les siens[593]. (éd. 4.)

CDXI

On n’a guère de défauts qui ne soient plus pardonnables que les moyens dont on se sert pour les cacher[594]. (éd. 4.)

CDXII

Quelque honte que nous ayons méritée, il est presque

toujours en notre pouvoir de rétablir notre réputation[595]. (éd. 4*.)

CDXIII

On ne plaît pas longtemps quand on n’a qu’une sorte d’esprit[596]. (éd. 5.)

CDXIV

Les fous et les sottes gens ne voient que par leur humeur[597]. (éd. 5*.)

CDXV

L’esprit nous sert quelquefois à faire hardiment[598] des sottises[599]. (éd. 5.)

CDXVI

La vivacité qui augmente en vieillissant ne va pas loin de la folie[600]. (éd. 5.)

CDXVII

En amour, celui qui est guéri le premier est toujours le mieux guéri[601]. (éd. 5.)

CDXVIII

Les jeunes femmes qui ne veulent point paroître coquettes, et les hommes d’un âge avancé qui ne veulent pas être ridicules, ne doivent jamais parler de l’amour comme d’une chose où ils puissent avoir part[602]. (éd. 5.)

CDXIX

Nous pouvons paroître grands dans un emploi audessous de notre mérite, mais nous paroissons souvent petits dans un emploi plus grand que nous[603]. (éd. 5*.)

CDXX

Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs, lorsque nous n’avons que de rabattement, et nous les souffrons sans oser les regarder, comme les poltrons se laissent tuer de peur de se défendre[604]. (éd. 5*.)

CDXXI

La confiance fournit plus à la conversation que l’esprit[605]. (éd. 5.)

CDXXII

Toutes les passions nous font faire des fautes, mais l’amour nous en fait faire de plus ridicules[606]. (éd. 5*.)

CDXXIII

Peu de gens savent être vieux[607]. (éd. 5.)

CDXXIV

Nous nous faisons honneur des défauts opposés à ceux que nous avons : quand nous sommes foibles, nous nous vantons d’être opiniâtres[608]. (éd. 5.)

CDXXV

La pénétration a un air de deviner[609], qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l’esprit[610]. (éd. 5*.)

CDXXVI

La grâce de la nouveauté et la longue habitude, quelques[611] opposées qu’elles soient, nous empêchent également de sentir les défauts de nos amis[612]. (éd. 5.)

CDXXVII

La plupart des amis dégoûtent de l’amitié, et la plupart des dévots dégoûtent de la dévotion[613]. (éd. 5.)

CDXXVIII

Nous pardonnons aisément à nos amis les défauts qui ne nous regardent pas[614]. (éd. 5.)

CDXXIX

Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités[615]. (éd. 5.)

CDXXX

Dans la vieillesse de l’amour, comme dans celle de l’âge, on vit encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs[616]. (éd. 5.)

CDXXXI

Rien n’empêche tant d’être naturel que l’envie de le paroître[617]. (éd. 5*.)

CDXXXII

C’est, en quelque sorte, se donner part aux belles actions que de les louer de bon cœur[618]. (éd. 5.)

CDXXXIII

La plus véritable marque d’être né avec de grandes qualités, c’est d’être né sans envie[619]. (éd. 5.)

CDXXXIV

Quand nos amis nous ont trompés, on ne doit que de l’indifférence aux marques de leur amitié, mais on doit toujours de la sensibilité à leurs malheurs[620]. (éd. 5.)

CDXXXV

La fortune et l’humeur gouvernent le mondée[621]. (éd. 5.)

CDXXXVI

Il est plus aisé de connoître l’homme en général[622], que de connoître un homme en particulier. (éd. 5*.)

CDXXXVII

On ne doit pas juger du mérite d’un homme par ses grandes qualités, mais par l’usage qu’il en sait faire[623]. (éd. 5.)

CDXXXVIII

Il y a une certaine reconnoissance vive, qui ne nous acquitte pas seulement des bienfaits que nous avons reçus, mais qui fait même que nos amis nous doivent, en leur payant ce que nous leur devons[624]. (éd. 5.)

CDXXXIX

Nous ne désirerions guère de choses avec ardeur, si nous connoissions parfaitement ce que nous desirons[625]. (éd. 5.)

CDXL

Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l’amitié, c’est qu’elle est fade quand on a senti de l’amour[626]. (éd. 5.)

CDXLI

Dans l’amitié, comme dans l’amour, on est souvent plus heureux par les choses qu’on ignore que par celles que l’on sait[627]. (éd. 5.)

CDXLII

Nous essayons de nous faire honneur des défauts que nous ne voulons pas corriger[628]. (éd. 5.)

CDXLIII

Les passions les plus violentes nous laissent quelquefois du relâche, mais la vanité nous agite toujours[629]. (éd. 5.)

CDXLIV

Les vieux fous sont plus fous que les jeunes[630]. (éd. 5*.)

CDXLV

La foiblesse est plus opposée à la vertu que le vice[631]. (éd. 5.)

CDXLVI

Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si aiguës, c’est que la vanité ne peut servir à les supporter[632]. (éd. 5*.)

CDXLVII

La bienséance est la moindre de toutes les lois, et la plus suivie[633]. (éd. 5*.)

CDXLVIII

Un esprit droit a moins de peine de se soumettre aux esprits de travers que de les conduire[634]. (éd. 5.)

CDXLIX

Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une grande place, sans nous y avoir conduits par degrés, ou sans que nous nous y soyons élevés par nos espérances, il est presque impossible de s’y bien soutenir, et de paroître digne de l’occuper[635]. (éd. 5.)

CDL

Notre orgueil s’augmente souvent de ce que nous retranchons de nos autres défauts[636]. (éd. 5.)

CDLI

Il n’y a point de sots si incommodes que ceux qui ont de l’esprit[637]. (éd. 5.)

CDLII

Il n’y a point d’homme qui se croie, en chacune de ses qualités, au-dessous de l’homme du monde qu’il estime le plus[638]. (éd. 5.)

CDLIII

Dans les grandes affaires, on doit moins s’appliquer à faire naître[639] des occasions, qu’à profiter de celles qui se présentent. (éd. 5.)

CDLIV

Il n’y a guère d’occasion[640] où l’on fit un méchant marché de renoncer au bien qu’on dit de nous, à condition de n’en dire point de mal. (éd. 5*.)

CDLV

Quelque disposition qu’ait le monde à mal juger, il fait encore plus souvent grâce au faux mérite qu’il ne fait injustice au véritable[641]. (éd. 5.)

CDLVI

On est quelquefois un sot avec de l’esprit, mais on ne Test jamais avec du jugement[642]. (éd. 5.)

CDLVII

Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes, que d’essayer de paroitre ce que nous ne sommes pas[643]. (éd. 5.)

CDLVIII

Nos ennemis approchent plus de la vérité dans les jugements qu’ils font de nous, que nous n’en approchons nous-mêmes[644]. (éd. 5.)

CDLIX

Il y a plusieurs remèdes qui guérissent de l’amour, mais il n’y en a point d’infaillibles[645]. (éd. 5*.)

CDLX

Il s’en faut bien que nous connoissions[646] tout ce que nos passions nous font faire. (éd. 5.)

CDLXI

La vieillesse est un tyran qui défend, sur peine de la vie, tous les plaisirs de la jeunesse[647]. (éd. 5.)

CDLXII

Le même orgueil qui nous fait blâmer les défauts dont nous nous croyons exempts nous porte à mépriser les bonnes qualités que nous n’avons pas[648]. (éd. 5*.)

CDLXIII

Il y a souvent plus d’orgueil que de bonté à plaindre les malheurs de nos ennemis : c’est pour leur faire sentir que nous sommes au-dessus d’eux que nous leur donnons des marques de compassion[649]. (éd. 5.)

CDLXIV

Il y a un excès de biens et de maux qui passe notre sensibilité[650]. (éd. 5.)

CDLXV

Il s’en faut bien que l’innocence ne trouve[651] autant de protection que le crime. (éd. 5.)

CDLXVI

De toutes les passions violentes, celle qui sied[652] le moins mal aux femmes, c’est l’amour[653]. (éd. 5.)

CDLXVII

La vanité nous fait faire plus de choses contre notre goût que la raison[654]. (éd. 5.)

CDLXVIII

Il y a de méchantes qualités[655] qui font de grands talents[656]. (éd. 5*.)

CDLXIX

On ne souhaite jamais ardemment ce qu’on ne souhaite que par raison[657]. (éd. 5*.)

CDLXX

Toutes nos qualités sont incertaines et douteuses, en bien comme en mal, et elles sont presque toutes à la merci des occasions[658]. (éd. 5.)

CDLXXI

Dans les premières passions, les femmes aiment l’amant ; et dans les autres, elles aiment l’amour[659]. (éd. 5.)

CDLXXU

L’orgueil a ses bizarreries, comme les autres passions : on a honte d’avouer que l’on ait de la jalousie, et on se fait honneur d’en avoir eu, et d’être capable d’en avoir[660]. (éd. 5.)

CDLXXIII

Quelque rare que soit le véritable amour, il l’est encore moins que la véritable amitié[661]. (éd. 5.)

CDLXXIV

Il y a peu de femmes dont le mérite dure plus que la beauté[662]. (éd. 5.)

CDLXXV

L’envie d’être plaint ou d’être admiré fait souvent la plus grande partie de notre confiance[663]. (éd. 5 *.)

CDLXXVI

Notre envie dure toujours plus longtemps que le bonheur de ceux que nous envions[664]. (éd. 5.)

CDLXXVII

La même fermeté qui sert à résister à l’amour sert aussi à le rendre violent et durable, et les personnes foibles, qui sont toujours agitées des passions, n’en sont presque jamais véritablement remplies[665]. (éd. 5*.)

CDLXXVIII

L’imagination ne sauroit inventer tant de diverses contrariétés qu’il y en a naturellement dans le cœur de chaque personne[666]. (éd. 5.)

CDLXXIX

Il n’y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur : celles qui paroissent douces n’ont d’ordinaire que de la foiblesse, qui se convertit aisément en aigreur[667]. (éd. 5.)

CDLXXX

La timidité est un défaut dont il est dangereux de reprendre les personnes qu’on en veut corriger[668]. (éd. 5.)

CDLXXXI

Rien n’est plus rare que la véritable bonté : ceux même qui croient en avoir n’ont d’ordinaire que de la complaisance ou de la foiblesse[669]. (éd. 5.)

CDLXXXII

L’esprit s’attache par paresse et par constance[670] à ce qui lui est facile ou agréable : cette habitude met toujours des bornes à nos connoissances, et jamais personne ne s’est donné la peine d’étendre et de conduire son esprit aussi loin qu’il pourroit aller[671]. (éd. 5.)

CDLXXXIII

On est d’ordinaire plus médisant par vanité que par malice[672]. (éd. 5.)

CDLXXXIV

Quand on a le cœur encore agité par les restes d’une passion, on est plus près d’en prendre une nouvelle que quand ou est entièrement guéri[673]. (éd. 5.)

CDLXXXV

Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent,

toute leur vie, heureux et malheureux d’en être guéris[674]. (éd. 5*.)

CDLXXXVI

Il y a encore plus de gens sans intérêt que sans envie[675]. (éd. 5.)

CDLXXXVII

Nous avons plus de paresse dans l’esprit que dans le corps[676]. (éd. 5.)

CDLXXXVIII

Le calme ou l’agitation de notre humeur ne dépend pas tant de ce qui nous arrive de plus considérable dans la vie, que d’un arrangement commode ou désagréable de petites choses qui arrivent tous les jours[677]. (éd. 5 *.)

CDLXXXIX

Quelques[678] méchants que soient les hommes, ils n’oseroient paroître ennemis de la vertu[679], et lorsqu’ils la veulent persécuter, ils feignent de croire qu’elle est fausse, ou ils lui supposent des crimes. (éd. 5.)

CDXC

On passe souvent de l’amour à l’ambition, mais on ne revient guère de l’ambition à l’amour[680]. (éd. 5*.)

CDXCI

L’extrême avarice se méprend presque toujours : il n’y a point de passion qui s’éloigne plus souvent de son but, ni sur qui le présent ait tant de pouvoir, au préjudice de l’avenir[681]. (éd. 5.)

CDXCII

L’avarice produit souvent des effets contraires : il y a un nombre infini de gens qui sacrifient tout leur bien à des espérances douteuses et éloignées ; d’autres méprisent de grands avantages à venir pour de petits intérêts présents[682]. (éd. 5.)

CDXCIII

Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de défauts : ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualités singulières dont ils affectent de se parer, et ils les cultivent avec tant de soin qu’elles deviennent à la fin des défauts naturels qu’il ne dépend plus d’eux de corriger[683]. (éd. 5.)

CDXCIV

Ce qui fait voir que les hommes connoissent mieux leurs fautes qu’on ne pense, c’est qu’ils n’ont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite : le même amour-propre qui les aveugle d’ordinaire les éclaire alors, et leur donne des vues si justes, qu’il leur fait supprimer ou déguiser les moindres choses qui peuvent être condamnées[684]. (éd. 5.)

CDXCV

Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient honteux[685] ou étourdis : un air capable et composé se tourne d’ordinaire en impertinence[686]. (éd. 5.)

CDXCVI

Les querelles ne dureroient pas longtemps si le tort n’étoit que d’un côté[687]. (éd. 5 *.)

CDXCVII

Il ne sert de rien d’être jeune sans être belle, ni d’être belle sans être jeune[688]. (éd. 5*.)

CDXCVIII

Il y a des personnes si légères et si frivoles, qu’elles sont aussi éloignées d’avoir de véritables défauts que des qualités solides[689]. (éd. 5*.)

CDXCIX

On ne compte[690] d’ordinaire la première galanterie des femmes que lorsqu’elles en ont une seconde[691]. (éd. 5*.)

D

Il y a des gens si remplis d’eux-mêmes, que, lorsqu’ils sont amoureux, ils trouvent moyen d’être occupés de leur passion sans l’être de la personne qu’ils aiment[692]. (éd. 5.)

DI

L’amour, tout agréable qu’il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même[693]. (éd. 5*.)

DII

Peu d’esprit avec de la droiture ennuie moins, à la longue, que beaucoup d’esprit avec du travers[694]. (éd. 5.)

DIII

La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le moins de pitié aux personnes qui le causent[695]. (éd. 5*.)

DIV

Après[696] avoir parlé de la fausseté de tant de vertus parentes, il est raisonnable[697] de dire quelque chose de la fausseté du mépris de la mort : j’entends parler de ce mépris de la mort que les païens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans l’espérance d’une meilleure vie, 11 y a différence entre souffrir la mort constamment et la mépriser : le premier est assez ordinaire[698], mais je crois que l’autre n’est jamais sincère. On a écrit néanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort n’est point un mal, et les hommes les plus foibles, aussi bien que les héros, ont donné mille exemples célèbres[699] pour établir cette opinion ; cependant je doute que personne de bon sens[700] l’ait jamais cru, et la peine que l’on prend pour le persuader aux autres et à soi-même fait assez voir que cette entreprise n’est pas aisée. On peut avoir divers sujets de dégoût[701] dans la vie, mais on n’a jamais raison de mépriser la mort[702] ; ceux mêmes qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils s’en étonnent et la rejettent[703] comme les autres, lorsqu’elle vient à eux par une autre voie que celle qu’ils ont choisie. L’inégalité que l’on remarque dans le courage d’un nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se découvre différemment à leur imagination[704], et y paroît plus présente en un temps qu’en un autre : ainsi il arrive[705] qu’après avoir méprisé ce qu’ils ne connoissent pas[706], ils craignent enfin ce qu’ils connoissent[707]. Il faut éviter de l’envisager[708] avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire qu’elle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honnêtes prétextes pour s’empêcher de la considérer ; mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que c’est une chose épouvantable. La nécessité de mourir faisoit toute la constance des philosophes : ils croyoient qu’il falloit aller de bonne grâce où l’on ne sauroit s’empêcher d’aller ; et ne pouvant éterniser leur vie, il n’y avoit rien qu’ils ne fissent pour éterniser leur réputation, et sauver du naufrage ce qui n’en peut être garanti[709]. Contentons-nous, pour faire bonne mine, de ne nous pas dire à nous-mêmes tout ce que nous en pensons, et espérons plus de notre tempérament que de ces foibles raisonnements qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indifférence[710]. La gloire de mourir avec fermeté, l’espérance d’être regretté, le désir de laisser une belle réputation, l’assurance d’être affranchi des misères de la vie, et de ne dépendre plus des caprices de la fortune[711], sont des re mèdes qu’on ne doit pas rejeter ; mais on ne doit pas croire aussi qu’ils soient infaillibles. Ils font[712], pour nous assurer, ce qu’une simple haie fait souvent à la guerre pour assurer ceux[713] qui doivent approcher d’un lieu d’où l’on tire : quand on en est éloigné, on s’imagine qu’elle peut mettre à couvert ; mais quand on en est proche, on trouve que c’est un foible secours. C’est nous flatter de croire que la mort[714] nous paroisse de près ce que nous en avons jugé de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que foiblesse[715], soient d’une trempe assez forte pour ne point souffrir d’atteinte par la plus rude de toutes les épreuves[716]. C’est aussi mal connoître[717] les effets de l’amour-propre que de penser[718] qu’il puisse nous aider à compter pour rien ce qui le doit nécessairement détruire ; et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop foible en cette rencontre[719] pour nous persuader ce que nous voulons ; c’est elle, au contraire, qui nous trahit[720] le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mépris de la mort, sert[721] à nous découvrir ce qu’elle a d’affreux et de terrible ; tout ce qu’elle peut faire pour nous est de nous conseiller d’en détourner les yeux, pour les arrêter sur d’autres objets[722]. Caton et Brutus en choisirent d’illustres ; un laquais se contenta, il y a quelque temps, de danser sur l’échafaud où il alloit être roué[723]. Ainsi, bien que les motifs soient différents, ils produisent les mêmes effets[724] : de sorte qu’il est vrai que[725], quelque disproportion qu’il y ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort d’un même visage ; mais ç’a toujours été avec cette différence que, dans le mépris que les grands hommes font paroître pour la mort, c’est l’amour de la gloire qui leur en ôte la vue, et dans les gens du commun, ce n’est qu’un effet de leur peu de lumière qui les empêche de connoître la grandeur de leur mal, et leur laisse la liberté de penser à autre chose[726]. (éd. 1*.)



MAXIMES POSTHUMES


NOTICE.

En 1693, Claude Barbin, qui avait imprimé les cinq éditions publiées du vivant de la Rochefoucauld, en donna une sixième qui ne différait de celle de 1678, quant au texte des Maximes, que par deux ou trois variantes sans importance. Au commencement du volume[727] se trouvait un supplément de onze feuillets non paginés, contenant : 1° un extrait du Privilège du Roi, renouvelé à la date du 28 décembre 1692 ; 2° la longue définition de l’amour-propre, que l’éditeur avait reprise de l’impression de 1665[728] ; 3° cinquante maximes données comme posthumes. En réalité, de ces cinquante maximes, vingt-huit seulement étaient nouvelles ; des vingt-deux autres, seize, et même dix-sept, n’étaient que de simples variantes à des pensées déjà publiées par l’auteur[729] ; cinq, insérées par mégarde dans ce Supplément[730], reproduisaient textuellement cinq maximes comprises dans les cinq cent quatre de 1678, qui sont toutes réimprimées, à la suite du Supplément, dans le volume de 1693. Barbin n’indiquait pas la source de ces pensées supplémentaires et de ces variantes ; mais l’on n’a jamais douté, et l’on ne pouvait guère douter qu’elles ne fussent delà Rochefoucauld lui-même. Outre que l’éditeur n’avait, ce semble, aucun intérêt à grossir de quelques feuillets apocryphes un livre dont le succès était consacré depuis près de trente ans, le fond et la forme de ces pensées étalent assez reconnaissables. Elles ont été composées vraisemblablement entre la dernière édition de l’auteur (1678) et sa mort (1680) ; en tout cas, beaucoup d’entre elles peuvent être mises au rang des meilleures. On les retrouve dans l’édition d’Amsterdam de 1705, sous le titre de Maximes de M. de la Rochefoucauld, à la suite du recueil principal des Maximes, intitulé Réflexions morales de M. de la Rochefoucauld. Elles sont aussi dans les éditions d’Amelot de la Houssaye (1714, 1725, etc.)[731], mais perdues, dans son répertoire alphabétique, parmi bien d’autres additions, qui sont empruntées à peu près toutes, a savoir les Maximes de Mme de Sablé, les Pensées diverses de l’abbé d’Ailly, les Maximes chrétiennes de Mme de la Sablière[732], à l’édition d’Amsterdam dont nous venons de parler. L’abbé de la Roche (1737) a omis, sans nous dire pourquoi, les maximes du Supplément, bien que, comme il l’annonce lui-même dans sa Préface (p. xiv), il ait suivi le texte de l’édition de 1693[733]. Omises également par Suard[734] (1778), par Brotier (1789), parle marquis de Fortia (1796 et 1802), par Blaise (1813), par Aimé-Martin en 1822, par Gaétan de la Rochefoucauld (1825), qui n’en a pas moins intitulé son livre : Œuvres complètes de la Rochefoucauld, elles n’ont reparu que dans l’édition publiée par Aimé-Martin en 1844[735], et dans celle de Duplessis (1853)[736].

Outre ces vingt-huit maximes contenues dans le Supplément de 1693, nous en donnons vingt-cinq (à savoir tout le restant, moins cinq), qui sont tirées du manuscrit autographe conservé au château de la Rocheguyon. Parmi ces vingt-cinq, il y en a six (numéros 509, 510, 513, 515 partiellement, 524 et 525) qui se trouvent à la fois dans ce manuscrit[737], et dans des lettres du tome II des Portefeuilles de Vallant (manuscrits de la Bibliothèque impériale), recueil où nous avons déjà pris diverses variantes des pensées définitives, et qui, en outre, nous donne seul quatre maximes posthumes (530-533)[738].

Ce sont les pensées extraites des manuscrits que nous avons mises en tête (505-533) ; nous plaçons à la suite celles du Supplément de 1693 (534-561) ; puis nous en donnons une dernière (562), qui nous a été conservée par Saint-Évremond.

Dans le répertoire d’Amelot de la Houssaye se rencontrent deux maximes (505 et 511) que nous ne trouvons que là et dans le manuscrit de la Rocheguyon. D’où Amelot les a-t-il tirées ? Sans doute de quelque copie, comme il en existait plus d’une au temps où il composait son recueil[739] ; car il n’est pas probable qu’il les ait prises dans le manuscrit même de la Rocheguyon. D’abord son texte, comme on le verra dans les notes, diffère de celui de ce manuscrit ; puis, s’il l’avait eu à sa disposition, il est bien évident que prenant, comme il faisait, de toutes mains, et entassant pêle-mêle, sans même se soucier de bien distinguer les auteurs, tout ce qu’il trouvait de maximes[740], il n’aurait pas négligé les autres pensées inédites qui y sont contenues et qui, avant la présente édition, n’avaient été publiées que par M. Édouard de Barthélemy[741].

Nous avons adopté un numérotage continu pour les différentes espèces de maximes, définitives, posthumes et supprimées par l’auteur ; nous avons évité ainsi des appendices ou suppléments, qui nuisent toujours à la bonne économie dune édition.


MAXIMES POSTHUMES


DV

Dieu a mis des talents différents dans l’homme, comme il a planté des arbres différents dans la nature, en sorte que chaque talent, ainsi que chaque arbre, a sa propriété et son effet qui lui sont particuliers[742]. De là vient que le poirier le meilleur du monde ne sauroit porter les pommes les plus communes, et que le talent le plus excellent ne sauroit produire les mêmes effets du talent le plus commun ; de là aussi vient qu’il est aussi ridicule de vouloir faire des sentences, sans en avoir la graine en soi[743], que de vouloir qu’un parterre produise des tulipes, quoiqu’on n’y ait point semé d’oignons[744].

DVI

On ne sauroit compter toutes les espèces de vanité.

DVII

Tout le monde est plein de pelles qui se moquent du fourgon[745].

DVIII

Ceux qui prisent trop leur noblesse ne prisent pas assez ce qui en est l’origine[746].

DIX

Dieu a permis, pour punir l’homme du péché originel, qu’il se fît un Dieu[747] de son amour-propre, pour en être tourmenté dans toutes les actions de sa vie[748].

DX

L’intérêt est l’âme de l’amour-propre[749], de sorte que comme le corps, privé de son âme, est sans vue, sans ouïe, sans connoissance, sans sentiment et sans mouvement, de même, l’amour-propre séparé, s’il le faut dire ainsi, de son intérêt, ne voit, n’entend, ne sent et ne se remue plus. De là vient qu’un même homme, qui court la terre et les mers pour son intérêt, devient soudainement paralytique pour l’intérêt des autres ; de là vient ce soudain assoupissement et cette mort que nous causons à tous ceux à qui nous contons nos affaires ; de là vient leur prompte résurrection lorsque, dans notre narration, nous y mêlons quelque chose qui les regarde : de sorte que nous voyons, dans nos conversations et dans nos traités, que, dans un même moment, un homme perd connoissance et revient à soi, selon que son propre intérêt[750] s’approche de lui, ou qu’il s’en retire[751].

DXI

Nous craignons toutes choses comme mortels, et nous desirons toutes choses comme si[752] nous étions immortels.

DXII

Il semble que c’est le diable qui a tout exprès placé la paresse sur la frontière de plusieurs vertus[753].

DXIII

Ce qui nous fait croire si aisément que les autres ont des défauts, c’est la facilité que l’on a de croire ce que l’on souhaite[754].

DXIV

Le remède de la jalousie est la certitude de ce qu’on a craint, parce qu’elle cause la fin de la vie, ou la fin de l’amour ; c’est un cruel remède, mais il est plus doux que le doute et les soupçons[755].

DXV

L’espérance et la crainte sont inséparables, et il n’y a point de crainte sans espérance, ni d’espérance sans crainte[756].

DXVI

Il ne faut pas s’offenser que les autres nous cachent la vérité, puisque nous nous la cachons si souvent à nous-mêmes[757].

DXVII

Ce qui nous empêche souvent de bien juger des sentences qui prouvent la fausseté des vertus, c’est que nous croyons trop aisément qu’elles sont véritables en nous[758].

DXVIII

La dévotion qu’on donne aux princes est un second amour-propre[759].

DXIX

La fin du bien est un mal, et la fin du mal est un bien.

DXX

Les philosophes ne condamnent les richesses que par le mauvais usage que nous en faisons ; il dépend de nous de les acquérir et de nous en servir sans crime ; et au lieu qu’elles nourrissent et accroissent les crimes, comme le bois entretient le feu, nous pouvons les consacrer à toutes les vertus, et les rendre même par là plus agréables et plus éclatantes.

DXXI

La ruine du prochain plait aux amis et aux ennemis[760].

DXXII

Comme la plus heureuse personne du monde est celle à qui peu de chose suffit[761], les grands et les ambitieux sont en ce point les plus misérables, puisqu’il leur faut l’assemblage d’une infinité de biens pour les rendre heureux.

DXXIII

Une preuve convaincante que l’homme n’a pas été créé comme il est, c’est que, plus il devient raisonnable, et plus il rougit en lui-même de l’extravagance, de la bassesse et de la corruption de ses sentiments et de ses inclinations.

DXXIV

Ce qui fait tant disputer[762] contre les maximes qui découvrent le cœur de l’homme, c’est[763] que l’on craint d’y être découvert[764].

DXXV

Le pouvoir que les[765] personnes que nous aimons ont sur nous est presque toujours plus grand que celui que nous y avons nous-mêmes.

DXXVI

On blâme aisément les défauts des autres, mais on s’en sert rarement à corriger les siens[766].

DXXVII

L’homme est si misérable, que tournant toute sa conduite à satisfaire ses passions, il gémit incessamment sur leur tyrannie : il ne peut supporter ni leur violence, ni celle qu’il faut qu’il se fasse pour s’affranchir de leur joug ; il trouve du dégoût, non-seulement en elles, mais dans leurs remèdes[767], et ne peut s’accommoder ni du chagrin de sa maladie, ni du travail de sa guérison.

DXXVIII

Les biens et les maux qui nous arrivent ne nous touchent pas selon leur grandeur, mais selon notre sensibilité[768].

DXXIX

La finesse n’est qu’une pauvre habileté[769].

DXXX

On ne donne des louanges que pour en profiter[770].

DXXXI

Les passions ne sont que les divers goûts de l’amour-propre.

DXXXII

L’extrême ennui sert à nous désennuyer.

DXXXIII

On loue et on blâme la plupart des choses parce que c’est la mode de les louer ou de les blâmer[771].

DXXXIV

Force gens veulent être dévots, mais personne ne veut être humble[772].

DXXXV

Le travail du corps délivre des peines de l’esprit, et c’est ce qui rend les pauvres heureux[773].

DXXXVI

Les véritables mortifications sont celles qui ne sont point connues ; la vanité rend les autres faciles[774].

DXXXVII

L’humilité est l’autel sur lequel Dieu veut qu’un lui offre des sacrifices[775].

DXXXVIII

Il faut peu de choses pour rendre le sage heureux ; rien ne peut rendre un fol content ; c’est pourquoi presque[776] tous les hommes sont misérables.

DXXXIX

Nous nous tourmentons moins pour devenir heureux que pour faire croire que nous le sommes.

DXL

Il est bien plus aisé d’éteindre un premier désir que de satisfaire tous ceux qui le suivent[777].

DXLI

La sagesse est à l’âme ce que la santé est pour le corps[778].

DXLII

Les grands de la terre ne pouvant donner la santé du corps ni le repos d’esprit, on achète toujours trop cher tous les biens qu’ils peuvent faire.

DXLIII

Avant que de désirer fortement une chose, il faut examiner quel est le bonheur de celui qui la possède[779].

DXLIV

Un véritable ami est le plus grand de tous les biens[780] et celui de tous qu’on songe le moins à acquérir.

DXLV

Les amants ne voient les défauts de leurs maîtresses que lorsque leur enchantement est fini[781].

DXLVI

La prudence et l’amour ne sont pas faits l’un pour l’autre : à mesure que l’amour croît, la prudence diminue[782].

DXLVII

Il est quelquefois agréable à un mari d’avoir une femme jalouse : il entend toujours parler de ce qu’il aime.

DXLVIII

Qu’une femme est à plaindre, quand elle a tout ensemble de l’amour et de la vertu[783].

DXLIX

Le sage trouve mieux son compte à ne point s’engager qu’à vaincre[784].

DL

Il est plus nécessaire d’étudier les hommes que les livres.

DLI

Le bonheur ou le malheur[785] vont d’ordinaire à ceux qui ont le plus de l’un ou de l’autre.

DLII

Une honnête femme est un trésor caché ; celui qui l’a trouvé fait fort bien de ne s’en pas vanter[786].

DLIII

Quand nous aimons trop, il est malaisé de reconnoître si l’on cesse de nous aimer[787].

DLIV

On ne se blâme que pour être loué[788].

DLV

On s’ennuie presque toujours avec ceux que l’on ennuie[789].

DLVI

Il n’est jamais plus difficile de bien parler que quand on a honte de se taire.

DLVII

Il n’est rien de plus naturel ni de plus trompeur que de croire qu’on est aimé[790].

DLVIII

Nous aimons mieux voir ceux à qui nous faisons du bien que ceux qui nous en font.

DLIX

Il est plus difficile de dissimuler les sentiments que l’on a que de feindre ceux que l’on n’a pas[791].

DLX

Les amitiés renouées demandent plus de soins que celles qui n’ont jamais été rompues[792].

DLXI

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

DLXII

L’enfer des femmes, c’est la vieillesse[793].



MAXIMES SUPPRIMÉES

PAR L’AUTEUR


NOTICE.

L’abbé Brotier (1789) est le premier des éditeurs qui ait réuni à part les maximes que la Rochefoucauld avait successivement éliminées des diverses éditions de son œuvre[794]. Dans un supplément auquel il a donné le titre de Premières pensées du duc de la Rochefoucault[795], il en a recueilli cent vingt et une, mais son choix n’a pas été fait avec le discernement désirable ; car il donne comme versions différentes telles ou telles pensées qui ne s’écartent que fort peu de la version définitive, et doivent plutôt y être jointes à titre de variantes[796].

Dans ses deux éditions de 1796 et de 1802, le marquis de Fortia suit l’exemple de Brotier, dont il ne réduit guère le travail ; car le nombre des maximes supprimées qu’il conserve est encore de cent dix-sept[797].

Si Brotier et Fortia avaient trop donné, par contre Aimé-Martin (1822) et Duplessis (1853) donnèrent, selon nous, trop peu : soixante-cinq maximes seulement[798]. Notre relevé cependant ne diffère pas notablement du leur. En écartant avec soin les maximes qui nous ont paru faire vraiment double emploi pour le fond, et ne devoir paraître dans l’édition que sous forme de variantes, nous sommes arrivé au nombre de soixante-dix-neuf maximes supprimées par l’auteur et réellement distinctes des maximes définitives.

Parmi ces soixante-dix-neuf maximes supprimées, il y en a trente-neuf qui se trouvent dans le manuscrit de la Rocheguyon. Ce sont nos numéros 563-565, 568, 569, 571-573, 575-580, 584-586, 589, 591, 598, 595-597, 599, 601-603, 606, 607, 615, 618-620, 622, 624, 626, 629-631.

Voici comment sont réparties, dans les quatre premières édi-

lions, les pensées que l’auteur a retranchées de sa 5e : deux maximes, les numéros 640 et 641, ne sont que dans la 4e édition (1675) ; deux, les numéros 687 et 690, sont dans la 2e (1666), la 3e (1671) et la 4e (1675) ; dix, les numéros 577, 581, 584, 603, 607, 608, 617, 619, 622, 632, se trouvent à la fois dans les quatre premières éditions (1665, 1666, 1671, 1675) ; une, le numéro 571, n’est que dans la 1er (1665) et dans la 2e (1666) ; les autres, en tout soixante-quatre, ne sont que dans la 1er (1665). — Deux seulement des maximes supprimées, notre première et noire dernière, se lisent dans le Supplément de 1698.

Quand une maxime se trouve à la fois dans plusieurs des quatre premières éditions, nous donnons, selon notre coutume, le texte de la dernière où elle a paru, c’est-à-dire la dernière forme qu’elle a reçue de l’auteur, et nous mettons en note les variantes que peuvent offrir les éditions précédentes. Nous n’avons pas besoin de dire que nous relevons également dans le commentaire les variantes du manuscrit de la Rocheguyon.

Enfin, pour que rien ne manque à l’histoire du texte de la Rochefoucauld, nous indiquons les principales différences qu’y ont introduites successivement les éditeurs.

Nous suivons, pour l’ordre des maximes supprimées, celui où elles se trouvent rangées dans la 1er édition (1665), en y ajoutant, à mesure qu’elles se présentent, les pensées qui datent d’une édition postérieure à 1665. Cet ordre est à peu près celui qu’ont suivi Brotier, Aimé-Martin et Duplessis. Le premier a pourtant, nous ne savons pourquoi, transporté beaucoup plus loin et placé près de la fin les maximes que nous avons numérotées 381, 584, 587 et 590. Les deux derniers, conformes de tout point l’un à l’autre, ne diffèrent de nous que par deux ou trois interversions non motivées. — À la suite de chaque maxime nous indiquons celle ou celles des quatre premières éditions où elle se trouve. L’astérisque à la fin des maximes, après le chiffre de l’édition, marque, comme dans notre série principale, les pensées que l’auteur a retouchées.


MAXIMES SUPPRIMÉES

PAR L’AUTEUR.


DLXIII

L’amour-propre est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi[799] ; il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes, et les rendrait les tyrans des autres, si la fortune leur en donnait les moyens. Il ne se repose jamais hors de soi, et ne s’arrête dans les sujets étrangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien n’est si impétueux que ses désirs[800] ; rien de si caché que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent représenter, ses transformations passent celles des métamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les ténèbres de ses abîmes : là il est à couvert des yeux les plus pénétrants ; il y[801] fait mille insensibles tours et retours ; là il est souvent invisible à lui-même ; il y conçoit, il y nourrit[802] et il y élève, sans le savoir, un grand nombre d’affections et de haines ; il en forme de si monstrueuses[803] que, lorsqu’il les a mises au jour, il les méconnaît, ou il ne peut se résoudre à les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persuasions qu’il a de lui-même : de là viennent ses erreurs, ses ignorances, ses grossièretés et ses niaiseries sur son sujet ; de là vient qu’il croit que ses sentiments sont morts lorsqu’ils ne sont qu’endormis, qu’il s’imagine n’avoir plus envie de courir dès qu’il se repose, et qu’il pense avoir perdu tous les goûts qu’il a rassasiés[804]. Mais cette obscurité épaisse qui le cache à lui-même, n’empêche pas qu’il ne voie parfaitement ce qui est hors de lui : en quoi il est semblable à nos yeux[805], qui découvrent tout et sont aveugles seulement pour eux-mêmes. En effet, dans ses plus grands intérêts et dans ses plus importantes affaires, où la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il soupçonne, il pénètre, il devine tout, de sorte qu’on est tenté de croire que chacune de ses passions a une espèce de[806] magie qui lui est propre. Rien n’est si intime et si fort que ses attachements, qu’il essaye de rompre inutilement à la vue des malheurs extrêmes qui le menacent ; cependant il fait quelquefois, en peu de temps et sans aucun effort, ce qu’il n’a pu faire avec tous ceux dont il est capable dans le cours de plusieurs années : d’où l’on pourroit conclure assez vraisemblablement que c’est par lui-même que ses désirs sont allumés, plutôt que par la beauté et par le mérite de ses objets ; que son goût est le prix qui les relève et le fard qui les embellit[807] ; que c’est après lui-même qu’il court, et qu’il suit son gré, lorsqu’il suit les choses qui sont à son gré. Il est tous les contraires[808] : il est impérieux et obéissant, sincère et dissimulé, miséricordieux et cruel, timide et audacieux[809]. Il a de différentes inclinations, selon la diversité des tempéraments qui le tournent[810] et le dévouent tantôt à la gloire, tantôt aux richesses, et tantôt aux plaisirs ; il en change[811] selon le changement de nos âges, de nos fortunes et de nos expériences, mais il lui est indifférent d’en avoir plusieurs ou de n’en avoir qu’une, parce qu’il se partage en plusieurs et se ramasse en une, quand il le faut, et comme il lui plaît. Il est inconstant, et outre les changements qui viennent des causes étrangères, il y en a une infinité qui naissent de lui et de son propre fonds ; il est inconstant d’inconstance, de légèreté, d’amour, de nouveauté, de lassitude et de dégoût ; il est capricieux, et on le voit quelquefois travailler avec le dernier empressement, et avec des travaux incroyables, à obtenir des choses qui ne lui sont point avantageuses, et qui même lui sont nuisibles, mais qu’il poursuit parce qu’il les veut. Il est bigearre[812], et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles ; il trouve tout son plaisir dans les plus fades, et conserve toute sa fierté dans les plus méprisables. Il est dans tous les états de la vie et dans toutes les conditions ; il vit partout et[813] il vit de tout, il vit de rien ; il s’accommode des choses et de leur privation ; il passe même dans le parti des gens qui lui font la guerre, il entre dans leurs desseins, et ce qui est admirable, il se hait lui-même avec eux[814], il conjure sa perte, il travaille même[815] à sa ruine ; enfin il ne se soucie que d’être, et pourvu qu’il soit, il veut bien être son ennemi. Il ne faut donc pas s’étonner s’il se joint quelquefois à la plus rude austérité[816], et s’il entre si hardiment en société avec elle pour se détruire, parce que, dans le même temps qu’il se ruine en un endroit, il se rétablit en un autre[817] ; quand on pense qu’il quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre ou le changer, et lors même qu’il est vaincu et qu’on croit en être défait, on le retrouve[818] qui triomphe dans sa propre défaite. Voilà la peinture de l’amour-propre, dont toute la vie n’est qu’une grande et longue agitation ; la mer en est une image sensible, et l’amour-propre trouve dans le flux et le reflux[819] de ses vagues continuelles[820] une fidèle expression de la succession turbulente de ses pensées et de ses éternels mouvements[821]. (1665*, no 1.)

DLXIV

Toutes les passions ne sont autre chose que[822] les divers degrés de la chaleur et de la froideur du sang[823]. (1665*, n° xiii.)

DLXV

La modération dans la bonne fortune n’est[824] que l’appréhension[825] de la honte qui suit l’emportement, ou la peur de perdre ce que l’on a[826]. (1665*, n° xviii.)

DLXVI

La modération est comme la sobriété : on voudroit bien manger davantage, mais on craint de se faire mal[827]. (1665, n° xxi.)

DLXVII

Tout le monde[828] trouve à redire en autrui ce qu’on trouve à redire en lui[829]. (1665, n° xxxiii.)

DLXVIII

L’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous[830] les personnages de la comédie humaine[831], se montre avec un visage naturel, et se découvre par la fierté[832] : de sorte qu’à proprement parler, la fierté est l’éclat et la déclaration de l’orgueil[833]. (1665*, n° xxxvii.)

DLXIX

La complexion qui fait le talent pour les petites choses est contraire à celle qu’il faut pour le talent des grandes[834]. (1665*, n° li.)

DLXX

C’est une espèce de bonheur de connoître[835] jusques à quel point[836] on doit être malheureux. (1665*, n° liii.)

DLXXI

Quand on ne trouve pas son repos en soi-même, il est inutile de le chercher ailleurs. (1665, n° lv, et 1666, n° xlix.)

DLXXII

On n’est jamais si malheureux qu’on croit, ni si heureux qu’on avoit espérée[837]. (1665, n° lix.)

DLXXIII

On se console souvent d’être malheureux[838] par un certain plaisir qu’on trouve à le paroitre[839]. (1665*, n° lx.)

DLXXIV

Il faudroit pouvoir répondre de sa fortune, pour pouvoir répondre de ce que l’on fera[840]. (1665*, n° lxx.)

DLXXV

Comment peut-on répondre de ce qu’on voudra à l’avenir, puisque l’on ne sait pas précisément ce que l’on veut dans le temps présent[841] ? (1665, n° lxxiv.)

DLXXVI

L’amour est à l’âme de celui qui aime ce que l’âme est au corps qu’elle anime[842]. (1665, n° lxxvii.)

DLXXVII

Comme on n’est jamais en liberté d’aimer ou de cesser d’aimer, l’amant ne peut se plaindre avec justice de l’inconstance de sa maîtresse, ni elle de la légèreté de son amant[843]. (1665*, n° lxxxi. — 1666, n° lxxii. — 1671 et 1675, n° lxxi.)

DLXXVIII

La justice n’est[844] qu’une vive appréhension qu’on ne nous ôte ce qui nous appartient ; de là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice. Cette crainte retient l’homme dans les bornes des biens que la naissance ou la fortune lui ont donnés ; et sans cette crainte[845], il feroit des courses continuelles sur les autres[846]. (1665, n° lxxxviii.)

DLXXIX

La justice dans les juges qui sont modérés n’est que l’amour de leur élévation[847]. (1665*, n° lxxxix.)

DLXXX

On blâme l’injustice, non pas par l’aversion que l’on a pour elle, mais pour le préjudice que l’on en reçoit[848]. (1665*, n° xc.)

DLXXXI

Quand nous sommes las d’aimer, nous sommes bien aises qu’on nous devienne[849] infidèle, pour nous dégager de notre fidélité[850]. (1665*, n° xcvi. — 1666, n° lxxxiv. — 1671 et 1676, n° lxxxiii.)

DLXXXII

Le premier mouvement de joie que nous avons du bonheur[851] de nos amis ne vient[852] ni de la bonté de notre naturel, ni de l’amitié que nous avons pour eux : c’est un effet de l’amour-propre qui nous flatte de l’espérance d’être heureux à notre tour, ou de retirer quelque utilité de leur bonne fortune. (1665*, n° xcvii.)

DLXXXIII

Dans l’adversité de nos meilleurs[853] amis, nous trouvons toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas[854]. (1665, n° xcix.)

DLXXXIV

Comment prétendons-nous qu’un autre garde notre secret, si nous ne pouvons[855] le garder nous-mêmes ? (1665*, n° c. — 1666, n° lxxxviii. — 1671 et 1675, n° mxxxvii.)

DLXXXV

L’aveuglement des hommes est le plus dangereux effet de leur orgueil : il sert à le nourrir et à l’augmenter, et nous ôte la connoissance des remèdes qui pourroient soulager nos misères et nous guérir de nos défauts[856]. (1665*, n° cii.)

DLXXXVI

On n’a plus de raison, quand on n’espère plus d’en trouver aux autres[857]. (1665, n° ciii.)

DLXXXVII

Il n’y en a point qui pressent tant les autres que les paresseux[858] lorsqu’ils ont satisfait à leur paresse, afin de paroître diligents[859]. (1666, n° xci. — 1671 et 1675, n° xc.)

DLXXXVIII

On a autant de sujet de se plaindre de ceux qui nous apprennent à nous connoitre nous-mêmes, qu’en eut ce fou

d’Athènes de se plaindre du médecin qui l’avoit guéri de l’opinion d’être riche[860]. (1665, n° civ.)

DLXXXIX

Les philosophes, et Sénèque sur tous[861], n’ont point ôté les crimes par leurs préceptes : ils n’ont fait que les employer au bâtiment de l’orgueil[862]. (1665, n° cv.)

DXC

C’est une preuve de peu d’amitié de ne s’apercevoir pas du refroidissement de celle de nos amis[863]. (1666, n° xcvii. — 1671 et 1675, n° xcvi.)

DXCI

Les plus sages le sont dans les choses indifférentes[864], mais ils ne le sont presque jamais dans leurs plus sérieuses affaires. (1665*, n° cxxxii.)

DXCII

La plus subtile folie se fait de la plus subtile sagesse[865]. (1665, n° cxxxiv.)

DXCIII

La sobriété est l’amour de la santé, ou l’impuissance de manger beaucoup[866]. (1665, n° cxxxv.)

DXCIV

Chaque talent dans les hommes, de même que chaque arbre, a ses propriétés et ses effets qui lui sont tous[867] particuliers[868]. (1665, n° cxxxviii.)

DXCV

On n’oublie jamais mieux les choses que quand on s’est lassé d’en parler[869]. (1665*, n° cxliv.)

DXCVI

La modestie, qui semble refuser les louanges[870], n’est en effet qu’un désir d’en avoir de plus délicates[871]. (1665, n° cxlvii.)

DXCVII

On ne blâme le vice et on ne loue la vertu que par intérêt. (1665, n° cli.)

DXCVIII

La louange qu’on nous donne sert au moins à nous fixer dans la pratique des vertus[872]. (1665*, n° clv.)

DXCIX

L’approbation que l’on donne à l’esprit, à la beauté et[873] à la valeur, les augmente, les perfectionne[874], et leur fait faire de plus grands effets qu’ils n’auroient été capables de faire[875] d’eux-mêmes. (1665*, n° clvi.)

DC

L’amour-propre empêche bien que celui qui nous flatte ne soit jamais[876] celui qui nous flatte le plus[877]. (1665, n° clvii.)

DCI

On ne fait point de distinction dans les espèces de colères[878], bien qu’il[879] y en ait une légère et quasi innocente, qui vient de l’ardeur de la complexion, et une autre très-criminelle, qui est, à proprement parler, la fureur de l’orgueil[880]. (1665*, n° clix.)

DCII

Les grandes âmes ne sont pas celles qui ont moins de passions et plus de vertu[881] que les âmes communes, mais celles seulement qui ont de plus grands desseins[882]. (1665*, n° clxi.)

DCIII

Les rois font des hommes comme des pièces de monnoie[883] : ils les font valoir ce qu’ils veulent, et l’on est forcé[884] de les recevoir selon leur cours, et non pas selon leur véritable prix[885]. (1665*, n° clxv. — 1666, 1671 et 1675, n° clviii.)

DCIV

La férocité naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre[886]. (1665*, n° clxxiv.)

DCV

On peut dire de toutes nos vertus ce qu’un poète italien a dit de l’honnêteté des femmes, que ce n’est souvent autre chose qu’un art de paroitre honnête[887]. (1665*, n° clxxvi.)

DCVI

Ce que le monde nomme vertu n’est d’ordinaire qu’un fantôme formé par nos passions, à qui on donne un nom honnête, pour faire[888] impunément ce qu’on veut. (1665*, n° clxxix.)

DCVII

Nous sommes si préoccupés en notre faveur, que souvent ce que nous prenons pour des vertus n’est que des vices qui leur ressemblent, et que l’amour-propre nous déguise[889]. (1665*, n° clxxxii. — 1666, 1671 et 1675, n° clxxii.)

DCVIII

Il y a des crimes qui deviennent innocents, et même glorieux, par leur éclat, leur nombre et leur excès[890] ; de là vient que les voleries publiques sont des habiletés[891], et que prendre des provinces injustement s’appelle faire des conquêtes[892].(1665*, n° cxcii. — 1666, 1671 et 1675, n° clxxxiii.)

DCIX

Nous n’avouons jamais nos défauts que par vanité[893]. (1665, n° cc.)

DCX

On ne trouve point dans l’homme le bien ni le mal dans l’excès[894]. (1665, n° cci.)

DCXI

Ceux qui sont incapables de commettre de grands crimes[895] n’en soupçonnent pas facilement les autres. (1665*, n° ccviii.)

DCXII

La pompe des enterrements regarde plus la vanité des vivants que l’honneur des morts[896]. (1665, n° ccxiii.)

DCXIII

Quelque incertitude et quelque variété qui paroisse dans le monde, on y remarque néanmoins un certain enchaînement secret et un ordre réglé de tout temps par la Providence, qui fait que chaque chose marche en son rang et suit le cours de sa destinée[897]. (1665, n° ccxxv.)

DCXIV

L’intrépidité doit soutenir le cœur dans les conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermeté qui lui est nécessaire dans les périls de la guerre[898]. (1665, n° ccxxxi.)

DCXV

Ceux qui voudroient définir la victoire par sa naissance[899] seroient tentés, comme les poètes, de l’appeler la fille du Ciel, puisqu’on ne trouve point son origine sur la terre. En effet, elle est produite par une infinité d’actions qui, au lieu de l’avoir pour but, regardent seulement les intérêts particuliers de ceux qui les font, puisque tous ceux qui composent une armée, allant à leur propre gloire et à leur élévation, procurent[900] un bien si grand et si général[901]. (1665, n° ccxxxii.)

DCXVI

On ne peut répondre de son courage quand on n’a jamais été dans le péril[902]. (1665, n° ccxxxvi.)

DCXVII

On donne plus aisément des bornes à sa reconnoissance qu’à ses espérances et à ses désirs[903]. (1665*, n° ccxli. — 1666, 1671 et 1675, n° ccxxvii.)

DCXVIII

L’imitation est toujours malheureuse, et tout ce qui est contrefait déplaît, avec les mêmes choses qui charment[904] lorsqu’elles sont naturelles[905]. (1665*, n° ccxlv.)

DCXIX

Nous ne regrettons pas toujours la perte de nos amis par la considération de leur mérite, mais par celle de nos besoins et de la bonne opinion qu’ils avoient de nous[906]. (1665*, n° ccxlviii. — 1666, 1671 et 1675, n° ccxxxiv.)

DCXX

Il est bien malaisé de distinguer la bonté générale, et répandue sur tout le monde[907], de la grande habileté[908]. (1665, n° cclii.)

DCXXI

Pour pouvoir être toujours bon, il faut que les autres croient qu’ils ne peuvent jamais[909] nous être impunément méchants[910]. (1665, n° ccliv.)

DCXXII

La confiance de plaire est souvent un moyen[911] de déplaire[912] infailliblement[913]. (1665*, n° cclvi.)

DCXXIII

Nous ne croyons pas aisément ce qui est au delà de ce que nous voyons[914]. (1665, n° cclvii.)

DCXXIV

La confiance que l’on a en soi fait naître la plus grande partie de celle que l’on a aux autres. (1665, n° cclviii.)

DCXXV

Il y a une révolution générale qui change le goût des esprits, aussi bien que les fortunes du monde[915]. (1665, n° cclix.)

DCXXVI

La vérité est le fondement et la raison de la perfection et de la beauté[916]. Une chose, de quelque nature qu’elle soit, ne sauroit être belle et parfaite, si elle n’est véritablement tout ce qu’elle doit être, et si elle n’a tout ce qu’elle doit avoir[917]. (1665*, n° cclx.)

DCXXVII

Il y a de belles choses qui ont plus d’éclat quand elles demeurent imparfaites que quand elles sont trop achevées[918]. (1665, n° cclxii.)

DCXXVIII

La magnanimité est un noble effort de l’orgueil, par lequel il rend l’homme maître de lui-même, pour le rendre maître de toutes choses[919]. (&665, n° cclxxi.)

DCXXIX

Le luxe et la trop grande politesse dans les États sont le présage assuré de leur décadence, parce que tous les particuliers s’attachant à leurs intérêts propres, ils se détournent du bien public[920]. (1665*, n° cclxxxii.)

DCXXX

De toutes les passions, celle qui est la plus inconnue à nous-mêmes[921], c’est la paresse ; elle est la plus ardente[922] et la plus maligne de toutes, quoique sa violence soit insensible, et que les dommages qu’elle cause soient très-cachés. Si nous considérons attentivement son pouvoir, nous verrons qu’elle se rend en toutes rencontres maîtresse de nos sentiments, de nos intérêts et de nos plaisirs ; c’est la rémore[923] qui a la force d’arrêter les plus grands vaisseaux ; c’est une bonace plus dangereuse aux plus importantes affaires que les écueils et que les plus grandes tempêtes. Le repos de la paresse est un charme secret de l’âme qui suspend soudainement les plus ardentes poursuites et les plus opiniâtres[924] résolutions ; pour donner enfin la véritable idée de cette passion, il faut dire que la paresse est comme[925] une béatitude de l’âme, qui la console de toutes ses pertes, et qui lui tient lieu de tous les biens[926]. (1665*, n° ccxc.)

DCXXXI

De plusieurs actions différentes que la fortune arrange comme il lui plaît, il s’en fait[927] plusieurs vertus[928]. (1665*, n° ccxciii.)

DCXXXII

On aime à deviner les autres[929], mais l’on n’aime pas à être deviné[930]. (1665*, n° ccxcvi. — 1666, 1671 et 1675, n° cclxxii.)

DCXXXIII

C’est une ennuyeuse maladie que de conserver sa santé par un trop grand régime. (1665, n° ccxcviii. — 1666, 1671 et 1673, n° cclxxiv.)

DCXXXIV

Il est plus facile de prendre de l’amour quand on n’en a pas, que de s’en défaire quand on en a[931]. (1665*, n° ccc.)

DCXXXV

La plupart des femmes se rendent[932] plutôt par foiblesse que par passion ; de là vient que, pour l’ordinaire, les hommes[933] entreprenants réussissent mieux que les autres, quoiqu’ils ne soient pas plus aimables. (1665*, n° ccci.)

DCXXXVI

N’aimer guère en amour est un moyen assuré pour être aimé[934]. (1665, n° cccii[935].)

DCXXXVII

La sincérité que se demandent les amants et les maîtresses, pour savoir l’un et l’autre quand ils cesseront de s’aimer, est bien moins pour vouloir être avertis quand on ne les aimera plus, que pour être mieux assurés qu’on les aime[936] lorsque l’on ne dit point le contraire. (1665*, n° cccniii, mais par le faitccciv.)

DCXXXVIII

La plus juste comparaison qu’on puisse faire de l’amour, c’est[937] celle de la fièvre : nous n’avons non plus de pouvoir sur l’un que sur l’autre, soit pour sa violence, ou pour sa durée[938]. (1665, n° cccvi.)

DCXXXIX

La plus grande habileté des moins habiles est de se savoir soumettre[939] à la bonne conduite d’autrui[940]. (1665, n° cccx.)

DCXL

On craint toujours de voir ce qu’on aime quand on vient de faire des coquetteries ailleurs. (1675, n° ccclxxii.)

DCXLI

On doit se consoler de ses fautes quand on a la force de les avouer[941]. (1675, n° ccclxxv.)


    de les désavouer quand on nous les reproche. » — Voyez les maximes 134, 202, 457 et 641.

    Pologne) réfute ainsi la Rochefoucauld : « Mais l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu : oui, comme celui des assassins de César, qui se prosternoient à ses pieds pour l’égorger plus sûrement. Cette pensée a beau être brillante ; elle a beau être autorisée du nom célèbre de son auteur : elle n’en est pas plus juste. Dira-t-on jamais d’un filou qui prend la livrée d’une maison pour faire son coup plus commodément, qu’il rend hommage au maître de la maison qu’il vole ? Non : couvrir sa méchanceté du dangereux manteau de l’hypocrisie, ce n’est point honorer la vertu, c’est l’outrager en profanant ses enseignes ; c’est ajouter la lâcheté et la fourberie à tous les autres vices ; c’est se fermer pour jamais tout retour vers la probité. » Ce ton échauffé et déclamatoire eût singulièrement étonné le duc delà Rochefoucauld.

    plaisirs, ou par bienséance, ou par lassitude, ou par régime, c’est de les condamner dans les autres. Il entre dans cette conduite une sorte d’attachement pour les choses mêmes que l’on vient de quitter : l’on aimeroit qu’un bien qui n’est plus pour nous ne fût plus aussi pour le reste du monde : c’est un sentiment de jalousie. » — Voyez la 19e des Réflexions diverses.

    no puede engañar à todos. « Un seul homme ne peut abuser tout le monde. » — Voyez les maximes 117, 125, 199, 245, 394, et la note de la 407e.

    Supplément de 1693, no 29.) — Montaigne, qui ne s’est pas fait faute de parler de lui, convient cependant (Essais, livre II, chapitre vi, tome II, p. 68) que « la coutume a faict le parler de soy vicieux. » — On connaît le mot célèbre de Pascal (Pensées, article VI, 20) : « Le moi est haïssable. » — On lit dans la Logique de Port-Roval (3e partie, chapitre xix, § 6, des Sophismes d’amour-propre, édition de 1674, p. 341) : « Feu M. Pascal,… poitoit cette règle (de ne point parler de soi) jusques à prétendre qu’un honnête homme devoit éviter de se nommer, et même se servir des mots de je et de moi. » — Mme de Sévigné dit de son côté (Lettre du 13 novembre 1687, tome VIII, p. 130) : « Je sais, et c’est Salomon qui le dit, que celui-là est haïssable qui parle toujours de lui. » — Enfin la Bruyère (de l’Homme, no 66) vient à l’appui : « Un homme modeste ne parle point de soi. » — Rapprochez des maximes 138, 139, 313 et 314.

    leur donnons des louanges. (1665.) — Voyez les maximes 144, 146, 279, 356 et 530.

    cité par Amelot de la Houssaye, l’appelle le viatique de la vie humaine. — Voyez la maxime 174

    mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnoître. » — Meré (maxime 440) : « Un lâche excuse toujours sa faute, et un généreux ne manque jamais de l’avouer. » — Voyez les maximes 134, 203, 206, 411, 457, 641, et la 5e des Réflexions diverses.

    exsolvi passe ; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur. « Les bienfaits sont agréables tant qu’on croit les pouvoir acquitter ; dès qu’ils excèdent la reconnaissance, celle-ci se change eu haine. » — Pascal (Pensées, article I, 1) : « Trop de bienfaits irritent. » — Mme de Saisie (maxime 12) : « Souvent les bienfaits nous font des ennemis, et l’ingrat ne l’est presque jamais à demi ; car il ne se contente pas de n’avoir point la reconnoissance qu’il doit ; il voudroit même n’avoir pas son bienfaiteur pour témoin de son ingratitude, »

    la prospérité. » — Voyez les maximes 293 et 565. — Vauvenargues (p. 77) : « Il y a une modération de tempérament, où la réflexion n’a point de part. Tous ceux qui sont continents ne le sont point par raison ; on pourroit en nommer qui sont nés chastes. La nature a fait d’autres hommes modérés dans leur ambition, comme ceux-ci le sont dans leurs plaisirs. »

    celui ou il fait le moins d’avances et de plus grands profils ; c’est un raffinement de sa politique, avec lequel il engage les hommes par leurs biens, par leur honneur, par leur liberté, et par leur vie, qu’ils sont forcés de confier, en quelques occasions, à élever l’homme fidèle au-dessus de tout le monde. (1665.) — « Avec une semblable idée de la fidélité, dit Aimé-Martin (p. 78), comment la Rochefoucauld a-t-il pu se plaindre de l’ingratitude d’Anne d’Autriche ? » — Voyez les maximes 85, 228 et 298.

    Le même (article XXV, 49) : « Fausse humilité, orgueil. » — On sent que le Tartuffe n’est pas loin ; il a paru deux ans après la maxime de la Rochefoucauld, en 1667. — La Bruyère (de l’Homme, no 66) : « On ne voit point mieux le ridicule de la vanité, et combien elle est un vice honteux, qu’en ce qu’elle n’ose se montrer, et qu’elle se cache souvent sous les apparences de son contraire. » — Voyez les maximes 33, 358, 534, 537 et 563.

    fondement et la justification de la beauté. » Elle appartient à J. Esprit ; la Rochefoucauld, qui ne l’entendait pas clairement (voyez sa lettre du 24 octobre 1660), a voulu l’expliquer par ce qui suit, et en a fait la maxime 260 de sa première édition ; mais il l’a supprimée dès la seconde.

    au dix-septième siècle par ses saillies, Mme Cornuel, disait, en parlant de ceux de son temps ; « qu’il lui sembloit qu’elle étoit avec des morts, parce qu’ils sentent mauvais et ne parlent point. » Voyez une lettre de Corbinelli, dans les Lettres de Mme de Sévigné, tome IV, p. 414. — Rapprochez de la maxime 372.

    p. 195) ne put le décider à se présenter à l’Académie française : il n’osait affronter le discours de réception à prononcer.

    en jouissent avec orgueil et sans modération. » — « Les postes éminents rendent les grands hommes encore plus grands, et les petits beaucoup plus petits. » — Rapprochez des maximes 164, 419, et de la 3e des Réflexions diverses.

    emplois au-dessous de nous, mais nous sommes toujours petits dans ceux qui sont plus grands que nous ne sommes. (Manuscrit.) — Sénèque (épître xxii) : Turpe est cedere oneri ; luctare cum officio quod semel recepisti. « Il est honteux de se montrer au-dessous de sa charge ; mettez-vous au niveau de votre emploi, dès que vous l’avez accepté. » — Voyez les maximes 164, 449, et la 3e des Réflexions diverses.

    pas même en mettant l’amour de soi à la place de l’orgueil… Dire que cet orgueil est égal dans tous, c’est anéantir une vertu qui lui est opposée, la modestie… Prétendre que personne n’est véritablement plus modeste qu’un autre, c’est dire que nul homme n’a plus de bon sens qu’un autre homme ; que nul n’est capable de restreindre par la réflexion l’idée trop avantageuse qu’il est tenté d’avoir de lui-même. »

  1. Contrairement à l’usage suivi dans cette collection des Grands écrivains de la France, nous ne donnons pas de notice particulière sur les Maximes. Ce qu’on en pourrait dire ici ferait double emploi avec les renseignements que nous fournissons, aussi complets qu’il nous a été possible, dans les Notices biographique et bibliographique. La seconde moitié de la vie de la Rochefoucauld est à peu près vide d’événements ; en ôter ce qui concerne la composition et la publication de ses ouvrages, ce serait réduire a rien sa biographie.
  2. Le litre complet de cette première édition, et de toutes celles qui ont été publiées du vivant de l’auteur (a), est : Réflexions ou Sentences et Maximes morales. — « Ce titre est singulier, dit l’abbé Brotier ; et cependant le duc de la Rochefoucauld n’en devoit pas mettre d’autre. Mme de la Fayette, qui s’intéressoit à l’ouvrage plus que l’auteur même, avoit consulté quantité de personnes (b). Le savant Huet prétendoit que ce n’étoit point des maxime ». D’autres y vovoient des réflexions, des sentences. Pour ne point trancher en maître et laisser à chacun ses idées, le duc de la Rochefoucauld a très-bien fait de faire connoître cette variété d’idées et de jugements. Le public a prononcé en faveur des Maximes. » (Observations sur les Maximes, p. 207 et 208.)

    (a) À l’exception d’une des quatre de 1665, une contrefaçon évidemment, qui est intitulée : Réflexions morales de Monsieur de L. R. Foucaut. C’est la seule qui porte ainsi le nom de l’auteur.

    (b) Nous pensons que Brotier se trompe, au moins en ce qui concerne la première édition des Maximes (1665) : c’est plus tard que Mme de la Fayette s’intéressa à l’ouvrage autant qu’à l’auteur même. Voyez la Notice biographique.

  3. L’histoire de cette copie infidèle n’a jamais pu être éclaircie, et il y a tout lieu de croire que c’était un simple prétexte dont un grand seigneur comme la Rochefoucauld avait besoin pour donner au public un livre même anonyme. Si une copie avait couru jusqu’en Hollande, on n’eût pas manqué de l’y imprimer immédiatement, comme on s’était hâté de faire, en 1662, pour les Mémoires de notre auteur ; or il ne reste pas trace d’une édition hollandaise antérieure à la première édition française.
  4. Voyez la maxime 119.
  5. Voyez, à l’Appendice de ce volume, les Jugements des contemporains sur les Maximes.
  6. C’est le Discours faussement attribué, selon nous, à Sergrais. Voyez la notice de ce Discours à l’Appendice de ce volume.
  7. C’est-à-dire depuis que le manuscrit a été communiqué à diverses personnes. Voyez la Notice biographique.
  8. Voyez les maximes 517 et 524.
  9. Sans parler de divers passages de cette préface qui répètent plusieurs maximes, Duplessis fait remarquer avec raison (p. 237) que cette phrase, a ingénieusement ironique, suffirait seule pour prouver que la Rochefoucauld lui-même est l’auteur de cet Avis au lecteur. »
  10. Cette raison ne paraît guère satisfaisante. Voyez ce que nous disons à ce sujet, eu appréciant le livre des Maximes, dans la Notice biographique.
  11. Cette préface est presque entièrement conforme à celle de la 4e édition (1675), et elle diffère peu de celles des 2e et 3e (1666 et 1671).
  12. Il y en avait 317 dans la 1er édition (a) ; 302 seulement dans la 2e en y comprenant la réflexion sur la mort, non numérotée dans la 1er ; 341 dans la 3e ; 413 dans la 4e ; 504 dans la 5e.

    (a) La dernière, il est vrai, est numérotée 316 ; mais il y a deux maximes portant le numéro 302. Si l’on tenait compte de la réflexion sur la mort, qui se trouve, sans numéro, à la fin du volume, la première édition comprendrait en réalité 318 maximes.

  13. Var. : Cette quatrième édition des Réflexions morales est encore beaucoup plus ample et plus exacte que les trois premières. (1675.) — Voici une troisième édition des Réflexions morales, que vous trouverez plus ample et plus exacte que les deux premières. Vous pouvez en faire tel jugement que vous voudrez, je ne me mettrai point en peine de vous prévenir en leur faveur (b). Si elles sont telles que je les crois, on ne pourroit leur faire plus de tort que de se persuader qu’elles eussent besoin d’apologie. (1671.) — Mon cher lecteur, voici une seconde édition des Réflexions morales, que vous trouverez sans doute plus correcte et plus exacte en toutes façons que n’a été la première. Ainsi vous pouvez maintenant en faire tel jugement que vous voudrez, sans que je me mette en peine de tâcher à vous prévenir en leur faveur, puisque si elles sont telles que je le crois, on ne pourroit leur faire plus de tort que de se persuader qu’elles eussent besoin d’apologie. (1666.)

    (b) L’auteur lui-même a fait justice, en la supprimant, de cette boutade à la Scudéry.

  14. Aussi la Rochefoucauld a-t-il supprimé, dès la 2e édition, le long Discours apologétique (voyez ci-dessus, p. 26, note 4) ; mais il n’en reste pas moins que, pour la 1er édition, il avait accepté, et sans doute sollicité, cette apologie, comme il avait sollicité de Mme de Sablé, et retouché de sa main, un article pour le Journal des Savants (voyez à l’Appendice de ce volume).
  15. Var. : et l’autre, qui est la principale et comme le fondement de toutes ces Réflexions, est que celui… (1666.)
  16. On l’a vu dans la préface qui précède, l’auteur, dès sa première édition, s’était mis en règle avec l’Église, mais sous une autre forme.
  17. Var. : vous n’aurez pas de peine à juger, mon cher lecteur… (1666.)
  18. Le mot toujours n’est pas dans la 2e édition (1666), non plus que dans la 3e (1671).
  19. Cette maxime-épigraphe, résumé de tout le livre, ne date que de la 4e édition (1675). — Brotier (Observations sur les Maximes, p. 210) cite à ce propos Bossuet (Oraison funèbre de la princesse Palatine, tome XVIII, p. 438, édition de Versailles) : « Elle croyoit voir partout dans ses actions un amour-propre déguisé en vertu… » — Voyez la maxime 607.
  20. Var. : de diverses actions que la fortune arrange comme il lui plait. (1666 et 1671.) — La fin de la maxime : « et ce n’est pas toujours, etc., » date de la 4e édition (1675). — Rapprochez des maximes 169, 204, 205, 213, 213, 220, 333, 380 et 631. — Au lieu de cette pensée, la 1er édition (1665) donnait la longue définition de l’amour-propre (maxime 563).
  21. Les maximes marquées à la fin d’un astérisque sont celles que l’auteur a retouchées.
  22. Voyez les maximes 303 et 600.
  23. Var. : il reste bien encore des terres inconnues. (1665 et 1666.) — « Le pays de l’amour-propre, terres inconnues ; ces expressions ne me paroissent pas nobles, » dit Vauvenargues (Œuvres posthumes et Œuvres inédites, édition D. L. Gilbert, Paris, Furne, 1857, p. 76). Voyez, dans la présente collection des Grands écrivains de la France, le Lexique de Corneille, tome II, p. 13 et 14.
  24. Vauvenargues (p. 76) répond à cette maxime : « L’amour-propre le plus habile fait beaucoup de fautes contre ses vrais intérêts. » — Mme de Sablé objecte de son côté (maxime 28) : « L’amour-propre se trompe, même par l’amour-propre, en faisant voir dans ses intérêts une si grande indifférence pour ceux d’autrui, etc. »
  25. Rapprochez des maximes 122, 297, 564 et 638.
  26. Var. : un sot. (Manuscrit.) — un fol. (1666.)
  27. Var. La passion fait souvent du plus habile homme un fol, et rend quasi toujours… 1665.)
  28. Var. : Les. (1665.)
  29. Var. : des grands intérêts. (1665.)
  30. La 1er édition (1665) disait affirmativement : « étoit un effet de jalousie. » — Vauvenargues répond à la Rochefoucauld (p. 77) : « La jalousie d’Auguste et d’Antoine n’étant probablement fondée que sur ce qu’ils partageoient l’empire du monde, on a pu raisonnablement confondre une telle jalousie avec l’ambition. » — Voyez les maximes 57, 58, 160, et la 17e des Réflexions diverses.
  31. Dans le manuscrit, la maxime finit ici ; la suite appartient à la 1er édition (1665), sous cette forme : « et l’homme le plus simple que la passion fait parler persuade mieux que celui qui n’a que la seule éloquence. »
  32. La 1er édition (1665) n’a pas ce membre de phrase.
  33. Var. : Les passions ont une injustice et un propre intérêt qui fait qu’elles offensent et blessent toujours, même lorsqu" elles parlent raisonnablement et équitablement. La charité a seule le privilège de dire tout ce qui lui plaît et de ne blesser jamais personne. (Manuscrit.) — Selon Vauvenargues, cette pensée est commune (p. 84, note).
  34. La 1er édition (1665) donne sans correctif : « est toujours. »
  35. Var. : Comme dans la nature il y a une éternelle génération, et que la mort d'une chose est toujours la production d'une autre, de même il y a dans le cœur humain… (Manuscrit.) — Montaigne (Essais, livre III, chapitre ii, tome III, p. 230): « Nous ne quittons pas tant les vices, comme nous les changeons, et, à mon opinion, en pis. » — Pascal (Pensées, édition Havet, articles VIII, 8, et XXV, 12) : « Les passions sont toujours vivantes dans ceux qui y veulent renoncer. » — « Ôtez un de ces vices, nous tombons dans l'autre. » — Vauveuargues (Introduction à la Connoissance de l'esprit humain, livre II, 42, p. 48) : « Les passions s'opposent aux passions, et peuvent se servir de contre-poids. — Meré (Maximes, Sentences et Réflexions morales et politiques, Paris, Estienne du Castin, 1687, maxime 546): « C'est toujours un bon moyen pour vaincre une passion que de la combattre par une autre. » — Voyez les maximes 191, 450 et 484.
  36. La 1er édition (1665) donne ainsi la fin de cette maxime : « l’avarice produit quelquefois la libéralité, et la libéralité l’avarice ; on est souvent ferme de foiblesse, et l’audace nait de la timidité. » — Le manuscrit développe le commencement : « Je ne sais si cette maxime, que chacun produit son semblable, est véritable dans la physique ; mais je sais bien quelle est fausse dans la morale, et que les passions… » — Voyez la maxime 492.
  37. Var. : « Quelque industrie que l’on ait à cacher ses passions sous le voile de la piété et de l’honneur, il y en a toujours quelque endroit qui se montre. (Manuscrit et 1665.) — Bien que Vauvenargues trouvât cette réflexion commune, il a dit absolument de même, dans son xie caractère (Termosiris) : « Les passions percent toujours à travers le voile dont on les couvre. » (Œuvres, p. 303.)
  38. Voyez la maxime 390. Selon la 467e ? c’est bien plutôt la vanité que la raison qui peut nous faire agir contre notre goût. — Voyez aussi la maxime 252.
  39. Var. : Les François ne sont pas seulement sujets à perdre, comme la plupart des hommes, le souvenir… (Manuscrit.) — … à perdre également le souvenir… (1665.)
  40. Var. : mais ils haïssent ceux… (1665.)
  41. Le manuscrit ajoute ici : « L’orgueil et l’intérêt produisent partout l’ingratitude. » — Dans sa 46e maxime, Mme de Sablé dit également que « l’amour qu’on a pour soi-même… nous fait… oublier les plus grands sujets de ressentiment contre nos ennemis. »
  42. Var. : ils ont peine de s’assujettir. (Manuscrit.) — … ils ont peine à se soumettre. (1665.) — Vauvenargues répond à la Rochefoucauld (p. 77) : « Les hommes oublient les bienfaits et les injures, parce qu’ils sont légers, et qu’il n’y a ordinairement que le présent qui fasse une forte impression sur leur esprit ; » et il ajoute dans sa 826e maxime (Œuvres, p. 482) : « La haine n’est pas moins volage que l’amitié. » — La Bruyère (du Cœur, nos 69 et 70, tome I, p. 210 et 211) dit de son côté : « Il est également difficile d’étouffer dans les commencements le sentiment des injures, et de le conserver après un certain nombre d’années. » — « C’est par foiblesse que l’on hait un ennemi, et que l’on songe à s’en venger ; et c’est par paresse que l’on s’apaise, et qu’on ne se venge point. » — Voyez la maxime 82.
  43. Var. : est souvent une politique dont ils se servent pour… (1665.) — Le manuscrit n’a pas le correctif souvent.
  44. J. Esprit dit de même (Faussetés des vertus humaines, édition de 1678, tome I, p. 262) : « La clémence des rois… est… quelquefois une politique et un moyen dont ils se servent pour gagner les cœurs de leurs sujets. »
  45. Var. : La clémence, dont nous faisons une vertu. (1665.) — La Harpe (Cours de littérature, 2e partie, livre II, chapitre iii, § 2, édition de l’an vii, tome VII, p. 254) demande : « Que signifient ces mots : dont on fait une vertu ? Quoi donc ? la clémence n’en est-elle pas une ? »
  46. Var. : tantôt pour la gloire. (1665.)
  47. Var. : La clémence est un mélange de gloire, de paresse et de crainte, dont nous faisons une vertu. (Manuscrit.) — Aimé-Martin (Examen critique des Maximes, p. 22-24) voit dans cette pensée une allusion à la reine Anne d’Autriche.
  48. Var. : La modération des personnes heureuses est le calme de leur humeur, adoucie par la possession du bien. (1665.) — Vauvenargues objecte (p. 77) : « La bonne fortune ne fait qu’irriter les désirs des esprits naturellement immodérés. »
  49. Var. : La modération est une crainte de l’envie et du mépris qui suivent ceux… (1665.) — Envie est pris dans le sens qu’a souvent le latin invidia, de « haine (encourue). » — Il y a dans le blâme au manuscrit.
  50. L’annotateur contemporain, que nous citons d’après Duplessis, ajoute : « Au lieu de s’enivrer de leur bonheur, ils s’enivrent de leur modération. »
  51. Après enfin, il y a dans le manuscrit : « pour la définir intimement, » et dans l’édition de 1665 : « pour la bien définir. »
  52. Var. : … dans leurs plus hautes élévations est une ambition de paroître (1665.)
  53. Dans les quatre premières éditions : « plus grands que les choses qui les élèvent. » — J. Esprit (tome II, p. 60) : « Ceux qui ne s’éblouissent point de leur faveur sont modérés, afin qu’on croie que, quelque grande que soit leur élévation, leur âme est encore plus grande que leur fortune. » — Si l’on en croit Mme de Motteville, citée par Aimé-Martin (p. 24), Mazarin « affectoit d’être froid quand ses affaires alloient bien, pour faire voir qu’il ne s’emportoit pas dans
  54. C’est le sens du proverbe : « Mal d’autrui n’est que songe. » — Swift a dit d’une façon plus piquante encore : « Je n’ai jamais connu personne qui ne fût capable de supporter le malheur des autres en parfait chrétien. »
  55. Var. : n’est qu’un art avec lequel ils savent enfermer. (1665.)
  56. Les quatre premières éditions donnent : « dans leur cœur. » — Vauvenargues répond (p. 78) : « La constance des sages peut être fondée sur le sentiment qu’ils ont de leurs ressources ; » et il développe cette pensée dans la 30e des Réflexions sur divers sujets (Œuvres, p. 91), et dans le 6e Conseil à un jeune homme (p. 119 et 120). — La Harpe s’écrie (tome VII, p. 256) : « Où est la preuve de cette assertion générale ? Restreignez-la, elle sera aussi vraie que commune ; énoncée comme elle l’est, elle est démentie par cent exemples. »
  57. Meré (maxime 76) : « La crainte de la mort est plus sensible que la mort même. » — Publius Syrus :
    Mortem timere crudelius est quam mari.

    La Bruyère (de l’Homme, no 36) a ainsi traduit cette sentence : « Il est plus dur de l’appréhender (la mort) que de la souffrir. » — Pascal dit de son côté (Pensées, article VI, 58) : « La mort est plus aisée à supporter sans y penser, que la pensée de la mort sans péril. »

  58. Var. : Ceux qu’on fait mourir affectent quelquefois des constances, des froideurs, et des mépris de la mort, pour ne pas penser à elle (le manuscrit ajoute : et pour s’étourdir : de sorte qu’on peut dire que ces froideurs et ces mépris font à leur esprit ce que le bandeau (manuscrit : le mouchoir) fait à leurs yeux. (Manuscrit et 1665.) — Voyez les maximes 23, 46 et 504. — Dans la maxime 420, l’auteur dira à peu près la même chose de la constance dans les malheurs.
  59. Var. : des maux passés et de ceux qu’un ne sont pas prêts d’arriver. (1665.)
  60. Var. : La philosophie ne fait des merveilles que contre les maux passés ou contre ceux qui ne sont pas prêts d’arriver, mais elle n’a pas grande vertu contre les maux présents. (Manuscrit.)
  61. Var. : on la souffre, non par la résolution, mais par la stupidité et par la coutume. (Manuscrit.) — Montaigne (Essais, livre III, chapitre ix, tome III, p. 477 et 478) : « le me plonge, la teste baissée, stupidement dans la mort, sans la considérer et recognoistre. »
  62. Var. : et la plupart des hommes meurent parce qu’on meurt. (Manuscrit et 1665.) — L’annotateur contemporain qualifie de galimatias la première phrase de cette maxime, et objecte : « Comment connoître une chose que l’on ne peut voir que dans les autres ? » — Vauvenargues (maxime 848, Œuvres, p. 484) : « La gloire et la stupidité cachent la mort, sans triompher d’elle. » — Voyez plus liant la maxime 21, et ci-après les maximes 46 et 504.
  63. Au lieu de : « ils font voir, etc., » on lit dans le Manuscrit : « cela fait voir manifestement qu’à une grande vanité près… » — Dans la 1er édition (1665), cette pensée est ainsi rédigée : « Les grands hommes s’abattent et se démontent à la fin par la longueur de leurs infortunes ; cela fait bien voir qu’ils n’étoient pas forts quand ils les supportoient, mais seulement qu’ils se donnoient la gêne pour le paroître, et qu’ils soutenoient leurs malheurs par la force de leur ambition, et non pas par celle de leur âme ; enfin, à une grande vanité près… »
  64. J. Esprit dit absolument de même (tome II, p. 210} : « À la vanité près… ils (les héros) sont faits comme les autres hommes. » — Montaigne avait déjà dit (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 215 : « Les âmes des empereurs et des sauatiers sont iectées a mesme moule. » — Pascal dit par deux fois : (article VI, 28 et 3o) : « Les grands et les petits ont mêmes accidents, et mêmes fâcheries, et mêmes passions. » — « Quelque élevés qu’ils soient (les grands hommes), si sont-ils unis aux moindres des hommes par quelque endroit. » — Vauvenargues dit à son tour (maxime 516, Œuvres, p. 448) : « Les grands rois, les grands capitaines, les grands politiques, les écrivains sublimes sont des hommes… » Mais dans sa Critique (p. 78), il répond en ces termes à notre auteur : « Lorsqu’un homme n’est pas assez fort pour supporter le malheur, je ne crois point qu’il puisse être capable d’une forte ambition, et surtout de celle qui fait supporter de longues infortunes : ce que M. de la Rochefoucauld appelle la force de l’ambition n’est donc autre chose que la force de l’âme, et l’auteur les sépare mal à propos. À une grande vanité près, les héros sont faits, dit-il, comme les autres hommes ; c’est encore abuser des termes que d’appeler l’amour de la gloire une grande vanité, et je ne conviens point de cette définition. D’ailleurs, plus un homme a de vanité, moins il est capable d’héroïsme ; il est donc faux de dire que c’est une grande vanité qui fait les héros, puisque c’est, au contraire, le mépris des choses vaines qui les rend supérieurs aux autres hommes. » — Vauvenargues insiste sur cette dernière pensée, dans une variante : « L’héroïsme est incompatible avec la vanité, et n’a ni les mêmes effets, ni la même cause : plus grande est la vanité, plus foible est l’amour de la gloire. »
  65. L’édition de 1665 ajoutait : « et en plus grand nombre. »
  66. Tacite (Histoires, livre I, chapitre xv) : Secundæ res acrioribus stimulis animos explorant, quia miseriæ tolerantur, felicitate corrumpimur. « La prospérité est pour le cœur humain une épreuve plus rigoureuse (que l’adversité) ; car on supporte le malheur, mais le bonheur corrompt. »
  67. Cicéron pensait, au contraire, que la méditation de la mort est le seul moyen de repos pour l’esprit : Sine qua (mortis) meditatione tranquillo esse animo nemo potest (de Senectute, chapitre xx, 74). — Vauvenargues (p. 78) reproche à la Rochefoucauld d’avoir donné le soleil comme image de la mort. Cette observation tombe à faux : la Rochefoucauld a simplement rapproché les deux termes, et un rapprochement n’est pas une image.
  68. L’édition de 1665 commence ainsi : « Quoique toutes les passions se dussent cacher, elles ne craignent pas néanmoins le jour ; la seule envie… »
  69. Honteuse d’elle-même, qui n’ose se laisser voir.
  70. Var. : qu’on n’ose, (1665.)
  71. Var. : La jalousie est raisonnable et juste en quelque manière, puisqu’elle ne cherche… (1665.)
  72. Var. : est une fureur qui nous fait toujours souhaiter la ruine du bien des autres. (1665.) — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxvii) définissait renie : « un regret du bien que les autres possèdent, qui nous ronge fort le cueur ; elle tourne le bien d’autruy en nostre mal. » — Selon Vauvenargues, cette maxime et la précédente, aussi bien que les 32e et 33e, sont communes. Je ne puis que répéter ce que j’ai dit ailleurs (édition de Vauvenargues, Œuvres posthumes et Œuvres inédites, p. 84) à savoir qu’il serait bien regrettable « qu’il eût été aussi sévère pour lui-même qu’il l’est ici pour la Rochefoucauld. » — Voyez la maxime 324.
  73. Var. : ne nous attire point. (1665.)
  74. Var. : que les bonnes qualités que nous avons. (1665.) — Le mal que nous faisons aux autres ne nous attire point tant leur persécution et leur haine que les bonnes qualités que nous avons. (Manuscrit.) — Tacite, cité par Amelot de la Houssaye, a dit à peu près dans le même sens : Sinistra erga eminentes interpretatio, nec minus periculum ex magna fama quam ex mala. (Agricola, chapitre v.) « L’opinion est contraire aux hommes éminents, et une grande réputation ne court pas moins de risques qu’une mauvaise. »
  75. Var. : plus de forces, (1671 et 1675.) — L’édition de 1666 a force, au singulier, comme celles de 1665 et de 1678.
  76. Var. : Rien n’est impossible de soi : il y a des voies qui conduisent à toutes choses, et si nous avions assez de volonté, nous aurions toujours assez de moyens. (Manuscrit.) — Le manuscrit donne encore cette autre pensée, dans le même sens : « On peut toujours ce qu’on veut, pourvu qu’on le veuille bien. » — Ces diverses maximes expriment la même idée que la 243e. — Multa experiendo confieri, quæ segnibus ardua videantur (Tacite, Annales, livre XV, chapitre lix). « On voit souvent réussir à l’épreuve ce qu’un esprit timide aurait cru impossible. » — Non ista difficilia sunt natura, sed nos fluidi et enerves (Sénèque, épitre lxxi). « Ces choses ne sont pas difficiles eu elles-mêmes ; c’est nous qui sommes sans consistance et sans nerf. » — Duplessis fait dater cette maxime 30 de la 2e édition (1666) ; elle date en réalité de la 1er (1665), où elle a motivé un carton (voyez la Notice bibliographique).
  77. Var. : nous ne serions pas si aises d’en remarquer aux autres (Manuscrit et 1665.) — … tant de plaisir d’en remarquer… (1666.) — Voyez les maximes 34, 267, 397, 483 et 513.
  78. a et b Var. : La jalousie ne subsiste que dans les doutes, et ne vit que dans les nouvelles inquiétudes. (Manuscrit.) — La jalousie ne subsiste que dans les doutes ; l’incertitude est sa matière ; c’est une passion qui cherche tous les jours de nouveaux sujets d’inquiétude et de nouveaux tourments ; on cesse d’être jaloux, dès que l’on est éclairci de ce qui causoit la jalousie. (1665). — La jalousie se nourrit dans les doutes ; c’est une passion qui cherche toujours de nouveaux sujets d’inquiétude et de nouveaux tourments, et elle devient fureur, sitôt qu’on passe du doute à la certitude, (1666.) — Voyez la maxime 514, et la 8e des Réflexions diverses. Erreur de référence : Balise <ref> incorrecte : le nom « p43 » est défini plusieurs fois avec des contenus différents.
  79. Var. : et il ne perd rien. (Manuscrit et 1665.)
  80. Le contemporain annote ainsi cette maxime : « Vrai ; témoin les dévots. » Il est à croire que la Rochefoucauld l’a entendu de même, et qu’il a pensé à Mme de Longueville, aussi bien que dans les maximes 254, 358, 534, 536 et 563.
  81. La Bruyère (de l’Homme, no 72) : « Notre vanité, et la trop grande estime que nous avons de nous-mêmes, nous fait soupçonner dans les autres une fierté à notre égard, qui y est quelquefois, et qui souvent n’y est pas ; une personne modeste n’a point cette délicatesse. » — Rapprochez des maximes 31 et 389.
  82. Var. : La nature, qui a si sagement pourvu à la vie de l’homme par la disposition admirable des organes du corps, lui a sans doute donné l’orgueil pour lui épargner la douleur de connoître ses imperfections et ses misères. (1665.) C’est sans doute à cause du rapport douteux des pronoms que l’auteur a remanié cette pensée. — Vauvenargues (p. 84, note) la range parmi celles qui lui paraissent communes. — Selon la maxime 494, l’amour-propre d’ordinaire nous aveugle, mais parfois aussi nous éclaire.
  83. Var. : a bien plus de part, (1665.)
  84. Var. : et nous les reprenons bien moins. (l665.)
  85. Var. : les persuader. (1665.)
  86. Voyez la fin de la maxime 116.
  87. Cette maxime, dit Amelot de la Houssaye, fait allusion à Mazarin ; et par conséquent, aurait-il pu ajouter, à Anne d’Autriche. — Racine, dans ses Fragments historiques, explique ainsi la conduite de Mazarin : « La raison pourquoi le Cardinal différoit tant à accorder les grâces qu’il avoit promises, c’est qu’il étoit persuadé que l’espérance est bien plus capable de retenir les hommes dans le devoir que non pas la reconnoissance. » — Tacite avait déjà dit, en parlant de Vitellius (Histoires, livre III, chapitre lviii) : Largus promissis, et, quæ natura trepidantium est, immodicus. « Il n’était pas avare de promesses ; il en était prodigue, comme les gens qui ont peur. »
  88. Var. : et même. (1665.) — J. Esprit (tome I, p. 594) : « L’intérêt joue lui seul ce nombre infini de personnages qu’on voit sur le théâtre du monde. » — Vauvenargues (p. 84) trouve cette pensée commune. — Voyez la maxime 246.
  89. Var. : L’intérêt, à qui on reproche d’aveugler les uns, est ce qui fait toute la lumière des autres. (Manuscrit.) — … est tout ce qui fait la lumière des autres. (1665.)
  90. L’auteur pensait probablement à Louis XIII, dont il dit tout au commencement de ses Mémoires : « Il avoit un esprit de détail appliqué uniquement à de petites choses. » — Fénelon (Télémaque, livre XXII) : « Un esprit épuisé par le détail est comme la lie du vin, qui n’a plus ni force, ni délicatesse. » — Vauvenargues (maxime 230, Œuvres, p. 402.) : « … Si l’on en voit quelques-uns (quelques hommes) que la spéculation des grandes choses rend en quelque sorte incapables des petites, on en trouve encore davantage à qui la pratique des petites a ôté jusqu’au sentiment des grandes. » — Par contre, Vauvenargues (dans sa maxime 552, p. 451) pense que « les grands hommes le sont quelquefois jusque dans les petites choses ; » et, revenant à la charge dans sa Critique de la Rochefoucauld (p. 79), il estime « qu’il seroit plus vrai de dire » que ceux dont il s’agit sont nés incapables des grandes. — Tacite (Annales, livre XIII, chapitre xlix) fait dire à Thraséas : Magnarum rerum curam non dissimulaturos, qui animum etiam levissimis adverterent. « Que des yeux ouverts sur les plus petites choses ne se fermeraient pas sur les grandes. » — D’un autre côté, Ph. de Comines, cité par Amelot de la Houssaye, blâme Louis XI du soin minutieux qu’il mettait aux plus petites affaires ; mais Tacite (Annales, livre IV, chapitre xxxii) dit encore : … Primo adspectu levia, ex queis magnarum sæpe rerum motus oriuntur. « Telle chose, au premier regard, paraît peu importante, qui produit souvent les plus grands effets. » — La Bruyère (du Souverain ou de la République, no 24, tome I, p. 382) loue dans Louis XIV la science des détails ; mais Saint-Simon et Fénelon lui en font un reproche. « Son esprit, dit le premier, naturellement porté au petit, se plut en toutes sortes de détails » (Mémoires, tome XII, p. 400). — « L’habileté d’un roi, dit le second,… ne consiste pas à tout faire par lui-même… Vouloir examiner tout par soi-même, c’est défiance, c’est petitesse ; c’est se livrer à une jalousie pour les détails qui consument le temps et la liberté d’esprit nécessaires pour les grandes choses » (Télémaque, livre XXII). — Voyez la maxime 569, et comparez avec la 16e des Réflexions diverses, où la Rochefoucauld revient sur cette pensée, et se rapproche du sens de Vauvenargues.
  91. Var. : pas assez de forces. (1671 et 1675.) — Voyez ci-dessus, p. 42, note 5.
  92. Aimé-Martin (p. 34) rappelle que cette pensée fut ainsi retournée par Mme de Grignan : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force ; » et que Mme de Sévigné trouvait cette maxime plus vraie que celle de la Rochefoucauld. Voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome VI, p. 527. Du reste, la Rochefoucauld lui-même donnait raison par avance à Mme de Grignan, dans la maxime 30, où 11 reconnaît que nous avons plus de force que de volonté. — « L’homme, dit Pascal (Pensées, article XXV, 27), n’agit point par la raison qui fait son être. » — Sénèque (épitre lxxiv) pensait de son côté que la raison nous donne toujours assez de force, mais à la condition qu’on l’aime :Ama rationem ; hujus te amor contra durissima armabit. « Aime la raison ; cet amour t’armera contre les plus rudes épreuves. » — La Bruyère (de l’Homme, no 137) : « J’ose presque assurer que les hommes savent encore mieux prendre des mesures que les suivre, résoudre ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire, que de faire ou de dire ce qu’il faut. » — Voyez la maxime 243.
  93. Var. : L’homme est conduit, lorsqu’il croit se conduire. (1665.)
  94. Var. : il vise à un endroit. (1665.)
  95. Var. : l’achemine. (1665.) Peut-être ce mot, qui s’accommode mieux avec insensiblement, est-il à regretter.
  96. Pascal dit dans le même sens (Pensées, article VII, 4) : « Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment. » Cette maxime n’est, au reste, qu’un commentaire de la 102e : « L’esprit est toujours la dupe du cœur, » et ce commentaire, l’auteur l’a emprunté à Mme de Schonmberg, qui s’exprime ainsi dans la critique qu’elle avait faite de quelques maximes de la Rochefoucauld, à la prière de Mme de Sablé (voyez dans le présent volume, Pensées de Mme de Schomberg, etc.) : « Je ne sais si vous l’entendez comme moi, mais je l’entends, ce me semble, bien joliment, et voici comment : c’est que l’esprit croit toujours, par son habileté et par ses raisonnements, faire faire au cœur ce qu’il veut ; mais il se trompe, il en est la dupe ; c’est toujours le cœur qui fait agir l’esprit ; l’on suit tous ses mouvements, malgré que l’on en ait, et l’on les suit même sans croire les suivre. » — Voyez aussi les maximes 103, 108 et 460.
  97. Chaulieu (t. Il, p. 141, édition de 1757) a dit dans le même sens :
    Bonne ou mauvaise santé
    Fait notre philosophie.

    Voyez la maxime 297. — Montaigne (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 36i) : « Il est certain que nostre appréhension, nostre jugement, et les facultez de nostre ame en general souffrent selon les mouvements et altérations du corps. » — Vauvenargues (p. 79) : « On pourroit dire sur ce fondement : la sagacité et l’imbécillité sont mal nommées ; elles ne sont, en effet, etc. Mais qui ne voit la fausseté de cette maxime ? L’imbécillité et la sagacité, la force et la foiblesse de l’esprit sont-elles moins réelles et moins distinctes, pour être fondées sur la disposition de nos organes ? Si la force du corps entraînoit nécessairement celle de l’esprit, il seroit assez raisonnable de les appeler du même nom ; mais puisque ces deux avantages sont si rarement unis, ne faut-il pas avoir aussi deux expressions pour caractériser deux choses, non-seulement séparables, mais presque toujours séparées ? » — La Harpe dit à son tour (tome VII, p. 260) : « Il est très-faux que la force d’esprit dépende toujours de la disposition du corps ; il est démontré par des faits sans nombre que cette force peut se trouver dans le corps le plus mal disposé. Quand le maréchal de Saxe, gonflé d’hydropisie, ne pouvant se mouvoir sans douleur, se faisait porter, à Fontenoy, dans une gondole d’osier, et disait en riant : Il serait plaisant que ce fût une balle ou un boulet qui me fit la ponction, la force de son âme était-elle mal nommée ? N’était-ce que la bonne disposition de ses organes ? » — Cicéron ( Tusculanes, livre I, chapitre xxx) dit bien, ce nous semble, à quoi doit se réduire, pour être vraie, la pensée de la Rochefoucauld : Ipsi animi magni refert quali in corpore locati sint ; multa enim e corpore exsistunt quæ acuant mentent, multa quæ obtundant. « Il importe beaucoup dans quel corps l’âme est logée ; car nombre de qualités corporelles aiguisent l’esprit, et nombre d’autres l’émoussent. »

  98. Var. : Le caprice de l’humeur. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 47, 61, 252, 290, 625, la note de la maxime 390, et la 10e des Réflexions diverses.
  99. Var. : Le désir de vivre ou de mourir sont des goûts de l’amour-propre, dont il ne faut non plus disputer que des goûts de la langue, ou du choix des couleurs. (Manuscrit.) — L’attachement ou l’indifférence pour la vie sont des goûts de l’amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que de ceux de la langue, ou du choix des couleurs. (1665.) — L’attachement ou l’indifférence pour la vie, qu’avoient les philosophes, n’étoit qu’un goût de leur amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que de ceux de la langue, etc. (1666.) — Il est probable que cette pensée, sous sa première forme, n’avait pas paru assez chrétienne ; aussi l’auteur l’a-t-il mise au compte des philosophes païens. — Rapprochez des maximes 21, 22, 23 et 504. — Vauvenargues (p. 79) : « L’amour-propre n’empêche pas qu’il n’y ait, en toutes choses, un bon et un mauvais goût, et qu’on n’en puisse disputer avec fondement. »
  100. Voyez les maximes 45 et 61.
  101. Var. : et non pas par avoir. (1665 et 1666.) — On trouve une idée analogue à celle-ci dans la maxime 563. — Héraclite, cité par Montaigne (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 399}, disait : « Que toutes choses auoient en elles les visages qu’on y trouvoit. »
  102. Dans les quatre premières éditions : « que l’on pense. » — Dans le manuscrit : « On n’est jamais si malheureux qu’on craint, ni si heureux qu’on espère. » — Autre version du manuscrit ; « Les biens et les maux sont plus grands dans notre imagination qu’ils ne le sont en effet, et on n’est jamais si heureux ni si malheureux que l’on pense. » — L’abbé de la Roche rappelle que « le cardinal de Richelieu avoit coutume de dire qu’il y a des révolutions si grandes dans les choses et dans les temps, que ce qui paroît gagné est perdu, et que ce qui semble perdu est gagné. » — Voyez la maxime 572.
  103. Var. : Ceux qui se sentent du mérite se piquent toujours d’être malheureux, pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu’ils sont au-dessus de leurs malheurs, et qu’ils sont dignes… (1665.)
  104. Var. : … pour persuader aux autres et à eux-mêmes qu’ils sont de véritables héros, puisque la mauvaise fortune ne s’opiniâtre jamais à poursuivre que les personnes qui ont des qualités extraordinaires. (Manuscrit.) — Duclos (1806, tome I, p. 131, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre v) : « Celui dont les malheurs attirent l’attention est à demi consolé. » — Vauvenargues (p. 84) trouve cette pensée de la Rochefoucauld commune, aussi bien que la 48e. — Voyez la maxime 573.
  105. Var. : que de voir que nous avons été contents dans l’état et dans les sentiments que nous désapprouvons à cette heure. (1665.) — Voyez les maximes 135 et 478. — Pascal (de l’Esprit géométrique, 2e fragment, tome II, p. 300) : « Il n’y a presque point de vérités dont nous demeurions toujours d’accord. » — La Bruyère (de l’Homme, no 147) : « Les hommes n’ont point de caractères, ou s’ils en ont, c’est celui de n’en avoir aucun qui soit suivi, qui ne se démente point, et où ils soient reconnoissables ; » et ailleurs (de l’Homme, no 133) : « Rien n’est plus inégal et moins suivi que ce qui se passe… dans leur cœur et dans leur esprit. »
  106. Dans les quatre premières éditions : « Quelque différence qu’il y ait… »
  107. Var. : il y a pourtant. (1665.)
  108. Var. : proportion. (1665.)
  109. Var. : Quelque disproportion qu’il y ait entre les fortunes, il y a pourtant toujours une certaine proportion de biens et de maux qui les rend égales. (Manuscrit.) — C’est la conclusion de Vauvenargues, dans son Discours sur l’inégalité des richesses (Œuvres, p. 182 et 183). — La Bruyère (des Grands, no 5, tome I, p. 339) : « Ou demande si, en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages. on n’y remarqueroit pas un mélange ou une espèce de compensation de bien et de mal, qui établiroit entre elles l’égalité, ou qui feroit du moins que l’un ne seroit guère plus désirable que l’autre… »
  110. La version de 1665 était plus absolue : « … que la nature donne, ce n’est pas elle, mais la fortune, qui fait les héros. » — Voyez les maximes 57, 58, 153, 165, 380, 470, et la 14e des Réflexions diverses. — Selon Vauveiiargues (p. 84), cette pensée, ainsi que la précédente et la suivante, sont communes ; il a voulu sans doute répondre à la 53e dans sa maxime 579 (Œuvres, p. 455) : « … La fortune, qu’on croit si souveraine, ne peut presque rien sans la nature. »
  111. Var. : Le mépris des richesses dans les philosophes étoit… (1665.)
  112. Var. : c’étoit un secret qu’ils avaient trouvé pour se dédommager de l’avilissement. (1655.)
  113. Var. : c’étoit enfin. (1665.)
  114. Var. : à la considération que les richesses donnent. (Manuscrit.) — J. Esprit (Préface) : « … La seconde cause de l’erreur des philosophes étoit leur sorte d’ambition, qui étoit si fine et si délicate, qu’elle se déroboit à leur connoissance, car elle leur donnoit du mépris pour les richesses, pour les dignités, et pour l’approbation des hommes, afin que le mépris des richesses, des charges et des dignités les mît dans une beaucoup plus grande considération que ceux qui les possèdent, et qu’on les crût d’autant plus dignes d’être loués qu’ils témoignoient faire peu de cas des louanges et de la gloire. » — Bossuet (Pensées détachées, édition de Versailles, tome XV, p. 332) : « Combien en voit-on qui se servent de la philosophie, non pour se détacher des biens de la fortune, mais pour plâtrer la douleur qu’ils ont de les perdre, et faire les dédaigneux de ce qu’ils ne peuvent avoir ! »
  115. Var. : La haine qu’on a pour (1665.)
  116. Var. : … se console et s’adoucit un peu par le mépris de ceux qui la possèdent ; c’est enfin une secrète envie de la détruire^ qui fait que nous leur ôtons nos propres hommages… (1665.) — … l’amour de la faveur ; c’est aussi la rage de n’avoir pas la faveur, qui se console et s’adoucit par le mépris des favoris ; c’est aussi une secrète envie, etc. (Manuscrit.)
  117. Amelot de la Houssaye applique cette réflexion aux Guises ; Aimé-Martin (p. 43) au cardinal de Retz et à la Rochefoucauld lui-même ; il aurait pu y joindre à peu près tous les Frondeurs.
  118. La Rochefoucauld dit du duc de Beaufort, dans ses Mémoires, que ce prince cherchait à « établir sa faveur par l’opinion qu’il affectoit de donner qu’elle étoit déjà tout établie. » — Duclos (tome I, p. 157, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre vii) : « Quand on se propose la considération pour objet, on emploie communément son crédit pour le faire connoître et lui donner de l’éclat. La seule réputation d’en avoir est un des plus sûrs moyens de l’affermir, de l’étendre, et même de le procurer. » — Voyez les notes des maximes 90 et 129.
  119. La 1er édition (1665) donnait cette pensée sous une forme plus particulière, où l’allusion à Richelieu et à Mazarin était transparente : « Quoique la grandeur des ministres se flatte de celle de leurs actions, elles sont bien souvent les effets du hasard ou de quelque petit dessein. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxviii) : « La plupart de nos actions ne sont que saillies et boutées poussées par quelques occasions ; ce ne sont que pièces rapportées. » — Cette réflexion et la suivante, communes selon Vauvenargues (p. 84), répètent à peu près les maximes 53, 60 et 160 ; de plus, elles paraissent contredire la 59e, où l’auteur admet qu’il y a des gens assez habiles pour tirer avantage des accidents même les plus malheureux. — Voyez aussi la 17e des Réflexions diverses.
  120. Var. : … des étoiles heureuses ou malheureuses, aussi bien que nous, d’où dépend une grande partie… (Manuscrit et 1665.)
  121. Voyez les maximes 153, 165, 380, 470, et 14e des Réflexions diverses.
  122. Var. : On pourrait dire qu’il n’y a point d’heurcux ni de malheureux accidents, parce que les habiles gens savent profiter des mauvais, et que les imprudents tournent bien souvent à leur préjudice les plus avantageux. (Manuscrit.) — Amelot de la Houssaye cite, à propos de cette maxime, le cardinal d’Ossat, négociant à Rome l’absolution d’Henri IV : « Dieu me fît la grâce, écrivait-il à son maître, que je ne tardai guère âme résoudre ; et ce que la fortune sembloit me présenter de la main gauche, je le pris de la droite, en usant de cette traverse en sorte que non-seulement elle ne nuisit de rien à votre service, mais, au contraire, qu’elle y aida et servit autant que si, de propos délibéré, elle y eût été dressée et destinée. »
  123. Var. : La fortune ne laisse rien perdre pour les hommes heureux. (1665.) — Tacite dit en parlant de Cérialis (Histoires, livre V, chapitre xxi) : Aderat fortuna, etiam ubi artes defuissent. « La fortune le servait, même au défaut de l’art. » — Mme de Sévigné écrit de même à sa fille (tome VI, p. 121)  : « N’est-il pas vrai, ma fille, que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux ? » — La Bruyère (de la Cour, no 90, tome I, p. 334) : « Êtes-vous en faveur, tout manège est bon, vous ne faites point de fautes, tous les chemins vous mènent au terme. » — Publius Syrus avait déjà dit :
    Fortuna quo se, eodem et inclinat favor.

    « La faveur publique incline du même côte que la fortune. » — Cette maxime 60 est encore une de celles que Vauvenargues trouve commune.

  124. Cette pensée n’est qu’une répétition des 45e et 47e et elle semble contredire la 323e, qui fait tout dépendre de la fortune.
  125. Var. : une naturelle ouverture. (1665.)
  126. Var. : et celle qui se pratique d’ordinaire. (1665.)
  127. Var. : pour arriver à la confiance des autres. (1665.) — J. Esprit (tome I, p. 121) : « La sincérité est une ouverture de cœur qui tend à nous ouvrir celui de nos amis, ou une franchise habile… ou une crainte dépasser pour fourbe, ou une inclination naturelle à dire ce que l’on pense, ou une ambition exquise qu’on ait une déférence aveugle pour nos paroles. Dans les faux sincères, la sincérité est, une tromperie fine… » — Meré déclare également (maxime 398) que la sincérité n’est souvent qu’une fine dissimulation. — Voyez la 5e des Réflexions diverses.
  128. Var. : La vérité, qui fait les hommes véritables, est souvent. (Manuscrit.) — Souvent ne se trouve pas dans la première édition (1665) ; la seconde (1666), au lieu de souvent, a d’ordinaire.
  129. Var. : … ambition qu’ils ont de rendre leurs témoignages considérables, et d’attirer à leurs paroles… (Manuscrit.)
  130. J. Esprit (tome I, p. 104 et 105) : « La disposition de ceux qui sont véritables dans leurs paroles est en quelques-uns une secrète ambition qu’ils ont que tout le monde ajoute foi à tout ce qu’ils disent. » — Cette pensée de la Rochefoucauld répète à peu près la précédente. — « L’aversion du mensonge, dit Vauvenargues (p. 79), est encore plus souvent, à mon avis, l’aversion d’être trompé, » et il ajoute (maxime 523, Œuvres, p. 449) : « L’aversion contre les trompeurs ne vient ordinairement que de la crainte d’être dupe ; c’est par cette raison que ceux qui manquent de sagacité s’irritent non-seulement contre les artifices de la séduction, mais encore contre la discrétion et la prudence des habiles. » — Dans sa maxime 350, la Rochefoucauld se rencontre mieux avec Vauvenargues.
  131. Var. : que les apparences de la vérité font de mal. (1665.) — Le vrai ne fait pas tant de bien dans le monde que le vraisemblable y fait de mal. (Manuscrit.)
  132. Cette pensée est une de celles que l’auteur a le plus heureusement remaniées et réduites. — Var. : On élève la prudence jusqu’au ciel, et il n’est sorte d’éloge qu’on ne lui donne ; elle est la règle de nos actions et de notre conduite ; elle est la maîtresse de la fortune ; elle fait le destin des empires ; sans elle, on a tous les maux ; avec elle, on a tous les biens ; et comme disoit autrefois un poète, quand nous avons la prudence, il ne nous manque aucune divinité (a), pour dire que nous trouvons dans la prudence tout le secours que nous demandons aux Dieux. Cependant la prudence la plus consommée ne sauroit nous assurer du plus petit effet du monde, parce que, travaillant sur une matière aussi changeante et aussi inconnue qu’est l’homme, elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets ; d’où il faut conclure que toutes les louanges dont nous flattons notre prudence ne sont que des effets de notre amour-propre, qui s’applaudit en toutes choses et en toutes rencontres. (1665.) — Au manuscrit, qui est, du reste, conforme à l’édition de 1665, la fin de la dernière phrase est ainsi rédigée : « … elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets ; Dieu seul, qui tient tous les cœurs des hommes entre ses mains, et qui, quand il veut, en accorde tous les mouvements, fait aussi réussir les choses qui en dépendent : d’où il faut conclure que toutes les louanges dont notre ignorance et notre vanité flattent notre prudence sont autant d’injures que nous faisons à la Providence. » — Il n’y a point d’éloges qu’on ne donne à la prudence ; cependant, quelque grande qu’elle soit, elle ne sauroit nous assurer du moindre événement, parce qu’elle travaille sur l’homme, qui est le sujet du monde le plus changeant. (1666, 1671 et 1675.) — J. Esprit (tome I, p. 11) : « La prudence ne peut s’assurer de rien, parce que l’homme, qui est le sujet qu’elle considère, n’est jamais dans une même assiette, et qu’il en prend de différentes en peu de temps, par un nombre infini de causes intérieures et étrangères. » — Montaigne avait dit avant la Rochefoucauld et J. Esprit : « La fortune surpasse en règlement les règles de l’humaine prudence. » (Essais, livre I, chapitre xxxiii, tome I, p. 317.)

    (a) Nullum numen abest, si sic prudentia…

    (Juvénal, satire x, vers 365 var.)

  133. Var. : doit savoir régler. (1665.)
  134. Var. : … les moins importantes, nous ne les faisons pas assez servir à obtenir les plus considérables. (1665.) — Sénèque (épitre xl) : Nihil… ordinatum est, quod præcipitatur et properat. « Rien de ce qu’on hâte et précipite ne saurait être bien ordonné. »
  135. L’annotateur contemporain fait observer, non sans raison, que le corrélatif de la bonne grâce du corps serait plutôt la délicatesse de l’esprit ; mais il est juste d’ajouter qu’au temps de la Rochefoucauld l’expression bon sens avait une signification plus étendue que du nôtre ; elle signifiait parfois le bon biais, la bonne et délicate façon de prendre les choses, et c’est apparemment dans cette dernière acception que l’auteur l’a employée. Quoi qu’il en soit, Corbinelli, qui avait fait des remarques sur une centaine de maximes de la Rochefoucauld, n’entendait pas celle-ci (Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 609) ; il ne voyait pas quel rapport il peut y avoir « entre bonne grâce et bon sens ; » par contre, Bussy Rabutin la défendait (ibidem, p. 612). Quant à Vauvenargues, dans une première rédaction de sa Critique des Maximes de la Rochefoucauld, il qualifiait cette pensée de juste et lumineuse comparaison ; mais, en y regardant de plus près, il arriva bientôt à cette conclusion tout opposée (Œuvres, p. 80) : « Cette comparaison ne me paroît ni claire , ni juste. Un esprit sage peut manquer de grâce, comme il est possible qu’un homme, bien fait d’ailleurs, n’ait pas un maintien agréable , ou une démarche légère. » — Vient enfin la Harpe ; mais ce n’est pas sa remarque (tome VII, p. 268) qui éclaircira la question, « Cela ne serait-il pas plus vrai, dit-il, du goût que du bon sens ? Ce n’est pas que le premier ne suppose l’autre ; mais le bon sens tout seul ne donne point l’idée de la grâce, et le goût donne au bon sens une délicatesse d’expression, qui est pour l’esprit ce qu’est pour le corps l’aisance et la justesse des mouvements. »
  136. Var. : Il est malaisé de définir l’amour : tout ce qu’on peut dire. (1665.)
  137. Var. : de jouir de ce que l’on aime. (1665.) — La passion de l’amour paraît à Cicéron si légère, qu’il ne voit pas à quoi la comparer : Totus… iste qui vulgo appellatur amor… tantæ levitatis est, ut nihil videam quod putem conferendum. (Tusculanes, livre IV, chapitre xxxii.) « Pour ce qui s’appelle communément amour, c’est chose si légère que je ne vois rien à quoi je le puisse comparer. » — Dans sa maxime 638, la Rochefoucauld sera moins embarrassé que Cicéron, et comparera l’amour à la fièvre. — Vauvenargues (p. 80) : « Si l’âme est distincte du corps, si c’est, non pas le corps, comme le suppose ici l’auteur, mais l’âme, qui sent (a), on ne peut pas dire que l’amour est, dans le corps, une envie cachée et délicate de posséder ce que l’on aime. Et d’ailleurs, quel est cet amour qui ne veut posséder qu’après beaucoup de mystères ? Le duc de la Rochefoucauld avoit pris cela dans nos romans, ou parmi les Femmes savantes de Molière. » — Il serait peut-être plus juste de dire que, dans cette maxime, le noble duc avait gardé le ton de l’hôtel de Rambouillet. — La Harpe répond à la Rochefoucauld (tome VII, p. 265 et 266) : « Je crois qu’on en peut dire (de l’amour) tout autre chose, et je doute que beaucoup de gens goûtent cette définition. On est souvent tenté de dire aux moralistes qui parlent de l’amour, comme à Burrhus :
    Mais, croyez-moi, l’amour est une autre science (b).

    D’abord, ce n’est point une passion de régner, car celui des deux qui aime le plus est toujours le plus gouverné. Ce n’est pas toujours une sympathie ; car il y a des amants qui n’ont entre eux aucune conformité de caractère, d’esprit, ni d humeur, et qui ne peuvent s’accorder sur rien, si ce n’est à s’aimer… Au reste, je pense, comme la Rochefoucauld, qu’il (l’amour) est très-difficile à définir : aussi ne le définirai-je point, d’abord parce qu’il me convient d’être plus réservé que lui, et puis parce que chacun ne définit que le sien. »

    a Vauvenargues dit dans sa maxime 545e (Œuvres, p. 451) : « Les plus vifs plaisirs de l’âme sont ceux qu’on attribue au corps ; car le corps ne doit point sentir, ou il est âme. »

    b Racine, Britannicus, acte III, scène i, vers 796.

  138. Var. : Il n’y a point d’amour pur… que celui… (1665.) — L’édition de M. de Barthélémy donne : « de mélange, » et « celle qui est cachée. » — Voyez la maxime 76.
  139. Pascal (Discours sur les passions de l’amour, tome II, p. 261) pense que le faux-semblant mène vite à la réalité : « L’on ne peut presque faire semblant d’aimer, que l’on ne soit bien près d’être amant. » — Mme de Sablé (maxime 80) : « L’amour a un caractère si particulier qu’on ne peut le cacher où il est, ni le feindre où il n’est pas. » — Meré (maxime 460) : « Il est impossible, quand on aime, de laisser croire que l’on hait. » — On a interprété dans le même sens ce verset du Livre des Proverbes (chapitre vi, verset 27) : Numquid potest homo abscondere ignem in sinu suo, ut vestimenta illius non ardeant ? « L’homme peut-il si bien renfermer dans son sein le feu dont il brûle, que ses vêtements n’en soient brûlés ? » — Voyez les maximes 102, 108 et 559.
  140. C’est après avoir mis et commenté cette maxime dans une lettre de Julie (la Nouvelle Héloïse, 3e partie, lettre xx), que J. J. Rousseau ajoute en note : « Je serois bien surpris que Julie eût cité la Rochefoucauld en toute autre occasion; jamais son triste livre ne sera goûté des bonnes gens. » — Voyez la 18e des Réflexions diverses.
  141. Fortia d’Urban remarque, après l’abbé de la Roche, « qu’il semble que l’ancienne mythologie ait eu cette maxime en vue, quand elle a donné pour attributs à l’amour un bandeau, une torche, des flèches, un joug, des chaînes, et que Virgile (Églogue VIII, vers 43-45) le fait naître parmi les peuples les plus barbares. » — La Bruyère (du Cœur, no 39, tome I, p. 205) : « L’on veut faire tout le bonheur, ou si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de ce qu’on aime. » — Voyez les maximes iii, 321, et la 8e des Réflexions diverses.
  142. Var. : qui n’ont jamais fait de galanterie… qui n’en aient jamais fait qu’une. (1665.) — Il y a beaucoup de femmes qui n’ont jamais fait de galanterie ; mais je ne sais s’il y en a qui n’en aient jamais fait qu’une. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 369, 471 et 499.
  143. Var. : Il n’y a d’amour que d’une sorte. (Manuscrit.) — Voyez la maxime 77. — Vauvenargues (p. 80) : « Autre maxime de roman. L’amour prend le caractère des cœurs qu’il surmonte : il est violent, impérieux, et jaloux jusqu’à la fureur, dans quelques-uns ; il est tendre, aveugle et soumis, dans quelques autres ; il est passionné et volage, dans la plupart des hommes ; mais il lui arrive quelquefois d’être fidèle. » — Vauvenargues disait pourtant, dans une maxime, qu’il a supprimée, il est vrai (la 755e, Œuvres, p. 477) : « La constance est la chimère de l’amour. »
  144. Voyez la 9e des Réflexions diverses. — Publlus Syrus :
    Amans, ita ut fax, agitando ardescit magis.

    « L’amant est comme le feu ; plus il s’agite, plus il brûle. » — Platon (des Lois, livre II) dit la même chose de la jeunesse, dont la nature ardente (διάπυρος οὖσα) ne peut demeurer en repos. — Pascal (Discours sur les passions de l’amour, tome II, p. 260) : « Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui éclate en événements nouveaux… La vie de tempête surprend, frappe et pénètre. » — La Bruyère (du Cœur, no 5, tome I, p. 199) : « Tant que l’amour dure, il subsiste de soi-même, et quelquefois par les choses qui semblent le devoir éteindre, par les caprices, par les rigueurs, par l’éloignement, par la jalousie. »

  145. Var. : Il est de l’amour comme de l’apparition. (Manuscrit et 1665.)
  146. Cependant, selon la maxime 478, le véritable amour est encore moins rare que la véritable amitié. — Voyez la maxime 69.
  147. Var. : … qu’on lui attribue, où il n’a… (Manuscrit et 1665.)
  148. Var. : où il n’a souvent guère plus de part. (Manuscrit.)
  149. Var. : que le Doge en a à ce qui se fait (Manuscrit et 1665.) — Vauvenargues (p. 81) ne voit dans cette pensée qu’une « plaisanterie froide et recherchée. » — Voyez la maxime 74.
  150. L’édition de 1665 n’a pas ce correctif : « en la plupart des hommes. » — Cette pensée est un résumé des maximes 578 et 580. — Le cardinal d’Ossat (lettre 336, édition de Boudot), cité par Amelot de la Houssaye : « Ceux-là même qui n’ont point connu la vraie source de la justice ont néanmoins reconnu qu’il la falloit observer, et se garder de faire tort et injure à autrui, afin de n’en recevoir point. » — J. Esprit (tome I, p. 513 et 515) : « L’équité des personnes privées est une crainte qu’ils ont qu’on ne leur fasse des injustices. » — « La justice des particuliers n’est qu’une adresse qui tend à mettre leur vie, leur bien et leur honneur à couvert des injures qu’on leur peut faire. » — La Harpe (tome VII, p. 261) : « Je n’en crois rien du tout : c’est le cri de la conscience, c’est un sentiment qui précède toute réflexion. Il y a mille injustices que nous ne craignons pas de souffrir, et dont la seule idée nous révolte. »
  151. C’est encore là une des pensées que Vauvenargues (p. 84) trouve communes.Stultus quoque, si tacuerit, sapiens reputabitur ; et si compresserit labia sua, intelligens (Livre des Proverbes, chapitre XVII, verset 28). « Le sot lui-même, s’il se tait, sera réputé sage ; et tant que ses lèvres seront closes, intelligent. » — Caton (livre I, distique 3) :
    Virtutem primam esse puta compescere linguam.

    « Regarde comme la première vertu de retenir la langue. » — Publius Syrus :

    Taciturnitas stulto homini pro sapientia est.

    « Pour le sot le silence tient lieu de sagesse. » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre viii, tome III, p. 418) : « À combien de sottes âmes, en mon temps, a seruy vne mine froide et taciturne de tiltre de prudence et de capacité ! » — Voyez la 4e des Réflexions diverses.

  152. Var. : c’est qu’il est aussi difficile… qu’il est facile. (1666.)
  153. Var. : « Ce qui rend nos inclinations si légères et si changeantes, c’est qu’il est aisé de connoître les qualités de l’esprit, et difficile de connoître celles de l’âme. (1665.)
  154. Voyez les maximes 83, 236, et la 2e des Réflexions diverses. — Saint-Évremond (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis. Œuvres mêlées, p. 289, Barbin, 1689) : « L’honneur, qui se déguise sous le nom d’amitié, n’est qu’un amour-propre qui se sert lui-même dans la personne qu’il fait semblant de servir. » — J. Esprit (tome I, p. 172) : « Quoiqu’il paroisse qu’il donne sa vie pour conserver celle de son ami, il est certain pourtant qu’il meurt pour sa propre gloire… » — Duclos (tome I, p. 204, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre vxi) : — « L’inclination détermine moins qu’on ne s’imagine à obliger, quoiqu’elle y fasse trouver du plaisir ; elle est souvent subordonnée à beaucoup d’autres motifs, à des plaisirs qui l’emportent sur celui de l’amitié, quoiqu’ils ne soient pas si honnêtes. » — Térence avait déjà dit (Adelphes, acte I, scène i, vers 13 et 14) :
    Vah ! quemquamme hominem in animum instituere, aut
    Parare, quod sit carius quam ipse est sibi ?

    « Est-il possible qu’un homme aille se proposer et se mettre en tête d’aimer quelque chose plus que soi-même ? »

  155. L’édition de 1665 ajoute ici : « qui se fait au nom de la sincérité, de la douceur et de la tendresse. »
  156. Var. : sa condition meilleure. (1665.)
  157. C’est ainsi que s’est terminée la guerre de la Fronde, et l’auteur y pensait sans doute en écrivant cette maxime. — La Bruyère (du Cœur, no 70, tome I, p. 211) : « C’est par foiblesse que l’on hait un ennemi, et que l’on songea s’en venger ; et c’est par paresse que l’on s’apaise, et qu’on ne se venge point. »
  158. Var. : L’amitié la plus sainte et la plus sacrée n’est qu’un trafic où nous croyons toujours gagner quelque chose. (Manuscrit.) — L’amitié lapins désintéressée n’est qu’un commerce (1665 ; qu’un trafic) où notre amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner. (1665, 1666, 1671 et 1675.) — J. Esprit (tome I, p. 164) : « Les amitiés ordinaires sont des trafics honnêtes, où nous espérons faire plusieurs sortes de gains, qui répondent aux prétentions différentes que nous avons… ; de là vient que l’intérêt fait presque toutes nos amitiés et nos liaisons. » — Mme de Sablé (maximes 77 et 78) : « La société, et même l’amitié de la plupart des hommes, n’est qu’un commerce qui ne dure qu’autant que le besoin. » — « Quoique la plupart des amitiés qui se trouvent dans le monde ne méritent point le nom d’amitié, on peut pourtant en user selon les besoins, comme d’un commerce qui n’a point de fond certain, et sur lequel on est ordinairement trompé. » — Saint-Évremond (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis. Œuvres mêlées, p. 287, Barbin, 1689) : « Il est certain que l’amitié est un commerce ; le trafic en doit être honnête ; mais enfin c’est un trafic. » — Amelot de la Houssaye donne avec assez d’à-propos cette citation d’Antonio Perez : « Il ne se trouve plus de véritable amitié, sinon entre le corps et l’âme, qui sont à moitié de perte et de gain. » — L’auteur, dit la Harpe (tome VII, p. 261-263), « ne prend-il pas ici l’amour de soi pour l’amour-propre ?… L’amour de soi n’est point vicieux en lui-même ;… Dieu nous ordonne expressément d’aimer notre prochain comme nous-mêmes,… Si la Rochefoucauld a voulu dire que cet amour de nous entre dans l’amitié la plus désintéressée, c’est une vérité, et non pas un reproche ; car nul ne peut se séparer absolument de lui-même. Mais s’aimer ainsi dans un autre n’est point un commerce d’amour-propre, du moins dans l’acception vulgaire de ce mot, qui répond à celle d’intérêt personnel : c’est, au contraire, l’usage le plus noble de cette heureuse faculté d’étendre nos sentiments hors de nous, et de nous retrouver dans autrui. On sait combien cet attrait réciproque a produit d’actions héroïques, et cet héroïsme ne sera pas détruit par la sentence équivoque et vague de la Rochefoucauld. » — Voyez la note de la maxime 434, la maxime 81, et la 2e des Réflexions diverses, — V. Cousin (Mme de Sablé, chapitre iii, 2e édition, p. 115 et 116) pense que c’est pour réfuter expressément cette maxime de la Rochefoucauld que le cœur de Mme de Sablé a composé le petit traité de l’Amitié qui se trouve à la bibliothèque de l’Arsenal, dans les Papiers de Conrart (tome XI, in-folio) ; il aurait fallu ajouter que le cœur de Mme de Sablé n’a pas toujours parlé de même, car ses maximes 77 et 78, que nous venons de citer, abondent entièrement dans le sens de la Rochefoucauld.
  159. Voyez la maxime 86.
  160. L’édition de 1665 ajoute : mal à propos.
  161. Var. : … plus puissants que nous ; l’intérêt seul produit notre amitié, et nous ne nous donnons pas… (1665) — … c’est l’intérêt seul qui produit notre amitié, et nous ne leur promettons pas selon ce que nous leur voulons donner, mais selon ce que nous voulons qu’ils nous donnent. (Manuscrit.) — Pascal (IIIe Discours sur la condition des grands, édition Havet, tome II, p. 355) : « Qu’est-ce, à votre avis, que d’être grand seigneur ? C’est être maître de plusieurs objets delà concupiscence des hommes, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux désirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces désirs qui les attirent auprès de vous, et qui font qu’ils se soumettent à vous ; sans cela, ils ne vous regarderoient pas seulement. Mais ils espèrent, par ces services et ces déférences qu’ils vous rendent, obtenir de vous quelque part de ces biens qu’ils désirent et dont ils voient que vous disposez. » — La pensée de la Rochefoucauld paraît commune à Vauvenargucs (p. 84). — La Bruyère dit plus généreusement (du Cœur, no 58, tome I, p. 209) : « Il faut briguer la faveur de ceux à qui l’on veut du bien, plutôt que de ceux de qui l’on espère du bien. » — Mme de Sablé (maxime 22) : « Il y a une certaine médiocrité difficile à trouver avec ceux qui sont au-dessus de nous, pour prendre la liberté qui sert à leurs plaisirs et à leurs divertissements, sans blesser l’honneur et le respect qu’on leur doit. » — Dans une autre maxime (44), elle semble admettre que nous avons le droit de compter sur le bien que nos amis peuvent nous faire : « Encore que nous ne devions pas aimer nos amis pour le bien qu’ils nous font, c’est une marque qu’ils ne nous aiment guère, s’ils ne nous en font point quand ils en ont le pouvoir. » — Voyez ci-après les maximes 228, 247 et 298.
  162. Vauvenargues (p. 81) : « L’expérience justifie notre défiance ; mais rien ne peut justifier la tromperie. » — Sénèque (épitre iii) : Multi fallere docuerunt, dum timent falli, et aliis jus peccandi suspicando fecerunt. « Plus d’un, en craignant qu’on ne le trompe, enseigne aux autres à le tromper, et par ses soupçons autorise le mal qu’on lui fait. » — Charron (de la Sagesse, livre II, chapitre x) : « Il se faut bien garder de faire démonstration aulciuie de deffiance, quand bien elle y seroit et juslement, car c’est desplaire, voire offenser, et donner occasion de nous estre contraire. » — Voyez la maxime 84.
  163. Pascal (Pensées, article II, 8) : « La vie humaine n’est qu’une illusion perpétuelle : on ne fait que s’entre-tromper et s’entre-flatter… L’union qui est entre les hommes n’est fondée que sur cette mutuelle tromperie, » — Vauvenargues (maxime 522, Œuvres, p. 448) : « Les hommes semblent être nés pour faire des dupes, et l’être d’eux-mêmes ; » et (maxime 921, p. 491) : « Si les hommes ne se flattoient pas les uns les autres, il n’y auroit guère de société. »
  164. Cette pensée est le résumé de la longue réflexion, assez confuse, et çà et là peu claire par le rapport douteux des pronoms, que donnait la 1er édition (i665), sous le no 101 : « Comme si ce n’étoit pas assez à l’amour-propre d’avoir la vertu de se transformer lui-même, il a encore celle de transformer les objets, ce qu’il fait d’une manière fort étonnante; car non-seulement il les déguise si bien qu’il y est lui-même trompé, mais il change aussi l’état et la nature des choses (Manuscrit : « … si bien qu’il y est lui-même abusé, mais soudainement il change l’état et la nature des choses » ). En effet, lorsqu’une personne nous est contraire, et qu’elle tourne sa haine et sa persécution contre nous, c’est avec toute la sévérité de la justice que l’amour-propre juge ses actions; il donne à ses défauts une étendue qui les rend énormes, et il met ses bonnes qualités dans un jour si désavantageux, qu’elles deviennent plus dégoûtantes que ses défauts. Cependant, dès que cette même personne nous devient favorable, ou que quelqu’un de nos intérêts la réconcilie avec nous, notre seule satisfaction rend aussitôt à son mérite le lustre que notre aversion venoit de lui ôter. Les mauvaises qualités s’effacent, et les bonnes paroissent avec plus d’avantage qu’auparavant (Manuscrit : « le lustre que notre aversion venoit d’effacer. Tous ses avantages en reçoivent un fort grand du biais dont nous les regardons ; toutes ses mauvaises qualités disparoissent ») ; nous rappelons même toute notre indulgence pour la forcer à justifier la guerre quelle nous a faite. Quoique toutes les passions montrent cette vérité, l’amour la fait voir plus clairement que les autres ; car nous voyons un amoureux, agité de la rage où l’a mis l’oubli ou l’infidélité de ce qu’il aime, méditer pour sa vengeance tout ce que cette passion inspire de plus violent. Néanmoins, aussitôt que sa vue a calmé la fureur de ses mouvements, son ravissement rend cette beauté innocente ; il n’accuse plus que lui-même; il condamne ses condamnations, et par cette vertu miraculeuse de l’amour-propre, il ôte la noirceur aux mauvaises actions de sa maîtresse, et en sépare le crime, pour s’en charger lui-même (Manuscrit : « le crime, pour en charger ses soupçons » ). » — Voyez les maximes 428, 563, et la 10e des Réflexions diverses.
  165. Le manuscrit ajoute : « parce que tout le monde croit en avoir beaucoup. » — La Bruyère a dit de même (de l’Homme, no 67) : « L’on se plaint de son peu de mémoire, content d’ailleurs de son grand sens et de son bon jugement. » — Cette pensée est commune, selon Vauvenargues (p. 84).
  166. La Rochefoucauld pensait sans doute au duc de Beau fort, dont il dit dans ses Mémoires : « Nul que lui, avec si peu de qualités aimables, n’a jamais été si généralement aimé… » — Voyez les notes des maximes 56 et 129. — Vauvenargues (maxime 176, Œuvres, p. 392) : « On peut aimer de tout son cœur ceux en qui on reconnoît de grands défauts : il y auroit de l’impertinence à croire que la perfection a seule le droit de nous plaire… » — Voyez ci-après les maximes 155, 251, 273, 354 et 468.
  167. Var. : que fut celui. (1666.)
  168. Thrasylas ou Thrasylle, dont la folle est racontée par Athénée (livre XII, chapitre lxxxi) et par Élien (Histoires diverses, livre IV, chapitre xxv).
  169. Voyez la maxime 588. — Vauvenargues (p. 81) répond à la Rochefoucauld : « Détromper un homme de la fausse idée de son mérite, c’est le guérir de la présomption, qui fait commettre les fautes les plus sottes et les plus nuisibles ; » et en variante : « c’est lui épargner des fautes plus humiliantes que la modestie qu’on lui inspire. »
  170. Cette réflexion, comme tant d’autres de l’auteur, n’est, en réalité, qu’une épigramme. — Vauvenargues dit, à la fois avec plus de gravité et d’éclat (maxime 159, Œuvres, p. 390) : « Les conseils de la vieillesse éclairent sans échauffer, comme le soleil de l’hiver ; » mais la Bruyère (de l’Homme, no 112) abonde dans le sens de la Rochefoucauld : « Peu de gens se souviennent d’avoir été jeunes, et combien il leur étoit difficile d’être chastes et tempérants. La première chose qui arrive aux hommes, après avoir renoncé aux
  171. Vauvenargues (p. 84) trouve cette réflexion commune. Au dix-septième siècle, et dans la bouche d’un grand seigneur, comme était le duc de la Rochefoucauld, elle l’était moins peut-être qu’au dix-huitième.
  172. Vauvenargues(p. 84) notait cette pensée comme étant commune. — Cicéron (Oratio in Pisonem, chapitre xxxii) : Hahet hoc virtus… ut viros fortes species ejus et pulchritudo, etiam in hoste posita, delectet. « Le propre de la vertu, c’est que sa beauté et son éclat plaisent aux hommes de cœur, même dans la personne d’un ennemi. » — Aimé-Martin (p. 56-58) voit dans le fameux Dialogue de Sylla d’Eucrate le développement de cette maxime ; la Rochefoucauld, dit-il, a montré quelle était la marque d’un génie extraordinaire ; Montesquieu a tracé le caractère, et lui a donné le mouvement.
  173. Sans doute dans le cas indiqué par la maxime 317, ou par Meré (maxime 42) : « Les bienfaits accompagnés d’orgueil sont souvent payés de haine. »
  174. L’édition de 1665 n’a pas ce premier membre de phrase.
  175. Le manuscrit ajoute ici : On peut dire la même chose de son étendue, de sa profondeur, de son discernement, de sa justesse, de sa droiture, de sa délicatesse. »
  176. Var. : On s’est trompé lorsque l’on a cru… de la lumière de l’esprit ; sa profondeur pénètre le fond des choses ; sa justesse n’en remarque que ce qu’il en faut remarquer, et sa délicatesse aperçoit celles qui semblent être imperceptibles : de sorte qu’il faut demeurer d’accord… (1666.)
  177. Var. : que l’on attribue. (1666.)
  178. Var. : Le jugement n’est autre chose que la grandeur de la lumière de l’esprit ; son étendue est la mesure de sa lumière ; sa profondeur est celle qui pénètre le fond des choses ; son discernement les compare et les distingue ; sa justesse ne voit que ce qu’il faut voir ; sa droiture les prend toujours par le bon biais ; sa délicatesse aperçoit celles qui paraissent imperceptibles, et le jugement décide ce que les choses sont. Si on l’examine bien, on trouvera que toutes ces qualités ne sont autre chose que la grandeur de l’esprit, lequel, voyant tout, rencontre dans la plénitude de ses lumières tous les avantages dont nous venons de parler. (1665.) — L’auteur a beaucoup retouché cette maxime, mais il n’a pu l’amener à ce point de précision qu’on admire dans beaucoup d’autres. La Harpe (tome VIL p. 269) y relève le défaut de justesse et de clarté ; et déjà l’annotateur contemporain avait établi qu’il faut distinguer entre l’esprit et le jugement, au moins quant à leurs effets, attendu que le jugement est la force de l’esprit, et que l’esprit est la délicatesse du jugement. — La Rochefoucauld lui-même, dans deux maximes contradictoires à celle-ci (258 et 456), admet une distinction entre les deux termes. — Quoi qu’il en soit, Vauvenargues pense comme la Rochefoucauld, qu’ « on ne peut avoir beaucoup de raison et peu d’esprit » (maxime 602, Œuvres, p. 458).
  179. Saint-Évremond (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis. Œuvres mêlées, p. 288, Barbin, 1689) : « Chacun vante son cœur ; c’est une vanité à la mode. »
  180. La Bruyère (de l’Homme, no 84) : « Les hommes comptent presque pour rien toutes les vertus du cœur, et idolâtrent les talents du corps et de l’esprit ; celui qui dit froidement de soi, et sans croire blesser la modestie, qu’il est bon, qu’il est constant, fidèle, sincère, équitable, reconnoissant, n’ose dire qu’il est vif, qu’il a les dents belles et la peau douce : cela est trop fort. » — Duclos (tome I, p. 204, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xi) : « On est étonné qu’il soit permis de faire l’éloge de son cœur, et qu’il soit révoltant de louer son esprit. » — Aimé-Martin, qui, dans son Examen des Maximes, a presque toujours tort contre la Rochefoucauld, dit avec raison cette fois (p. 58) : « L’auteur s’est plu à la contredire (cette maxime) dans le portrait qu’il a tracé de lui-même : J’ai de l’esprit , dit-il, j’écris bien en prose, je fais bien en vers, et je suis peu sensible à la pitié. On ne peut dire plus de bien de son esprit, ni médire plus franchement de son cœur. »
  181. Var. : La politesse de l’esprit est un tour par lequel il pense toujours des choses honnêtes et délicates. (1665.) — Honnêtes, c’est-à-dire, selon la langue du temps, de bon goût.' — Voyez la 16e des Réflexions diverses.
  182. Var. : La galanterie de l’esprit est un tour de l’esprit par lequel il entre dans les choses les plus flatteuses, c’est-à-dire celles qui sont le plus capables de plaire aux autres. (1665.) — La Bruyère (de la Société, no 32, tome I, p. 229) : « Il me semble que l’esprit de politesse est une certaine attention à faire que par nos paroles et par nos manières les autres soient contents de nous et d’eux-mêmes. »
  183. Var. : Il y a des jolies choses (1665 C : de jolies choses) que l’esprit ne cherche point, et qu’il trouve toutes achevées (voyez le Lexique, au mot Tout) en lui-même ; il semble qu’elles y soient cachées, comme l’or et les diamants dans le sein de la terre. (1665.) — Voyez la maxime 404.
  184. Pascal (Pensées, article XXIV, 5) : « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connoît point. » — Vauvenargues (maxime 124, Œuvres, p. 385) : « La raison ne connoît pas les intérêts du cœur. » — Duclos (tome I, p. 111, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre iv) : « On pourroit dire que le cœur a des idées qui lui sont propres. » — « Il faut avouer, dit le P. Bouhours (Manière de bien penser, 2e édition, p. 89 et 90), que le cœur et l’esprit sont bien à la mode : on ne parle d’autre chose dans les belles conversations… Voiture est peut-être le premier qui a opposé l’un à l’autre… L’auteur des Réflexions morales renchérit bien sur Voiture, en disant que l’esprit est toujours la dupe du cœur. » — Voyez les maximes 43, 103 et 108. — Voyez aussi dans ce volume, à l’Appendice, les Pensées de Mme de Schomberg sur les Maximes.
  185. Var. : Bien des gens connoissent leur esprit, qui ne connoissent pas leur cœur. (1665.) — On peut connaître son esprit ; mais qui peut connoître son cœur ? (Manuscrit.) — Cette pensée revient évidemment à la précédente.
  186. Var. : Toutes les grandes choses ont leur point de perspective, comme les statues : il y en a… (1663.) — Les affaires et les actions des grands hommes, comme les statues, ont leur point de perspective : il y en a… (Manuscrit.)
  187. Var. : et il y en a d’autres… (1665.)
  188. Var. : … voir de près, pour en bien discerner toutes les circonstances ; il y en a d’autres dont on ne juge… (Manuscrit.) — Voyez la 2e des Réflexions diverses.
  189. Pensée commune, selon Vauvenargues (p. 84).
  190. Var. : et comme il est presque infini, de là vient qu’il y a si peu de gens qui sont savants, que nos connoissances sont superficielles et imparfaites, et qu’on décrit les choses, au lieu de les définir. En effet, on ne les connaît et on ne les fait connaître qu’en gros, et par des marques communes : de même que si quelqu’un disoit que le corps humain est droit, et composé de différentes parties, sans dire le nombre, la situation, les fonctions, les rapports et les différences de ces parties. (Manuscrit.) — À propos de la science du détail dont parle cette maxime, Amelot de la Houssaye, et, après lui, Duplessis, citent Colbert comme exemple ; comme il s’agit ici du détail, non des affaires, mais des connaissances humaines, cet exemple est sans application.
  191. Cette pensée revient à la 204e. — Voyez aussi les 289e et 431e.
  192. L’idée paraît ressassée, car on la retrouve plus ou moins dans les maximes 43, 102 et 103.
  193. Var. : par l’habitude. (Manuscrit.) — Voyez la 10e des Réflexions diverses.
  194. L’annotateur contemporain fait cette réserve : « excepté au Palais, où l’on paye tout. » — Var. : Il n’y a point de plaisir qu’on fasse plus volontiers à un ami que celui de lui donner conseil. (1665.) — Vauvenargues (maxime 490, Œuvres, p. 446) : « Nous voulons foiblement le bien de ceux que nous n’assistons que de nos conseils. »
  195. Voyez la maxime 72, et la 8e des Réflexions diverses. — Prêt de est le texte de toutes les éditions originales (voyez le Lexique). — La Bruyère (du Cœur, n° 30, tome I, p. 203) : « En amour, il n’y a guère d’autre raison de ne s’aimer plus que de s’être trop aimés. » — Meré (maxime 274) dit même chose de l’amitié. « Il n’y a point de plus grande haine que celle qui succède à une grande amitié. »
  196. Montaigne (Essais, livre III, chapitre ii, tome III, p. 230) : « Il me semble qu’en la vieillesse nos âmes sont subiectes à des maladies et imperfections plus importunes qu’en la jeunesse… Elle nous attache plus de rides en l’esprit qu’au visage ; et ne se veoid point d’ames, ou fort rares, qui en vieillissant ne sentent l’aigre et le moisi. 3 — L’annotateur contemporain fait remarquer qu’il y a pourtant de belles vieillesses d’esprit, et cette objection n’aurait pas été désagréable à la Rochefoucauld, déjà vieux. — Voyez les maximes 207, 210 et 444-
  197. Swift en donne cette explication tout humoristique : « La raison pour laquelle si peu de mariages sont heureux, c’est que les jeunes filles passent leur temps à tendre des filets, au lieu de préparer des cages. » — Lady Wortley Montagne, fort choquée de l’irrévérence de la Rochefoucauld, l’a réfuté dans une dissertation en forme, que l’on trouve à la suite de ses Lettres ; que n’a-t-elle plutôt réfuté la Bruyère, qui se montre plus irrévérencieux encore ? « Il y a peu de femmes si parfaites, dit-il (des Femmes, n° 78, tome I, p. 195), qu’elles empêchent un mari de se repentir du moins une fois le jour d’avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n’en a point. » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre v, tome III, p. 315):« Bonne femme et bon mariage se dict, non de qui l’est, mais duquel ou se taist. » — Quant à la Rochefoucauld, on voudrait penser qu’il était veuf quand il publia cette maxime (1666); mais sa femme ne mourut que quatre ans après.
  198. Var. : On est au désespoir d’être trompé… (1665.)
  199. Var. : et l’on est… (1665.) — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvi) : « Nous prenons plaisir à nous piper nous-mesmes à escient. » — Vauvenargues (p. 81) : « Il n’y a, en cela, aucune contradiction : on est presque aussi fâché d’avoir été trompé par soi-même, quand on s’en aperçoit, que de l’avoir été par d’autres ; et si l’on est quelquefois bien aise d’être trompé par soi-même, c’est qu’on ne s’en aperçoit pas toujours ; car, si l’on savoit que l’on se trompe, on ne seroit point en erreur. Il est vrai qu’on s’en doute quelquefois, et qu’on ne veut pas s’éclairer ; mais cela nous arrive aussi bien avec les autres qu’avec nous-mêmes : lorsqu’on nous flatte, par exemple. » — Vauvenargues a pourtant une pensée que nous avons déjà citée à un autre titre (p. 69, note 1), et qui se rapporte partiellement à cette maxime 114 : « Les hommes semblent être nés pour faire des dupes, et l’être d’eux-mêmes. » — Voyez aussi la 516e maxime de la Rochefoucauld.
  200. Var. : Il est aussi aisé de se tromper sans s’en apercevoir… (1665.) — Mme de Sablé (maxime 11) : « Ceux qui usent toujours d’artifice devroient au moins se servir de leur jugement pour connoître qu’on ne peut guère cacher longtemps une conduite artificieuse parmi des hommes habiles et toujours appliqués à la découvrir, quoiqu’ils feignent d’être trompés, pour dissimuler la connoissance qu’ils en
  201. La 2e édition (1666) n’a pas ce correctif : « le plus souvent, »
  202. Var. : Rien n’est plus divertissant que de voir deux hommes assemblés, l’un pour demander conseil, et l’autre pour le donner : l’un paroît avec une déférence respectueuse, et dit qu’il vient recevoir des instructions pour sa conduite ; et son dessein, le plus souvent, est de faire approuver ses sentiments, et de rendre celui qu’il vient consulter garant de l’affaire qu’il lui propose. Celui qui conseille paye d’abord la confiance de son ami des marques d’un zèle ardent et désintéressé, et il cherche en même temps, dans ses propres intérêts, des règles de conseiller ; de sorte que son conseil lui est bien plus propre qu’à celui qui le reçoit. (1665.)
  203. Var. : La plus déliée… (1665.)
  204. Var. : bien faire semblant. (1665.) C’était l’avis d’Agrippine (Tacite, Annales, livre XIV, chapitre vi) : … solum insidiarum remedium esse, si non intelligerentur. « Le seul moyen de se garantir des pièges, c’est de paraître ne pas les voir. » — La tromperie était le moyen ordinaire de Mazarin ; il en usa tellement qu’il n’abusa plus personne, ont. » — Le commencement de la maxime 309 de Vauvenargues (Œuvres, p. 419) ressemble à la seconde partie de la pensée de la Rochefoucauld : « Tous les hommes sont clairvoyants sur leurs intérêts, et il n’arrive guère qu’où les en détache par la ruse… » et don Luis de Haro disait de lui : « Il a un grand défaut en politique, c’est qu’il veut toujours tromper. » — Vauvenargues pensait comme le ministre espagnol (variante à la maxime 276, Œuvres, p. 411) : « Ceux qui veulent toujours tromper, ne trompent point ; » et la Rochefoucauld en convient lui-même, non-seulement dans la présente maxime, mais dans ses Mémoires (vers la fin), où il la répète : « On n’est jamais si facile à être surpris nue quand on songe trop à tromper les autres. » — Mme de Sablé (maxime 4) : « Il est quelquefois bien utile de feindre que l’on est trompé » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, no 58, tome I, p. 235) : « Vous le croyez votre dupe : s’il feint de l’être, qui est plus dupe de lui ou de vous ? » — C’est la politique que le cardinal de Retz (voyez ses Mémoires passini) pratiquait à l’égard de Gaston d’Orléans ; pour gouverner ce prince, il fallait se mettre à sa suite, et paraître dupe de ses finesses ; le Cardinal, aussi souple qu’impétueux, n’y manqua jamais. — Voyez les maximes 127, 199 et 245.
  205. Et n’est pas dans la 1er édition (1665).
  206. Sénèque (Œdipe, acte III, vers 686) :
    Aditum nocendi perfido præstat fides.

    « La bonne foi donne au perfide le moyen de nuire. »

  207. Var. : La coutume que nous avons de nous déguiser aux autres, pour acquérir leur estime, fait qu’enfin… (1665.) — Pascal (Pensées, article II, 8, et article VI, 17) : « L’homme n’est que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et eu soi-même, et à l’égard des autres. » — « … Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété, et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes. »
  208. Var. : La foiblesse fait commettre plus de trahisons que le véritable dessein de trahir. (Manuscrit.)
  209. Var. : … faire du mal impunément. (1665.) — L’annotateur contemporain fait remarquer que cette maxime est répandue dans Tite Live et dans Salluste.
  210. L’annotateur contemporain ajoute assez agréablement : « Il y a même beaucoup de gens qui n’ont pas d’autre plaisir. »
  211. Var. : … d’éviter…(1665.) — Dans le manuscrit, cette réflexion commence ainsi : « Rien ri est si dangereux que l’usage des finesses, que tant de gens emploient si communément ; les plus habiles… » — Voyez la maxime 245.
  212. Var. : … est l’effet… (1665.)
  213. Var. : … quasi toujours. (1665.) — Comme la finesse est l’effet d’un petit esprit, il arrive quasi toujours… Manuscrit.) — Cicéron (de Officiis, livre II, chapitre ix) : Quo quis versutior et callidior est, hoc invisior et suspectior… « Plus un homme est fin et rusé, plus il se rend suspect et odieux. » — Vauvenargues (maxime 85, Œuvres, p. 382) : « On gagne peu de choses par habileté. » — Duclos (tome I, p. 282, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xiii) : « La finesse peut marquer de l’esprit, mais elle n’est jamais dans un esprit supérieur, à moins qu’il ne se trouve avec un cœur bas. » — Voyez les maximes 126, 127, 245, 529, et la 16e des Réflexions diverses.
  214. Habilité est le texte des diverses éditions où la maxime a paru sous cette forme du vivant de l’auteur ; cependant toutes les éditions donnent habileté aux maximes 244, 245, 283 (no 266, 267, 311, de la 1er édition), et toutes aussi, sauf la 5e, à la maxime 170 (no 178 de la 1er édition). — Var. : Si on étoit toujours assez habile, on ne ferait jamais de finesses (1665 C : de finesse) ni de trahisons. (1665.) — Voyez la maxime 529.
  215. Var. : On est fort sujet à être trompé quand on croit être plus fin que les autres. (1665.) — La maxime 394 en donne la raison : « On peut être plus fin qu’un autre, mais non pas plus fin que tous les autres. » — Antonio Ferez, cité par Amelot de la Houssaye : Uno
  216. L’édition de 1665 n’a ni trop grande, ni, plus loin, véritable.
  217. Var. : C’est quelquefois assez d’être grossier — (1665.)
  218. Évidemment la Rochefoucauld gardait rancune au duc de Beaufort ; du moins est-ce encore à lui, on n’en peut douter, qu’il fait allusion dans cette maxime, comme dans les 56e et 90e, car il dit expressément dans les Mémoires : « Le duc de Beaufort alloit assez habilement à ses fins par des manières grossières. » On sait que ce petit-fils d’Henri IV fut surnommé le roi des Halles.
  219. Voyez la maxime 445.
  220. Voyez les maximes 73, 396, 402, 440, et 471. — Aimé-Martin (p. 60 et 61) : « J. J. Rousseau a dit quelque part qu’il n’aurait voulu de Ninon ni pour maîtresse ni pour amie. Sans doute il avait appris de la maxime de la Rochefoucauld ce que la Rochefoucauld lui-même avait appris de l’expérience et de Ninon. »
  221. Var. : … que de l’être assez pour soi-même. (1665.) — La forme de cette pensée prête à l’équivoque ; l’auteur a-t-il voulu dire qu’il nous est plus facile d’être sage pour le compte des autres que pour le nôtre, c’est-à-dire qu’il est plus aisé de conseiller la sagesse que de la pratiquer ? ou bien qu’il est plus aisé de paraître sage que de l’être ? Une variante, fournie par le manuscrit, semblerait décider pour le dernier sens, bien que l’équivoque n’ait pas entièrement disparu : « On est sage pour les autres personnes : personne ne l’est assez pour soi-même. » — Le mot sage signifie probablement ici habile, prudent, prévoyant.
  222. Var. : le ridicule des excellents originaux. (1666.) — Bien que les mots excellents et méchants semblent contradictoires, chacun d’eux donne un sens à cette pensée, d’ailleurs un peu obscure, comme mainte autre de l’auteur. Copie veut dire imitation ; or le propre de l’imitation est de tout faire ressortir, en exagérant tout ; il en résulte que celle-là est bonne (ou plutôt utile) qui fait ressortir le côté faible des meilleurs, et, à plus forte raison, des mauvais originaux ou modèles. Seulement il faut convenir que ridicule serait bien fort en parlant des originaux excellents. — Voyez la 3e des Réflexions diverses.
  223. Aimé-Martin (p. 61) : « La Rochefoucauld était l’homme le plus poli et le plus ami des bienséances (a). Il délestait l’affectation, et ce genre de travers lui a paru si ridicule qu’il l’a critiqué dans cinq maximes, 133, 134, 372, 431, 457 (Aimé-Martin aurait pu en citer au moins trois autres, 202, 203, 411, outre les 3e et 13e Réflexions diverses). Mais il trouvait aussi tant de charme à la vertu opposée, que, pour l’exprimer, il a enrichi notre langue d’une locution nouvelle. Dire d’une personne qu’elle est vraie, c’est faire entendre qu’elle est simple et naturelle. La Rochefoucauld trouva cette heureuse expression pour louer et peindre en même temps le caractère de Mme de la Fayette (b). »

    (a) Mémoires de Segrais, p. 31.

    (b) Mémoires de Segrais, p. 50.

  224. Var. : Chaque homme n’est pas plus différent des autres au il l’est souvent de lui-même. (Manuscrit.) — Chaque homme se trouve quelquefois aussi différent de lui-même qu’il l’est des autres. (1665.) — Sénèque (épître cxx) : Nemo non quotidie et consilium mutat et votum ;… alius prodit atque alius ;… impar sibi est. Magnam rem puta unum hominem agere. « Personne qui ne change chaque jour de volonté et de désir ;… on se montre tantôt d’une façon, tantôt d’une autre ;… on n’est jamais pareil à soi-même. Tenez que c’est chose difficile d’être toujours le même homme. » — Montaigne (Essais, livre II, chapitre i, tome II, p. 11) : « [il] se treuue autant de différence de nous à nous mêmes, que de nous à aultruy. » — Pascal (de l’Esprit géométrique, tome II, p. 300) : « Il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi-même, dans les divers temps. » Voyez les maximes 51 et 478.
  225. Voyez les maximes 69 et 76. — Pascal (Discours sur les passions de l’amour, tome II, p. 255) : « À force de parler d’amour, on devient amoureux. » — Vauvenargues (maxime 89, Œuvres, p. 877) : « La coutume fait tout, jusqu’en amour. »
  226. Var. : Quand la vanité ne fait point parler, on n’a pas envie de dire grand’chose. (1665.) — Vauvenargues développe cette pensée dans son 2e Fragment. (Œuvres posthumes et Œuvres inédites, p. 65-67.)
  227. Var. : … de soi que… (i665.) — Mme de Sévigné (tome IV, p. 283) applique cette réflexion à Mlle d’Aumale. — Mme de Longueville (Examen de conscience, adressé à M. Singlin en 1661, et cité par M. Sainte-Beuve, Portraits de Femmes, 1862, p. 304) : « L’amour-propre fait qu’on aime mieux parler de soi en mal que de n’en rien dire du tout. » Voyez plus loin, à la maxime 345, une semblable rencontre du duc de la Rochefoucauld avec Mme de Longueville. — La Bruyère (de l’Homme, no 66) : « Un homme vain trouve son compte à dire du bien ou du mal de soi ; un homme modeste ne parle point de soi. » — Voyez les maximes 314, 364 et 383.
  228. Var. : quasi personne. (1665.)
  229. Livre des Proverbes, chapitre xviii, verset 13 : Qui prius respondet quam audiat, stultum se esse demonstrat. « Celui qui répond avant d’entendre, montre qu’il est un sot. »
  230. Var. : à ce qu’on lui dit, et que les plus habiles… (1665 et 1666.)
  231. Mme de Sablé (maxime 31) : « Une des choses qui fait que l’on trouve si peu de gens agréables, et qui paroissent raisonnables dans la conversation, c’est qu’il n’y en a quasi point qui ne pensent plutôt à ce qu’ils veulent dire qu’à répondre précisément à ce qu’on leur dit. Les plus complaisants se contentent de montrer une mine attentive, en même temps qu’on voit, dans leurs yeux et dans leur esprit, un égarement et une précipitation de retourner à ce qu’ils veulent dire ; au lieu qu’on devroit juger que c’est un mauvais moyen de plaire que de chercher à se satisfaire si fort, et que bien écouter et bien répondre est une plus grande perfection que de parler bien et beaucoup, sans écouter, et sans répondre aux choses qu’on nous dit. » — Mme de Sablé ajoute (maxime 62) : « Il y a une certaine manière de s’écouter en parlant, qui rend toujours désagréable ; car c’est une aussi grande folie de s’écouter soi-même quand on s’entretient avec les autres, que de parler tout seul. » — Meré (maxime 119) : « Parle peu et à ton rang, dit le sage : écoute beaucoup, et ne réponds qu’à propos. » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, no 67, tome I, p. 287 et 238) : « L’on parle impétueusement dans les entretiens, souvent par vanité ou par humeur, rarement avec assez d’attention : tout occupé du désir de répondre à ce qu’on n’écoute point, l’on suit ses idées, et on les explique sans le moindre égard pour les raisonnements d’autrui… » — Voyez les maximes 314, 510, et la 4e des Réflexions diverses.
  232. Vauvenargues (maxime 63, Œuvres, p. 380) : « Les gens d’esprit seroient presque seuls sans les sots qui s’en piquent. » — Aussi, Mme de Sablé déclare-t-elle (maxime 33) qu’ « il faut s’accoutumer aux sottises d’autrui, et ne se point choquer des niaiseries qui se disent en notre présence. »
  233. Var. : On se vante souvent mal à propos de ne se point ennuyer, et l’homme est si glorieux qu’il ne veut pas se trouver de mauvaise compagnie. (1665.) — L’annotateur contemporain fait remarquer qu’ « il y a des caractères qui s’ennuient de profession, » — Mme du Deffant, qui s’ennuya durant toute sa vie, sans jamais ennuyer les autres, aurait fort goûté cette remarque.
  234. Var. : avec peu de paroles. (1665.)
  235. Var. : en revanche. (1665.)
  236. Var. : et de ne dire rien. (i665.) — Mme de Sablé (maxime 36) : « Le trop parler est un si grand défaut, qu’en matière d’affaires et de conversation, si ce qui est bon est court, il est doublement bon ; et l’on gagne par la brièveté ce qu’on perd souvent par l’excès des paroles. »
  237. Var. : de nos sentiments. (1665.)
  238. Var. : que par leur mérite. (1665.)
  239. Var. : et nous nous louons en effet, lorsqu’il semble que nous
  240. Duclos (tome I, p. 97, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre iii) : « Les louanges d’aujourd’hui ne partent guère que de l’intérêt. »
  241. Voyez les maximes 143, 146, 356 et 530.
  242. Var. : … que nous n’osons découvrir autrement. Nous élevons la gloire des uns pour abaisser par là celle des autres, et on loueroit moins Monsieur le Prince et M. de Turenne, si on ne les voulait point blâmer tous deux. (1665 A, B et C.) La contrefaçon que nous indiquons par 1665 D n’a pas cette addition. La maxime y finit à autrement. C’est à partir de la 2e édition (1666) que la dernière phrase citée dans cette note forme une maxime séparée, sous le no 198. — Tacite (Agricola, chapitre xli) : Pessimum inimicorum genus laudantes. « Il n’y a pire ennemi que le flatteur. » — Voyez les maximes 148 et 198.
  243. L’édition de 1665 n’a pas : d’ordinaire. — Voyez les maximes 243, 244, 356 et 530. — Cette pensée se retrouve mot pour mot (sauf ordinairement, pour d’ordinaire) dans les maximes de Meré, sous le no 351.
  244. Var. : … pour aimer mieux le blâme qui leur sert que la louange qui les trahit. (1665.) — Vitellius, au dire de Tacite, était de ceux-là (Histoires, livre III, chapitre lvi) : … Ita formatis Principis auribus, ut aspere quæ utilia, nec quidquam nisi jucundum et læsurum acciperet. « Les oreilles du Prince étaient ainsi faites, que les conseils utiles lui étaient insupportables ; il n’écoutait que ceux qui lui étaient agréables, dussent-ils lui nuire. » — « C’est que, dit l’abbé de la Roche, peu de personnes mettent en pratique ce beau vers de Caton le poète (livre I, distique 14) :
    Quum te aliquis laudat, judex tuus esse memento.

    « Lorsqu’on te loue, n’oublie pas de te faire ton propre juge. » — Salomon dit de son côté (Livre des Proverbes, chapitre xiii, verset 18) : Qui acquiescit arguenti glorificabitur. « Qui accepte le blâme sera glorifié. »

  245. Pline le Jeune (livre III, lettre xii) : Ita reprehendit ut laudet. « Il blâme d’une façon qui loue. » — Voyez les maximes 145 et 198.
  246. J. Esprit (tome II, p. 76) : « La modestie qui, en apparence, ne peut souffrir les louanges, en est une secrète recherche. » — Voyez les maximes 184, 327, 383, 554, 596, et ci-dessus, p. 7 et note 2, le Portrait de la Rochefoucauld par lui-même.
  247. Cette pensée réunit dans une rédaction plus courte et plus précise les maximes 598 et 559 (155e et 156e de l’édition de 1665 — Mme de Sablé dit à peu près dans le même sens (maxime 70) : « La honte qu’on a de se voir louer sans fondement donne souvent sujet de faire des choses qu’on n’auroit jamais faites sans cela. » — Vauvenargues (maxime 242, Œuvres, p. 403) : « Quelque vanité qu’on nous reproche, nous avons besoin quelquefois qu’on nous assure de notre mérite. » — Le sénat romain, dit Tacite (Annales, livre XIII, chapitre xi), comblait Néron de louanges, ut juveniles animus, levium quoque rerum gloria sublatus, majores continuaret. « Afin que son jeune cœur, sensible à la gloire des petites choses, s’élevât à de plus grandes. » — Voyez les maximes 200 et 270.
  248. Aimé-Martin (p. 63) cite, à ce sujet, un passage de Plutarque, traduit par Amyot (Apophthegmes des rois et capitaines) : Thémistocle disait que son fils était le plus puissant homme de la Grèce, « pour ce que les Athéniens commandent au demeurant de la Grèce, je commande aux Athéniens, sa mère à moy, et luy à sa mère. » — Tacite (Agricola, chapitre xix) : A se suisque orsus, primam domum suam coercuit, quod plerisque haud minus arduum est quam provinciam regere. « Commençant par lui-même et par les siens, il régla sa maison, ce qui, pour la plupart des hommes, est plus difficile que de gouverner une province. »
  249. Var. : … ne nous feroit jamais de mal. (1665.) — Voyez les maximes 2, l58 et 600.
  250. « Mais souvent, dit l’annotateur contemporain, l’ouvrage l’emporte : materiam superabat opus. » (Ovide, Métamorphoses, livre II, vers 5.) — La Bruyère (du Mérite personnel, no 6, tome I, p. 162) : « Le génie et les grands talents manquent souvent, quelquefois aussi les seules occasions. » — On peut rattacher à la pensée de la Rochefoucauld la maxime 67 de Mme de Sablé : « C’est un défaut bien commun de n’être jamais content de sa fortune, ni mécontent de son esprit. » — Voyez les maximes 53, 67, 58, 60, 165, 380, 470, 631, et la 14e Réflexions diverses. — Vauvenargues (maxime 579, Œuvres, p. 455) : « … La fortune, qu’on croit si souveraine, ne peut presque rien sans la nature. »
  251. Var. : La fortune nous corrige plus souvent que la raison. (Manuscrit.)
  252. Var. : Comme il y a de bonnes viandes qui affadissent le cœur, il y a un mérite fade, et des personnes qui dégoûtent avec des qualités bonnes et estimables (1665 D : et inestimables). (1665.) — Voyez les maximes 90, 261, 273, 354, et la 3e des Réflexions diverses.
  253. Var. : Il y a des gens dont le mérite… (1665.)
  254. « Tel étoit de nos jours, dit Amelot de la Houssaye, le comte de Bautru ; » mais l’observation de la Rochefoucauld a une portée plus générale : il entend sans doute désigner ceux dont il parle dans la précédente maxime, « qui plaisent avec des défauts. » — Voyez les maximes 208 et 209.
  255. Var. : La gloire des grands hommes se doit mesurer aux moyens qu’ils ont eus pour l’acquérir. (1665.) — Cette pensée a, au fond, le même sens que la maxime 160.
  256. Voyez les maximes 1, 152 et 600. — Pascal (Pensées, article II, 8) : « On nous traite comme nous voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache ; nous voulons être flattés, on nous flatte ; nous aimons à être trompés, on nous trompe. » — Duclos (tome I, p. 101, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre iii) : « L’adulation même dont l’excès se fait sentir produit encore son effet. Je sais que tu me flattes, disait quelqu’un, mais tu ne m’en plais pas moins. »
  257. L’économie, c’est-à-dire le bon usage. — Amelot de la Houssaye cite ce que Tacite dit de Brutidius, au livre III des Annales, chapitrelxvi. — Voyez les maximes 343 et 437.
  258. Var. : On se mécompte toujours, quand les actions sont plus grandes que les desseins. (Manuscrit.) — On se mécompte toujours dans le jugement que l’on fait de nos actions, quand elles sont plus grandes que nos desseins. (1665.) — La Bruyère (du Mérite personnel, n° 4i, tome I, p. 168) : « Le motif seul fait le mérite des actions des hommes. » — Voyez les maximes 7 et 57. — Il y a bien de l’apparence que cette maxime a trait au cardinal de Retz (voyez ci-dessus, p. 19, le Portrait de ce dernier par la Rochefoucauld) ; peut-être regarde-t-elle aussi Mazarin, dont l’auteur dit dans ses Mémoires : « II avoit de petites vues, même dans ses plus grands projets. » — La Harpe (tome VII, p. 263) répond à la Rochefoucauld : « Oui, dans tout ce qui suppose de la réflexion ; mais dans ce qui est instantané, dans ce qui est l’effet d’un sentiment prompt, dans tout ce qui tient à la pitié généreuse, dans ce qui est l’élan du courage, dans l’oubli de sa vie et de ses intérêts, n’y a-t-il point de grandeur ? » — La Harpe n’oublie qu’une seule chose, c’est que l’auteur, dans tout le cours de son livre, nie la pitié généreuse, le courage, le désintéressement, et que dès lors il est conséquent avec lui-même.
  259. Var. : Il faut une certaine proportion… (1665.)
  260. Var. : Il faut une certaine proportion entre les actions et les desseins qui les produisent, sans laquelle les actions ne font jamais tous les effets qu’elles doivent faire. (Manuscrit.) — Cette pensée revient aux deux précédentes. Voyez aussi les maximes 244 et 377. — Sénèque (de Tranquillitate animi, chapitre v) ; Æstimanda sunt… ipsa quæ aggredimur ;… his admovenda manus est, quorum finem aut facere, aut certe sperare possis ; relinquenda, quæ latius actu procedunt, nec ubi proposueris desinunt. » Il faut peser ce que nous entreprenons,… ne mettre la main qu’aux choses dont on peut voir, ou du moins espérer de voir la fin ; renoncer à celles qui dépassent votre action même, et ne s’arrêtent pas au point que vous vous êtes fixé. »
  261. Le manuscrit commence ainsi : « On admire tout ce qui éblouit, et l’art de savoir bien mettre en œuvre… »
  262. L’édition de 1665 n’a pas les mots dérobe l’estime, et. — Même idée que dans la maxime 166. — Amelot de la Houssaye cite, comme exemple à l’appui, ce que Tacite rapporte de Poppæus Sabinus, au livre VI des Annales, chapitre xxxix.Mme de Sablé (maxime 48) : « Les dehors et les circonstances donnent souvent plus d’estime que le fond et la réalité ;… le comment fait la meilleure partie des choses. »
  263. Var. : Il y a une infinité de conduites qui ont un ridicule apparent, et qui sont, dans leurs raisons cachées, très-sages et très-solides. (1665.) — L’abbé de la Roche rappelle que « Turenne excelloit surtout dans ces moyens contraires aux apparences. » — Voyez la maxime 310.
  264. Var. : Il est plus aisé… que de ceux qu’on exerce. (1665.) — C’est ainsi que Tacite a pu dire de Galba (Histoires, livre I, chapitre xlix) : Omnium consensu capax imperii, nisi imperasset. « De l’avis de tous, il était digne de l’empire, s’il n’eût été empereur. » — Si l’on en croit Segrais (Mémoires, p. 111), cité par Aimé-Martin (p. 64), la Rochefoucauld, en écrivant cette réflexion, avait en vue Mme de Montausier, à qui sa charge à la cour avait fait oublier tous ses anciens amis. — Au reste, l’auteur a exprimé la même pensée dans la maxime 449 ; voyez aussi la 419e. — Mme de Sablé (maxime 39) : « On fait plus de cas des hommes quand on ne connoît point jusqu’où peut aller leur suffisance, car l’on présume toujours davantage des choses que l’on ne voit qu’à demi. » — Vauvenargues répond par deux fois à la Rochefoucauld, dans la maxime 569 (Œuvres, p. 453) : « Les grandes places instruisent promptement les grands esprits ; » et dans la 942e (p. 493), où il cite et réfute expressément la Rochefoucauld : « Les hommes ne s’approuvent pas assez pour s’attribuer les uns aux autres la capacité des grands emplois ; c’est tout ce qu’ils peuvent, pour ceux qui les occupent avec succès, de les en estimer après leur mort. Mais proposez l’homme du monde qui a le plus d’esprit : oui, dit-on, s’il avoit plus d’expérience, ou s’il étoit moins paresseux, ou s’il n’avoit pas de l’humeur, ou tout au contraire ; car il n’y a point de prétexte qu’on ne prenne pour donner l’exclusion à l’aspirant, jusqu’à dire qu’il est trop honnête homme, supposé qu’on ne puisse rien lui reprocher de plus plausible : tant cette maxime est peu vraie, qu’il est plus aisé de paroitre digne des grandes places, que de les remplir. » — On le voit, ce n’est pas tout à fait le texte de la pensée de la Rochefoucauld ; Vauvenargues la citait sans doute de mémoire.
  265. Voyez les maximes 53, 58, 153, 380 et 470.
  266. Var. : Le monde, ne connoissant pas le véritable mérite, n’a garde de le vouloir récompenser ; aussi n’élève-t-il pas à ses grandeurs et à ses dignités que des personnes qui ont de belles qualités, et il couronne généralement tout ce qui luit, quoique tout ce qui luit ne soit pas de l’or. (Manuscrit.) — Mme de Sablé (maxime 6) : « On juge si superficiellement des choses, que l’agrément des actions et des paroles communes, dites et faites d’un bon air, avec quelque connoissance des choses qui se passent dans le monde, réussissent souvent mieux que la plus grande habileté. » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre viii, tome III, p. 418) : « Les dignitez, les charges se donnent nécessairement plus par fortune que par mérite. » — Duclos (tome I, p. 143, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre v) : « Vous voyez des hommes dont on vante le mérite : si l’on veut examiner en quoi il consiste, on est étonné du vide ; on trouve que tout se borne à un air, un ton d’importance et de suffisance ; un peu d’impertinence n’y nuit pas ; et quelquefois le maintien suffit. » — Voyez la maxime 162.
  267. Voyez la maxime 491. — Vauvenargues (maximes 762 et 766, Œuvres, p. 478) : « La trop grande économie fait plus de dupes que la profusion. » — La libéralité… ne ruine personne. » — Enfin (maxime 51, p. 378) : « Celui qui sait rendre ses profusions utiles a une grande et noble économie. »
  268. Var. : L’espérance, toute vaine et fourbe qu’elle est d’ordinaire… — (Manuscrit.) — Vauvenargues n’accorde pas tout à fait autant à l’espérance, qui est, dit-il (maxime 789, Œuvres, p. 476), « le plus utile ou le plus pernicieux des biens. » — Antonio Ferez,
  269. Var. : Pendant que la paresse et la timidité ont seules le mérite de nous tenir… (1665.)
  270. L’édition de 1665 n’a pas le correctif souvent.Var. : La honte, la paresse et la timidité conservent toutes seules le mérite de nous retenir dans notre devoir, pendant que notre vertu en a tout l’honneur. (Manuscrit.) — Dans une lettre de la Rochefoucauld à J. Esprit, cette réflexion est ainsi rédigée : « Il faut avouer que la vertu, par qui nous nous vantons de faire tout ce que nous faisons de bien, n’aurait pas toujours la force de nous retenir dans les règles de notre devoir, si la paresse, la timidité, ou la honte ne nous faisoient voir les inconvénients qu’il y a d’en sortir. » — J. Esprit, de son côté, dit dans une assez longue énumération ; (tome II, p. 121) : « La paresse et la timidité font une troisième espèce d’honnêtes femmes. » — Voyez les maximes 1, 205, 220, 241, 266 et 512.
  271. Var. : Il n’y a que Dieu qui sache si un procédé… (Manuscrit, et Portefeuilles de Vallant, tome II, fo 124.) — Il n’y a personne qui sache si un procédé… — (1665.)
  272. Var. : est plutôt un effet de probité que d’habileté. (1665.) — Dans la 5e édition (1678), au lieu d’habilité, on lit habilité (voyez p. 83, note 3). — J. Esprit (tome I, p. 99) : « La bonne foi est une grande habileté. » — Mme de Sablé (maxime 9) : « L’honnêteté et la sincérité dans les actions égarent les méchants, et leur font perdre la voie par laquelle ils pensent arriver à leurs fins, parce que les méchants croient d’ordinaire qu’on ne fait rien sans artifice. » — La Bruyère (de la Cour, no 89, tome I, p. 334) : « Il y a quelques rencontres dans la vie où la vérité et la simplicité sont le meilleur manège du monde. »
  273. Var. : Toutes les vertus se perdent… — (1665.) — Voyez les maximes 187, 253 et 273. — Comparaison très-fausse, dit la Harpe (tome VII, p. 264) : « Tous les fleuves tendent à la mer, et la vertu ne tend point à l’intérêt, si ce n’est celui d’être bien avec soi et avec les autres, et ce n’est pas ce qu’on entend ordinairement par intérêt. Il serait plus vrai de dire que la vertu s’arrête souvent, quand elle rencontre l’intérêt dans son chemin ; c’est là sa véritable épreuve : si la vertu est faible, elle recule ; si elle est forte, l’intérêt se range devant elle, et lui fait passage. »
  274. L’annotateur contemporain trouve cette réflexion fausse, attendu que « l’ennui ne fait pas jouer tant de ressorts que l’intérêt. »
  275. Var. : La curiosité n’est pas, comme l’on croit, un simple amour de la nouveauté : il y en a une d’intérêt, qui fait que nous voulons savoir les choses pour nous en prévaloir ; il j en a une autre d’orgueil, qui nous donne envie d’être au-dessus de ceux qui ignorent les choses, et de n’être pas au-dessous de ceux qui les savent. (1665.) — Plutarque en reconnaît une autre, celle « de sçauoir les tares et imperfections d’autruy, qui est un vice ordinairement conioint auec enuie et malignité. » (De la Curiosité, chapitre i, traduction d’Amyot.)
  276. Var. : … son esprit à supporter les infortunes qui arrivent qu’à pénétrer celles qui peuvent arriver. (1665.) — Voyez la maxime 168. — Cicéron (de Natura Deorum, livre III, chapitre vi) : Ne utile quidem est scire quid futurum sit ; miserum est enim nihil proficientem angi. « On ne gagne rien à savoir ce qui doit arriver ; car c’est une misère de se tourmenter en vain. » — Sénèque (épître xcviii) : Calamitosus est animus futuri anxius. « Malheureux est l’esprit qui se tourmente de l’avenir. » — Le même (ibidem) : Plus dolet quam necesse est, qui ante dolet quam necesse sit. « Qui s’afflige d’avance, s’afflige trop. » — Quintilien (de Inslitutione oratoria,livre I, chapitre xii, 11) : Minus afficit sensus fatigatio quam cogitatio. « La souffrance même nous accable moins que la pensée de la souffrance. » — J. J. Rousseau (Émile, livre II) : « La prévoyance qui nous porte sans cesse au delà de nous, et souvent nous place où nous n’arriverons point, voilà la véritable source de nos misères. »
  277. Pascal (Pensées, article V, 17) : « On n’aime jamais personne, mais seulement des qualités. »
  278. Var. : n’est que notre inconstance arrêtée. (Manuscrit.) — L’abbé de la Roche estime avec raison que cette réflexion est un peu tirée, et la Harpe (tome VII, p, 264) la déclare bonne « pour une chanson ou un madrigal. » — Vauvenargues dit avec plus de décision (maxime 755, Œuvres, p. 477) : « La constance est la chimère de l’amour. »
  279. Var. : La durée de l’amour, et ce qu’on appelle ordinairement la constance, sont deux sortes de choses bien différentes : la première vient… (Manuscrit.)
  280. Le manuscrit et l’édition de 1665 ajoutent ici : « comme dans une source inépuisable. »
  281. Le commencement de cette réflexion n’est que la répétition de la précédente.
  282. Var. : de ce qu’on se fait. (1666, 1671 et 1675.)
  283. Var. : … de ce qu’on se fait un honneur de tenir sa parole. (Manuscrit et 1665.)
  284. Voyez la maxime 577, et la note.
  285. Var. : les connoissances nouvelles. (1665.)
  286. Var. : que le dégoût que nous avons de n’être pas. (1665.)
  287. Var. : et l’espérance que nous avons de l’être davantage de ceux qui ne nous connoissent guère. (1665.)
  288. Var. : On se plaint de ses amis pour justifier sa légèreté. (Manuscrit.) — Voyez la 18e des Réflexions diverses.
  289. Var. : Notre repentir n’est pas une douleur du mal que nous avons fait ; c’est une crainte de celui qui nous en peut arriver. (1665.) — Notre repentir ne vient point du regret de nos actions, mais du dommage qu’elles nous causent. (Manuscrit.)
  290. L’édition de 1665 ajoute ici : « qui change à tout moment d’opinion. »
  291. L’édition de 1665 n’a pas cette conjonction.
  292. Var. : qui vient de la fin du goût des choses. (1665.) — Il y a deux sortes d’inconstance : l’une qui vient de la légèreté de l’esprit, qui à tout moment change d’opinion, ou plutôt de la pauvreté de l’esprit, qui reçoit toutes les opinions des autres ; l’autre, qui est plus excusable, qui vient de la fin du goût des choses. (Manuscrit.)
  293. L’édition de 1665 ajoutait ici : « de la médecine. » — Pascal (Pensées, article XII, 12) : « Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires. » — Selon Vauvenargues (Introduction à la Connaissance de l’esprit humain, livre III, 43, et 1er Discours sur la Gloire, Œuvres, p. 53 et p. 128), dans ce mélange, c’est la vertu qui domine, et le vice n’obtient point d’hommage réel ; si les vices vont au bien, c’est qu’ils sont mêlés de vertus, de patience, de tempérance, de courage, etc.
  294. Var. : Il faut demeurer d’accord, pour l’honneur de la vertu… par leurs crimes. (Manuscrit.) — Selon Vigneul-Marville, c’est-à-dire le chartreux dom Bonaventure d’Argonne (Mélanges d’histoire et de littérature, 1725, tome I, p. 325), « cette maxime a été faite pour le chevalier de Rohan, qui, après une vie d’aventures et de désordres, fut décapité en 1674. » — Il nous paraît douteux que la Rochefoucauld ait eu particulièrement en vue le chevalier de Rohan ; sa pensée a une application plus générale, et par conséquent une portée plus grande.
  295. Var. : Nous avouons nos défauts, pour réparer le préjudice qu’ils nous font dans l’esprit des autres, par l’impression que nous donnons de la justice du nôtre. (Manuscrit.) — Nous avouons nos défauts, afin qu’en donnant bonne opinion de la justice de notre esprit, nous réparions le tort qu’ils nous ont fait dans l’esprit des autres. (1665.) Mme de Sablé (maxime 16) : « Il n’y a pas plus de raison de trop s’accuser de ses défauts que de s’en trop excuser : ceux qui s’accusent par excès, le font souvent pour ne pouvoir souffrir qu’on les accuse, ou par vanité de faire croire qu’ils savent confesser leurs défauts. » — Mme de Sablé dit encore (maxime 6) : « Être trop mécontent de soi est une foiblesse ; être trop content de soi est une sottise. » — Voyez les maximes 149, 327, 383, 554, 609, la note de la maxime 315, et la 5e des Réflexions diverses.
  296. Selon l’annotateur contemporain, le nom de héros ne s’emploie jamais à mal. — Duplessis(p. 167) fait observer que l’auteur « a voulu dire simplement que le crime donne la célébrité comme la vertu. » — Peut-être la Rochefoucauld pensait-il, comme J. J. Rousseau (Discours sur la vertu la plus nécessaire aux héros), que la force d’âme est ce qui constitue le héros ; or cette force d’âme petit s’employer au mal comme au bien. — J. Esprit (tome II, p. 52) : « Ne pourroit-on pas… dire qu’il y a des héros en mal comme il y a des héros en bien, puisqu’on voit des gens avoir dessein de rendre leurs crimes et leurs forfaits illustres ? »
  297. Comme ce Crispinus dont parle Juvénal (satire iv, vers 2) :
    A vitiis monstrum nulla virtute redemptum.

    « Monstre que nulle vertu ne rachetait de ses vices. » — Var. : « On peut haïr et mépriser les vices, sans haïr ni mépriser les vicieux ; mais on a toujours du mépris pour ceux qui manquent de vertu. (1665.) — Les éditions de 1666 et de 1671, qui commencent comme celle de 1665, finissent ainsi : « mais on ne saurait ne point mépriser ceux qui n’ont aucune vertu. » — Le manuscrit disait plus vivement : « On hait souvent les vices ; mais méprise toujours le manque de vertu. » — La rédaction définitive ne date que de la 4e édition (1675).

  298. Voyez les maximes 171, 253 et 305.
  299. Var. : … que celle du corps ; et quelque éloignés que nous paraissions des passions que nous n’avons pas encore ressenties. (Manuscrit.)
  300. Var. : il faut croire toutefois qu’on n’y est pas moins exposé que l’on est à tomber malade quand on se porte bien. (Manuscrit.) — On n’y est pas moins exposé qu’à tomber malade quand on se porte bien. (1665.) — Voyez les maximes 193 et 194.
  301. La 1er édition (1665) est plus affirmative : « La nature a prescrit à chaque homme… »
  302. Vauvenargues pense également (maximes 31 et 219, Œuvres, p. 376 et 399) que les hommes ne peuvent être tout à fait vicieux, ou tout à fait bons, et qu’ils ont peut-être autant de bonnes qualités que de mauvaises. — Voyez aussi la maxime 610 de la Rochefoucauld.
  303. Pascal a dit, dans un sens voisin (Discours sur les passions de l’amour, tome II, p. 252) : « À mesure que l’on a plus d’esprit, les passions sont plus grandes. » — Vauvenargues (maxime 647, Œuvres, p. 463) : « On s’étonne toujours qu’un homme supérieur ait des ridicules, ou qu’il soit sujet à de grandes erreurs ; et moi je serois très-surpris qu’une imagination forte et hardie ne fît pas commettre de très-grandes fautes. » — Il dit ailleurs (Introduction à la Connaissance de l’esprit humain, livre III, 44, Œuvres, p. 58) : « Il y a des vices qui n’excluent pas les grandes qualités. » — Voyez la maxime 602, et la 14e des Réflexions diverses.
  304. Var. : On pourroit dire. (1665.)
  305. Var. : chez lesquels. (1665.)
  306. Var. : Ou pourroit presque dire que les vices nous attendent, dans le cours ordinaire de la vie, comme des hôtelleries où il faut nécessairement loger ; et je doute que l’expérience même nous en pût garantir, s’il étoit permis… (Manuscrit.) — Voyez la maxime 10.
  307. Var. : nous voulons nous flatter que c’est nous qui les quittons. (Manuscrit et 1665.) — Vauvenargues dit à peu près de même (maxime 195, Œuvres, p. 394) : « Lorsque les plaisirs nous ont épuisés, nous croyons avoir épuisé les plaisirs » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre ii, tome III, p. 230) : « Nous appelons sagesse la difficulté de nos humeurs, le degoust des choses présentes. » — Voyez la maxime 563.
  308. Var. : On n’est pas moins exposé aux rechutes des maladies de l’âme que de celles du corps ; nous croyons être guéris, bien que, le plus souvent, ce ne soit qu’une relâche, ou un changement de mal. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 188 et 194.
  309. Var. : et elles se peuvent toujours rouvrir. (Manuscrit.) — Cette pensée répète à peu près la précédente et la 188e.
  310. Var. : est que nous en avons plusieurs à la fois. (Manuscrit.)
  311. Var. : Quand il n’y a que nous qui savons nos crimes, ils sont bientôt oubliés. (Manuscrit et 1665.) — Nous oublions aisément nos crimes lorsqu’ils ne sont sus que de nous. (1666, 1671 et 1675.)
  312. Var. : de mal. (1665 A, B et C.) — La Harpe (tome VII, p. 267) : « Exagération satirique : l’étonnement est proportionné au défaut de probabilité, et très-certainement il est des hommes en qui rien n’est plus improbable qu’un crime ou une bassesse. »
  313. Var. : pour abaisser par là. (1665.)
  314. L’édition de 1665 ne donne pas le correctif quelquefois.
  315. Le grand Condé.
  316. Dans trois des quatre impressions de 1665, cette pensée et la 145e n’en faisaient qu’une (voyez la Notice bibliographique, et ci-dessus, p. 90, note 3). — Mme de Sablé (maxime 25) : « On loue quelquefois les choses passées pour blâmer les présentes, et pour mépriser ce qui est, on estime ce qui n’est plus. » — La Bruyère (des Jugements, no 60) : « Nous affectons souvent de louer avec exagération des hommes assez médiocres, et de les élever, s’il se pouvoit, jusqu’à la hauteur de ceux qui excellent, ou parce que nous sommes las d’admirer toujours les mêmes personnes, ou parce que leur gloire, ainsi partagée, offense moins notre vue, et nous devient plus douce et plus supportable. » — Duclos (tome I, p. 132, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre v) : « Dans chaque carrière, il se trouve toujours quelques hommes supérieurs. Les subalternes, ne pouvant aspirer aux premières places, cherchent à en écarter ceux qui les occupent, en leur suscitant des rivaux. » — L’abbé Brotier (Observations sur les Maximes, p. 221) voit dans la réflexion de la Rochefoucauld un éloge de Condé et de Turenne qui peut-être donne plus à entendre que les trois fameuses oraisons funèbres de Bossuet, de Bourdaloue et de Fléchier. C’est beaucoup dire. — Voyez les maximes 145, 148 et 280.
  317. Le manuscrit ajoute : « parce qu’on songe plus à le paroître aux autres qu’à être effectivement ce qu’il faut être. » — Mme de Sablé (maxime 40) : « Souvent le désir de paroître capable empêche de le devenir » — Voyez les maximes 117, 127 et 245.
  318. Var. : La vertu n’iroit pas loin. (1665.) — Voyez les maximes 150, 598, 599, et la 388e, qui paraît contradictoire à celle-ci.
  319. Var. : Celui qui croit pouvoir se passer de tout le monde. (Manuscrit.)
  320. Var. : qui déguisent la corruption de leur cœur… qui la connoissent parfaitement, et la confessent aux autres. (Manuscrit et 1665.) — Mme de Sablé (maxime 17) : « C’est une force d’esprit d’avouer sincèrement nos défauts et nos perfections ; et c’est une foiblesse de ne pas demeurer d’accord du bien ou du mal qui est en nous. » — Pascal (Pensées, article II, 8) : « C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts ; mais c’est encore un plus grand
  321. C’est-à-dire, l’homme bien élevé, de bonne compagnie : voyez ci-dessus, p. 8, note 4.
  322. « M. de la Rochefoucauld, dit Segrais dans ses Mémoires (p. 31 et 32), étoit l’homme du monde le plus poli, qui savoit garder toutes les bienséances, et surtout qui ne se louoit jamais. M. de Roquelaure et M. de Miossens (maréchal d’Alhret) avoient beaucoup d’esprit, mais ils se louoient incessamment : ils avoient un grand parti. M. de la Rochefoucauld disoit, en parlant d’eux, bien loin pourtant de sa pensée : « Je me repens de la loi que je me suis imposée de ne me pas louer ; j’aurois beaucoup plus de sectateurs, si je le faisois. Voyez M. de Roquelaure et Miossens, qui parlent deux heures de suite, devant une vingtaine de personnes, en se vantant toujours : parmi ceux qui les écoutent, il n’y en a que deux ou trois qui ne peuvent les souffrir ; les dix-sept autres les applaudissent, et les regardent comme des gens qui n’ont point leurs semblables. » — Pascal (Pensées, article VI, 56) : « Voulez-vous qu’on croie du bien de vous ? n’en dites pas. » — Vauvenargues répond à la Rochefoucauld (p. 82) : « Ce mérite, si c’en est un, peut se rencontrer aussi dans un imbécile ; » ce qui ne l’empêche pas de dire ailleurs, absolument comme la Rochefoucauld : « La plus grande de toutes les imprudences est de se piquer de quelque chose. » (5e Conseil à un jeune homme, Œuvres, p. 118.) — Voyez les maximes 184, 206, 307, 431, et les 3e et 13e Réflexions diverses.
  323. Le manuscrit ajoutait : « C’est comme un prix dont elles l’augmentent. » — L’édition de 1665 ajoutait également : « C’est un attrait fin et délicat, et une douceur déguisée. » — Voyez les maximes 1 et 220.
  324. Var. : La chasteté des femmes est l’amour… (Manuscrit.) — L’édition de 1665 n’a pas non plus le correctif souvent. — Voyez les maximes 1, 169, 204, 220 et 333.
  325. {sc|Var.}} : que de vouloir bien âtre examiné des honnêtes gens, en tous temps, et sur tous les sujets qui se présentent. (Manuscrit.) — « La maxime 206e, dit l’abbé Brotier (p. 221 et 222), est belle. C’est aussi une belle parole du duc de la Rochefoucanld : L’honnêteté n’est d’aucun état en particulier, mais de tous les états en général. » Je ne sais d’où Brotier a tiré cette citation. — Voyez les maximes 202, 411, 457, et la 5e des Réflexions diverses.
  326. Var. : L’enfance nous suit dans toute la vie. (Manuscrit.) — Mme de Sablé (maxime 8) : « La plus grande sagesse de l’homme consiste à connoitre sa folie. » — La Harpe (tome VII, p. 267) qualifie cette maxime d’exagération qui ne peut passer que dans une satire. « Il serait assez difficile de nous dire, ajoute-t-il, quelles étaient les folies de Sully ou du chancelier de l’Hôpital ; et comment accorder cette maxime avec celle-ci : Qui vit sans folie n’est sage qu’il croit (209e) ? Il y a donc des gens qui n’ont point de folie ; et de plus on n’est pas très-sage pour n’en pas avoir. Tout cela est-il bien clair et bien conçu ? et au lieu de chercher à se faire deviner, ne vaudrait-il pas mieux s’assurer de ce qu’on veut dire ? » — Voyez les maximes 112, 210, 405, 423 et 444.
  327. Var. : des gens niais qui se connoissent niais… (Manuscrit.) — Voyez la maxime 156.
  328. Var. : Celui qui vit sans folie n’est pas si raisonnable qu’il le veut faire croire. (Manuscrit.) — Le vieux Caton, cité par Montaigne (Essais, livre III, chapitre viii, tome III, p. 400), disait que « les sages ont plus à apprendre des fols, que les fols des sages. » Voyez la Vie de Caton, par Plutarque, chapitre ix. — Mme de Sablé (maxime 8) : « La plus grande sagesse de l’homme consiste à connoître sa folie. » — Pascal (Pensées, article XXIV, 71) : « Les hommes sont si nécessairement fous, que ce seroit être fou par un autre tour de folie, de ne pas être fou. » — Mme de Sévigné (Lettres, tome II, p. 496) explique ainsi cette pensée à Mme de Grignan : « Hélas ! le moyen de vivre sans folie, c’est-à-dire sans fantaisie ? et un homme n’est-il pas fou, qui croit être sage en ne s’amusant et ne se divertissant de rien ? Vous reviendrez à notre opinion. » — Dans deux lettres subséquentes (ibidem, p. 517 et p. 520), elle dit que la Rochefoucauld prend le mot folie dans le sens relâché de passion, et dans ce cas, ajoute-t-elle, « l’exacte philosophie s’en offense… Épictète n’auroit pas été de son avis. » Quant à Vauvenargues, il en eût été, car il déclare ouvertement (maxime 154, Œuvres, p. 389) que « les passions ont appris aux hommes la raison. » — Voyez, ci-après, les maximes 231 et 310.
  329. « C’est selon le naturel, qui augmente ou qui diminue, » dit l’annotateur contemporain. — Voyez les maximes 112, 207, 405, 423 et 444.
  330. On entendait alors par vaudeville une simple chanson.
  331. Var. : … aux vaudevilles, que tout le monde chante (Manuscrit : raconte) un certain temps, quelques (voyez le Lexique, au mot Quelque) fades et dégoûtants qu’ils soient. (Manuscrit, 1665, 1666, 1671 et 1675.) — La maxime 291 revient à celle-ci. — Mme de Sablé (maxime 45) : « Ce n’est ni une grande louange ni un grand blâme, quand on dit qu’un esprit est ou n’est plus à la mode : s’il est une fois tel qu’il doit être, il est toujours comme il doit être. »
  332. Var. : La plupart des gens ne voient dans les hommes que la vogue qu’ils ont, ou bien le mérite de leur fortune. (Manuscrit et 1665.)
  333. Var. : et plus encore la crainte de la honte. (1665.)
  334. Var. : … d’abaisser les autres, font naître cette valeur qui est si célèbre parmi les hommes. (1665.) — J. Esprit (tome II, p. 165) : « La passion qui est cachée dans le cœur des braves, c’est l’envie d’établir leur réputation. » — Vauvenargues (maxime 351, Œuvres, p. 425) : « … Il y a beaucoup de soldats et peu de braves… » — Aristote, dans la Morale à Nicomaque (livre III, chapitres vii-x), et dans la Morale a Eudème (livre III, chapitre i), définit le vrai courage, et en énumère les motifs et les conditions. — Voyez les maximes 1, 215, 220 et 221.
  335. Var. : La valeur, dans les simples soldats, est un métier… (1665.) — La valeur, dans les simples soldats, n’est qu’un métier périlleux pour gagner leur vie. (Manuscrit.) — J. Esprit (tome II, p. 171) : « Les soldats vendent leur vie à la guerre pour vivre. »
  336. Var. : où on arrive rarement. (1665.)
  337. Var. : … de différence entre elles qu’il y en a entre les visages et les humeurs ; cependant (1665 B et C : et cependant) elles conviennent (voyez la note 2 de la page suivante) en beaucoup de choses. Il y a des hommes qui… (1665.)
  338. Var. : qui sont assez contents. (1665.)
  339. Dans les quatre impressions de 1665, il y a choses, au pluriel.
  340. Dans ses Mémoires, l’auteur dit, en parlant du duc de Beaufort : « Il étoit toujours brave en public, et souvent il se ménageoit trop dans les occasions particulières. » — Voyez la note de la maxime 129.
  341. Var. : à des épouvantes générales. (1665.)
  342. Var. : pour n’oser demeurer dans leurs postes ; enfin il s’en trouve. (1665.)
  343. Conviennent, c’est-à-dire, se rencontrent en ce point, que…
  344. Var. : Il y en a encore qui sont braves à coups d’épée, qui ne peuvent souffrir les coups de mousquet ; et d’autres y sont assurés, qui craignent de se battre à coups d’épée. Outre cela, il y a un rapport général que ton remarque entre tous les courages de différentes espèces, dont nous venons de parler, qui est que, la nuit augmentant… (1665.)
  345. Var. : … et les mauvaises actions, leur donne la liberté de se ménager. (1665.) — J. Esprit (tome I, p. 522) : « Il est rare de trouver des hommes vaillants qui attaquent ou repoussent les ennemis, la nuit, avec autant de bravoure qu’ils feroient s’ils combattoient en plein jour, aux yeux de leur général. » — Tacite (Annales, livre I, chapitre li) : Nox aliis in audaciam, aliis ad formidinem opportuna. « La nuit aide au courage des uns, à la lâcheté des autres. » — Voyez la maxime suivante.
  346. Vauvenargues (maxime 849, Œuvres, p. 484) : « Le terme du courage est l’intrépidité à la vue d’une mort sûre. »
  347. Var. : Il y a encore un autre ménagement plus général qui, à parler absolument, s’étend sur toute sorte d’hommes : c’est qu’il n’y en a point qui fassent tout ce qu’ils seroient capables de faire dans une action, s’ils avoient une certitude d’en revenir : de sorte qu’il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose à leur valeur, et diminue son effet. (1665.) — Voyez les maximes 1, 213, 220, 221 et 370.
  348. Var. : La pure valeur, s’il y en avoit, seroit de faire sans témoins ce qu’on est capable de faire devant le monde. (1665.) — Voyez les maximes 215, 219 et 221.
  349. Var. : … une force extraordinaire de l’âme, ^ par laquelle elle empêche les troubles, les désordres et les émotions que la vue des grands périls a accoutumé d’élever en elle ; par cette force, les héros… (Manuscrit et 1665.)
  350. Var. : l’usage libre de toutes leurs fonctions dans les accidents les plus terribles et les plus surprenants. (Manuscrit et 1665.) — Dans le manuscrit, cette pensée et la 614e étaient réunies.
  351. Var. : que le vice se croit forcé de rendre à la vertu. (Manuscrit.) — Voyez la maxime 489. — Vauvenargues (maxime 769, Œuvres, p. 477) : « L’utilité de la vertu est si manifeste, que les méchants la pratiquent par intérêt. » — Il ajoute ailleurs (Introduction à la connaissance de l’esprit humain, p. 53) : « Quand le vice veut procurer quelque grand avantage au monde, pour surprendre l’admiration, il agit comme la vertu. » — J. J. Rousseau (Réponse au roi de
  352. Var. : On est presque toujours assez brave pour sortir sans honte des périls de la guerre ; mais peu de gens le sont assez pour s^ exposer toujours… (Manuscrit.) — En adressant à J. Esprit cette pensée avec deux légères variantes : à la guerre, pour dans la guerre, et ou s’expose, pour ils s’exposent (Portefeuilles de Vallant, tome II, fos 124 et 125), l’auteur la commente ainsi lui-même : « Je veux dire qu’il est assez ordinaire de hasarder sa vie pour s’empêcher d’être déshonoré ; mais quand cela est fait, on en est assez content pour ne se mettre pas d’ordinaire fort en peine du succès de la chose que l’on veut faire réussir ; et il est certain que ceux qui s’exposent tout autant qu’il est nécessaire pour prendre une place que l’on attaque, ou pour conquérir une province, ont plus de mérite, sont meilleurs officiers, et ont de plus grandes et de plus utiles vues que ceux qui s’exposent seulement pour mettre leur honneur à couvert ; et il est fort commun de trouver des gens de la dernière espèce que je viens de dire, et fort rare d’en trouver de l’autre. » — Voyez les maximes 215, 216 et 221.
  353. Var. : … font la valeur des hommes. (1665.) La maxime finit là dans cette édition. — … font en plusieurs la valeur des hommes et la vertu des femmes. (1666, 1671 et 1675.) — … font la valeur des hommes et la chasteté des femmes, dont chacun mène tant de bruit. (Manuscrit.) — On le voit, dans la première édition, cette pensée ne s’appliquait pas à la vertu des femmes. — J. Esprit (tome II, p. 92) : « La froideur du tempérament est le principe le plus ordinaire de la retenue et de la modestie des femmes ; » et, quelques pages plus loin (tome II, p. 121 et 122) : « Le bonheur du tempérament a presque toute la part à l’honnêteté d’un fort grand nombre de femmes, » — Charron (de la Sagesse, livre II, chapitre iii) : « La chasteté, sobriété, tempérance peuuent arriuer en nous par défaillance corporelle, » — Voyez les maximes 1, 169, 204, 205, 213, 215, 241 et 346.
  354. Var. : de là vient que. (1665.)
  355. Var. : que les gens de chicane pour conserver leur bien. (1665.) — … et on veut acquérir de la gloire ; de là vient que, quelque chicane que l’on remarque dans les parties, elle n’est point égale à la chicane des braves. (Manuscrit.) — Charron (de la Sagesse, livre III, chapitre xiv) « La vaillance humaine est vne sage couardise, vne craincte accompaignée de la science d’euiter vn mal par vn autre. » — La Bruyère (des Jugements, no 97) : « Faites garder aux hommes quelque poste où ils puissent être tués, et où néanmoins ils ne soient pas tués : ils aiment l’honneur et la vie. »
  356. Var. : Il n’y a point de gens… (Manuscrit.)
  357. Penchant, déclin. — Voyez la 9e des Réflexions diverses.
  358. Var. : elle soutient le commerce, et nous ne payons pas pour la justice qu’il y a de nous acquitter. (1665.) — Voyez les maximes 224, 247, 298, et la note de la 438e.
  359. Var. : Plusieurs personnes s’acquittent du devoir de la reconnoissance, quoiqu’il soit vrai de dire que personne n’en a effectivement. (Manuscrit.) — Mme de Sablé (maxime 74) : « La vertu n’est pas toujours où l’on voit des actions qui paroissent vertueuses : on ne reconnoît quelquefois un bienfait que pour établir sa réputation, et pour être plus hardiment ingrat aux bienfaits qu’on ne veut pas reconnoître. » — Voyez les maximes 223, 247 et 298.
  360. Var. : Ce qui fait tout le mécompte. (1665.)
  361. Var. : … qu’on a faites. (1665.) — Ce qui fait tout le mécompte que nous voyons dans la reconnoissance des hommes… (Manuscrit.) — Voyez la maxime 228.
  362. Peut-être la Rochefoucauld pensait-il au grand Condé, qui, après avoir ramené la cour à Paris, se plaignait amèrement de la Reine et de Mazarin, tandis que ceux-ci supportaient impatiemment ses hauteurs et ses dédains : ils ne pouvaient convenir du prix du bienfait.
  363. Var. : On est souvent reconnoissant par principe d’ingratitude. (Manuscrit.) — L’annotateur contemporain fait remarquer la délicatesse de la pensée définitive de l’auteur.
  364. Nous suivons le texte de l’Appendice publié, en 1678, postérieurement à la 5e édition, pour compléter la 4e (1675) : voyez la Notice bibliographique. La 5e n’a pas et devant ils croient.
  365. Var. : avoir raison, quand la fortune les soutient. (Manuscrit.) — « La fortune, qui a un bandeau, dit l’annotateur contemporain, en met un sur toutes les actions de l’homme qui est en fortune. »
  366. Var. : Ce qui fait encore le mécompte dans les bienfaits, c’est que l’orgueil… (Manuscrit.) Cette première forme indique assez que cette pensée revient à la 225e.
  367. Tacite (Histoire, livre IV, chapitre iii) : Gratia oneri… habetur. « La reconnolssance est regardée comme un fardeau. » — Vauvenargues répond à la Rochefoucauld (p. 82) : « L’orgueil n’est qu’un effet de l’amour-propre, et, par conséquent, c’est l’amour-propre qui ne veut pas devoir, comme c’est lui qui ne veut pas payer. Comment est-il échappé à l’auteur des Maximes de distinguer l’orgueil de l’amour-propre, lui qui rapporte à ce dernier toutes nos vertus ? » — Vauvenargues oublie que la Rochefoucauld prend le mot amour-propre en divers sens, et qu’il l’emploie ici pour intérêt ou égoïsme.
  368. Var. : Le bien qu’on nous a fait veut que nous respections le mal que l’on nous fait après. (1665.) — Le bien que nous avons reçu veut que nous respections le mal qu’on nous fait. (1666, 1671 et 1675.) — Le mot respecter paraît aller au delà de l’intention de l’auteur ; passe encore pour pardonner. — Il y a, au fond, un certain rapport entre cette pensée et les maximes 96 et 317.
  369. Var. : ni de grands maux qui ne produisent infailliblement leurs pareils. (Manuscrit et 1665.) — Sénèque (de Tranquillitate animi, chapitre vii) ; Serpunt… vitia, et in proximum quenique transiliunt, et contacta nocent. « Les vices s’insinuent, se communiquent de proche en proche, et leur contact corrompt. » — Sénèque dit encore (de Vita beata, chapitre i) : Nemo sibi tantum errat ; sed alii erroris causa et auctor est. « L’homme ne s’égare pas seulement pour lui-même ; il est cause et auteur d’égarement pour autrui. »
  370. Var. : L’imitation des biens vient de l’émulation ; et des maux, de l’excès de la malignité naturelle, qui étant comme retenue prisonnière par la honte, est mise en liberté par l’exemple. (Manuscrit.) — Nous imitons les bonnes actions par l’émulation, et les mauvaises par la malignité de notre nature, qui étant retenue en prison par la honte, est mise en liberté par l’exemple. (1665.) — Sénèque (épitre cxxiii) : Inter causas malorum nostrorum est quod vivimus ad exempla, nec ratione componimur, sed consuetudine abducimur. « Une des causes de nos désordres, c’est que nous vivons à l’exemple d’autrui ; ce n’est pas la raison qui nous gouverne, c’est la coutume qui nous entraîne. » — Pascal affirme, au contraire (Pensées, article VIII, 2), que « l’exemple ne nous instruit point. » — Voyez la 7e des Réflexions diverses.
  371. Var. : On est fou de vouloir… (Manuscrit.)
  372. Voyez la maxime 209. — Antonio Ferez, cité par Amelot de la Houssaye : « Sois plutôt fou avec tous que sage tout seul : si tous sont fous, tu n’y perdras rien ; mais si tu restes sage tout seul, ta sagesse passera pour folie. »
  373. La 1er édition (1665) dit plus absolument : « ce n’est que l’intérêt et la vanité qui les causent. » — Cette pensée est le thème que développe la maxime suivante. — Voyez aussi les maximes 355, 362, 373 et 619.
  374. Var. : Il y a une espèce d’hypocrisie dans les afflictions, car sous prétexte… (Manuscrit et 1665.)
  375. Var. : la perte d’une personne qui nous est chère, nous pleurons la notre, c’est-à-dire la diminution (Manuscrit.) — … nous nous pleurons nous-mêmes ; nous pleurons la diminution… — (1665, 1666, 1671 et 1675.) — J. Esprit (tome I, p. 391) : « Ce n’est pas la mort de leurs amis, mais ce qu’ils perdent par leur mort, qui les fait pleurer. »
  376. Var. : … de notre considération, en la personne que nous pleurons. De cette manière, les morts… (1665.) »
  377. Var. : on se trompe souvent soi-même. (1666.)
  378. L’édition de Duplessis (1853) donne à tort : « parce qu’elle s’impose. »
  379. Var. : … des larmes qui ne coulent que pour ceux qui les versent. J’ai dit que c’étoit une espèce d’hypocrisie, parce que, par elle, l’homme se trompe seulement soi-même. Il y en a une autre, qui n’est pas si innocente, et qui impose à tout le monde… (1665.)
  380. Var. : … immortelle douleur ; car le temps, qui consume tout, l’ayant consumée, elles ne laissent pas… (Manuscrit et 1665.)
  381. Var. : … par toutes leurs actions, qu’elles égaleront la durée de leur déplaisir (1665 : de tous leurs déplaisirs) à leur propre vie. (Manuscrit et 1665.)
  382. Var. : … dans les femmes ambitieuses, parce que, leur sexe leur fermant tous les chemins qui mènent à la gloire, elles se jettent dans celui-ci, et s’efforcent à se rendre célèbres par la montre d’une inconsolable douleur. (Manuscrit et 1665.) — Publius Syrus :
    Didicere flere feminæ, in mendacium.

    « Les femmes ont appris à pleurer, pour mentir. » — J. Esprit (tome I, p. 392, 393 et 393) : « Il y a des personnes qui se montrent outrées de douleur, lorsque leurs amis meurent, pour se faire remarquer et se distinguer des autres… Il y a des héroïnes qui, à la mort de leurs maris, forment le dessein de rendre leur douleur immortelle, afin de se signaler… L’ostentation a une part très-considérable à l’affliction des femmes ambitieuses : elles se mettent dans l’esprit qu’il est beau d’égaler la durée de leur deuil à celle de leur vie, et choisissent cette triste et fatigante voie pour acquérir de la réputation. »

  383. Var. : … qui coulent facilement et qui s’écoulent aussitôt : ou pleure… (1665.) — Il y a, outre ce que nous avons dit, quelques espèces de larmes qui coulent de certaines petites sources, et qui, par conséquent, s’écoulent incontinent : on pleure… (Manuscrit.)
  384. Var. : et enfin. (1666.)
  385. Var. : on pleure pour être plaint, ou pour être pleuré, et on pleure quelquefois de honte de ne pleurer pas. (Manuscrit et 1665.) — Comme ceux dont parle Sénèque (de Tranquillitate animi, chapitre xv) : Plerique… lacrymas fundunt, ut ostendant…, turpe judicantes non flere. « La plupart versent des larmes pour les faire voir…, pensant qu’il y a de la honte à ne pleurer pas. » – Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxix) : « Faire l’attristé, l’affligé, et pleurer en la mort ou accident d’autruy, et penser que ne s’esmouuoir point ou que bien peu, c’est faulte d’amour et d’affection, il y a aussi de la vanité. »
  386. Var. : C’est par orgueil qu’on s’oppose avec tant d’opiniâtreté… (Manuscrit.)
  387. L’annotateur contemporain applique cette réflexion aux critiques.
  388. Var. : Nous ne sommes pas difficiles à consoler des disgrâces… (Manuscrit et 1665.)
  389. Var. : lorsqu’elles servent à signaler la tendresse que nous aidons pour eux. (1665.) — lorsqu’elles servent à nous faire faire quelque telle action. (Manuscrit.) — Pascal (Pensées, article VI, 34) : « Plaindre les malheureux n’est pas contre la concupiscence ; au contraire, on est bien aise d’avoir à rendre ce témoignage d’amitié, et à s’attirer la réputation de tendresse sans rien donner. » — Voyez les maximes 463 et 583.
  390. Var. : Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir hors de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l’avantage de tout le monde, sera tenté de croire que lorsqu’elle agit, l’amour-propre s’oublie et s’abandonne lui-même, ou se laisse dépouiller et appauvrir sans s’en apercevoir, de sorte qu’il semble que l’amour-propre soit la dupe de la bonté : cependant c’est le plus utile de tous les moyens dont l’amour-propre se sert pour arriver à ses fins ; c’est un chemin dérobé, par où il revient à lui-même, plus riche et plus abondant ; c’est un désintéressement qu’il met à une furieuse usure ; c’est enfin un ressort délicat avec lequel il réunit, il dispose et tourne tous les hommes en sa faveur. (1665.) — Le manuscrit est conforme au texte de 1665, sauf les différences qui suivent : « … et appauvrir sans s’en apercevoir, en sorte qu’il semble que la bonté soit la niaiserie et l’innocence de l’amour-propre : cependant la bonté est le plus prompt de tous les moyens dont l’amour-propre se sert… » — J. Esprit (tome I, p. 457) : « Le désintéressement est un chemin
  391. Var. : s’il n’a la force et la hardiesse d’être méchant. (1665.)
  392. Var. : ou une impuissance de la mauvaise volonté. (1665.) — … toute autre bonté n’est en effet qu’une privation du vice, ou plutôt la timidité du vice, et son endormissement. (Manuscrit.) — Sénèque (épitre xc) : Multum… interest utrum peccare aliquis nolit, an nesciat. « Il y a une grande différence entre ne vouloir pas et ne savoir pas faire le mal. » — J. Esprit (tome I, p. 284) : « La mollesse de la complexion des personnes débonnaires fait elle seule leur débonnaireté. » — Amelot de la Houssaye rappelle à ce sujet une réflexion de saint Bernard : Non irasci ubi irascendum sit, nolle emendare peccatum est. « Ne pas s’irriter lorsqu’il y a lieu, c’est ne pas vouloir corriger le péché. » — Aimé-Martin (p. 76) voit dans cette pensée de la Rochefoucauld une allusion au caractère d’Anne d’Autriche. — Rapprochez des maximes 387, 479 et 481.
  393. Var. : Il est plus dangereux de faire trop de bien aux hommes que de leur faire du mal. (Manuscrit.) — Aimé-Martin (p. 76-78) force ici, comme presque toujours, la pensée de l’auteur, qui n’entend sans doute parler que de l’ingratitude, de même que Sénèque, Tacite, Pascal et Mme de Sablé. — Sénèque (épitre lxxxi) : Periculosissima res… bénéficia in aliquem magna con ferre. « Rien de plus dangereux que de combler quelqu’un de bienfaits. » — Tacite (Annales, livre IV, chapitre xviii) : Beneficia co usque læta sunt, dum videntur contraire à celui qu’on tient ordinairement, par lequel les plus fins et les plus déliés parviennent à ce qu’ils désirent ; c’est le dernier stratagème de l’ambition. » — Duclos (tome I, p. 243, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xiv) : « Il y a bien de prétendues amitiés, bien des actes de reconnoissance, qui ne sont que des procédés, quelquefois intéressés, et non pas des attachements. » — Voyez les maximes 81, 83 et 620.
  394. Les trois dernières éditions (1671, 1675, 1678) ont ici une même faute : les, pour la.
  395. Var. : Rien ne nous plait tant que la confiance des grands et des personnes considérables par leurs emplois, par leur esprit ou par leur mérite ; elle nous fait sentir un plaisir exquis, et élève merveilleusement notre orgueil, parce que nous le (a) regardons comme un effet de notre fidélité ; cependant nous serions remplis de confusion, si nous considérions l’imperfection et la bassesse de sa naissance, car elle vient de la vanité, de l’envie de parler, et de l’impuissance de retenir le secret : de sorte au on peut dire que la confiance est comme un relâchement de l’âme, causé par le nombre et par le poids des choses dont elle est pleine. (Manuscrit et 1665.) — … ainsi l’on peut dire que la confiance est quelquefois comme un relâchement de l’âme, qui cherche à se soulager du poids dont elle est pressée. (1666, 1671 et 1675.) — J. Esprit (tome I, p. 181) parle également de ceux « qui se glorifient de ce qu’ils ont la confiance des princes, des ministres, et de tous ceux qui font figure dans le grand monde ;… cette confiance ne leur plaît et ne leur enfle le cœur que parce qu’ils la regardent comme une preuve incontestable de leur mérite. » — Duclos (tome I, p. 154, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre vii) : « Quand ils (les gens en place) paroisseat se livrer à leurs amis, ils ne cherchent qu’à se délasser par la dissipation. » — Voyez la 5e des Réflexions diverses.

    (a) Y a-t-il faute d’impression, et doit-on lire la ? ou le est-il pris au sens neutre ?

  396. Var. : Je ne sais si on peut dire de l’agrément, sans la beauté, que c’est une symétrie… (Manuscrit.)
  397. Voyez la maxime 255 et la 3e des Réflexions diverses. — « Bonne définition, qui revient au je ne sais quoi, » selon l’annotateur contemporain. — Cette expression : « je ne sais quoi, » est demeurée fort longtemps à la mode (voyez le P. Bouhours dans le ve des Entretiens d’Ariste et d’Eugène, p. 822 et suivantes, 3e édition, Paris, 1671 ; et Montesquieu, dans le fragment intitulé : Essai sur le gout, tome VII, p. 98, Londres, 1769) ; de nos jours, elle n’a pas cessé d’être en usage, quoi qu’en dise Duplessis (p. 162) : c’est donc sans sujet qu’il se surprend à la regretter quelquefois.
  398. Var. : La coquetterie est le fond (1665 : fonds) et l’humeur de toutes les femmes. (Manuscrit et 1665.) — … le fond et l’humeur de la plupart des femmes. (1666.) — … le fond et l’humeur des femmes. (1671 et 1675.)
  399. Var. : est retenue par leur tempérament et par leur raison. (1665 et 1666.) — Voyez les maximes 169, 205, 220, 277, 332, 334 et 349.
  400. Var. : On incommode toujours les autres… (1665.) — On incommode d’ordinaire, quand on est persuadé de n’incommoder jamais. (Manuscrit.) — Voyez la maxime 622, et la 2e des Réflexions diverses.
  401. Var. : Il n’y a point de choses impossibles, et… (Manuscrit.)
  402. Var. : « nous manque bien plus. (1665.)
  403. Voyez les maximes 30 et 42. — L’annotateur contemporain fait observer qu’ « outre l’application, il faut encore du bonheur ; » en effet, la réflexion de l’auteur paraît contradicioire à toutes celles où il fait dépendre nos succès de la fortune ou du hasard, par exemple dans les maximes 53, 57, 58, 153, 323 et 574. — Duclos (tome I, p. 79, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre ii) : « Bien des choses ne sont impossibles que parce qu’on s’est accoutumé à les regarder comme telles. » — Vauvenargues (maximes 455 et 456, Œuvres, p. 443) : « Peu de malheurs sont sans ressource ; le désespoir est plus trompeur que l’espérance. » — « Il y a peu de situations désespérées pour un esprit ferme, qui combat à force inégale, mais avec courage, la nécessité. » — Comparez avec la maxime 259 des éditions de Suard et de Blaise, et voyez ci-après, p. 240, la note 1 de la Notice des Maximes supprimées.
  404. Var. : le prix de chaque chose. (1665.) Le manuscrit ajoute : « et l’esprit de son temps. » — Vauvenargues répond (p. 82) : « On n’est pas habile pour connoître le prix des choses, si l’on n’y joint l’art de les acquérir. » — Voyez les maximes 159, 161, 377, et les 10e, 13e et 16e Réflexions diverses.
  405. Var. : Le plus grand art d’un habile homme est celui de savoir cacher son habileté. (1665.) — Meré (maxime 509) : « Le fin de la meilleure politique est de passer quelquefois pour avoir peu d’esprit, quoiqu’on en ait infiniment. » — La Bruyère (de la Cour, no 85, tome I, p. 332) : « C’est avoir fait un grand pas dans la finesse, que de faire penser de soi que l’on n’est que médiocrement fin. » — Voyez les maximes 117, 124, 125, 127 et 199.
  406. Var. : La générosité est un désir de briller par des actions extraordinaires ; c’est un habile et industrieux emploi du désintéressement, de la fermeté en amitié, et de la magnanimité, pour aller plus tôt à un plus grand intérêt. (Manuscrit.) — La générosité est un industrieux emploi du désintéressement, pour aller plus tôt à un plus grand intérêt. (1665.) — La maxime 27 de Meré reproduit, mot pour mot, la version définitive de la Rochefoucauld. — Voyez les maximes 39, 248, 285, 492 et 628.
  407. Var. : La fidélité est une invention rare de l’amour-propre, par laquelle l’homme, s’érigeant en dépositaire des choses précieuses, se rend lui-même infiniment précieux. De tous les trafics de l’amour-propre, c’est
  408. Var. : méprise tout, pour qu’on lui donne tout. (Manuscrit.) — Même idée que dans les maximes 246, 280 et 628.
  409. Cette réflexion est la réunion de deux maximes qui faisaient double emploi dans l’édition de 1665, sous les nos 272 et 274, et dans celles de 1666, 1671 et 1675, sous les nos 249 et 268 : « Il n’y a pas (1665 A et D : Il y a pas) moins d’éloquence dans le ton de la voix, que dans le choix des paroles. » — « Il y a une éloquence dans les yeux et dans l’air de la personne, qui ne persuade pas moins que celle de la parole. »
  410. Var. : L’éloquence est de ne dire que ce qu’il faut. (Manuscrit.) — Amelot de la Houssaye rappelle que le cardinal Mazarin se moquait de l’éloquence un peu trop castillane de don Luis de Haro, qui traita pour l’Espagne de la paix des Pyrénées : « Je lui repartis, dit le Cardinal dans une lettre à le Tellier, du 10 septembre 1659, qu’il me sembloit qu’il n’y avoit point de gens au monde qui se dussent plus éloigner de toutes les figures de rhétorique que lui et moi, qui devions nous servir des mots les plus simples, comme étant plus propres pour exposer les choses au vrai, et finir les affaires, laissant aux professeurs de rhétorique d’Alcala et de Salamanque à se prévaloir de cet art. »
  411. Var. : et d’autres qui sont dégoûtantes, malgré toutes les bonnes qualités. (Manuscrit.) — Cette pensée répète les maximes 90, 155, 273 et 354 ; voyez aussi la 3e des Réflexions diverses. — Vauvenargues dit avec raison, ce nous semble (p. 83) : « Une pensée si commune ne méritoit pas, je crois, d’être répétée. »
  412. Var. : qu’il est rare. (1665.)
  413. Var. : Le goût change, mais l’inclination ne change point. (Manuscrit.) — Cette pensée ne paraît pas claire ; l’abbé de la Roche l’explique ainsi : « C’est que les goûts sont souvent des caprices, et que les inclinations sont, pour l’ordinaire, des passions. » — L’auteur n’a-t-il pas plutôt voulu dire que les inclinations, invariables en elles-mêmes, ne varient que dans leurs objets ? — Voyez les maximes 13, 45, 625, la note de la 390e, la 563e, où se rencontre une proposition contradictoire à celle-ci, et la 10e des Réflexions diverses.
  414. Var. : L’intérêt donne toutes sortes de vertus et de vices. (Manuscrit et 1665.) — Pascal (Pensées, article IX, 1) : « Les hommes n’aiment naturellement que ce qui leur peut être utile. » — Voyez les maximes 171, 187 et 305. — Vauvcnargues (maxime 528, Œuvres, p. 449) — « L’intérêt est l’âme des gens du monde. »
  415. Var. : L’humilité n’est souvent qu’une feinte soumission, que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde ; c’est un mouvement de l’orgueil, par lequel il s’abaisse devant les hommes, pour s’élever sur eux ; c’est un déguisement et son premier stratagème ; mais quoique ses changements soient presque infinis, et qu’il soit admirable sous toutes sortes de figures, il faut avouer néanmoins qu’il n’est jamais si rare ni si extraordinaire que lorsqu’il se cache sous la forme et sous l’habit de l’humilité ; car alors on le voit les yeux baissés, dans une contenance modeste et reposée ; toutes ses paroles sont douces et respectueuses, pleines d’estime pour les autres et de dédain pour lui-même : si on l’en veut croire, il est indigne de tous les honneurs, il n’est capable d’aucun emploi ; il ne reçoit les charges où on relève que comme un effet de la bonté des hommes et de la faveur aveugle de la fortune. C’est l’orgueil qui joue tous ces personnages, que l’on prend pour l’humilité. (1665.) — Dans le manuscrit, conforme pour le reste à l’édition de 1665 : « … c’est son plus grand déguisement et son premier stratagème ; c’est comme il est que sans doute le Protée des fables n’a jamais été ; il en est un véritable dans la nature, car il prend toutes les formes, comme il lui plaît ; mais quoiqu’il soit merveilleux et agréable à voir sous toutes ses figures et dans toutes ses industries, il faut avouer néanmoins… » — Saint François de Sales (Introduction à la Vie dévote, livre III, chapitre v) : « Nous disons maintesfois que nous ne sommes rien, que nous sommes la misere mesme et l’ordure du monde ; mais nous serions bien marris qu’on nous prist au mot, et que l’on nous publiast tels que nous disons. Au contraire, nous faisons semblant de fuir et de nous cacher, à fin qu’on nous coure après et qu’on nous cherche ; nous faisons contenance de vouloir estre les derniers et assis au bas-bout de la table, mais c’est à fin de passer plus auantageusement au haut-bout. » — Pascal (Pensées, article I, 17) : « Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux, et d’humilité aux humbles Peu parlent de l’humilité humblement. » — substancient en autant de nouuelles figures et de nouueaux estres qu’ils entreprennent de charges. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvi) : « Nous ne viuons que par relation à aultruy ; nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous en effect et en vérité, comme quels nous soyons en la cognoissance pulilique ; » et (livre II, chapitre ii) : «  chascun de nous ioue deux roolles et deux personnages : l’vn estranger et apparent, l’autre propre et essentiel. Il faut discerner la peau de la chemise, » — Pascal (Pensées, article II, 1) : « Nous ne nous contenions pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paroître. » — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, vers la fin) : « Il fallut, pour son avantage, se montrer autre que ce qu’on étoit en effet. Être et paroître devinrent deux choses tout à fait différentes. … L’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l’opinion des autres… Nous n’avons qu’un extérieur trompeur. » — Mme de Sablé (maxime 19) : « L’on se soucie davantage de paroître tel qu’on doit être, que d’être en effet ce qu’on doit. » — Voyez la maxime 170, et les 2e et 3e Réflexions diverses.
  416. Var. : un geste. (1665.)
  417. Var. : … qui leur sont propres ; ce rapport, bon ou mauvais. fait les bons ou les mauvais comédiens, et c’est ce qui fait aussi que les personnes… (1665.) — Les peines et les sentiments ont chacun un ton de voix, une action et un air de visage qui leur sont propres ; c’est ce qui fait les bons ou les mauvais comédiens… (Manuscrit.) — Voyez la maxime 240, et les 3e et 4e Réflexions diverses.
  418. Var. : Dans toutes les professions et dans tous les arts, chacun se fait une mine et un extérieur qu’il met en la place de la chose dont il veut avoir le mérite : de sorte que tout le monde n’est composé que de mines, et c’est inutilement que nous travaillons à y trouver (1665 G : à trouver) rien de réel. (Manuscrit et i665 ; dans le manuscrit : à y trouver les choses.) — Montaigne (Essais, livre III, chapitre x, tome IV, p. 15 et 16) : « La pluspart de nos vacations sont farcesques ; mundus vniuersus exercet histrioniam (a) l’en veois qui se transforment et se transsubstancient en autant de nouuelles figures et de nouueaux estres qu’ils entreprennent de charges. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvi) : « Nous ne vivons que par relation à aultruy ; nous ne nous soucions pas tant quels nous soyons en nous en effect et en vérité, comme quels nous soyons en la cognoissance publique ; » et (livre II, chapitre ii) : « Vn chascun de nous ioue deux roolles et deux personnages : l’vn estranger et apparent, l’autre propre et essentiel. Il faut discerner la peau de la chemise. » — Pascal (Pensées, article II, i) : « Nous ne nous contenions pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paroître. » — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, vers la fin) : « Il fallut, pour son avantage, se montrer autre que ce qu’on étoit en effet. Être et paroître devinrent deux choses tout à fait différentes. … L’homme sociable, toujours hors de lui, ne sait vivre que dans l’opinion des autres… Nous n’avons qu’un extérieur trompeur. » — Mme de Sablé (maxime 19) : « L’on se soucie davantage de paroître tel qu’on doit être, que d’être en effet ce qu’on doit. » — Voyez la maxime 170, et les 2e et 3e Réflexions diverses.

    (a) Expression de Pétrone, citée en ces termes par Jean de Sarisbery (Joannis Saresbirtensis Policraticus, livre III chapitre viii) : Fere totus mundus, juxta Petronium, exercet histrioiem (var. : histrioniam). — L’annotateur contemporain et Amelot de la Houssaye attribuent cette phrase latine à Sénèque.

  419. Var. : La gravité est un mystère de corps qu’on a trouvé pour cacher le défaut d’esprit. (Manuscrit.) — Selon l’abbé Brotier (Observations, p. 522), « les sentiments ont toujours été partagés » sur cette réflexion. La Rochefoucauld consulta le grand Arnauld et Ninon de l’Enclos ; Arnauld prit le parti de la maxime, Ninon la condamna, et la Rochefoucauld ne l’en conserva pas moins, sans y rien changer. Sans doute, ajoute Brotier, il faut « un peu de mystère dans les pensées délicates ; mais ce mystère du corps n’est-il pas lui-même un peu trop mystérieux ? » Il n’en donne pas moins cette pensée pour très-ingénieuse et très-belle ; il la compare à « ces beautés du Guide, qui seroient peut-être moins piquantes, si elles étoient plus régulières. » — Amelot de la Houssaye cite cette réflexion d’un écrivain espagnol : « Tels n’ont que la façade, comme ces édifices qui demeurent inachevés, faute d’argent ; au dehors, c’est l’air d’un palais ; au dedans, c’est une masure, »
  420. Cette distinction entre le jugement et l’esprit est contradictoire à la maxime 97, où l’auteur prétend établir qu’ils sont identiques. On retrouve cette même contradiction dans la maxime 456. — Voyez les 10e et 13e Réflexions diverses.
  421. Var. : Le plaisir de l’amour est l’amour même et il y a plus de félicité dans la passion que l’on a que dans celle que l’on donne. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 262, 374 et 500. — « Distinguo, dit l’annotateur contemporain : pour le cœur, bon ; pour l’amour-propre, nego. Combien y a-t-il de gens qui sont plus contents de donner de la passion, que d’en recevoir ! »
  422. Var. : La civilité est une envie d’en recevoir ; c’est aussi un désir d’être estimé poli. (1665.) — Amelot de la Houssaye dit que la civilité sans distinction ressemble aux caresses des courtisanes.
  423. Var. : un second orgueil qu’on leur inspire. (Manuscrit et 1665.) — « On n’en inspire pas un second dit l’annotateur contemporain, mais on augmente le premier. » — Voyez les maximes 495 et 518.
  424. Var. : et on est toujours plus disposé de sacrifier tout le repos de ce qu’on aime, que de perdre la moindre partie du sien. (1665.) — … qu’à perdre la moindre partie du sien. (1666, 1671 et 1675.) — Voyez les maximes 259, 324, 374 et 500. — Aimé-Martin fait remarquer (p. 89 et 90) que Corneille a développé cette maxime dans ce passage de Tite et Bérénice (acte I, scène iii, vers 275-294) :

    domitian. [Je] trouve peu de jour à croire qu’elle m’aime,
    Quand elle ne regarde et n’aime que soi-même.
    ALBIN. Seigneur, s’il m’est permis de parler librement,
    Dans toute la nature aime-t-on autrement ?
    L’amour-propre est la source en nous de tous les autres…
    Vous-même, qui brûlez d’une ardeur si fidèle,
    Aimez-vous Domitie, ou vos plaisirs en elle ?
    Et quand vous aspirez à des liens si doux.
    Est-ce pour l’amour d’elle, ou pour l’amour de vous ?…
    Sa conquête est pour vous le comble des délices ;
    Vous ne vous figurez ailleurs que des supplices :
    C’est par là qu’elle seule a droit de vous charmer ;
    Et vous n’aimez que vous, quand vous croyez l’aimer.

  425. Var. : Il n’y a point de libéralité ; ce n’est que la vanité de donner… (1665.)
  426. I. Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxiv) : « Nous souspirons auec les affligez, compatissons à leur mal, ou pour ce que, par vn secret consentement, nous participons au mal les vns des aultres, ou bien que nous craignons on nous-mesmes ce qui arriue aux aultres. »
  427. Var. : que nous faisons à nous-mêmes. (1671.)
  428. Var. : La pitié est un sentiment de nos propres maux dans un sujet étranger ; c’est une prévoyance habile des malheurs où nous pouvons tomber, qui nous fait donner du secours aux autres, pour les engager à nous le rendre dans de semblables occasions, de sorte que les services que nous rendons à ceux qui en ont besoin (Manuscrit : à ceux qui sont accueillis de quelque infortune) sont, à proprement parler, des biens anticipés que nous nous faisons à nous-mêmes. (1665.) — … sont, à proprement parler, des biens que nous nous faisons anticipés. (Manuscrit.) — Quoique l’honnête homme ne doive se piquer de rien (maxime 203), on a vu (ci-dessus, p. 9 et 10) que la Rochefoucauld, dans son Portrait, se pique de n’être pas sensible à la pitié. — L’annotateur contemporain lait observer avec raison que le caractère donné ici à la pitié n’est autre que celui que l’auteur attribue à la reconnaissance, dans les maximes 228, 224, 226 et 298. — Aristote (Rhétorique, livre II, chapitre viii) : « La pitié est une douleur que nous sentons à la vue d’un mal immérité… qui arrive à autrui, et que nous prévoyons pouvoir un jour nous atteindre, nous-mêmes ou quelqu’un des nôtres. » — Ce qu’Aristote et la Rochefoucauld mettent au compte de la prévoyance, Virgile (Enéïde, livre I, vers 630) et la Bruyère le mettent au compte du souvenir :
    Non ignara mali, miseris succurrere disco.

    « Éprouvée par le malheur, je sais compatir aux malheurs des autres. » — « Les gens déjà chargés de leur propre misère sont ceux qui entrent davantage, par la compassion, dans celle d’autrui. » (De l’Homme, no 79.) — La Bruyère ajoute éloquemment (no 81) : « Une grande âme est au-dessus de l’injure, de l’injustice, de la douleur, de la moquerie, et elle seroit invulnérable, si elle ne souffroit par la compassion. » — Dans un autre passage (du Cœur, no 48, tome I, p. 207), on croirait qu’il s’est proposé de réfuter la Rochefoucauld : « S’il est vrai que la pitié ou la compassion soit un retour vers nous-mêmes qui nous met en la place des malheureux, pourquoi tirent-ils de nous si peu de soulagement dans leurs misères ? » — Il n’est pas besoin de dire que J. Esprit se rencontre avec la Rochefoucauld, puisque, nous en avons eu plus d’une preuve, il y avait entre eux et Mme de Sablé fonds commun : « La pitié, dit-il (tome I, p. 373), est un sentiment secrètement intéressé ; c’est une prévoyance habile, et on peut l’appeler, fort proprement, la providence de l’amour-propre. » Plus loin (tome I, p. 376 et p. 386), il n’y voit qu’un affaiblissement, « un amollissement de l’âme ; » enfin (tome I, p. 377), il affirme que « les personnes humides, » c’est-à-dire celles en qui « la pituite domine, » sont plus accessibles à la pitié que toutes les autres. — Voyez la 2e des Réflexions diverses.

  429. Var. : fait souvent l’opiniâtreté. (1665.)
  430. Dans le manuscrit, les deux membres de phrase dont se compose cette réflexion forment deux maximes séparées. — Mme de Sablé (maximes 7 et 41) : « Les esprits médiocres, mais mal faits, surtout les demi-savants, sont les plus sujets à l’opiniâtreté… » — « La petitesse de l’esprit, l’ignorance et la présomption font l’opiniâtreté, parce que les opiniâtres ne veulent croire que ce qu’ils conçoivent, et qu’ils ne conçoivent que fort peu de choses. » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre xiii, tome IV, p. 117) : « L’affirmation et l’opiniastreté sont signes exprez de bestise. » — Le même (livre III, chapitre viii, tome III, p. 427) : « L’obstination et ardeur d’opinion est la plus seure prenne de bestise. Est-il rien certain, résolu, desdaigneux, contemplatif, graue, sérieux, comme lasiie ? » — Vauvenargues dit, de son côté (maxime 800, Œuvres, p. 480) : « Les hommes pesants sont opiniâtres. » — Voyez les maximes 337, 357, 373 et 623.
  431. Var. : On s’est trompé quand on a cru qu’il n’y avoit que les violentes passions, coninie, etc., qui pussent… — (1665.)
  432. Var. : elle y détruit et y consomme insensiblement toutes les passions et toutes les vertus. (1665.) — On s’est trompé quand on a cru, après tant de grands exemples, que l’ambition et l’amour triomphent toujours des autres passions ; c’est la paresse, toute languissante qu’elle est, qui en est le plus souvent la maîtresse : elle usurpe insensiblement sur tous les desseins et sur toutes les actions de la vie ; enfin elle émousse et éteint toutes les passions et toutes les vertus. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 169, 398, 512 et 630. — Mme de Sablé, à propos de cette réflexion, écrivait, en 1664, à la duchesse de Schomberg, dans une lettre qui se trouve parmi les manuscrits de la Bibliotbèque impériale (Portefeuilles de Vallant, tome II, f° 186) : « L’auteur a trouvé dans son humeur la maxime de la paresse, car jamais il n’y en a eu une si grande que la sienne, et je crois que son cœur, aussi inofficieux qu’il est, a autant ce défaut par sa paresse que par sa volonté ; elle ne lui a jamais pu permettre de faire la moindre action pour autrui, et je crois que parmi ses grands désirs et ses grandes espérances, il est quelquefois paresseux pour lui-même. » — Évidemment, lorsque la quinteuse marquise écrivait ces lignes, assez cruelles pour son ami, elle était de mauvaise humeur, ou peut-être dans un moment de brouille avec lui. Mme de Sévigné, au contraire, dans maint endroit de ses Lettres, nous dit combien le commerce de la Rochefoucauld était fidèle et sur : non-seulement il savait s’attacher et se conserver des amis, mais il apprenait à Mme de la Fayette à s’en faire. (Voyez, entre autres, la Lettre de Mme de Sévigné, du 26 février 1690, tome IX, p. 474.)
  433. Var. : un effet de la paresse et de l’orgueil. (1666, 1671 et 1675.) — La promptitude avec laquelle nous croyons le mal, sans l’avoir assez examiné, est un effet de la paresse et de l’orgueil. (1665.) — est souvent un effet de paresse, qui se joint à l’orgueil. (Manuscrit.)
  434. Il semble qu’ici le mot crimes soit pris au sens du latin crimen, griefs, chefs d’accusation. — Voyez les maximes 31, 397, 483 et 513. — Mme de Sablé (maxime 61) : « Il n’y a rien qui n’ait quelque perfection : c’est le bonheur du bon goût de la trouver en chaque chose ; mais la malignité naturelle fait souvent découvrir un vice entre plusieurs vertus, pour le relever et le publier, ce qui est plutôt une marque de mauvais naturel qu’un avantage du discernement, et c’est bien mal passer sa vie, que de se nourrir toujours des imperfections d’autrui. »
  435. Var. : Nous récusons tous les jours des juges pour les plus petits intérêts, et nous faisons dépendre notre gloire et notre réputation, qui sont les plus grands biens du monde, du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur malignité, ou par leur préoccupation (a), ou par leur sottise ; et c’est pour obtenir d’eux un arrêt en notre faveur, que nous exposons notre repos et notre vie, en cent manières, et que nous la condamnons à une infinité de soucis, de peines et de travaux. (1665.) — La Bruvère dit de même (de l’Homme, no 76) : « Nous cherchons notre bonheur hors de nous-mêmes, et dans l’opinion des hommes, que nous connoissous flatteurs, peu sincères, sans équité, pleins d’envie, de caprices et de préventions : quelle bizarrerie ! » — Boileau (épitre III, vers 28-30) :

    Des jugements d’autrui nous tremblons follement,
    Et chacun l’un de l’autre adorant les caprices,
    Nous cherchons hors de nous nos vertus et nos vices.

    — J. J. Rousseau (Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes) : « Il y a une sorte d’hommes qui savent être heureux et contents d’eux-mêmes sur le témoignage d’autrui, plutôt que sur le leur propre. » — Vauvenargues réfute ainsi la Rochefoucauld (p. 83) : « Il n’est pas vrai que les hommes nous soient tous contraires ; plusieurs sont préoccupés en notre faveur, par leur propre intérêt, ou par les ressemblances qu’ils ont avec nous. D’ailleurs, quand nous récusons des juges pour un intérêt de fortune, c’est parce qu’on peut nous en donner d’autres ; mais lorsque nous nous remettons de notre gloire au jugement des hommes, c’est que nous ne pouvons l’obtenir que des hommes, et qu’il n’existe pas pour nous d’autre tribunal : encore se trouve-t-il des opiniâtres qui en appellent à la postérité. L’auteur des Maximes se trompe donc, ainsi que la plupart des philosophes ; les hommes sont inconséquents dans leurs opinions ; mais, dans la conduite de leurs intérêts, ils ont un instinct qui les dirige, et la nature, qui préside à leurs passions, sauve presque toujours leur cœur des contradictions de leur esprit. »

    (a) Ces mots : « ou par leur préoccupation, » manquent dans 1665 C, qui, à la fin de la maxime, omet aussi de devant travaux.

  436. Var. : assez pénétrant pour apercevoir tout le mal qu’il fait. (Manuscrit.) — On ne voit pas pourquoi l’auteur a renoncé à cette première rédaction, qui semble plus précise. — Vauvenargues pense, de son côté (maxime 313, Œuvres, p. 419), que « nous n’avons ni la force ni les occasions d’exécuter tout le bien et tout le mal que nous projetons. » — Voyez les maximes 295 et 460.
  437. Var. : L’honneur que l’on acquiert est caution de celui que l’on doit acquérir. (Manuscrit.) — « Quelquefois mauvaise caution, » dit l’annotateur contemporain. — Voyez les maximes 150, 598 et 599.
  438. Var. : c’est la fièvre de la santé ; c’est la folie de la raison. (1665.) — c’est la fièvre de la vie ; c’est la folie de la raison. (1666.) — Nous avons déjà cité plus haut, p. 63, note 1, ce que Platon (des Lois, livre II) dit de « l’ardente jeunesse, incapable de rester en repos. » Fénelon (Télémaque, livre IV) l’appelle « un temps de folie et de fièvre ardente. » — La Rochefoucauld reprendra la comparaison de la fièvre pour l’appliquer à l’amour (maxime 638).
  439. Var. : qui ont mérité quelque louange. (Manuscrit.)
  440. Ces petites choses seraient-elles, par hasard, les Maximes, que la Rochefoucauld composa après avoir ardemment et vainement poursuivi dans le monde la réputation et la gloire? On serait tenté de le croire, au mot quelque louange de la première version. On emploie volontiers ces correctifs modestes en parlant de soi, ou en pensant à soi.
  441. Var. : Il y a des hommes, que l'on estime, qui n'ont pour toute vertu que des vices qui sont propres à la société et au commerce de la vie. (Manuscrit.) - Voyez les maximes 90, 155, 231, 354, 468, et la Lettre du chevalier de Meré, que nous donnons plus loin.
  442. Var. : La nouveauté est à l’amour ce que la fleur est sur le fruit : elle lui donne… (Manuscrit.)
  443. Voyez la maxime 286, et les 9e et 18e Réflexions diverses. — Saint-Évremond dit à peu près de même (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis. Œuvres mêlées, p. 293) : « Ces grâces (les grâces de la nouveauté) ressemblent à une certaine fleur que la rosée répand sur les fruits ; il est peu de mains assez adroites pour les cueillir sans les gâter. »
  444. Var. : La nature, qui se pique d’être si sensible, est d’ordinaire arrêtée par le plus petit intérêt. (Manuscrit.) — Le bon naturel, qui se vante d’être toujours sensible, est, dans la moindre occasion, étouffé par l’intérêt. (1665.) — Voyez la maxime 171.
  445. Var. : L’absence fait que les médiocres passions diminuent, et que les grandes croissent, comme le vent éteint… (Manuscrit.) — Faut-il rappeler qu’au moment de la guerre de Guienne, Mme de Longueville partit en avant pour Montrond, la Rochefoucauld étant retenu à Paris, et que, pendant cette courte séparation, elle le quitta pour le brillant duc de Nemours ? — Saint François de Sales (Introduction à la Vie dévote, livre III, chapitre xxxiii) : « Ce sont les grands feux qui s’enflamment auvent ; mais les petits s’esteignent, si on ne les y porte à couuert. » — Si l’on en croit Montaigne, l’absence ravivait en lui l’amour et l’amitié (Essais, livre III, chapitre ix, tome III, p. 484 et p. 487) : « Quant aux debuoirs de l’amitié maritale, qu’on pense estre intéressez par cette absence, ie ne le crois pas… et chascun sent, par expérience, que la continuation de se veoir ne peult représenter le plaisir que l’on sent à se desprendre
  446. Var. : quoiqu’elles n’aiment pas. (1665.)
  447. « Leur persuade, » au singulier, dans les éditions de 1665 et de 1666.
  448. Var. : lorsqu’elles n’ont, tout au plus, que de la coquetterie. (1665.) — Voyez les maximes 241, 332 et 334.
  449. Var. : quasi toujours. (1665.)
  450. Var. : pour l’intérêt du fonds de la négociation. (1665.)
  451. Var. : par la gloire d’avoir réussi… (1665.)
  452. La maxime 23 de Mme de Sablé dit le contraire : « On a souvent plus d’envie de passer pour officieux, que de réussir dans les offices, et souvent on aime mieux pouvoir dire à ses amis qu’on a bien fait pour eux, que de bien faire en effet. » — Amelot de la Houssaye parle, au sujet de cette réflexion, de la conduite que d’Ossat tint à Rome lorsqu’il y négocia, comme ambassadeur, l’absolution de Henri IV, et il cite sa lettre au Roi du 4 janvier 1595. et reprendre à secousses. Ces interruptions me remplissent d’une amour récente enuers les miens… Eu la vraye amitié, de laquelle ie suis expert, ie me donne à mon amy, plus que ie ne le tire à moy…, et si l’absence luy est ou plaisante ou vtile, elle m’est bien plus doulce que sa présence… — La séparation du lieu rendoit la conionction de nos volontez plus riche. » (Montaigne parle de son ami la Boëtie.) — Voyez la note 2 de la page 266.
  453. Var. : Le plus souvent, quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c’est moins par reconnoissance que par un désir habile de faire juger de notre mérite. (Manuscrit et 1665 ; le manuscrit, après juger, ajoute : avantageusement.) — Il y a beaucoup de ressemblance entre cette maxime et la 134e.
  454. Var. : est bien souvent une envie secrète que l’on a contre ceux qui y sont établis. (Manuscrit et 1665 ; dans le manuscrit il y a bien devant établis.) — Voyez la maxime 198.
  455. Var. : L’orgueil, qui inspire souvent de l’envie contre les autres, sert parfois aussi à la calmer. (Manuscrit.) — « Malgré nous, » dit l’annotateur contemporain.
  456. Var. : Il y a des tromperies déguisées qui imitent si bien la rité, que ce seroît mal juger que de ne s’y pas laisser prendre. (Manuscrit.) — Charron (de la Sagesse, lire II, chapitre x) : « Dict Aristote qu’il y a plusieurs faulsetés qui sont plus probables et ont plus d’apparence que des vérités. »
  457. Var. : Il n’y a quelquefois pas moins d’habileté à savoir profiter d’un bon conseil qu’on nous donne. (1665.)
  458. Charron (de la Sagesse, livre II, chapitre x) : « Vn autre précepte en ceste matière (la prudence) est de prendre aduis et conseil d’aultruy ; car se croire et se fier en soi seul est très dangereux. » — Mme de Sablé (maxime 56) : « Il y a de l’esprit à savoir choisir un bon conseil, aussi bien qu’à agir de soi-même. Les plus judicieux ont moins de peine à consulter les sentiments des autres, et c’est une sorte d’habileté de savoir se mettre sous la bonne conduite d’autrui. » — La réflexion de la Rochefoucauld est conforme, quant au sens, à la maxime 639 ; mais elle contredit la 378e, où l’auteur nie l’eflicacité des conseils. — Voyez aussi son Portrait par lui-même, ci-dessus, p. 9.
  459. Var. : Il y a de méchants hommes qui seroient moins dangereux. (1665.)
  460. Var. : La magnanimité s’entend assez d’elle-même. (Manuscrit.)
  461. Var. : on pourroit dire toutefois. (1665.) — Voyez les maximes 246, 248 et 628, où l’auteur traite moins bien cette vertu.
  462. Var. : On n’aime pas une seconde fois, quand on a cessé d’aimer. (Manuscrit.) — « Bien, dit Tannotateur contemporain, pour aimer aussi fortement ; car on renoue tous les jours. » — Voyez la maxime 560.
  463. Var. : Ce n’est pas la fertilité de l’esprit qui fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire ; c’est plutôt le défaut de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à l’imagination, et qui nous empêche de discerner d’abord ce qui nous est propre. (1665.) — Cette première version n’est-elle pas à regretter, quant à la construction et à la coupe de la phrase ? — Saint-Évremond, en parlant d’Annibal (Réflexions sur les divers génies du peuple romain, chapitre vii) : « Il est certain que les esprits trop fins se font des difficultés dans les entreprises, et s’arrêtent eux-mêmes par des obstacles qui viennent plus de leur imagination que de la chose. »
  464. Var. : Il y a des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent, et on peut dire que la grande habileté consiste à savoir connoître les temps où il est dangereux d’en faire. (1665.) — Voyez la maxime 392. — La 288e était, sous le no 316 (par erreur, pour 317, voyez ci-après, p. 266, note 2), la dernière de l’édition de 1665, sauf la longue réflexion sur la mort, qui suivait, sans numéro, sous forme d’appendice. Les maximes suivantes, jusqu’à la 301e inclusivement, appartiennent à la 2e édition (1666), à l’exception des 293e et 297e, qui sont déjà, sous les chiffres 17 et 48, dans la 1er édition (1665). mérite qui doivent aussi le craindre. » — « Personne ne peut se vanter de n’avoir jamais été méprisé, » dit Vauvenargues (maxime 888, Œuvres, p. 488).
  465. Voyez la maxime 107.
  466. Voyez la maxime 45, et la note de la maxime 414.
  467. Voyez les maximes 211 et 379.
  468. Var. : L’humeur, comme la plupart des bâtiments, a des faces qui ne sont pas les mêmes. (Manuscrit.)
  469. Var. : La modération, dans la plupart des hommes, n’a garde de combattre et de soumettre l’ambition, puisqu’elles ne se peuvent trouver ensemble, la modération n’étant d’ordinaire qu’une paresse, une langueur, et un manque de courage : de manière qu’on peut justement dire à leur égard que la modération est une bassesse de l’âme, comme l’ambition en est l’élévation. (1665, no 17.) — « Faux, dit l’annotateur contemporain : la modération se trouve avec l’ambition ; elle la suspend, elle l’arrête; elle en est, pour ainsi dire, la digue et le parapet. » — Plus loin (maxime 308), dans une réflexion contradictoire à celle-ci, la Rochefoucauld reconnaîtra lui-même, au moins implicitement, que la modération peut se rencontrer avec l’ambition, dans un même sujet. — Vauvenargues (variante à sa maxime 73, Œuvres, p. 381) dit également que « la modération du foible n’est que paresse et vanité. » — Voyez les maximes 17, 18 et 565.
  470. Var. : mais nous n’aimons pas toujours de même ceux que nous admirons. (Manuscrit.) — La seconde moitié de cette réflexion et celle de la maxime 296 ont à peu près le même sens. — Duclos (tome I, p. 204, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xi) : « Il me semble que les hommes n’aiment point ce qu’ils sont obligés d’admirer. »
  471. Cette négation est omise dans l’édition de Duplessis (1853).
  472. Var. : Il s’en faut bien que nous ne sachions tout ce que nous voulons. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 269, 332, 460 et 575.
  473. Duplessis donne à tort « ce que, » au lieu de « ceux que. » Cette leçon ne se trouve qu’au manuscrit, et cet éditeur ne l’a pas connu.
  474. Var. : Il est difficile d’aimer ce que nous n’estimons pas, et il l’est aussi d’aimer ce que nous estimons plus que nous. (Manuscrit.) — Voyez la note précédente et la maxime 294.
  475. Var. : Nous ne nous apercevons que des emportements et des mouvements extraordinaires de nos humeurs et de notre tempérament,comme de la violence de la colère (le manuscrit ajoute : etc.) ; mais personne quasi ne s’aperçoit que ces humeurs ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et tourne doucement et imperceptiblement notre volonté à des actions différentes ; elles roulent ensemble, s’il faut ainsi dire, et exercent successivement un empire secret en nous-mêmes, de sorte qu’elles ont une part considérable en toutes nos actions, sans que nous le puissions reconnoître. (Manuscrit et 1665, no 48 ; dans le manuscrit, au lieu de sans que, etc. : « dont nous croyons être les seuls auteurs. » ) — Voyez les maximes 44 e^t 564.
  476. Var. : Les hommes sont reconnoissants des bienfaits, pour en recevoir de plus grands. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 85, 223, 224, 247 et 306. — Pline le Jeune dit, dans un sens voisin (livre III, lettre iv) : Est… ita comparatum ut antiquiora beneficia sulivertas, nisi illa posterioribus cumules ; nam, quamlibet sæpe obligati, si quid unum neges, hoc solum meminerunt quod negatum est. « Il en est ainsi : tous détruisez vos premiers bienfaits, si de seconds n’y viennent mettre le comble ; que vous ayez obligé cent fois, si vous refusez une, on ne se souviendra que du refus. »
  477. Var. : Presque tout le monde s’acquitte des petites obligations, et aussi des médiocres ; mais il n’y en a guère qui aient de la reconnaissance pour les grandes. (Manuscrit.) — L’abbé Brotier (Observations, p. 225 et 226) fait un grand éloge de cette réflexion, aussi bien que des maximes 223, 224, 226, 226 et 438, qui traitent également de la reconnaissance. « C’est, selon lui, tout ce qu’on peut dire de plus spirituel. » — Le passage suivant des Mémoires de la Rochefoucauld peut servir de commentaire à sa maxime : « Je ne trouvai dans la suite guère plus de reconnoissance de son côté (il s’agit de Mme de Chevreuse), pour m’être perdu cette seconde fois afin de demeurer son ami, que j’en venois de trouver dans la Reine ; et Mme de Chevreuse oublia, dans son exil, aussi facilement tout ce que j’avois fait pour elle, que la Reine avoit oublié mes services, quand elle fut en état de les récompenser. » (Édition Renouard, Paris, 1817, p. 72, revue par nous sur le texte du manuscrit de la Rocheguyon.) — Mme de Sablé (maxime 12) dit que l’ingrat voudroit même n’avoir pas son bien facteur pour témoin de son ingratitude.
  478. Var. : Il y a des folies que l’on prend des autres, comme les rhumes et les maladies contagieuses. (Manuscrit.) — L’annotateur contemporain ajoute : « Il y en a d’autres qui tiennent comme la gale et la teigne. »
  479. Var. : Il y a des gens qui méprisent le bien, mais peu savent le bien donner. (Manuscrit.) — Tacite (Histoires, livre I, chapitre xxx) : Perdere iste (Otho) sciet, donare nesciet. « Il saura gaspiller, il ne saura pas donner » — La Bruyère (du Cœur, no 46, tome I, p. 207) : « La libéralité consiste moins à donner beaucoup qu’à donner à propos. » — Le même (de la Cour, no 45, tome I, p. 315) : « C’est rusticité que de donner de mauvaise grâce : le plus fort et le plus pénible est de donner ; que coûte-t-il d’y ajouter un sourire ? » — Corneille avait déjà dit dans le Menteur (acte I, scène i, vers 89 et 90) :

    Tel donne à pleines mains qui n’oblige personne :
    La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne.

  480. Var. : Ce n’est que dans les petits intérêts où nous consentons de ne pas croire aux apparences. (Manuscrit.) — Cette maxime et les suivantes, jusqu’à la 340e inclusivement, datent de la 3e édition (1671).
  481. « On nous apprend quelquefois, dit l’annotateur contemporain, quelque chose de nouveau, mais nous croyons toujours le savoir. » — Voyez les maximes 2 et 600.
  482. Voyez les maximes 352 et 555.
  483. Voyez les maximes 187 et 253.
  484. Var. : On ne fait point d’ingrats tout le temps qu’on peut faire du bien. (Manuscrit.) — Cette réflexion revient à la maxime 298.
  485. L’annotateur contemporain demande quel est le sens du mot de glorieux ; Duplessis lui répond (p. 188) : « La Rochefoucauld veut dire qu’il faut avoir un grand respect de soi-même et de sa propre dignité, pour ne rien faire qui en soit indigne ; mais aussi qu’il seroit ridicule de faire sentir aux autres la supériorité que l’on peut ou que l’on croit avoir sur eux. Le mot glorieux est entendu ici dans un double sens très-admissible, et fait un excellent effet. » — Au fond, cette maxime de bienséance se rapporte à la 203e.
  486. « La modération des grands hommes, dit Vauvenargues (maxime 72, Œuvres, p. 381), ne borne que leurs vices. »
  487. La Harpe (tome VII, p. 267 et 268) répond, avec bien de la hauteur, à la Rochefoucauld : « Autant de mots, autant d’erreurs. L’homme ne fait point de vertus : la modération en est une, parce qu’elle est opposée à tous les excès, qui sont des vices. Les grands hommes ne sont point tous des ambitieux, et le désir de paraître modéré n’arrête point ceux qui ont de l’ambition ; et comment un moraliste peut-il faire entendre que la modération n’est le partage que des gens médiocres ? Cette maxime est incompréhensible dans tous les points. » — Voyez les maximes 293 et 565.
  488. Var. : Il y a des gens qui sont nés pour être fous, et qui ne font pas seulement des folies par eux-mêmes, mais que la fortune contraint d’en faire. (Manuscrit.) — Voyez la maxime 156.
  489. Mme de Sablé (maxime 24) : « Les bons succès dépendent quelquefois du défaut de jugement, parce que le jugement empêche souvent d’entreprendre plusieurs choses que l’inconsidération fait réussir. » — Caton le poëte avait déjà dit (livre II, distique 18) :
    Insipiens esto, quum tempus postulat aut res.

    « Sois déraisonnable, lorsque l’occasion ou la chose le demande. » — Aimé-Martin (p. 102-104) voit dans cette réflexion une allusion possible au marquis de Pomenars, dont Mme de Sévigné raconte si gaiement les folles aventures (voyez, entre autres passages, ceux du tome II, p. 235 et 286, 255, 294, 295, 411). La pensée de la Rochefoucauld est d’une portée plus générale ; par exemple, on l’appliquerait fort bien à la guerre, et l’on se rencontrerait avec le maréchal de Bellegarde, qui, selon le marquis de Fortia, avait coutume de dire : « À la guerre, il ne faut pas être trop sage. » — Voyez les maximes 163 et 209.

  490. Var. : S’il y a des gens dont on ne trouve point le ridicule, c’est qu’on ne cherche pas bien. (Manuscrit.)
  491. Var. : Ce qui fait que les amants ont du plaisir d’être ensemble. (Manuscrit.)
  492. Var. : Pourquoi faut-il que nous ayons toujours assez de mémoire pour retenir tout ce qui nous est arrivé, et que nous n’en ayons jamais assez pour savoir combien de fois nous l’avons conté à une même personne ? (Manuscrit.) — Voyez la maxime suivante, la 364e, et la 4e des Réflexions diverses.
  493. Cette réflexion est comme la conclusion de la précédente. — Voyez les maximes 138, 139, 364, 510, et la 4e des Réflexions diverses. — Pascal (Pensées, article VI, 56) : « Voulez-vous qu’on croie du bien de vous ? n’en dites pas. »
  494. Var. : Ce qui fait que nous nous cachons à nos amis, n’est pas la défiance que nous avons d’eux, mais celle que nous avons de nous. (Manuscrit.) — Selon plusieurs autres maximes (62, 184, 327, 383, 494 et 609), cette défiance ne nous empêche pas d’avouer parfois nos défauts, par vanité, ou par adresse.
  495. Var. : Les gens foibles ne sauroient avoir de sincérité. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 62 et 445. — L’annotateur contemporain objecte que parfois elles ne sont que trop sincères.
  496. Livre de l’Ecclésiastique (chapitre xxv, verset 11) : Beatus… qui non servit indignis. « Heureux qui ne dépend pas d’hommes indignes. » — Voyez les maximes 96 et 229. — La Bruvère (du Cœur, no 46, tome I, p, 206) : « Je ne sais si un bienfait qui tombe sur un ingrat, et ainsi sur un indigne, ne change pas de nom, et s’il méritoit plus de reconnoissance. »
  497. Var. : Ou a des moyens pour guérir des fous de leur folie, mais on n’en a point pour redresser des esprits de travers. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 448 et 502.
  498. Bienfacteurs, dans les éditions de 1671 et de 1675.
  499. La Bruyère (de la Société et de la Conversation, no 62, tome I, p. 236) : « L’on ne peut aller loin dans l’amitié, si l’on n’est pas disposé à se pardonner les uns aux autres les petits défauts. »
  500. Var. : Louer les rois des qualités qu’ils n’ont pas n’est que leur dire des injures. (Manuscrit.) — L’annotateur contemporain conclut ainsi : « Que l’on dit donc d’injures, et d’injures même dont on est pavé ! » — Tacite rapporte (Annales, livre XIII, chapitre iii) que quand Néron, faisant le panégyrique de l’empereur Claude, le loua de sa prévoyance et de sa sagesse, on ne put s’empêcher de rire, bien que le discours eût été composé par Sénèque. — Montaigne dit à peu près dans le même sens que la Rochefoucauld (Essais, livre I, chapitre xxxix, tome I, p. 354) : « C’est vne espèce de mocquerie et d’iniure de vouloir faire valoir vn homme par des qualitez mesaduenantes à son rang. »
  501. « Faux, dit l’annotateur contemporain : il y a bien des gens de
  502. Cicéron dit de même dans un passage traduit de Théophraste (Tusculanæ quæstiones, livre V, chapitre ix) :
    Vitam regit fortuna, non sapientia.

    « C’est le hasard, et non la sagesse, qui dirige notre vie. » — Montaigne (Essais, livre III, chapitre viii, tome III, p. 420) : « Nostre sagesse mesme et consultation suyt, pour la pluspart, la conduicte du hasard. » — Cette pensée revient souvent, ici à propos de la fortune ou du hasard, là à propos de l’humeur ; dans la maxime 45, c’est surtout l’humeur qui gouverne le monde ; dans les maximes 153 et 154, c’est la fortune ; dans les 61e et 435e, elles le gouvernent ensemble. — Voyez encore les maximes 380, 470 et 631.

  503. Dans la maxime 28, l’auteur justifie cet amour-propre. — Voyez les maximes 262, 374 et 500.
  504. La Bruyère (du Cœur, no 35, tome I, p. 204) : « Ce n’est guère par vertu ou par force d’esprit que l’on sort d’une grande affliction ; l’on pleure amèrement, et l’on est sensiblement touché ; mais l’on est ensuite si foible ou si léger, que l’on se console. » — Quant à Vauvenargues, c’est sur le courage que, dans ce cas, il compte : « Le courage a plus de ressources contre les disgrâces que la raison » (maxime 19, Œuvres, p. 375).
  505. Voici comment la marquise de Lambert apprécie cette réflexion, qu’elle cite d’ailleurs inexactement (Premier avis d’une mère à son fils, Paris, 1726, p. 45) : « M. de la Rochefoucauld dit que le déshonorant offense moins que le ridicule ; je penserois comme lui, par la raison qu’il n’est au pouvoir de personne d’en déshonorer un autre : c’est notre propre conduite, et non les discours d’autrui qui nous déshonorent. Les causes du déshonneur sont connues et certaines ; le ridicule est purement arbitraire. » — Si Mme de Lambert juge que le ridicule n’est qu’arbitraire, la Bruyère en reconnaît au moins un comme réel et permanent : « L’homme ridicule, dit-il (des Jugements, no 47), est celui qui, tant qu’il demeure tel, a les apparences du sot. Le sot ne se tire jamais du ridicule ; c’est son caractère. » — Duclos (tome I, p. 174, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre ix) ; « Le ridicule est le fléau des gens du monde, et il est assez juste qu’ils aient pour tyran un être fantastique. »
  506. La Bruyère (de l’Homme, no 67) : « Les hommes parlent de manière, sur ce qui les regarde, qu’ils n’avouent d’eux-mêmes que de petits défauts. » — Voyez les maximes 184, 383, 424, 442, 554, 609, et la 5e des Réflexions diverses.
  507. L’auteur dira pourtant (maxime 376) que la véritable amitié désarme l’envie. — Voyez aussi les maximes 433, 476 et 486.
  508. Var. : On croit haïr les flatteurs, mais on ne hait que les mauvais. (Manuscrit.)
  509. Dans une lettre qui se trouve parmi celles de Mme de Sévigné (tome III, p. 212, texte et note 8), Mme de la Fayette dit à son amie : « Voici une question entre deux maximes : On pardonne les infidélités, mais on ne les oublie point. — On oublie les infidélités, mais on ne les pardonne point. » Bien que vraisemblablement toutes les deux soient de la Rochefoucauld, elles ne sont pas dans son recueil ; nous avons cru néanmoins devoir les rapprocher de celle-ci. — La Bruyère (du Cœur, no 18, tome I, p. 201) : « Quelque délicat que l’on soit en amour, on pardonne plus de fautes que dans l’amitié. » — Voyez la note de la maxime 385, et la maxime 545.
  510. Var. : Il est difficile de demeurer fidèle à ce qu’on aime quand on en est heureux. (Manuscrit.) — Il est plus difficile d’être fidèle quand on est heureux que quand on est maltraité. (1671 et 1675.) — Voyez la maxime 381.
  511. « De même que les hommes, » ajoute l'annotateur contemporain. - Voyez les maximes 241, 277, 295, 334 et 349.
  512. Publius Syrus :
    Aut amat, aut odit mulier ; nihil est tertium.

    « La femme aime, ou hait ; pas de milieu. »

  513. Cependant tout à l’heure, dans la maxime 349, et surtout dans la 376e l’auteur admettra que l’amour peut détruire la coquetterie. — Voyez encore les maximes 241, 277 et 332. — Duplessis (1853) donne à tort supporter, pour surmonter.
  514. Voyez les maximes 336, 348, 371, 553 et 557.
  515. La Bruyère pense (du Cœur, no 29, tome I, p. 203) qu’un violent amour sans délicatesse (mot qui exprime pour lui une sorte de jalousie) est un paradoxe, et la Rochefoucauld va reconnaître (maxime 371) que, dans ce cas, l’amant ne peut imputer qu’à lui-même son aveuglement. — La Bruyère ajoute (ibidem) : « Le tempérament a beaucoup de part à la jalousie, et elle ne suppose pas toujours une grande passion. » — Voyez les maximes 348, 553 et 557.
  516. Var. : Il est souvent des bonnes qualités comme des sens : ceux qui ne les ont pas ne s’en peuvent douter. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 265, 375 et 623.
  517. Var. : La haine met au-dessous de ceux que l’on hait. (Manuscrit.) — Cette première version eût donné satisfaction à Aimé-Martin, qui répond (p. 108 ; à la maxime définitive : « Elle (la haine) produit toujours cet effet ; le degré n’y fait rien. »
  518. « Je voudrais, dit Aimé-Martin (p. 109), que le duc de la Rochefoucauld pût me dire quel secours il tirait de l’amour-propre pour adoucir les tortures de la goutte, et comment cette passion vint à son aide, lorsqu’en 1672 il apprit, en un même jour, qu’un de ses fils était mort au passage du Rhin, un autre blessé, et que la cour pleurait la perte du jeune duc de Longueville ? » — Voyez les maximes 464 et 528.
  519. Voyez les maximes 346 et 415.
  520. Var. : La jeunesse est souvent plus près de son salut que les vieilles gens. (Manuscrit.) — Par inadvertance, Duplessis donne « la tiédeur des jeunes gens. » — Cette maxime et les suivantes (sauf les 372e et 375e), jusqu’à la 412e incluse, datent de la 4e édition (1675).
  521. Le chartreux dom Bonaventure d’Argonne (Vigneul-Marville, tome I, p. 324) rapporte cette maxime au duc d’Épernon, qui ne put jamais se défaire de son accent gascon ; Aimé-Mariin (p. 110) y voit, avec plus de vraisemblance, une allusion à Mazarin. — Mme de Rohan, abbesse de Malnone (voyez plus loin, dans ce volume, sa lettre sur les Maximes), déclare qu’elle ne connaît point ces accents qui demeurent dans l’esprit et dans le cœur. — Peut-être est-ce pour répondre à cette critique que l’auteur, selon le Supplément de l’édition de 1693 (no 19), aurait ainsi modifié le commencement de cette pensée : « L’accent et le caractère du pays… » Sous cette forme, la maxime pouvait encore mieux s’appliquer à Mazarin.
  522. L’auteur avait-il en vue le comte d’Harcourt ? En tout cas, il lui reproche plusieurs fois dans les Mémoires de n’avoir pas su profiter de tous ses avantages et d’avoir laissé échapper des occasions « où sa fortune et la négligence des troupes de Monsieur le Prince lui avoient offert une entière victoire. » — Voyez les maximes 169 et 437.
  523. Le Supplément de 1693 (no 20) n’a pas le mot cachées. — Voyez les maximes 404, 505 et 594.
  524. Le Supplément de 1693 (no 30) n’a pas encore plus. — Cette réflexion n’est au fond qu’une variante de la précédente. — Voyez les maximes 370, 380 et 470. — Dans une lettre de Mme de Longueville à Mme de Sablé (Portefeuilles de Vallant), lettre dont la Rochefoucauld eut sans doute communication, se trouve une pensée analogue : « Les occasions ne nous font point ce que nous sommes, mais elles nous montrent qui nous sommes. » — Il serait piquant de penser que la Rochefoucauld, depuis longtemps brouillé avec Mme de Longueville, lui eût cependant emprunté l’idée d’une maxime. Il était de ceux qui, comme Molière, prennent leur bien partout ou ils le trouvent. — Voyez plus haut, p. 87, note 2.
  525. Vauvenargues (maxime 681, Œuvres, p. 469) : « Les femmes ont, pour l’ordinaire, plus de vanité que de tempérament, et plus de tempérament que de vertu. » — L’annotateur contemporain estime que la proposition de la Rochefoucauld est presque hérétique, et Mme de Rohan (voyez sa Lettre, plus loin dans ce volume) se récrie également. — Voyez encore les maximes 220, 340, et en outre les 205e, 241e et 548e, qui paraissent contradictoires à celle-ci, car l’auteur y reconnaît que telle femme peut demeurer pure, par souci de sa réputation ou de son repos, par crainte ou par raison ; dans la dernière même, il admet la coexistence possible de l’amour et de la vertu.
  526. Var. : Nous ne sommes du même avis qu’avec les gens qui sont du nôtre. (Manuscrit.)
  527. Duplessis donne à tort : « de ce que l’on croit le plus. » — L’annotateur contemporain ajoute : « et on croit souvent des choses dont on devroit douter. » — La réflexion de la Rochefoucauld donne raison à ce mot, souvent cité, d’une femme à son amant : « Vous en croyez plus à vos yeux qu’à moi ; vous ne m’aimez donc plus ? » — Voyez les maximes 335, 336, 371, et la 8e des Réflexions diverses.
  528. Voyez les maximes 241, 277, 332, 334 et 376.
  529. Vauvenargues (maxime 513, Œuvres, p. 449) : « L’aversion contre les trompeurs ne vient ordinairement que de la crainte d’être dupe… » — Voyez la maxime 407.
  530. Var. : quand on ne s’aime déjà plus. (Manuscrit.) — La Bruyère (du Cœur, no 37, tome I, p. 205) : « L’on est encore longtemps à se voir par habitude, et à se dire de bouche que l’on s’aime, après que les manières disent qu’on ne s’aime plus. » — Le même (ibidem, no 33, tome I, p. 204) : « Le commencement et le déclin de l’amour se font sentir par l’embarras où l’on est de se trouver seuls. » — Voyez les 9e et 18e Réflexions diverses.
  531. Brotier (Observations, p. 228 et 229) rappelle, au sujet de cette réflexion, que l’abbé Martinet s’ennuya de jouer à la paume avec Louis XIV, et qu’il préféra languir et mourir dans l’indigence ; que Pageois s’ennuya également de jouer au billard avec le grand Roi, et qu’il abandonna son partner pour le cabaret ; son élève, Chamillart, y mit plus de patience, et il passa de la salle du billard à la salle du conseil, car il devint secrétaire d’Etat. — Voyez les maximes 304 et 555.
  532. Var. : Il n’y a pas de ridicule à être amoureux comme un fou, mais il y en a toujours à l’être comme un sot. (Manuscrit.) — Selon l’annotateur contemporain, « il est très-difficile de distinguer, en amour, le fou d’avec le sot. »
  533. Var. : Il y a de certains défauts qui, étant bien mis dans un certain jour, plaisent plus que la perfection même. (Manuscrit, et Supplément de 1693, no 35 ; dans le manuscrit : « plus que la perfection de la beauté, ») — J. Esprit (tome II, p. 41) : « L’homme fait quelquefois des vertus des défauts de son esprit et de ceux de son tempérament. » — Voyez les maximes 90, 155, 251, 273, 468, et, plus loin dans ce volume, la Lettre du chevalier de Meré.
  534. Vauvenargues (maxime 533, Œuvres, p. 449) : « On ne regrette pas la perte de tous ceux qu’on aime. » — Dans la réflexion de la Rochefoucauld, la distinction entre le regret et l’affliction ne paraît pas assez nettement marquée. Il entendait peut-être, comme l’indiquent l’abbé de la Roche et Fortia dans leur commentaire, que l’affliction suppose un sentiment du cœur, tandis que l’intérêt suffit pour produire le regret auquel cas, cette maxime reviendrait aux 232e et 619e. — L’annotateur contemporain dit de son côté : « Regretter est extérieur, et affligé intérieur ; aussi c’est une circonlocution pour dire qu’il y a des douleurs extérieures et (des douleurs) intérieures, ce que tout le monde sait bien. » — Quoi qu’il en soit de ces deux explications, c’est la faute de l’auteur qu’il y ait à choisir entre elles. — Voyez encore les maximes 233 et 373.
  535. C’est une conséquence des maximes 143, 144, 146 et 530.
  536. Il y a de dans l’un de nos exemplaires de 1678 ; des dans l’autre (voyez la Notice bibliographique) ; dans l’édition de 1673 : des ; dans celles de 1693 et de Duplessis : de.
  537. Var. : Les petits esprits sont blessés des plus petites choses. (Supplément de 1693, no 34.)
  538. Mme de Sablé (maximes 34 et 66) : « La grandeur de l’entendement embrasse tout… » — « L’ignorance donne de la foiblesse et de la crainte ; les connoissances donnent de la hardiesse et de la confiance ; rien n’étonne une âme qui connoît toutes choses avec distincon. » — Voyez les maximes 265, 337, 375 et 623.
  539. Var. : L’humilité est la seule et véritable preuve des vertus chrétiennes, et c’est elle qui manque le plus dans les personnes qui se donnent à la dévotion ; cependant, sans elle, nous conservons tous nos défauts, malgré les plus belles apparences, et ils sont seulement couverts par un orgueil qui demeure toujours, et qui les cache aux autres, et souvent à nous-mêmes. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 33 et la note, 254, 534, 536, 537 et 563.
  540. Dans le manuscrit, les deux propositions delà réflexion définitive formaient deux maximes séparées ; le Supplément de 1693 (no 26) ne donne que la dernière : « Il n’y a que les personnes qui évitent de donner de la jalousie qui méritent qu’on en aye (voyez le Lexique) pour elles. » — La Bruyère dit de même, mais avec moins de finesse et d’élégance (du Cœur, no 29, tome I, p. 203) : « Celles qui ne nous ménagent sur rien, et ne nous épargnent nulles occasions de jalousie, ne mériteroient de nous aucune jalousie, si l’on se régloit plus par leurs sentiments et leur conduite que par son cœur. »
  541. C’est ainsi, sans doute, que Mme de Longueville s’était beaucoup plus décriée auprès de lui par l’infidélité dont il avait été victime (duc de Nemours), que par l’infidélité plus grande dont il avait profité (duc de Longueville).
  542. La Bruyère (des Femmes, no 25, tome I, p. 177) pense le contraire : « On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu’elle guérit de la jalousie, »
  543. Var. : La plupart des femmes ne pleurent pas tant la perte d’un amant pour montrer qu’elles ont aimé, que pour paroître dignes d’être aimées. (Supplément de 1693, no 22.) — La maxime 153 de Meré ressemble beaucoup à celle de la Rochefoucauld : « Les femmes pleurent la mort de leurs amants, moins par le regret de leur perte, que pour faire croire que leur fidélité mérite de nouveaux amants. » — Voyez la maxime 232.
  544. Var. : nous sont quelquefois moins pénibles. (Manuscrit.) — nous font quelquefois moins de peine. (Supplément de 1693, no 38.) — Voyez la maxime 369.
  545. Var. : On sait assez qu’on ne doit guère parler de sa femme, mais on ne sait pas assez qu’on ne doit guère parler de soi. ('
  546. Var. : On voit des qualités qui deviennent défauts lorsqu’elles ne sont que naturelles, et d’autres qui demeurent toujours imparfaites lorsqu’on les a acquises : il faut, par exemple, que la raison nous fasse devenir ménagers de notre bien et de notre confiance ; et il faut, au contraire, que la nature nous ait donné la bonté et la valeur. (Manuscrit.) — On ne s’explique pas que Duplessis (p. 193), après dom Bonaventure d’Argonne (Vigneul-Marville, tome I, p. 323 et 324), juge cette pensée obscure ; sans doute, elle est aussi concise que profonde, mais il faut bien qu’elle soit claire, puisque le marquis de Fortia lui-même n’a pas fait difficulté de la comprendre, et en a ainsi rendu le sens : « Celui qui nait économe deviendra facilement avare ; celui qui n’est pas né bon ou courageux ne peut se flatter d’acquérir de la bonté ni de la valeur. » — Vauvenargues (Réflexions sur divers sujets, no 11, Œuvres, p. 66) : « Nos qualités acquises sont en même temps plus parfaites et plus défectueuses que nos qualités naturelles. » — Voyez la 3e des Réflexions diverses.
  547. Var. : Quoique nous ayons peu de créance dans la sincérité, nous croyons toujours qu’on est plus sincère avec nous qu’avec les autres. (Manuscrit.)
  548. Var. : Il y a bien d’honnêtes femmes qui sont lasses de leur métier. (Manuscrit, et Supplément de 1693, no 23.) — Ce n’est pas là une maxime, dans le sens du mot, mais un sarcasme, où nous ne retrouvons pas la délicatesse et le bon goût ordinaires de l’auteur.
  549. Rapprochez de la maxime 552.
  550. Voyez la maxime 363.
  551. « De même, dit l’annotateur contemporain, qu’il n’y a guère de braves qui connoissent toute leur bravoure. » — C’est le cas de rappeler ce que dit l’auteur dans sa maxime 345, que « les occasions nous font connoître aux autres et… à nous-mêmes. » — Voyez aussi les maximes 215 et 470.
  552. Cette réflexion parait contredire les 335e, 336e et 553e. — Voyez aussi les maximes 348 et 537.
  553. Mme de Motteville, citée par Bazin (Histoire de France sous le ministère du cardinal Mazarin, édition de 1842, tome I, p. 193), se plaint également de la jeunesse de son temps, qui ne valait pas les restes du maréchal de Bassompierre ; en effet, il s’était formé une école de petits-maitres, comme on les appelait, qui affectaient, ajoute Bazin, le ton leste et tranchant, la brusquerie et l’impatience. — Voyez les maximes 134, 431 et 495.
  554. Voyez les maximes 232, 233, 355 et 619.
  555. Var. : Si l’on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est souvent trompé. (Supplément de 1693, no 24.) — Si l’on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, l’on est bien souvent trompé. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 48, 259, 262, 324, 500, 501 et 563.
  556. Pascal (de l’Esprit géométrique, fragment i, tome II, p. 290) : « Il (l’homme) est toujours disposée nier tout ce qui lui est incompréhensible. » — Voyez les maximes 265, 337, 357 et 623.
  557. Cette pensée est doublement contradictoire : à la maxime 328, en ce qui concerne l’envie ; à la 334e, en ce qui concerne la coquetterie. Elle se concilie mieux avec la 349e.
  558. Var. : Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de ne pas aller au but, c’est de le passer. (Supplément de 1693, no 41.) — Au fond, il y a quelque analogie entre cette réflexion et les maximes 161 et 244. — Duclos (tome I, p. 235 et 236, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xiii) : « Il faut plus de force pour s’arrêter au terme, que pour le passer par la violence de l’impulsion. Voir le but où l’on tend, c’est jugement ; y atteindre, c’est justesse ; s’y arrêter, c’est force ; le passer, ce peut être foiblesse. »
  559. Var. : On donne des conseils, mais on ne donne point la sagesse d’en profiter. (Manuscrit, et Supplément de 1693, no 42.) — Montaigne (Essais, livre I, chapitre xxiv, tome I, p. 175) : « Au moins, sages ne pouuons-nous estre que de nostre propre sagesse. » — Aussi Vauvenargues pense-t-il (maxime 601, Œuvres, p. 458) qu’ « on tire peu de fruit des lumières et de l’expérience d’autrui. » — Cependant, dans les maximes 283 et 689, la Rochefoucauld paraît compter davantage sur l’efficacité des conseils.
  560. Var. : notre goût diminue aussi. (Supplément de 1698, no 43.) — Cette réflexion est obscure, parce qu’elle ne détermine pas le sens des mots mérite et goût. S’agit-il du goût intellectuel ? dans ce cas, elle devrait faire sentir qu’il est question du mérite dans les choses de l’esprit. S’agit-il simplement d’un mérite de monde, et des succès qu’il y procure ? dans ce cas, elle devrait faire sentir que par goût elle entend élégance et belles manières ; enfin, s’agit-il plus généralement du goût pour les choses auxquelles chaque mérite est propre et peut aspirer ? dans ce cas, elle devrait faire sentir que mérite est pris dans le sens d’aptitude, et goût dans le sens de penchant pour ou entraînement vers. Dans cette dernière supposition, la plus probable, cette maxime signifierait : « Quand nous cessons d’être propres aux choses, nous perdons en même temps notre goût pour elles. » Sub judice lis est. — Voyez la maxime 291, et la 10e des Réflexions diverses.
  561. L’annotateur contemporain ajoute : « ou comme la niche fait paroître les statues. » — Cette pensée revient tout à fait à la 345e, et, en partie, à la 401e ; voyez encore les maximes 1, 53, 57, 58, 153, 165, 323, 470, 631, et la 14e des Réflexions diverses. — Tacite (Annales, livre III, chapitre lxix) prête à Tibère cette pensée : Excitari quosdam ad meliora magnitudine rerum, hebescere alios. « Les grandes situations animent les uns, éteignent les autres. » — Un passage du même auteur (Histoires, livre III, chapitre xlix) vient à l’appui de cette maxime : Primiis Antonius nequaquam pari innocentia post Cremonam (excisam) agebat, satisfactum bello ratus,… seu felicitas in tall ingenio avaritiam, superbiam, cæteraque occulta mala patefecit. « Depuis (la destruction de) Crémone, il s’en fallait que la conduite de Primus Antonius fût aussi irréprochable, soit qu’il crût avoir assez fait pour la gloire des armes,… soit que, dans une âme comme la sienne, la bonne fortune n’eût fait que mettre au jour l’avarice, l’orgueil, et les autres vices qu’il avait cachés jusque-là. »
  562. Var. : La violence qu’on se fait pour être fidèle ne vaut guère mieux qu’une infidélité. (Supplément de 1693, no 25.) — Voyez la maxime 331.
  563. Var. : Nos actions sont comme des bouts-rimés, que chacun tourne comme il lui plaît. (Manuscrit, et Supplément de 1693, no 45.) — Voyez la maxime 58.
  564. Voyez les maximes 138, 184, 327, 554, et la 5e des Réflexions diverses.
  565. Comme les gens revenus de tout, l’auteur en était au mot d’Horace (livre I, épitre vi, vers 1) : Nil admirari, « ne s’étonner de rien. »
  566. Pourtant la maxime 330 dit qu’on pardonne tant que l’on aime ; et la maxime 545, que l’on ne voit les défauts de sa maîtresse que lorsque l’enchantement est fini.
  567. Var. : Il n’y a personne qui ait plus souvent tort que celui qui ne veut jamais en avoir. (Manuscrit.)
  568. Var. : Un sot n’a pas assez de force, ni pour être méchant, ni pour être bon. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 237, 479 ^et 481.
  569. Cette réflexion est contradictoire à la 200e, qui fait de la vanité le soutien de la vertu. — Voyez la maxime 443.
  570. Cette pensée ressemble beaucoup à la 34e.
  571. Cependant, selon les maximes 45 et 262, il n’y a rien de plus inconstant que nos goûts, et selon la 467e ; notre vanité en a souvent raison. — Voyez aussi la maxime 13, et la 10e des Réflexions diverses.
  572. Var. : La fortune ne nous paroît aveugle que lorsque nous en sommes maltraités. (Manuscrit.)
  573. Var. : Il faut se conduire avec la fortune comme avec la santé. (Manuscrit.) — Quant aux remèdes, l’auteur a déjà recommandé (maxime 288) de n’en jamais user que modérément.
  574. L’annotateur contemporain applique cette observation à Colbert, et dom Bonaventure d’Argonne (Vigneul-Marville, tome I, p. 325) à le Tellier, « qui, ajoute-t-il, après avoir vécu cinquante ans à la cour, en est sorti avec le même air qu’il y étoit entré, soit par habitude, ou par modestie, ou enfin par politique. »
  575. Var. : Chacun pense être plus fin que les autres : on peut l’être plus qu’un autre, mais non pas que tous les autres. (Manuscrit.) — Segrais (Mémoires, p. 65) cite une pensée de Mme de la Fayette qui n’est pas sans quelque analogie avec celle de la Rochefoucauld : « Celui qui se met au-dessus des autres, quelque esprit qu’il ait, se met au-dessous de son esprit. » — Voyez les maximes 117, 127, et la note de la 407e.
  576. Cependant c’est dans ce cas, selon la maxime 417, qu’on est guéri le premier, c’est-à-dire le mieux guéri. — Cette pensée revient tout à fait à la 441e.
  577. Var. : un second. (Manuscrit.) — Cette épigramme est une autre version des maximes 73, 131 et 471. — Voyez aussi les maximes 440 et 499.
  578. Voyez les maximes 31, 267, 452, 458, 483 et 513.
  579. Var. : … c’est de la paresse : nous nous flattons qu’elle comprend toutes les vertus paisibles, et qu’elle ne nuit point aux autres. (Manuscrit.) — Dans les maximes 266 et 630, l’auteur est d’avis que non-seulement elle suspend, mais qu’elle détruit les vertus, en même temps que les passions. — Voyez aussi la maxime 512.
  580. Var. : c’est un certain air de supériorité qui semble nous destiner. (1675.)
  581. Mme de Sablé (maximes 26 et 27) : « Il y a un certain empire dans la manière de parler et dans les actions, qui se fait faire place partout, et qui gagne, par avance, la considération et le respect ; il sert en toutes choses, et même pour obtenir ce qu’on demande. » — « Cet empire, qui sert en toutes choses, n’est qu’une autorité bienséante, qui vient de la supériorité de l’esprit. » — L’annotateur contemporain, en qualifiant cette maxime de belle définition, ajoute qu’on n’en peut guère faire d’application : il ne fallait pourtant pas aller bien loin pour trouver le modèle ; il est clair que cette réflexion n’est qu’un retour consolateur de la Rochefoucauld sur lui-même, retour justifié d’ailleurs, car il avait plus que personne cette distinction naturelle que la fortune la plus contraire, comme avait été la sienne, ne saurait ôter, et ce certain air qui condamne les autres hommes à la déférence ; son ennemi Retz en convient lui-même (voyez le Portrait du duc de la Rochefoucauld par le cardinal de Retz, ci-dessus, p. 13 et 14).
  582. Voyez les maximes 166, 273, 419 et 455.
  583. Rapprochez des maximes 153 et 380.
  584. Var. : Ce qui se rencontre le moins dans les femmes qui ont pris l’habitude de l’amour, c’est le goût de l’amour. (Manuscrit.) — Sous cette première forme, cette pensée était contradictoire à la 471e ; c’est pour cela peut-être que l’auteur l’a modifiée. — Voyez aussi la maxime 131.
  585. Selon l’annotateur contemporain, « Colbert donna de grands emplois aux commandeurs qui s’opposoient à la réception de son fils, afin de les éloigner. » Il est plus vraisemblable que la Rochefoucauld aA ait en vue le grand Condé, qu’on aimait mieux envoyer à la tête des armées que conserver à la cour.
  586. Partout ailleurs, c’est à la fortune, au hasard, aux occasions que l’auteur attribue ce privilège (voyez, entre autres, les maximes 153, 154 et 323) ; mais, sur le fait des passions, il se rencontre avec Vauvenargues (maxime 153, Œuvres, p. 389) : « Aurions-nous cultivé les arts sans les passions ? et la réflexion, toute seule, nous auroit-elle fait connoître nos ressources, nos besoins et notre industrie ? »
  587. Ce dernier membre de phrase répète presque textuellement la maxime 101. — Voyez encore les maximes 344, 345, 470, 505 et 594.
  588. Voyez les maximes 112, 207, 423 et 444.
  589. Var. : Les coquettes feignent d’être jalouses…, tandis qu’elles ne sont y qu’envieuses des autres femmes qu’elles craignent. (Manuscrit.)
  590. C’est sans doute parce que chacun de nous pense toujours être plus fin que tous les autres, ce qui est impossible, selon la maxime 394, et le vrai moyen d’être trompé, selon la 127e. — Voyez aussi la 350e, — Duplessis a omis un des deux nous, devant le paraissons.
  591. On trouve la même réflexion dans la Bruyère (des Femmes, no 7, tome I, p. 173), mais, selon son habitude, il en fait un tableau : « Une femme coquette ne se rend point sur la passion de plaire, et sur l’opinion qu’elle a de sa beauté : elle regarde le temps et les années comme quelque chose seulement qui ride et qui enlaidit les autres femmes ; elle oublie du moins que l’âge est écrit sur le visage. La même parure qui a autrefois embelli sa jeunesse défigure enfin sa personne, éclaire les défauts de sa vieillesse. La mignardise et l’affectation l’accompagnent dans la douleur et dans la fièvre : elle meurt parée et en rubans de couleur. » — Saint-Évremond avait déjà dit (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis, Œuvres mêlées, Barbin, 1689, p. 291) : « Les plus belles passions se rendent ridicules en vieillissant ; » puis (ibidem, p. 298) : « Dieu n’a pas voulu que nous fussions assez parfaits pour être toujours aimables : pourquoi voulons-nous être toujours aimés ? » — Voyez les maximes 418, 423, 444 » et la 15e des Réflexions diverses.
  592. Swift dit de même : « Les motifs des meilleures actions ne supportent pas un examen trop sévère. » — Charron (de la Sagesse, livre II, chapitre iii):« Il ne se faut arrester aux actions ; ce n’est que le marc et le plus grossier, et souuent vne happelourde ( « faux diamant, » selon Furetière) et vn masque ; il faut pénétrer au dedans et sçauoir le motif qui fait iouer les cordes. » — Meré (maxime 248) :« La plupart des actions des hommes sont fardées, et n’ont rien que l’apparence. » — Mme de Sablé répond (maximes 71 et 76) : « Il vaut presque mieux que les grands recherchent la gloire, et même la vanité dans les bonnes actions, que s’ils n’en étoient point du tout touchés ; car encore que ce ne soit pas les faire par les principes de la vertu, l’on en tire au moins cet avantage, que la vanité leur fait faire ce qu’ils ne feroient point sans elle. » — « Quand les grands espèrent défaire croire qu’ils ont quelque bonne qualité qu’ils n’ont pas, il est dangereux de montrer qu’on en doute ; car en leur ôtant l’espérance de pouvoir tromper les yeux du monde, on leur ôte aussi le désir de faire les bonnes actions qui sont conformes à ce qu’ils affectent. »
  593. Amelot de la Houssaye cite à ce propos le proverbe espagnol : « Un vieil ami est pour nous le plus fidèle des miroirs. » No ay mejor espejo que el amigo viejo. — Duclos (tome I, p. 92, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre iii) : « Les gens les plus unis, et qui s’estiment à plus d’égards, deviendroient ennemis mortels, s’ils se témoignoient complètement ce qu’ils pensent les uns des autres. »
  594. Mme de Sablé (maxime 42) : « C’est augmenter ses défauts que
  595. Var. : De quelque honte que l’on soit couvert, on peut toujours rétablir sa réputation. (Manuscrit.) — Surtout par une belle mort, comme ce Sempronius que Tacite nous montre s’offrant lui-même aux coups des meurtriers, et dont il dit (Annales, livre I, chapitre liii) : … Constantia mortis haud indignus Sempronio nomine ; vita degeneraverat. « Par la fermeté de sa mort, il ne fut pas indigne du nom de Sempronius, que sa vie avait démenti. »
  596. Les maximes, à partir de celle-ci, appartiennent à la 5e et dernière édition, donnée par l’auteur en 1678, deux ans avant sa mort. — Selon Segrais (Mémoires, p. 86), cette réflexion, qu’il cite d’ailleurs inexactement, serait à l’adresse de Racine et de Boileau : « C’est à leur occasion, dit-il, que M. de la Rochefoucauld a établi la maxime que c’est une grande pauvreté de n’avoir au une sorte d’esprit, parce que tout leur entretien roule sur la poésie ; ôtez-les de là, ils ne savent plus rien. » — Le témoignage de Segrais est d’autant plus suspect que, dans le même recueil (p. 65), on le prend en flagrant délit d’interprétation malveillante, au moins contre Boileau. En citant cette pensée de Mme de la Fayette : « Celui qui se met au-dessus des autres, quelque esprit qu’il ait, se met au-dessous de son esprit, » il ajoute, de son chef : « Despréaux est de ces gens-là. » Sans doute, au moment où Segrais faisait cette application, Boileau n’avait point encore écrit (Art poétique, chant IV, vers 201), en invitant les poètes à chanter le nom de Louis XIV :
    Que Segrais, dans l’églogue, en charme les forêts.

    C’est surtout en ce qui regarde Racine que l’observation de Segrais tombe tout à fait à faux. Le grand tragique disait lui-même à ses fils : « Sans fatiguer les gens du monde du récit de mes ouvrages, dont je ne leur parle jamais, je me contente de leur tenir des propos amusants, et de les entretenir de choses qui leur plaisent. Mon talent, avec eux, n’est pas de leur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de leur apprendre qu’ils en ont. » (Mémoires sur la vie de Jean Racine ; voyez l’édition de M. Mesnard, tome I, p. 296 et 296.) — Saint-Simon, qui n’est pas suspect d’indulgence, dit dans ses Mémoires (tome II, p. 271) : « Personne n’avoit plus de fonds d’esprit, ni plus agréablement tourné ; rien du poëte dans son commerce, et tout de l’honnête homme, de l’homme modeste, et, sur la fin, de l’homme de bien. » On sait enfin que Louis XIV, qui s’y connaissait, disait de Racine que personne à sa cour n’avait plus grand air ; or le grand Roi n’eût point accordé un tel éloge à l’homme qui n’aurait en que les habitudes et le langage d’un pédant. — Voyez les 2e et 16e Réflexions diverses.

  597. Var. : Le sot ne voit jamais que par l’humeur, parce qu’il ne peut voir par l’esprit. (Manuscrit.) — Or, selon la maxime 290, il y a plus de défauts dans l’humeur que dans l’esprit.
  598. La 5e édition (1678) et celle de 1693, qui en reproduit le texte, mettent hardiment après quelquefois. C’est sans aucun doute une faute. Nous suivons le texte de l’Appendice à la 4e édition (1676).
  599. Vauvenargues (maxime 806, Œuvres, p. 480) : « Sans justesse, on est d’autant moins raisonnable qu’on a plus d’esprit. » — La Rochefoucauld a déjà dit même chose dans la maxime 340, à propos de l’esprit des femmes. Voyez aussi la 16e des Réflexions diverses.
  600. L’annotateur contemporain trouve cette pensée belle et vraie, mais il ne croit pas que ce puisse être une règle universelle, et cite l’exemple de Monsieur de Meaux (Bossuet), dont le livre des Quiétistes (contre Fénelon) est plus animé que tous ses livres, quoiqu’il soit le dernier ; mais il est présumable que la Rochefoucauld a voulu parler plutôt de la vivacité du caractère que de la vivacité de l’esprit.
  601. Publius Syrus croit que, dans ce cas, on se guérit l’un l’autre :
    Amoris vulnus sanat idem qui facit.

    « En amour, la même main qui blesse, guérit. » — Voyez la note de la maxime 395.

  602. Peut-être la Rochefoucauld pensait-il à lui-même, ou à d’Hacqueville (voyez, sur cet officieux et candide personnage, Mme de Sévigné, tome II, p. 508 et 509, p. 521 et 622). — Publius Syrus :
    Amare juveni fructus est, crimen seni.

    « L’amour est l’heureux privilège de la jeunesse, et la honte du vieillard. » — Meré (maxime 151) : « L’amour… est la honte des vieillards. » — Bussy Rabutin (Correspondance, Lettre au comte de Gramont, du 3 novembre 1677) : « Je suis d’accord avec lui (Saint-Évremond) qu’on peut faire l’amour toute sa vie, mais qu’il faut se cacher quand on vient à un certain âge. » — La Bruyère (de l’Homme, no 111) : « C’est une grande difformité dans la nature qu’un vieillard amoureux. » — Vauvenargues (maxime 678, Œuvres, p. 469) : « Je plains un vieillard amoureux ; les passions de la jeunesse font un affreux ravage dans un corps usé et flétri. » — Voyez les maximes 408, 423, 461, et la 15e des Réflexions diverses.

  603. Var. : Nous pouvons quelquefois paroître grands dans des
  604. Var. : Nous croyons quelquefois supporter les malheurs avec constance, quand ce n’est que par abattement, et que nous les souffrons sans oser nous retourner, comme les poltrons, qui se laissent tuer de peur de se défendre. (Manuscrit.) — Dans les maximes 21, 23 et 504, l’auteur dit à peu près la même chose de la fermeté devant la mort.
  605. La Bruyère (du Cœur, no 78, tome I, p. 214) : « L’on est plus sociable et d’un meilleur commerce par le cœur que par l’esprit. » — Vauvenargues (maxime 860, Œuvres, p. 485) : « On est encore bien éloigné de plaire, lorsqu’on n’a que de l’esprit. » — Mme de Sablé (en répondant à une lettre de la Rochefoucauld, du 2 août 1675, Portefeuilles de Vallant, tome II, fos 154 et 155) aurait voulu qu’il expliquât dans cette maxime de quelle sorte de confiance il s’agit, parce que celle qui n’est fondée que sur la bonne opinion que l’on a de soi-même est différente de la sûreté que l’on prend avec les personnes à qui l’on parle.
  606. Var. : L’amour nous fait faire des fautes, comme les autres passions, mais il nous en fait faire de plus ridicules. (Manuscrit.)
  607. « C’est que personne ne veut l’être, » dit l’annotateur contemporain. — Cicéron (de Senectute, chapitre x) cite le proverbe latin qui recommande « d’être vieux de bonne heure, si l’on veut être vieux longtemps » : Mature fieri senem, si diu velis esse senex. — Publius Syrus :
    Eheu ! quam miserum est fieri metuendo senem !

    « Ah ! quel malheur de devenir vieux, quand on craint de le devenir ! » — La Rochefoucauld commente ainsi sa pensée dans sa lettre à Mme de Sablé, du 2 août 1675 : « Je sais bien que le bon sens et le bon esprit convient à tous les âges ; mais les goûts n’y conviennent pas toujours, et ce qui sied bien en un temps ne sied pas bien en un autre : c’est ce qui me fait croire que peu de gens savent être vieux. » — Voyez les maximes 112, 207, 210, 405, 408, 418, 444, et la 15e des Réflexions diverses.

  608. Voyez les maximes 327, 442, 493 et 494.
  609. Var. : a un air de prophétie. (Manuscrit.)
  610. Selon Mme de Sablé, dans la lettre, déjà citée, qu’elle adressait à la Rochefoucauld, cette pensée est merveilleuse, et il n’y a rien de mieux pénétré. — Voyez la maxime 632.
  611. Voyez le Lexique, au mot Quelque.
  612. La Bruyère (des Jugements, no 4) : « Deux choses toutes contraires nous préviennent également, l’habitude et la nouveauté. »
  613. Mme de Sablé, dans la lettre citée, dit à propos de cette réflexion « Quand les amitiés ne sont point fondées sur la vertu, il y a tant de choses qui les détruisent, que l’on a quasi toujours des sujets de s’en lasser. »
  614. Voyez la maxime 88, et la 10e des Réflexions diverses.
  615. « Il n’y a rien de mieux trouvé, » selon Mme de Sablé (même lettre).
  616. « Il y a quelquefois des regains, dans l’un et dans l’autre, » dit l’annotateur contemporain, ce qui permet de supposer qu’il n’était pas jeune. — Voyez la maxime 461, et la 9e des Réflexions diverses.
  617. Var. : Ce qui nous empêche d’être naturels, c’est l’envie de le paroître. (Manuscrit.) — « Cette maxime est bien vraie, dit Mme de Sablé (même lettre), car le naturel ne se trouve point où il y a de l’affectation. » — Voyez les maximes 107, 134, 203, 372 et 411.
  618. Mme de Sablé (même lettre) : « Il n’y a rien de si beau ni de si vrai. » — Toutefois, si l’on en croit Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxix), le cas serait assez rare : « Il y en a qui font les ingénieux et subtils à desprauer et obscurcir la gloire des belles actions ; en quoy ils monstrent beaucoup plus de mauuais naturel que de suffisance ; c’est chose aysée, mais fort vilaine. »
  619. Mais, selon la maxime 486, rien de moins commun. — Il y a analogie de sens entre cette pensée et la précédente ; Mme de Sablé (même lettre) la marque comme très-belle. — Voyez les maximes 328 et 476.
  620. Cette pensée est noblement contradictoire à plusieurs autres qui traitent de l’amitié et de la pitié, notamment aux maximes 83, 264 et 583. — Voyez aussi le Portrait de la Rochefoucauld par lui-même, ci-dessus, p. 9 et 10.
  621. Voyez la note de la maxime 323. — Plutarque répondait par avance à la Rochefoucauld : « Comment ? n’y a il donc point de iustice non plus es afaires des liommes, ny d’équité, ny de tempérance, ny de modestie ? et a-ce esté de fortune et par fortune qu’Aristides a mieux aimé demourer en sa pauureté, combien qu’il fust en sa puissance se faire seigneur de beaucoup de biens, et que Scipion, ayant pris de force Carthage, ne toucha ny ne vid onques rien de tout le pillage ? » (Traité de la Fortune, chapitre i, traduction d’Amyot.)
  622. Var. : tous les hommes. (Manuscrit.) — Il est plus facile encore de connaître des hommes que l’homme, et selon Aimé-Martin (p. 118) ce serait le cas de la Rochefoucauld, qui n’est guère sorti des exceptions. — Duclos (tome I, p. 64, Considérations sur les mœurs de ce siècle, introduction) : « Il y a… une grande différence entre la connoissance de l’homme et la connoissance des hommes. Pour connoître l’homme, il suffit de s’étudier soi-même ; pour connoître les hommes, il faut les pratiquer. »
  623. Mme de Sablé (même lettre) ajoute à cette pensée : « Il n’y a point de vraies grandes qualités, si on ne les met en usage. » — Voyez les maximes 159 et 343.
  624. Nouvelle et heureuse contradiction, car l’auteur nie ordinairement la reconnaissance. Voyez, entre autres, les maximes 223 et 298.
  625. Aimé-Martin (p. 120) rappelle, à ce sujet, le mot de Léonidas à Xerxès, rapporté par Plutarque dans les Apophthegmes lacédémoniens : « Si tu connoissois en quoi consiste le bien de la vie, tu ne convoiterois pas ce qui est à autrui. » — Voyez la maxime 543.
  626. Saint-Évremond (sur la Religion) : « Où l’amour a su régner une fois, il n’y a plus d’autre passion qui subsiste d’elle-même. » — La Bruyère (du Cœur, nos 7 et 8, tome I, p. 200) : « L’amour et l’amitié s’excluent l’un l’autre. » — « Celui qui a eu l’expérience d’un grand amour néglige l’amitié. » — Voyez les maximes 73, 131, 396 et 471.
  627. « L’on est plus heureux, dit l’annotateur contemporain, mais on ne sent pas son bonheur. » — Voyez la maxime 395.
  628. Voyez les maximes 327, 383, 424, 493, 494 et 609.
  629. Voyez la maxime 388.
  630. Var. : Il y a plus de vieux fous que de jeunes. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 112, 207, 210, 405, 408, 418, 423, et la 15e des Réflexions diverses.
  631. Mme de Sablé (même lettre) estime que cette pensée est très-vraie, car le vice se peut corriger par r étude de la vertu, et la foiblesse est du tempérament, qui ne se peut quasi jamais changer. — Vauvenargues (maxime 20, Œuvres, p. 376) : « La raison et la liberté sont incompatibles avec la foiblesse. » — Voyez les maximes 130 et 316.
  632. Var. : Ce qui fait que la honte et la jalousie sont les plus grands de tous les maux, c’est que la vanité ne nous aide pas à les supporter. (Manuscrit.) — Honte dans le sens d’humiliation. — Voyez la maxime 472.
  633. Var. : … de toutes les lois, et c’est elle que l’on suit le plus. (Manuscrit.)
  634. Duplessis donne à tort : « à se soumettre, » pour « de se soumettre. » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, no 48, tome I, p. 233) : « Il est souvent plus court et plus utile de cadrer aux autres que de faire que les autres s’ajustent à nous. » — Voyez les maximes 318 et 502.
  635. Mme de Sablé (maxime 32) : « La bonne fortune fait quasi toujours quelque changement dans le procédé, dans l’air, et dans la manière de converser et d’agir. C’est une grande foiblesse de vouloir se parer de ce qui n’est point à soi : si l’on estimoit la vertu plus que toute autre chose, aucune faveur ni aucun emploi ne changeroit jamais le cœur ni le visage des hommes. » — La Bruyère (de l’Homme, nos 94 et 95) : « Il se trouve des hommes qui soutiennent facilement le poids de la faveur et de l’autorité, qui se familiarisent avec leur propre grandeur, et à qui la tête ne tourne point dans les postes les plus élevés. Ceux au contraire que la fortune, aveugle, sans choix et sans discernement, a comme accablés de ses bienfaits.
  636. Voyez les maximes 10 et 33.
  637. Duplessis cite à ce propos le vers suivant, qu’il attribue à Boileau, mais qui est de Molière (les Femmes savantes, acte IV, scène iii) :
    Un sot savant est sot plus qu’un sot ignorant.

    — Duclos (tome I, p. 235, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xiii) : « De tous les sots, les plus vifs sont les plus insupportables. » — Rapprochez des maximes 456, 502, et de la 16e des Réflexions diverses.Mme de Sablé (maxime 33) est plus accommodante : « Il faut s’accoutumer, dit-elle, aux sottises d’autrui, et ne se point choquer des niaiseries qui se disent en notre présence. » — La Bruyère (de la Société et de la Conversation, no 37, tome I, p. 230) dit, dans le même sens que Mme de Sablé : « Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractères dont le monde est plein n’est pas un fort bon caractère : il faut dans le commerce des pièces d’or et de la monnoie. »

  638. La Bruyère (des Jugements, no 71) : « Nous n’approuvons les autres que par les rapports que nous sentons qu’ils ont avec nous-mêmes ; et il semble qu’estimer quelqu’un, c’est l’égaler à soi. » — Voyez la maxime 397.
  639. 5e édition (1678) et 6e (1693) : « s’appliquer et faire naître, » mais c’est évidemment une faute d’impression. — Sénèque (épitre xxii) : Non tantum præsentis, sed vigilantis est, occasionem observare properantem. « Non-seulement il faut être là, mais il faut être vigilant pour guetter l’occasion, qui passe vite. » — Sénèque dit encore (même épitre) : (Epicurus ait) nihil esse tentandum, nisi quum apte poterit tempestiveque tentari. « (Épicure le dit,) il ne faut rien entreprendre qu’en temps convenable et opportun. » — Caton (livre II, distique 26) :
    Rem tibi quam nosces aptam, dimittere noli :
    Fronte capillata est, sed post occasio calva.

    « Dès que tu auras reconnu qu’une chose te convient, ne la laisse point échapper : l’occasion a des cheveux par devant, mais elle est chauve par derrière. » — Charron (de la Sagesse, livre II, chapitre x) : « C’est vn tour de maistre et bien habile homme de sçauoir bien prendre les choses en leur poinct, bien mesnager les occasions et commodités, se preualoir du temps et des moyens… Il faut preuoir l’occasion, la guetter, l’attendre, la voir venir, s’y préparer, et puis l’empoigner au poinct qu’il faut. »

  640. Var. : Il n’y a pas d’occasion. (Manuscrit.)
  641. Voyez les maximes 166 (contradictoire à celle-ci et aux 465e et 489e), 273, 400, et la note de la 465e.
  642. Rapprochez des maximes 451, 502, et de la 16e des Réflexions diverses. — Voyez aussi la maxime 97, où l’auteur n’admet pas de distinction entre l’esprit et le jugement.
  643. Mme de Sablé (maxime 20) : « Si l’on avoit autant de soin d’être ce qu’on doit être que de tromper les autres en déguisant ce que l’on est, on pourroit se montrer tel qu’on est, sans avoir la peine de se déguiser. » — Voyez les maximes 134, 202, 411, 431, 493 et 641.
  644. C’est ainsi que le portrait de la Rochefoucauld par le cardinal de Retz, et celui de Retz par la Rochefoucauld (voyez ci-dessus, p. 13-21), ont bien toutes les apparences de la vérité. — Rapprochez de la maxime 397.
  645. Var. : S’il y a des remèdes pour guérir de l’amour, il n’y en a point d’infaillibles. (Manuscrit.)
  646. C’est le seul cas où l’auteur emploie le tour il s’en faut bien sans le faire suivre de la négation ne : voyez, à cet égard, les maximes 295 et 465. — Quant au sens, rapprochez des maximes 43, 102, 103 et 269.
  647. Voyez la maxime 430, et la 15e des Réflexions diverses.
  648. Var. : L’orgueil, qui fait que nous blâmons les défauts que nous croyons ne point avoir, fait aussi que nous méprisons les bonnes qualités que nous n’avons pas. (Manuscrit.)
  649. Au fond, cette pensée revient à la 235e. Voyez aussi la 583e.
  650. Rapprochez des maximes 339 et 528.
  651. Voyez la note de la maxime 460. — Cette pensée paraît contradictoire aux 455e et 489e. — Meré (maxime 14) : « L’honneur n’est pas toujours le prix du mérite ; il est aussi souvent le partage du crime que la récompense de la vertu. »
  652. L’Appendice de 1670 donne fait, pour sied.
  653. Vauvenargues (maxime 764, Œuvres, p. 477) : « Si les foiblesses de l’amour sont pardonnables, c’est principalement aux femmes, qui régnent par lui. »
  654. Voyez la maxime 469, et la note de la maxime 390.
  655. « Des méchantes qualités, » dans l’édition de 1678. Il y a de dans l’Appendice à l’édition de 1675 et dans l’édition de 1693.
  656. Duplessis donne à tort : « qui sont de grands talents. » — Voyez les maximes 90, 278 et 354.
  657. Rapprochez de la maxime 467.
  658. « Combien y a-t-il de Turennes, dit l’annotateur contemporain, qui sont dans les cloîtres, et combien y a-t-il de Brunos qui sont à l’armée ! » — Voyez les maximes 53, 57, 58, 153, 165, 323, 345, 380, 404, 435 et 631.
  659. Et autre chose itout, ajoute assez lestement l’annotateur contemporain. — Voyez les maximes 73, 131, 396, 402 (à la note), et 440.
  660. Voyez la maxime 446.
  661. La Bruyère (du Cœur, no 6, tome I, p. 200) : « Il est plus ordinaire de voir un amour extrême qu’une parfaite amitié. » — Rapprochez de la maxime 76, et des 18e et 19e Réflexions diverses. — Si nous en croyons Favorinus, cité par Diogène de Laerte (livre V, chapitre i, § 21), Aristote disait déjà : Ὦφίλοι, οὐδεὶς φίλος. « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis. »
  662. Cette réflexion paraît être à deux fins : c’est un trait contre Mme de Longueville, et une délicate louange à l’adresse de Mme de la Fayette.
  663. Var. : Le désir qu’on nous plaigne ou qu’on nous admire fait toute notre confiance. (Manuscrit.) — Mme de la Fayette, confidente de la Rochefoucauld, devait moins goûter cette proposition que la précédente. — Rapprochez de la 5e des Réflexions diverses.
  664. Voyez les maximes 328, 433 et 486.
  665. Le manuscrit disait avec moins d’élégance, mais avec plus de clarté : « … agitées des passions, n’en ont jamais de longues. »
  666. Horace dit en parlant de la pensée de l’homme (livre I, épitre i, vers 99) :
    … Vitæ disconvenit ordine toto.

    « Elle n’est jamais d’accord avec elle-même dans toute la suite de la vie. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxviii) : « Nos actions se contredisent souuent de si estrange façon qu’il semble impossible qu’elles soient parties de mesme boutique. » — La Bruyère (de l’Homme, no 99) : « Quelques hommes, dans le cours de leur vie, sont si différents d’eux-mêmes par le cœur et par l’esprit, qu’on est sûr de se méprendre, si l’on en juge seulement par ce qui a paru d’eux dans leur première jeunesse. » — Voyez les maximes 51 et 135.

  667. Vauvenargues (maxime 55, Œuvres, p. 879) : « Il n’y a guère de gens plus aigres que ceux qui sont doux par intérêt. » — Rapprochez des maximes 287, 887 et 481.
  668. Parce que, dans ce cas, on l’augmente, comme le fait observer l’annotateur contemporain. — On sait que la Rochefoucauld était timide, au moins à parler, et que Huet (voyez ses Mémoires, traduction de M. Ch. Nisard, Paris, Hachette, 1853, un vol. in-8o,
  669. Voyez les maximes 237, 387 et 479.
  670. Constance n’a pas ici le sens que lui donne ordinairement l’auteur ; il signifie, comme la suite l’indique, habitude constante, accoutumance. — Duplessis met à tort confiance, au lieu de constance.
  671. Selon Mme de Sablé (maxime 38), « l’étude et la recherche de la vérité ne servent souvent qu’à nous faire voir, par expérience, l’ignorance qui nous est naturelle. » — Rapprochez de la maxime 487.
  672. Cette pensée revient, pour le fond, aux maximes 31, 267, 397 et 513.
  673. Rapprochez de la maxime 10.
  674. Var. : Quand on a eu de grandes passions, on se trouve heureux et malheureux d’en être guéri. (Manuscrit.)
  675. Voyez les maximes 328, 433 et 476.
  676. Rapprochez de la maxime 482.
  677. Var. : Ce qui fait le calme ou l’agitation de notre humeur n’est pas tant ce qui nous arrive de plus considérable dans notre vie, que ce qui nous arrive de petites choses tous les jours. (Manuscrit.)
  678. Voyez le Lexique, au mot Quelque.
  679. Voyez la maxime 218 et la note de la maxime 465. — « Cela prouve, dit l’annotateur contemporain, cette belle question de philosophie morale : Non potest amari malum quia malum. »
  680. Var. : On va de l’amour à l’ambition, mais on ne va pas de l’ambition à l’amour. (Manuscrit.) — Tacite (Histoires, livre IV, chapitre vi) : Etiam sapientibus cupido gloriæ novissima exuitur. « Le désir de la gloire est la dernière passion dont les sages même se dépouillent. » — Pascal (tome II, p. 261 et p. 255, Discours sur les passions de l’amour) : — « Les passions qui sont les plus convenables à l’homme,… sont l’amour et l’ambition ; elles n’ont guère de liaison ensemble ; cependant, on les allie assez souvent ; mais elles s’affoiblissent l’une l’autre réciproquement, pour ne pas dire qu’elles se ruinent… Quand on aime une dame sans égalité de condition, l’ambition peut accompagner le commencement de l’amour ; mais, en peu de temps, il devient le maître. C’est un tyran qui ne souffre point de compagnon : il veut être seul ; il faut que toutes les passions ploient et lui obéissent. » — La Bruyère (des Biens de fortune, no 50, tome I, p. 262) : « L’ambition suspend en lui (en l’homme) les autres passions. »
  681. Vauvenargues (maxime 56, Œuvres, p. 379) : « L’intérêt fait peu de fortunes. » — Voyez les maximes 167 et 492.
  682. Voyez la maxime précédente et les 11e et 246e.
  683. Rapprochez des maximes 424, 442, 457 et 494.
  684. Duclos (tome I, p. 214, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre xii) pense au contraire que « les mauvais succès ne détrompent pas ceux qu’ils humilient. » — Voyez la maxime 36, qui, en un sens, est contradictoire à celle-ci, et les 424e, 442e, 493e et 509e. Dans cette dernière maxime, l’amour-propre, loin de nous aveugler,nous éclaire si bien qu’il devient notre tourment.Mme de Sablé (maxime 13) : « Rien ne nous peut tant instruire du dérèglement général de l’homme que la parfaite connoissance de nos dérèglements particuliers. »
  685. Honteux dans le sens de timides.
  686. L’air froid de nos jeunes gens date de loin : une femme célèbre
  687. Var. : Les querelles ne seroient pas longues si on n’avoit tort que d’un côté. (Manuscrit.)
  688. Var. : Il est presque également inutile d’avoir de la jeunesse sans beauté, ou de la beauté sans jeunesse. (Manuscrit.) — Meré (maxime 169) : « Les jeunes femmes n’ont pas assez d’esprit, et celles qui sont âgées n’ont pas assez de beauté. »
  689. Var. : Il y a des personnes si légères, qu’elles n’ont pas plus de, défauts que des qualités. (Manuscrit.)
  690. Dans le texte de Duplessis : « On ne conte. »
  691. Var. : On ne compte la première galanterie des femmes qu’à leur seconde. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 73 et 396.
  692. Rapprochez des maximes 259, 262, 324, 374, 501 et 563.
  693. Var. : L’amour ne nous plaît pas tant par lui-même que par la manière dont il se montre à nous. (Manuscrit.) — Voyez les maximes 374 et 500.
  694. Il est clair que droiture signifie, dans ce cas, bon sens. — Selon Sénèque (épître ix), la première personne que le sot ennuie, c’est lui-même : Omnis stultitia laborat fastidio sui. — Voyez les maximes 318, 448, 451, 456, et la 16e des Réflexions diverses.
  695. Var. La jalousie, qui est peut-être le plus grand de tous les maux, est aussi celui dont on a le moins de pitié, lorsqu'on le cause. (Manuscrit.)
  696. Cette dernière réflexion se trouve, nous l’avons dit, dans toutes les éditions.
  697. Var. : Après avoir parlé de la fausseté des vertus, il est raisonnable… (1665.) — Dans le texte de 1665 A, il y a : « de vertus ; » mais c’est sans doute une faute.
  698. Var. : le premier sentiment est assez ordinaire. (1665.)
  699. Var. : et les plus foibles hommes, aussi bien que les héros, ont donné mille célèbres exemples. (1665.)
  700. Var. : du bon sens. (1665 B.)
  701. Var. : de dégoûts. (1666.)
  702. Var. : cependant je doute que personne de bon sens en ait jamais été véritablement persuadé, et toute la peine qu’on se donne pour en venir à bout fait assez paroître que cette entreprise n’est pas aisée. On a mille sujets de mépriser la vie, mais on n’en peut avoir de mépriser la mort… (1665.)
  703. Var. : et ils la rejettent et s’en étonnent. (1665.)
  704. Var. : se découvre à leur imagination. (1665.)
  705. Var. : et ainsi il arrive. (1665.)
  706. Var. : ce qu’ils ne connoissoient pas. (1665 et 1666.)
  707. Var. : ils craignent ce qu’ils connoissent. (1665, 1666, 1671 et 1675.)
  708. Var. : de la voir. (1665.)
  709. Var. : mais tout homme qui la sait voir telle qu’elle est trouve que la cessation d’être comprend tout ce qu’il j a d’épouvantable. La nécessité inévitable de mourir fait toute la constance des philosophes : ils croient qu’il faut aller de bonne grâce où l’on ne se peut empêcher d’aller (voyez les maximes 28 et 46) ; et ne pouvant éterniser leur vie, il n’y a rien qu’ils ne fassent pour éterniser leur gloire, et pour sauver ainsi du naufrage ce qui en peut être garanti. (1665.) — Les éditions de 1666 et de 1671 portent, comme celle de 1665 : « ce qui en peut être garanti ; » les deux versions donnent un sens acceptable. — Deux maximes du manuscrit de la Rocheguyon viennent à l’appui de ce passage : « Rien ne prouve tant que les philosophes ne sont pas si bien persuadés qu’ils disent que la mort n’est pas un mal, que le tourment qu’ils se donnent pour éterniser leur réputation. » — « Rien ne prouve davantage combien la mort est redoutable que la peine que les philosophes se donnent pour persuader qu’on la doit mépriser. »
  710. Var. : et espérons plus de notre tempérament que des foibles raisonnements à l’abri desquels nous croyons pouvoir approcher de la mort avec indifférence. (1665.)
  711. Var. : La gloire de mourir avec fermeté, la satisfaction d’être regretté de ses amis et de laisser une belle réputation, l’espérance de ne plus souffrir de douleurs, et d’être à couvert des autres misères de la vie et des caprices de la fortune… (1665.)
  712. Duplessis donne à tort ils sont, et, à la ligue suivante, il omet simple devant haie.
  713. Var. : pour couvrir ceux. (1665.)
  714. Var. : quand on en est éloigné, on croit qu’elle peut être d’un grand secours ; mais quand on en est proche, on voit que tout la peut percer. Nous nous flattons de croire que la mort… (1665.)
  715. Var. : qui ne sont que foiblesses. (1666.)
  716. Var. : et que nos sentiments, qui ne sont que foiblesse, que variété et que confusion, soient d’une trempe assez forte pour ne point souffrir d’altération par la plus rude de toutes les épreuves. (1665.)
  717. Var. : C’est mal connoître. (1665.)
  718. Var. : que de croire. (1665.)
  719. Var. : n’est que trop foible en cette rencontre. (1665.)
  720. Var. : c’est elle qui nous trahit. (1665.)
  721. Var. : et, au lieu de nous inspirer le mépris de la mort, elle sert… (1665.)
  722. Var. : … d’en détourner les yeux et de les arrêter sur d’autres objets. (1665.)
  723. Var. : Caton et Brutus en choisissent d’illustres et d’éclatants (ce qui indique que, dans notre texte, illustres se rapporte, non pas à morts, mais à objets) ; un laquais se contenta dernièrement de danser les tricotets sur l’échafaud où il devoit être roué. (1665.) — Richelet (1680) définit tricotets : « une sorte de danse élevée et en rond, » et Furetière (1690) : « espèce de danse gaie. » Voyez le Lexique. — Rapprochez de la maxime 21. — Le 9 septembre 1660, la Rochefoucauld écrit à J. Esprit : « Je vous prie de mettre sur le ton de sentences ce que je vous ai mandé de ce mouchoir et des tricotets. » Il parlait évidemment de la maxime 21 et de celle-ci (voyez la variante de la 21e). Dans une lettre antérieure (du 27 août) à Mme de Sablé, il nous apprend que c’est de J. Esprit qu’il tient cette anecdote des tricotets : M. Esprit, dit-il, me parle d’un laquais qui a dansé les tricotets sur l’échafaud où il alloit être roué. Il me semble que voilà jusqu’où la philosophie d’un laquais méritoit d’aller. Je crois que toute gaité en cet état-là vous est bien suspecte. »
  724. Var. : ils produisent souvent les mêmes effets. (1665, 1666, 1671 et 1693.)
  725. Var. : de sorte qu’il est vrai de dire que… (1665.)
  726. Var. : … entre les grands hommes et les gens du commun, les uns et les autres ont mille fois reçu la mort d’un même visage ; mais ç’a toujours été avec cette différence que c’est l’amour de la gloire qui ôte aux grands hommes la vue de la mort dans le mépris qu’ils font paroître quelquefois pour elle, et dans les gens du commun, ce n’est qu’un effet de leur peu de lumière qui, les empêchant de connoître toute la grandeur de leur mal, leur laisse la liberté de songer à autre chose. (1665.)
  727. Quelques exemplaires donnent ces feuillets à la fin.
  728. C’est la maxime 563 de notre édition. Barbin avait repris également de l’édition de 1665 le Discours préliminaire attribué à Segrais ; il l’avait fait retoucher et abréger. Voyez ce Discours, ci-après, à l’Appendice, p. 351-370.
  729. Seize, à savoir les numéros 19, 20, 22-26, 29, 30, 34, 35, 38, 41-43, 45 du Supplément de 1693, se rapportent à nos maximes 342, 344, 302, 367, 374, 381, 359, 364, 345, 357, 354, 363, 377-379, 382 ; la dix-septième, à savoir le no 40, modifie une des pensées supprimées (voyez ci-après la note de la maxime 641). Pour les seize maximes que nous venons d’énumérer, nous avons indiqué dans notre commentaire les variantes que fournit la comparaison du nouveau texte (de 1693) avec l’ancien (de 1678).
  730. Ce sont les numéros 27, 31, 32, 36, 44 du Supplément, absolument identiques avec nos maximes 361, 347, 356, 350 et 380.
  731. Le numéro 11 du Supplément de 1693 (notre maxime 544) a été omis dans quelques éditions d’Amelot (1743, 1734, etc.), mais il se trouve dans celles de 1714, 1725, 1746.
  732. Les Maximes de Mme de la Sablière ne sont pas dans l’édition de 1714 ; elles ne paraissent dans le recueil d’Amelot qu’a partir de 1725.
  733. « Comme la plus correcte, dit-il, et la plus riche du propre fonds de notre auteur. » On ne peut pas dire qu’elle soit plus correcte que celle de 1678, et si elle est plus riche, c’est uniquement grâce aux vingt-huit maximes posthumes que l’abbé de la Roche n’a pas réimprimées.
  734. Voyez ce que nous disons de son édition dans la Notice des maximes supprimées, ci-après, p. 239, note 1.
  735. Paris, Lefèvre, grand in-16. — Aimé-Martin donne tout le Supplément de 1693, c’est-à-dire les cinquante maximes, sans distinguer, plus que n’a fait le premier éditeur, les pensées nouvelles des pensées déjà publiées identiquement en 1678 et des simples variantes.
  736. Duplessis n’indique comme vraiment nouvelles que vingt-cinq de ces pensées ; il considère, malgré de notables différences, nos numéros 543, 554 et 555, comme de simples variantes des maximes 439, 149 et 352.
  737. On en trouvera la description dans la Notice bibliographique.
  738. Il y a donc en tout dix de nos maximes posthumes qui se trouvent dans le recueil de Vallant. Neuf sont tirées de quatre lettres de la Rochefoucauld à Mme de Sablé ; une, d’une lettre du même à J. Esprit. Ces lettres ont été publiées par Gaëtan de la Piochefoucauld (Œuvres complètes, 1825), aux pages 449, 465, 466, 469 et 470, 475. — Blaise, en reproduisant, comme nous l’avons « lit, l’édition de Suard, y a ajouté, au bas des pages, une douzaine de notes contenant des maximes tirées des Portefeuilles de Vallant. Six de ces extraits se trouvent dans nos maximes posthumes (nos 509, 510, 313, 515, 524 et 525). C’est par erreur que Blaise indique les autres comme étant inédites (voyez les notes de nos maximes 577 et 618). Aimé-Martin, en 1822, a donné, sous le titre de Second supplément, dix des mêmes pensées ; il les rattache, comme variantes, toutes moins une (notre numéro 510), à des maximes définitives ; mais pour la moitié au moins, la différence est telle qu’il est impossible de les considérer comme de simples variantes.
  739. C’est ainsi qu’on trouve dans les manuscrits de Conrart, à la bibliothèque de l’Arsenal, d’anciennes copies de quelques maximes de la Rochefoucauld. Ces copies, de mains inconnues, contiennent quelques variantes ; mais comme ces variantes sont le plus souvent fautives, et n’ont d’ailleurs aucune autorité, nous avons cru devoir n’en pas tenir compte.
  740. Le recueil posthume d’Amelot de la Houssaye a été publié par Pichet. Il est impossible de distinguer bien exactement quelle a été, dans la composition de ce recueil, la part d’Amelot lui-même et celle de son éditeur. L’Épître dedicatoire et l’Avertissement de l’imprimeur ne nous donnent pas d’éclaircissements à ce sujet.
  741. M. de Barthélemy a tiré du manuscrit de la Rocheguyon 260 maximes. Son dernier chiffre est 259, mais il a deux numéros 99. Il indique comme inédits, non pas seulement nos numéros 505 et 511, publiés dans le recueil d’Amelot de la Houssaye, mais encore un grand nombre d’autres, qui ont paru du vivant de l’auteur. Les 260 maximes de son édition se décomposent ainsi : 192 de la série des pensées publiées par la Rochefoucauld (identiques avec ces pensées, ou simples variantes), 26 de nos posthumes, 39 de nos supprimées, et 3 maximes faisant (dans le manuscrit comme chez lui) double emploi, à savoir les numéros 8, 149 et 233. Son numéro 8 est le commencement de sa maxime 207 (626e de notre édition) ; son numéro 149 est la dernière phrase de sa maxime 132, et reproduit à peu près notre 126e ; enfin sa 233e maxime, qui répète sa 24e, n’est autre chose que notre 597e.
  742. « Qui leur sont particuliers. » (Édition de M. de Barthélemy.) — Cette maxime n’est que le développement de la 594e, que la première phrase répète.
  743. C’est vers le même temps, sans doute, qu’à propos de quelques beaux esprits de province, l’auteur écrivait de Vertœil (le 5 décembre 1662) à Mme de Sablé : « Je ne sais si vous avez remarqué que l’envie de faire des sentences se gagne comme le rhume : il y a ici des disciples de M. de Balzac qui en ont eu le vent, et qui ne veulent plus faire autre chose. »
  744. Cette maxime se trouve dans l’édition d’Amelot de la Houssaye (voyez ci-dessus la Notice, p. 221), avec ces différences : « … comme il a planté de différents arbres… chaque talent, de même que chaque arbre, a ses propriétés et ses effets… ne sauroit porter des pommes… les mêmes effets des talents les plus communs ; de là vient encore… de vouloir faire des semences (sic) sans avoir la graine en soi… des tulipes, quand on n’a pas planté les oignons. »
  745. La 1er édition du Dictionnaire de l’Académie (1694) définit ainsi ce proverbe, à l’article Fourgon : « Cela se dit d’un homme qui se moque d’un autre qui auroit autant de sujet de se moquer de lui. » — Montaigne (Essais, livre III, fin du chapitre v, tome III, p. 361) cite également ce proverbe sous cette forme : « Le fourgon se mocque de la paele. » — Rapprochez de la maxime 567.
  746. Mme de Sablé avait repris dans le fonds commun cette pensée qui lui appartenait sans doute, car, dans le recueil de ses Maximes, on trouve sous le numéro 72 : « Ceux qui sont assez sots pour s’estimer seulement par leur noblesse méprisent en quelque façon ce qui les a rendus nobles, puisque ce n’est que la vertu de leurs ancêtres qui a fait la noblesse de leur sang. » La Rochefoucauld a pu restituer sans regret cette réflexion assez insignifiante. — Meré (maxime 436) : « L’honnête homme ne se souvient jamais de sa noblesse que pour s’en rendre plus digne, c’est-à-dire pour devenir plus sage et plus vertueux. »
  747. Blaise et Aimé-Martin donnent cette maxime d’après une lettre à Mme de Sablé (Portefeuilles de Vallant, tome II, f° 256) ; leur texte porte, par erreur : « se fît un bien, » pour « se fît un Dieu. »
  748. Voyez la note de la maxime 494.
  749. « L’intérêt est l’ami de l’amour-propre. » (Édition de M. de Barthélemy.) — La même édition, à la ligne suivante, donne vie pour vue, et logiquement, après cette altération, elle remplace, tiois lignes plus loin, voit par vit.
  750. « Selon que son propre intérieur. » (Édition de M. de Barthélémy.)
  751. Cette maxime, que nous tirons du manuscrit de la Rocheguyon, se trouve aussi dans une lettre à Mme de Sablé (Portefeuilles de Vallant, tome II, f° 159). Blaise l’a placée à la suite des maximes définitives, et Aimé-Martin dans son Second supplément. Leur texte n’offre qu’une seule variante : « le soudain assoupissement, » pour » ce soudain assoupissement. » Le texte de Gaëtan de la Rochefoucauld (Œuvres complètes, p. 466) n’a pas cette variante, mais quelques autres : « sans sentiment, sans mouvement… l’amour-propre séparé… de l’intérêt… ne sent et ne remue plus. » — Rapprochez des maximes 139, 314, et de la 4e des Réflexions diverses.Mme de Sablé dit à peu près de même dans sa maxime 29 : « Tout le monde est si occupé de ses passions et de ses intérêts, que l’on en veut toujours parler, sans jamais entrer dans la passion et dans l’intérêt de ceux à qui on en parle encore qu’ils aient le même besoin qu’on les écoute et qu’on les assiste. » — Elle dit encore dans sa maxime 3 : « Au lieu d’être attentifs à connoître les autres, nous ne pensons qu’à nous faire connoître nous-mêmes. Il vaudroit mieux écouter pour acquérir de nouvelles lumières, que de parler trop pour montrer celles que l’on a acquises. » — J. Esprit donne à son tour la même pensée, mais d’une façon singulièrement plate (tome II, p. 68) : « Toutes les conversations où l’on ne dit rien qui touche nos passions, ou qui flatte notre vanité, nous sont insupportables, et c’est de là que viennent ces distractions, ces langueurs et cette espèce de pâmoison où nous tombons, aussitôt que nous apercevons que celui qui nous entretient prend le train de parler seulement de lui-même et de ne rien dire pour nous. » — Meré dit avec plus de concision et de netteté (maxime 335) : « Qui veut qu’on suive ses sentiments doit feindre d’entrer dans ceux des autres. »
  752. « … et nous les desirons toutes comme si… » (Édition d’Arnelot de la Houssaye.)
  753. Voyez les maximes 169, 266, 398 et 630.
  754. Tel est le texte du manuscrit de la Rochcguyon. Dans une lettre à Mme de Sablé, celle qui contient aussi les maximes 515 et 525 (Portefeuilles de Vallant, tome II, f° 169), le commencement de la maxime est : « Ce qui fait croire, » et la fin : « ce qu’on souhaite. » — Le texte de M. de Barthélémy donne facilement pour aisément (c’est aussi la leçon de Blaise et d’AiinéMartin), à croire pour de croire, et ce qu’on désire pour ce que l’on souhaite. — Rapprochez des maximes 31, 267, 397 et 483.
  755. Rapprochez de la maxime 32, et de la 8e des Réflexions diverses.
  756. La maxime entière est dans le manuscrit de la Rocheguyon ; le premier membre de phrase se lit seul dans une lettre à Mme de Sablé (Portefeuilles de Vallant, tome II, f° 168), d’après laquelle Blaise et Aimé-Martin l’ont donné. — Meré (maxime 414) : « Toutes les fois que l’espérance nous console, la crainte nous peut affliger ; et quand ces deux passions règnent dans nos âmes, le repos ne s’y trouve jamais. » — Selon Vauvenargues (Imitation de Pascal : Vanité des Philosophes, Œuvres, p. 223), « l’espérance et la crainte sont les vrais ressorts de l’esprit humain. »
  757. Voyez la maxime 114.
  758. C’est pour cela que, dans la Préface de la 1re édition (voyez plus haut, p. 27) la Rochefoucauld engage ironiquement chaque lecteur à « se mettre d’abord dans l’esprit qu’il n’y a aucune de ces maximes qui le regarde en particulier, et qu’il en est seul excepté, bien qu’elles paroissent générales. » — Voyez aussi la maxime 524.
  759. Voyez la maxime 261.
  760. Voyez la maxime 583.
  761. Meré (maxime 57) : « L’on est toujours assez riche, quand on est content de peu. »
  762. Blaise, et après lui Aimé-Martin, ont substitué crier à disputer.
  763. C’est dans le manuscrit de la Rocheguyon ; est dans la lettre à Mme de Sablé déjà citée pour la maxime 509.
  764. Voyez la maxime 517, et la Préface de la 1er édition (ci-dessus, p. 27).
  765. Biaise et Aimé-Martin, en relevant cette pensée d’après la lettre à Mme de Sablé, citée pour les maximes 513 et 515 (Portefeuilles de Vallant, tome II, fo 159[a]), la font rapporter à notre maxime 259, et donnent des pour les ; à la ligne suivante, ils ont retranché y devant avons.

    [a] Elle s’y retrouve une seconde fois, sans variante, et toujours de la main de la Rochefoucauld, au folio 223.

  766. Mme de Sablé (maxime 73) : « L’amour-propre fait que nous nous trompons presque en toutes choses, que nous entendons blâmer et que nous blâmons les mêmes défauts dont nous ne nous corrigeons point, ou parce que nous ne connoissons pas le mal qui est en nous, ou parce que nous l’envisageons toujours sous l’apparence de quelque bien. » — Dans ses maximes 47 et 49, elle se rapproche encore plus du sens de la Rochefoucauld : « C’est une chose bien vaine et bien inutile de faire l’examen de tout ce qui se passe dans le monde, si cela ne sert à se redresser soi-même. » — « Les sottises d’autrui nous doivent être plutôt une instruction qu’un sujet de nous moquer de ceux qui les font. » — Meré dit de son côté (maxime 18) : « Les hommes sont d’ordinaire aussi curieux de savoir la vie d’autrui que négligents de corriger la leur propre ; » et il ajoute (maxime 26) : « Il faut toujours épargner les défauts d’autrui, et jamais les siens. »
  767. « Il trouve du dégoût non-seulement dans leurs remèdes. » (Édition de M. de Barthélémy.) Les trois mots : « en elles, mais, » ont été omis par cet éditeur.
  768. Rapprochez des maximes 339 et 464.
  769. Cette pensée se lit deux fois dans le manuscrit de la Rocheguyon. M. de Barthélémy la donne sous le no 132 et sous le no 149. — Rapprochez des maximes 125 et 126. — Voyez dans Vauvenargues (Œuvres, p. 382) la 85e maxime : « On gagne peu de choses pour habileté, » et (p. 122) le 8e Conseil à un Jeune homme (Sur le mépris des petites finesses) — Mme de Sablé (maxime 10) : « C’est une occupation bien pénible aux fourbes d’avoir toujours à couvrir le défaut de leur sincérité et à réparer le manquement de leur parole. »
  770. Cette maxime et les trois suivantes ne se trouvent, nous l’avons dit (voyez ci-dessus, p. 221), que dans les Portefeuilles de Vallant (tome II), la première dans une lettre de la Rochefoucauld à J. Esprit (f° 124), les trois autres dans une lettre du même à Mme de Sablé (f° 158). — Voyez les maximes 143, 144, 146, 279 et 356.
  771. Duclos (tome I, p. 134, Considérations sur les mœurs de ce siècle, chapitre v) : « La plupart des hommes n’osent ni blâmer ni louer seuls. » — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxix) : « Les opinions générales, receues auec applaudissement de tous et sans contradiction, sont comme un torrent qui emporte tout. » — Voyez la 10e des Réflexions diverses.
  772. Mme de Sablé (maxime 64) : « Il se cache toujours assez d’amour-propre sous la plus grande dévotion pour mettre des bornes à la charité. » — Rapprochez des maximes 33, 234, 358, 536 et 537.
  773. Dans le Discours sur l’Inégalité des richesses (Œuvres, p. 174), Vauvenargues dit sous une forme plus oratoire : « Le laboureur a trouvé dans le travail de ses mains la paix et la satiété, qui fuient l’orgueil des grands. »
  774. « Rend les autres faciles à souffrir. » (Édition d’Amelot de la Houssaye.) — Il y a toute apparence qu’en écrivant cette réflexion, l’auteur pensait à la conversion éclatante de Mme de Longueville. — Voyez les maximes 33, 254, 358, 534, 537, et la 1er note de la page 246.
  775. Rapprochez des maximes 254, 358 et 534.
  776. Presque est omis dans l’édition d’Amelot de la Houssaye.
  777. Aussi Meré juge-t-il (maxime 366) qu’ « il est bien plus glorieux de borner ses désirs que de les satisfaire. »
  778. « … ce que la santé est au corps. » (Édition d’Amelot de la Houssaye.)
  779. Rapprochez de la maxime 439.
  780. Horace (livre I, satire v, vers 44) :
    Nil ego contulerim jucundo sanus amico.

    « Tant que j’aurai mon bon sens, je ne trouverai rien de comparable à un aimable ami. »

  781. Rapprochez de la maxime 330. — Voyez aussi la note de la maxime 385.
  782. Publias Syrus :
    Amare et sapere vix deo conceditur.

    « Aimer et demeurer sage, à peine est-ce donné à un dieu. » — Bussy Rabutin (Histoire amoureuse des Gaules, édition de Liège, sans date, p. 126) avait dit absolument de même, en parlant du duc de Nemours et de la duchesse de Châtillon : « À mesure que cette passion croissoit, leur prudence ne faisoit pas de même. » — Est-ce pour ne point paraître avoir emprunté à Bussy que la Rochefoucauld n’a pas publié cette pensée ? — Il paraît du reste qu’elle était dans l’air, car nous lisons encore dans le recueil de Meré (maxime 143) : « La sagesse et l’amour ne s’accordent jamais. »

  783. Voyez la note de la maxime 346.
  784. Voyez la maxime 634.
  785. « Le bonheur et le malheur. » (Édition d’Amelot de la Houssaye.) — Cette maxime rappelle la pensée qui revient jusqu’à cinq fois dans les Évangiles et qui est ainsi exprimée dans celui de saint Matthieu (chapitre xiii, verset 12) : Qui enim habet, dabitur ei, et abundabit ; qui autem non habet, et quod habet auferetur ab eo. « Il sera donné à celui qui a, et il se trouvera dans l’abondance ; quant à celui qui n’a pas, le peu même qu’il a lui sera ôté. » — Mme de Sévigné abonde dans le sens de la première proposition ; elle écrit à sa fille (tome VI, p. 121) : « N’est-il pas vrai que tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux ? »
  786. Rapprochez de la maxime 368.
  787. L’auteur a pourtant dit dans la maxime 371 que c’est presque toujours notre faute de ne pas connoître quand on cesse de nous aimer. — Voyez aussi les maximes 335, 336, 348 et 557.
  788. Rapprochez des maximes 149, 184, 327, 383, 596 et 609.
  789. Voyez les maximes 304 et 352.
  790. Rapprochez des maximes 335, 336, 348, 371 et 553.
  791. Voyez les maximes 70 et 108.
  792. Rapprochez de la maxime 286.
  793. C’est Saint-Évremond, nous l’avons dit (p. 221), qui nous a conservé cette pensée, adressée par la Rochefoucauld à Ninon de l’Enclos. Voyez la Vie de Saint-Évremond par des Maizeaux, édition de 1711, p. 353.
  794. L’édition d’Amsterdam de 1705 (chez P. Mortier), mentionnée par nous ci-dessus, p. 220, et l’édition posthume d’Amelot de la Houssaye (1714) avaient donné la plus grande partie des pensées rejetées par l’auteur, mais en les confondant pèle-mêle avec celles qu’il avait maintenues.

    L’édition d’Amsterdam a, en tout, dans sa première et principale série, cinq cent soixante et onze numéros, c’est-à-dire soixante-sept de plus que la dernière édition publiée du vivant de la Rochefoucauld (1678). Ces soixante-sept pensées avaient paru toutes dans la première édition publiée par l’auteur. Deux, sur ce nombre (nos 101 et 48 de 1665), ont été données par nous comme variantes aux maximes 88 et 297 ; on trouvera les soixante-cinq autres dans notre série des maximes supprimées. L’éditeur de 1705 a omis les quatre maximes retranchées qui ne datent point de 1665, mais de 1666 ou de 1675, et, de plus, dix des maximes de 1665 : pour être complet, il lui manque, si on le compare avec nous, quatorze pensées.

    Araelot, si nous avons bien compté, et ce n’est point chose facile dans son répertoire alphabétique, donne cinquante-quatre des pensées retranchées, nos numéros 563-571, 573-575, 577-580, 582, 583, 585, 586, 589, 591-593, 595-597, 600-602, 604, 605, 611, 612, 614-617, 620-630, 634-638 ; et en outre les deux maximes supprimées (nos 101 et 117 de 1665) que nous avons placées, comme variantes, dans les notes des numéros 88 et 110.

    L’abbé de la Roche (1737) cite une maxime supprimée, une seule, si nous ne nous trompons, dans tout son recueil, à la note de la maxime 81 ; elle s’appliquait plutôt à la 83e, où nous l’avons mise comme variante. C’est la maxime 94e de 1665, qui n’a disparu qu’à la 5e édition.

    Quant à Suard (1778), dont Blaise, en 1813, a reproduit l’édition, il avait arbitrairement repris vingt-quatre des maximes supprimées, pour les distribuer, sans les distinguer des autres, et sans en prévenir le lecteur, dans le texte définitif de la Rochefoucauld. Ce sont nos numéros 565-567, 570, 574, 577-584, 587, 590, 608, 612, 617, 628, 630, 632, 633, 640 et 641. Blaise en a ajouté deux en note, qu’il donne pour inédites : nos numéros 578 et 618 (voyez les notes de ces deux maximes). Souvent Suard remet la maxime supprimée à la place où était, dans les éditions précédentes, celle que l’auteur y avait substituée. et il place cette dernière ailleurs, hors de son rang. Suard se permet en outre fréquemment de changer soit les tours, soit les mots de notre auteur. Il y a telle modification si considérable qu’on a peine à reconnaître sous la forme nouvelle la maxime originale, et qu’on serait d’abord tenté de croire que Suard donne quelque texte inédit, ou quelque retouche qu’il a seul connue (comparez, entre autres, son numéro 251 à notre 243e). Cette tentation est d’autant plus forte qu’on lit dans l’Avertissement de l’éditeur (p. v) : « C’est sur le manuscrit original de M. de la Rochefoucauld et sur des exemplaires des premières éditions corrigées de sa propre main, qu’on a fait cette nouvelle édition. » Mais l’examen du texte de Suard empêche d’avoir grande confiance en cette assertion, ou, si l’on y ajoute foi, d’y attacher de l’importance. En général, les variantes de ce texte, quand il y en a, substituent simplement à la rédaction définitive celle des éditions antérieures, ou bien le choix même des mots et des tours montre assez qu’elles sont plutôt du fait de l’éditeur que de l’auteur. Pour celles de ces variantes qui viennent delà Rochefoucauld, pas n’était besoin d’exemplaires corrigés de sa propre main ; nous les trouvons, telles que Suard les donne, dans les divers textes imprimés du vivant de l’auteur. Blaise a cru devoir, lui aussi, parler dans une note (p. 54 et 55) se rapportant à notre maxime 83, de « premières éditions corrigées de la main de M. le duc de la Rochefoucauld. » Cette maxime, qui est chez lui la 81e, et qui se trouve être précisément la seule pensée supprimée que l’abbé de la Roche ait recueillie, il l’a admise dans son texte, à l’exemple de Suard, telle qu’on la trouve dans les éditions de 1666, 1671 et 1675, qui, pour cette maxime, ne diffèrent que par un mot de celle de 1665, et il donne en note, comme variante, la forme définitive de 1678.

  795. Brotier écrit toujours ainsi la Rochefoucault, par un t.
  796. Voici ceux de ses numéros que nous avons rejetés, à ce titre, dans les notes. À la suite de chacun d’eux nous plaçons ici le chiffre de la maxime a laquelle il correspond dans notre édition :
    3293 3612983239
    517  4815590245
    618  4916291246
    931  5116092247
    1032  5215794254
    1236  5717395256
    1329759178100271
    2065 6118411083
    2788 62186115617
    3197 65196119249
    3210168205120249
    3311069211121284
    3411674223
    3512680236

    Outre ces quarante variantes, parmi lesquelles il s’en trouve un certain nombre qui n’offrent que de très-insignifiatntes différences de rédaction, Brotier donne dans ce supplément, sous les numéros 58, 75, 77, 96, 118, cinq pensées dont le texte est absolument identique avec les maximes définitives 177, 224, 228, 251, 335, placées par lui, comme par nous, dans le premier et principal recueil des 504. En revanche, il a omis dans le supplément, et ne donne nulle part, nos numéros 572, 573, 588 et 594, qui ont, il est vrai, quelque rapport avec les maximes 49, 50, 92 et 344, mais eu diffèrent assez pour en être distingués.

  797. Fortia a retranché les numéros 58, 75, 77 et 115 de Brotier, comme faisant double emploi avec les maximes définitives 177, 224, 228, et la 76e des maximes supprimées.
  798. Le dernier chiffre d’Aimé-Martin est lxiv, mais il donne, après le numéro li, un li bis. Comme Duplessis, qui n’a fait ici que le suivre, il a de plus que nous une maxime, sa 17e, que nous avons rapprochée en note de la 88e, et il en a de moins que nous quinze, qu’il a considérées comme de simples variantes. Les voici, d’après le rang qu’elles ont dans notre édition. Nous indiquons en regard le chiffre de la maxime à laquelle chacune d’elles se rapporte, chez Duplessis comme chez Aimé-Martin.
    56941 58892 609184
    57249 594344623
    dernière phrase de 184 ; Duplessis
    ne la mentionne pas.
    57350 596149 6311
    575295599150
    57878 606 épigraphe
    58078 6071

    On peut remarquer que parmi ces quinze maximes se trouvent les quatre omises par Brotier.

  799. Pascal (Pensées, article II, 8) : « La nature de l’amour-propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi et de ne considérer que soi » — Meré (maxime 531) : « C’est quelque chose de si commun et de si fin que l’intérêt, qu’il est toujours le premier mobile de nos actions, le dernier point de vue de nos entreprises… »
  800. L’édition de 1693 donne : « Il n’est rien de si impétueux que ses désirs. »
  801. Duplessis omet y devant fait, et, deux lignes plus loin, il devant y élève.
  802. Les mots : « il y conçoit, il y nourrit », manquent dans l’impression de 1665 C.
  803. Il y a monstreuses dans les impressions de 1665 A et D ; monstrueuses dans celles de 1665 B et C, et dans l’édition de 1693.
  804. Rapprochez de la maxime 192. — J. Esprit (tome I, p. 232) : « On croit que les inclinations qui sont lassées, ou suspendues, ou rebutées, sont des inclinations détruites. »
  805. Le reste de cette ligne et les vingt-neuf lignes qui viennent après, jusqu’aux mots « empressement, et » (page suivante, ligne 12) ont été sautés dans l’édition de 1693, qui, par suite de cette lacune, nous donne cette phrase vide de sens : « en quoi il est semblable à nos yeux avec des travaux incroyables, etc. »
  806. Brotier a omis les mots : « espèce de. »
  807. Voyez les maximes 48, 374 et 500.
  808. Brotier altère ainsi le tour et le sens : « Il est de tous les contraires. » Par contre, à la phrase suivante, il supprime de : « Il a différentes inclinations. »
  809. Voyez la maxime 11.
  810. Duplessis a changé tournent en tourmentent.
  811. L’auteur a dit pourtant (maxime 252) qu’il est extraordinaire de voir changer les inclinations.
  812. Le mot est écrit bijeare dans les quatre impressions de 1665 ; bizare dans l’édition de 1693. On voit dans les Dictionnaires de Richelet (1680), de Furetière (1690), et dans la 1er édition de celui de l’Académie (1694), que les deux formes ; bigearre et bizarre, existaient concurremment. Furetiére et l’Académie citent des exemples de l’une et de l’autre ; Richelet dit que « bizarre est le plus usité. »
  813. Nous reproduisons le texte des impressions de 1665 A et D, qui est aussi celui du manuscrit de la Rocheguyon. L’édition de 1695, de même que 1665 B et C, omettent et après partout.
  814. J. Esprit (tome II, p. 463) : « Il (l’amour-propre) entre habilement dans la résolution que prennent ceux qui se déclarent ses ennemis, qui le combattent tous les jours, et qui s’efforcent de le détruire, parce qu’il sait bien le moyen de réparer ses pertes. »
  815. Brotier, Duplessis et le manuscrit donnent « lui-même, » au lieu de même.
  816. Meré (maxime 526) : « La vanité est si fine et si adroite qu’elle se cache souvent sous le visage de la vertu, même la plus modeste et la plus austère. » — M. Sainte-Beuve (Port-Royal, tome IV, p. 253, note) pense que, dans tout ce passage, la Rochefoucauld fait allusion « aux chrétiens, aux convertis et aux pénitents, et bien probablement à Mme de Longueville » — Rapprochez de la maxime 254.
  817. Meré (maximes 43 et 44) : « L’orgueil ne réussit jamais mieux que quand il se couvre de modestie. » — « Ceux qui font profession de mépriser la vaine gloire se glorifient souvent de ce mépris avec encore plus de vanité. » — Rapprochez de la maxime 33.
  818. Var. : on le trouve. (Manuscrit.)
  819. Dans les quatre impressions de 1665, ainsi que dans l’édition de 1693, l’orthographe de ces mots est : flus et reflus.
  820. Continuelles a été omis dans l’édition de 1693 et dans celle de Brotier. — Le manuscrit donne ainsi ce passage : « … trouve dans la violence continuelle de ses vagues… »
  821. Cette longue maxime est placée, comme une sorte de chapitre à part, en tête du Supplément de 1693. Elle se trouve aussi, on l’a vu par les variantes qui précèdent, dans le manuscrit de la Rocheguyon. — On peut rapprocher de cette délicate, mais bien minutieuse définition de l’amour-propre, le beau et sévère fragment de Pascal sur le même sujet (Pensées, article II, 8). — Voyez aussi la variante de la maxime 88, et la 6e des Réflexions diverses.
  822. Var. : ne sont que. (Manuscrit.)
  823. Voyez les maximes 5, 44, 297 et 638.
  824. Suard ajoute : « d’ordinaire. »
  825. Var. : que la crainte. (Manuscrit.)
  826. Cette pensée faisait en partie double emploi avec la maxime 18 de l’édition définitive. Voyez aussi les maximes 17 et 293.
  827. Analogue à la maxime 593 ; supprimée d’ailleurs, à hou droit, ce nous-semble, comme manquant de noblesse.
  828. Suard a remplacé Tout le monde par Chacun.
  829. Cette pensée revient, pour le fond, à la 507e.
  830. Duplessis omet tous.
  831. Var. : Enfin l’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses métamorphoses, après avoir joué tout seul le personnage de la comédie humaine… (Manuscrit.)
  832. Brotier a changé « la fierté » en « sa fierté ».
  833. On ne comprend pas pourquoi l’auteur a mis au rebut une pensée d’un sens si juste et d’une si belle expression.
  834. Double emploi avec la maxime 41, à laquelle nous aurions même pu la joindre comme variante. — Var. : Le manuscrit donne la même pensée sous cette forme : « Ceux qui s’appliquent trop aux petites choses peuvent difficilement s’appliquer aux grandes, parce qu’ils consomment toute leur application pour les petites ; et même, en la plupart des hommes, c’est une marque qu’ils n’ont aucun talent pour les grandes. » — Meré (maxime 354) : « L’on juge mal de l’esprit d’un homme qui ne s’occupe qu’à des bagatelles. » — Voyez la 16e des Réflexions diverses, où l’auteur revient au sens contraire.
  835. Var. : On est heureux de connoître… (Manuscrit.)
  836. Suard modifie ainsi le tour : « C’est une espèce de bonheur que de connoître à quel point… »
  837. Répétition de la maxime 49. — Meré (maxime 362) : « Jamais on n’est plus malheureux qu’alors qu’on le croit être. »
  838. Var. : d’être malheureux en effet. (Manuscrit.)
  839. Répétition de la maxime 50. — Bmaise (p. 45) donne en note, comme inédite et publiée pour la première fois d’après un manuscrit, cette maxime 573, imprimée dès 1665. — Le manuscrit auquel Blaise renvoie dans ses notes est le tome II des Portefeuilles de Vallant. Il dit avoir trouvé cette maxime au folio 220. Ce chiffre est celui de l’ancienne pagination. Une note qui se lit au commencement du volume, datée de janvier 1850, avertit qu’avant la pagination actuelle on avait constaté qu’il manquait un certain nombre de feuillets (entre autres le 220e).
  840. Le manuscrit disait d’une façon plus vive : « Comment peut-on répondre si hardiment de soi-même, puisqu’il faut auparavant pouvoir répondre de sa fortune ? » Comparez avec la maxime suivante. — Suard termine ainsi la phrase : « de ce qu’on fera à l’avenir. »
  841. Rapprochez de la maxime 295.
  842. C’est, à deux mots près, la dernière phrase de la 79e maxime de Mme de Sablé. La Rochefoucauld l’a-t-il abandonnée à titre de restitution, ou Mme de Sablé l’a-t-elle reprise dans les miettes de la Rochefoucauld ? — La pensée de Mme de Sablé se termine ainsi : « au corps de celui qu’elle anime. »
  843. Var. : Comme on n’est jamais libre d’aimer ou de cesser d’aimer, on ne peut se plaindre avec justice de la cruauté de ses maîtresses, ni de la légèreté de son amant. (Manuscrit.) — Duplessis (p. 259) fait remarquer avec raison que cette « espèce de justification des infidélités amoureuses dut faire jeter les hauts cris aux nobles et spirituelles amies du moraliste. » Toutefois l’auteur ne l’a supprimée que dans sa dernière édition (1678) ; il pouvait pourtant en faire d’autant plus volontiers le sacrifice, qu’on n’y trouve pas le tour fin qui lui est habituel. — La Bruyère a dit dans le même sens (du Cœur, no 31, tome I, p. 203) : « L’on n’est pas plus maître de toujours aimer qu’on l’a été de ne pas aimer. » — Saint-Évremond (Maxime, qu’on ne doit jamais manquer à ses amis, Œuvres mêlées, Barbin, 1689, p. 291) : « Après tout, dit un ami léger, c’est une chose bien lassante que de dire toute sa vie à une même personne : Je vous aime. » — Vauvenargues pense également (maxime 755, Œuvres, p. 477) que : « la constance est la chimère de l’amour. » — Rapprochez des maximes 175, 176 et 177.
  844. Suard, après n’est, ajoute : « le plus souvent. »
  845. Brotier omet et, et Duplessis, qui donne cette maxime comme variante de la 78e, retranche cette.
  846. C’était une version moins nette et moins heureuse de la maxime 78. — Voyez ci-après la 580e.
  847. Var. : La justice dans les bons juges n’est que l’amour de l’approbation ; dans les ambitieux, c’est l’amour de leur élévation. (Manuscrit.) — J. Esprit dit de même (tome I, p. 513) : « L’intégrité des magistrats est une affectation d’une réputation singulière, ou un désir de s’élever aux premières charges. »
  848. Var. : … non par la haine qu’on en a, mais… qu’on en reçoit. (Manuscrit.) — Duplessis, dans le premier membre de phrase, change par en pour ; et Brotier, dans le second, pour eu par. — C’est une autre répétition de la maxime 78 ; voyez ci-dessus la 578e.
  849. Var. : que l’on devienne. (1665.) — que l’on nous devienne. (1666.)
  850. Brotier substitue infidélité à fidélité.
  851. Var. : La joie que nous avons du bonheur… (Manuscrit.)
  852. Après vient, Suard ajoute : « pas toujours ; » et après c’est, à la ligne suivante : « le plus souvent. »
  853. Amelot de la Houssaye supprime meilleurs ; Suard, après trouvons, remplace toujours par souvent.
  854. Voyez les maximes 235 et 321. Il y a dans cette pensée et dans la précédente une exagération, ou, tout au moins, une dureté dont l’auteur lui-même a fait justice en les supprimant. — Vauvenargues (maxime 537, Œuvres, p. 450) a dit dans une mesure plus juste : « Quelque tendresse que nous ayons pour nos amis ou pour nos proches, il n’arrive jamais que le bonheur d’autrui suffise pour faire le nôtre. » — La Bruyère (de l’Homme, no 22) : « L’homme qui dit qu’il n’est pas né heureux pourroit du moins le devenir par le bonheur de ses amis ou de ses proches. L’envie lui ôte cette dernière ressource. »
  855. Var. : si nous n’avons pas pu. (1665.)
  856. Var. : « il sert à le nourrir et à l’augmenter, et c’est pour manquer de lumières que nous ignorons toutes nos misères et nos défauts. » (Manuscrit.)
  857. Dans Amelot : « quand on n’espère plus en trouver dans les autres. » — Rapprochez de la 4e des Réflexions diverses.
  858. Suard coupe la phrase par un point et virgule après paresseux, et remplace ensuite afin de par « ils veulent. » — Brotier retranche à qui suit satisfait.
  859. Cette maxime date de la 2e édition (1666), et l’auteur ne l’a ôtée que dans la dernière (1678).
  860. Cette pensée ressemblait trop à la 92e ; c’était d’ailleurs un trait d’esprit plutôt qu’une maxime.
  861. Tel est le texte des diverses impressions de 1665. Voyez le Lexique, au mot Surtout.
  862. M. de Barthélémy donne : « en bâtiment de l’orgueil. » — Amelot : « à l’édifice de l’orgueil. » — Pascal (Pensées, article XII, 1) se demande également avec doute si les philosophes ont trouvé le remède à nos maux.
  863. Vauvenargues (p. 84) trouve cette réflexion commune ; l’auteur en jugeait sans doute ainsi lui-même, car il l’a supprimée, on le voit, dans sa dernière édition.
  864. Var. : … dans toutes les choses indifférentes. (Manuscrit.)
  865. L’auteur a supprimé cette pensée, sans doute parce que c’était une réminiscence trop forte de Moutaigne (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 241) : « De quoy se faict la plus subtile folie, que de la plus subtile sagesse ? » — Pascal a dit à peu près dans le même sens (Pensées, article VI, 14) : « L’extrême esprit est accusé de folie, comme l’extrême défaut (d’esprit). » — Meré (maximes 248 et 539) : « Il n’y a point de sage qui n’ait été fou, et de fou qui ne puisse devenir sage. » — « La folie précède toujours la sagesse ; on ne connoit celle-ci que par l’autre ; il faut s’être égaré avant que de se mettre dans le bon chemin. »
  866. Voyez la maxime 566 et la note. — J. Esprit dit de même (tome II, p. 41) : « La tempérance est l’impuissance de manger beaucoup. »
  867. Telle est l’orthographe de ce mot dans les diverses impressions de 1665. Voyez le Lexique, au mot Tout.
  868. Duplessis, qui donne cette maxime comme variante de la 344e, termine ainsi la phrase : « et les effets qui lui sont particuliers. » — Voyez les maximes 344, 404 et 505.
  869. Var. : … que quand on s’est lassé de les conter. (Manuscrit.)
  870. Dans l’édition d’Amelot : « des louanges. »
  871. Retranchée comme faisant double emploi avec la maxime 149. — Voyez aussi les maximes 184, 327, 383 et 554.
  872. L’auteur, comme nous l’avons fait remarquer (ci-dessus, p. 92, note 1), a fondu cette maxime et la suivante dans la 150e, plus courte et plus précise. — Rapprochez cette pensée et celle qui suit de la maxime 200.
  873. Et est omis dans l’édition de M. de Barthélémy.
  874. Le manuscrit n’a pas les perfectionne.
  875. « D’en faire, » dans l’édition de Duplessis, où cette maxime est donnée comme variante de la 150e.
  876. Amelot omet ne, et Brotier : jamais.
  877. Cette pensée n’était qu’une répétition assez faible de la maxime 2. — Voyez aussi la maxime 303.
  878. Var. : dans la colère. (Manuscrit.) — Il y a colères, au pluriel, dans toutes les impressions de 1665.
  879. Brotier remplace bien qu’il par quoiqu’il ; et Amelot quasi par presque.
  880. Var. : la fureur de l’orgueil et de l’amour-propre. (Manuscrit.)
  881. Dans les éditions de Brotier et de Duplessis, il y a vertus, au pluriel.
  882. Var. : mais celles qui ont seulement les plus grandes vues. (Manuscrit.) — Rapprochez de la maxime 190, et de la 14e des Réflexions diverses.
  883. L’édition de Suard donne monnoies, au pluriel.
  884. Var. : et on est forcé. (Manuscrit.)
  885. Duplessis (p. 205) fait observer avec raison que cette réflexion est plutôt une épigramme qu’une maxime ; l’auteur ne l’a cependant supprimée que dans sa dernière édition (1678). — « Cette comparaison, dit la Harpe (tome VII, p. 263 et 264), est plus ingénieuse que solide. Si cette pensée était vraie, tout homme vaudrait, dans l’opinion, en raison de la place qu’il occupe dans le monde. Heureusement, il n’en est pas ainsi ; et quand Louis XIV envoyait Villeroy commander à la place de Villars ou de Catinat, le dernier soldat de l’armée savait évaluer cette fausse monnaie ; les chansons militaires du dernier siècle en sont la preuve. » — L’abbé Brotier (p. 249 et 250) fait également ses réserves sur le fond de cette pensée, mais il convient que le tour en est ingénieux, et il prétend qu’elle a passé en proverbe. À l’en croire, c’est par allusion à la maxime de la Rochefoucauld qu’on appela monnaie de Turenne la nombreuse promotion de maréchaux de France que Louis XIV fit en 1675, après la mort de ce grand homme. L’assertion peut paraître au moins hasardée.
  886. Var. : Peu de gens sont cruels de cruauté, mais tous les hommes sont cruels d’amour-propre. (Manuscrit.)
  887. Var. : Dieu seul fait les gens de bien, et on peut dire de toutes nos vertus ce qu’un poète a dit de l’honnêteté des femmes :
    … Esser onesta
    Non è, se non un’ arte di parer’ onesta. (Manuscrit.)

    Le poète dont il s’agit, c’est Guarini. — J. Esprit (tome I, p. 521) cite également ce vers, mais d’une façon différente, comme une ligne de prose : L’onestate altro non è che un’ arte di parer’ onesta ; et, tout en l’appliquant volontiers aux hommes, il proteste en faveur des femmes. — Voici le vrai texte de Guarini :

    … Altro al fin l’onestate
    Non è che un’ arte di parer’ onesta.
    (Pastor fido, acte III, scène v.)
  888. Var. : La vertu est un fantôme produit par nos passions, du nom duquel on se sert afin de faire… (Manuscrit.) — Cette pensée faisait double emploi avec la suivante, qu’elle exagérait d’ailleurs.
  889. Var. : Nous sommes préoccupés de telle sorte en notre faveur, que ce que nous prenons souvent pour des vertus n’est en effet qu’un nombre de vices qui leur ressemblent, et que l’orgueil et l’amour-propre nous ont déguisés. (Manuscrit et 1665 ; le manuscrit a : le plus souvent, pour souvent ; puis : « ne sont en effet que des vices. » ) — On peut s’étonner que l’auteur ait conservé, jusque dans la 4e édition, cette pensée, que la maxime épigraphe rendait inutile, aussi bien que la précédente.
  890. Dans l’édition de Suard : « leurs excès. »
  891. La 2e édition (1666) donne habilités. Voyez, ci-dessus, la 3e note de la page 83.
  892. Var. : Les crimes deviennent innocents, et même glorieux, par leur nombre et par leur excès ; de là vient que les voleries publiques sont des habiletés, et que les massacres de provinces entières sont des conquêtes. (Manuscrit.) — Duplessis (p. 266) pense que la Rochefoucauld a retranché cette réflexion « sans doute comme tout à fait exagérée, et peut-être comme un peu hardie sous le règne d’un roi qui aimait assez la guerre et les conquêtes. » C’est prêter à l’auteur un scrupule bien tardif, car il a maintenu cette pensée dans ses quatre premières éditions, et ne l’a retranchée qu’en 1678, alors que les conquêtes de Louis XIV étaient faites. — Vauvenargues répond ainsi à la Rochefoucauld (p. 82) : « Il est faux que l’éclat ou l’excès du crime le rendent innocent ou glorieux : un de nos meilleurs rois (Henri IV), assassiné au milieu de ses gardes et de son peuple, a couvert le nom du meurtrier d’un éternel opprobre. Ce ne sont donc pas les grands crimes qui rendent un homme illustre ; ce sont ceux qui demandent, dans l’exécution, de grands talents et un génie élevé ; tel est l’attentat de Cromwell. »
  893. Rapprochez des maximes 184, 327, 383, 442, 554, et de la 5e des Réflexions diverses.
  894. Voyez la maxime 189. — Charron (de la Sagesse, livre I, chapitre xxxvii) : « L’homme ne peut estre, quand bien il voudroit, du tout bon ny du tout meschant. »
  895. Var. : … de commettre des crimes… (et, plus loin) aisément (au lieu de facilement). (Manuscrit.) — Meré (maxime 431) : « Plus l’homme est bon, moins il soupçonne les autres de méchanceté. »
  896. Rapprochez de la maxime 233.
  897. C’est le mot célèbre de Fénelon, dans son Sermon de l’Épiphanie : « L’homme s’agite, mais Dieu le mène. » — Plusieurs commentateurs se sont demandé pourquoi la Rochefoucauld a mis au rebut cette pensée, dont le fond et la forme sont également irréprochables ; on peut dire avec Brotier (p. 253 et 254) et avec Duplessis (p. 266) qu’une réflexion religieuse, presque chrétienne, devait lui paraître trop isolée dans un livre qui ne traite des hommes qu’au point de vue du monde ; mais la vraie raison, je crois, c’est qu’il a dû s’apercevoir que cette maxime était en contradiction flagrante avec nombre d’autres, auxquelles il tenait davantage, et où il soutient que nos passions, nos humeurs, et surtout le hasard, disposent de la vie humaine.
  898. Peut-être l’auteur a-t-il supprimé cette pensée parce qu’elle avait le tort de rappeler les conjurations de la Fronde, auxquelles il avait pris une si grande part, et qu’il aimait mieux oublier dès la seconde édition (1666), alors que son fils était déjà en veine de faveur auprès de Louis XIV. Dans tous les cas, on peut croire que cette maxime, comme tant d’autres, n’est qu’un retour de la Rochefoucauld sur lui-même ; car s’il avait, dans les périls de la guerre, une valeur reconnue par tous, même par ses ennemis, il avait dans les conjurations une hésitation dont Retz l’accuse formellement (voyez le Portrait de la Rochefoucauld par le cardinal de Retz, ci-dessus, p. 13). — Dans le manuscrit, cette pensée s’ajoutait à la dernière phrase de la maxime que l’auteur a maintenue sous le no 217.
  899. Dans l’édition d’Amelot : « par la naissance. »
  900. Brotier donne produisent, au lieu de procurent.
  901. Cette réflexion devait choquer Condé et Turenne, ou au moins leurs amis. Est-ce pour cela que la Rochefoucauld l’a supprimée dès sa seconde édition (1666) ? — On en peut rapprocher ce morceau bien connu du Discours de Cicéron pour Marcellus (§ 2) : Belli laudes solent quidam extenuare verbis, easque detrahere ducibus, communicare cum multis, ne propriæ sint imperatorum. Et certe in armis militum virtus, locorum opportunitas, auxilia sociorum, classes, commeatus, multum juvant. Maximam vero partem quasi suo jure fortuna sibi vindicat ; et quidquid est prospere gestum, id pœne omne ducit suum. « Les succès militaires ont leurs détracteurs ; quelques hommes contestent aux généraux une portion de cette gloire ; ils en font la part des soldats, afin qu’elle ne demeure pas entière aux chefs qui les commandent. Et soyons vrais, la valeur des troupes, l’avantage des positions, les secours des alliés, les flottes, les convois, contribuent beaucoup à la victoire. La fortune surtout en réclame la plus grande partie ; elle revendique les succès comme son ouvrage. » (Traduction de Gueroult.)
  902. Retranchée, sans doute, comme étant insignifiante ou, tout au moins, commune.
  903. Var. : On donne plus souvent des bornes à sa reconnoissance qu’à ses désirs et à ses espérances. (1665.) — Cette maxime, on le voit, a été maintenue, avec de légères retouches, dans les quatre premières éditions.
  904. Var. : … qui plaisent. (Manuscrit.)
  905. Voyez la 3e des Réflexions diverses. — Blaise (p. 159), dans une note qui se rapporte à la maxime 431, donne cette pensée pour inédite. Il l’a trouvée, comme la 573e, au folio 220 du tome II des Portefeuilles de Vallant (voyez ci-dessus, p, 239, note 1).
  906. Var. : Nous ne regrettons pas la perte de nos amis selon leur mérite, mais selon nos besoins et selon l’opinion que nous croyons leur avoir donnée de ce que nous valons. (1665.) — J. Esprit (tome I, p. 392) : « Nous pleurons, non pas la perte de nos amis, mais celle de nos plaisirs et de nos avantages. » — Rapprochez des maximes 232, 233, 355 et 373.
  907. Dans l’édition d’Arnelot : « répandue et générale pour tout le monde. »
  908. C’était un double emploi avec la maxime 236, qui est d’ailleurs plus explicite et plus claire.
  909. Brotier substitue pas à jamais.
  910. Rapprochez des maximes 237 et 387.
  911. Var. : le moyen. (Manuscrit.)
  912. M. de Biirtliélemy remplace, ainsi que Brotier, déplaire par plaire.
  913. Voyez la maxime 242. — Boileau (épître IX, vers 80) parle également d’un importun
    Qui ne déplaît enfin que pour vouloir trop plaire.

    — La pensée de la Rochefoucauld a quelque analogie avec la maxime 345 de Meré : « Ceux qui s’aiment trop sont en danger d’être bais de tout le monde. »

  914. C’est textuellement le dernier membre de phrase de la maxime 265. — Rapprochez aussi des maximes 337 et 375.
  915. Le chevalier Temple, cité par Brotier (p. 254), a dit dans un sens analogue : « Le caractère de l’esprit change comme les modes. » — Voyez les maximes 45, 252, et la 10e des Réflexions diverses.
  916. Cette première phrase, qui est comme le thème de cette réflexion, se trouve une autre fois dans le manuscrit, sous cette forme : « La vérité est le
  917. Var. : Une chose… est belle et parfaite, si elle est tout ce qu’elle doit être, et si elle a tout ce qu’elle doit avoir. (Manuscrit.) — Les derniers mots : « et si elle n’a, etc., » manquent dans l’édition d’Amelot. — Rapprochez de la 1er des Réflexions diverses, et de la Lettre du chevalier de Meré.
  918. Voyez la 16e des Réflexions diverses.
  919. C’était une répétition affaiblie de la maxime 248, qui elle-même répète à peu près les maximes 246 et 285. — J. Esprit (tome II, p. 287) : « La magnanimité est, pour le dire ainsi, la fièvre chaude de l’âme. »
  920. Var. : La politesse des États est le commencement de la décadence, parce qu’elle applique tous les particuliers à leurs intérêts propres, et les détourne du bien public. (Manuscrit.) — Vauvenargues, dans un Fragment sur le luxe (Œuvres posthumes et Œuvres inédites, p. 68), incline à croire également qu’il « prépare, dans la grandeur même des empires, leur inévitable ruine. » — « On est peut-être surpris, dit l’abbé Brotier (p. 255), que le duc de la Rochcfoucault n’ait pas conservé cette pensée au nombre des Maximes. Je pense qu’il a été retenu par le succès de Colbert. Sous son administration à jamais mémorable, ce grand homme voulut que l’État eut un luxe public et un grand ton de politesse. »
  921. Dans l’édition d’Amelot : « qui nous est la plus inconnue. » — Le manuscrit n’a pas à nous-mêmes.
  922. Le manuscrit porte : « la plus violente, » ce qui nous paraît être la meilleure leçon, d’autant plus, que nous allons trouver quelques lignes plus bas : « les plus ardentes poursuites. »
  923. Var. : c’est le petit poisson. (Manuscrit.) — On sait en effet que la rémore (en latin remora) est un petit poisson auquel les anciens attribuaient la force d’arrêter les vaisseaux ; de là son nom, dérivé de remorari (retarder, arrêter). — Montaigne (Essais, livre II, chapitre xii, tome II, p. 203 et 204) : « Petit poisson que les Latins nomment remora, à cause de cette sienne propriété d’arrester toute sorte de vaisseaux ausquels il s’attache. » — Voyez aussi Pline l’ancien, livre XXXII, chapitre 1.
  924. Var. : … ses plus ardentes… et ses plus opiniâtres… (Manuscrit.) — M. de Barthélémy omet plus devant opiniâtres.
  925. Le manuscrit n’a pas comme.
  926. Var. : … de toutes ses pertes, et qui la fait renoncer à toutes ses prétentions. (Manuscrit.) — L’auteur n’a sans doute supprimé cette maxime, qui est d’une grande force d’expression, que parce qu’elle faisait double emploi avec la 266e, qui est plus nette et plus vigoureuse encore. — Rapprochez des maximes 169, 398 et 512.
  927. Var. : De plusieurs actions diverses… il se fait (Manuscrit.)
  928. Cette pensée n’est qu’une première version de la maxime 1. — Voyez aussi les maximes 153, 323, 380 et 470.
  929. Var. : On aime bien à deviner les autres. (1665.)
  930. Mme de Sablé en donne la raison dans sa maxime 35 : « Savoir bien découvrir l’intérieur d’autrui et cacher le sien est une grande marque de supériorité d’esprit ; » et elle ajoute (maxime 37) : « On se rend quasi toujours maître de ceux que l’on connoît bien, parce que celui qui est parfaitement connu est en quelque façon soumis à celui qui le connoît. » — « Monsieur le Cardinal (Mazarin), dit Pascal (Pensées, article XXV, 25), ne vouloit point être deviné. » — Rapprochez de la maxime 425, et de la 2e des Réflexions diverses.
  931. Un premier tirage de la première édition (celle des impressions de 1665 que nous désignons par la lettre A) donnait : « Il est moins impossible de prendre de l’amour… » La correction : « Il est plus facile, » a motivé un carton (voyez la Notice bibliographique). — Il y a quelque analogie entre cette maxime et la 549e.
  932. Le manuscrit dit plus absolument : « Les femmes se rendent…, » et il n’a pas le dernier membre de phrase : « quoiqu’ils ne soient pas plus aimables. »
  933. « Des hommes, » dans l’édition d’Amelot de la Houssaye.
  934. Amelot donne : « d’être aimé. »
  935. Dans trois des impressions de 1665, il y a deux numéros 302 ; cette maxime est sous le premier ; le second est notre 276e ; celle qui suit, sous le numéro 303, est notre 637e. La contrefaçon que nous désignons par 1665 D réunit sous un même chiffre, en deux alinéas, les deux maximes 302.
  936. Var. : … que pour être assurés qu’ils sont aimés… (Manuscrit.)
  937. Dans l’édition d’Amelot : est, pour c’est ; et plus loin : soit, pour ou.
  938. Rapprochez des maximes 5, 271 et 564. Voyez aussi la dernière note de la maxime 68.
  939. Brotier et Duplessis : « de savoir se soumettre. »
  940. Conduite, dans le sens de direction. — La maxime 283, mieux rédigée, rendait celle-ci inutile. — Voyez la maxime 378, qui semble contradictoire à celle-ci, car elle suppose que les conseils sont toujours inefficaces. — Voyez aussi le Portrait de la Rochefoucauld fait par lui-même. ci-dessus, p. 9.
  941. Voyez les maximes 202, 411 et 457. — Le Supplément de l’édition de 1693 (no 40) dit à peu près de même : « Les fautes sont toujours pardonnables quand on a la force de les avouer. » — Le cardinal de Retz dit, de son côté, dans ses Mémoires (édition Champollion-Figeac, tome II, p. 47, chapitre xiii) : « Il est d’un plus grand homme de savoir avouer une faute que de savoir ne la pas faire. » — Le Cardinal et le Duc faisaient un retour sur leurs propres fautes, et trouvaient ainsi le moyen de s’en consoler. Est-il besoin de faire remarquer que la maxime de la Rochefoucauld revient au dicton : Pêché avoué est à moitié pardonné ?