Melmoth ou l’Homme errant/XXXIX

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Traduction par Jean Cohen.
G. C. Hubert (6p. 219-247).


CHAPITRE XXXIX.



Le Seigneur don Francisco d’Aliaga, poursuivant le lendemain son voyage, ne put s’empêcher de se dire qu’il était inconcevable qu’un homme auquel il n’avait donné aucun encouragement, s’obstinât ainsi à le poursuivre, tantôt lui racontant des histoires qui n’avaient aucun intérêt pour lui, tantôt passant une journée entière à ses côtés sans ouvrir une seule fois la bouche.

« Seigneur, » dit tout-à-coup l’étranger, parlant, pour la première fois, depuis le matin, et comme s’il eût deviné la pensée de son compagnon de voyage : « Je conviens que vous avez dû trouver étrange que je vous aie retenu si long-temps hier pour écouter une histoire qui n’avait aucun rapport à vous. Permettez-moi de vous en dédommager par une autre fort courte, et à laquelle je me flatte que vous prendrez un intérêt tout particulier. »

« Vous m’assurez qu’elle sera courte ? » dit Aliaga.

— « Sans doute, et j’ajouterai qu’elle sera la dernière dont je vous importunerai. »

— « Puisqu’il en est ainsi, poursuivez, au nom de Dieu ; mais surtout je vous recommande un peu de ménagement. »

« Il y avait une fois, » dit l’étranger, « un certain marchand espagnol qui avait acquis, par le commerce, une fortune considérable ; cependant, au bout de quelques années, ayant fait des spéculations malheureuses, il jugea devoir accepter l’offre que lui fit un de ses parens, de passer aux Indes, et d’y former une association avec lui. Il s’y rendit donc avec sa femme et son fils, laissant en Espagne une fille encore dans l’enfance. »

« Cela ressemble bien à mon histoire, » dit Aliaga, sans se douter de ce que l’étranger voulait dire.

— « Deux années rétablirent non-seulement sa fortune, mais encore lui donnèrent l’espérance de l’augmenter considérablement. Il résolut donc dès lors de se fixer aux Indes, et il écrivit en Europe, pour que sa fille vînt le trouver, avec sa nourrice, négresse d’une fidélité à toute épreuve, et qui était déjà, depuis plusieurs années, à son service. »

« Ceci me rappelle ce qui m’est arrivé, » observa encore Aliaga, dont la conception n’était pas très-prompte.

— « Elles s’embarquèrent, en effet, par la première occasion qui s’offrit. Le vaisseau fit naufrage, et le bruit courut que la nourrice et l’enfant avaient péri avec tout l’équipage. On découvrit, au contraire, plus tard, qu’elles seules s’étaient sauvées, et qu’elles avaient débarqué dans une île déserte, où la nourrice était morte de fatigue et de besoin, tandis que l’enfant avait survécu, et était devenue une charmante fille de la nature, vivant de fruits, couchant sur des roses, buvant l’onde pure de la source, respirant l’harmonie du ciel, et répétant le petit nombre de mots européens que sa nourrice lui avait appris, en réponse aux chants des oiseaux et au murmure des ruisseaux, dont la musique, pure et sainte, était d’accord avec son cœur céleste. »

« Je n’ai jamais entendu parler de tout cela, » dit tout bas Aliaga. L’étranger continua :

« Un vaisseau en détresse ayant enfin abordé dans cette île, le capitaine délivra cette aimable victime de la brutalité de ses matelots ; et jugeant, d’après la langue qu’elle parlait, qu’elle appartenait à une famille espagnole fixée aux Indes, il résolut, en homme d’honneur, de la rendre à ses parens. Il la conduisit donc à Bénarès, où il fit les recherches nécessaires, et où elle retrouva sa famille. »

À ces mots, Aliaga regarda l’étranger d’un air égaré. Il aurait voulu l’interrompre, mais il n’en eut pas la force.

— « J’ai depuis entendu dire que cette famille était retournée en Espagne. La belle habitante de l’île déserte est devenue l’idole de vos cavaliers de Madrid, des promeneurs du Prado. Mais écoutez-moi bien ! Un œil est fixé sur elle, dont le regard est plus dangereux que celui du serpent ! Un bras s’apprête à la saisir, dont les étreintes font frémir l’humanité ! Ce bras l’a lâchée pour un moment : ses muscles frémissent d’horreur et de pitié. Il laisse sa victime en liberté, et fait signe à son père pour qu’il vole à son secours ! Don Francisco, me comprenez-vous maintenant ? Cette histoire a-t-elle quelque intérêt pour vous ! En sentez-vous l’application ? »

Il s’arrêta ; mais Aliaga, muet d’horreur, ne put lui répondre que par une faible exclamation.

« Si je ne me suis pas trompé, ne perdez pas un moment pour sauver votre fille ! »

En disant ces mots, il piqua sa mule et disparut dans un sentier étroit, entre les rochers, qu’aucun voyageur humain ne paraissait avoir encore parcouru. Aliaga n’était pas, par sa nature, susceptible d’impressions bien fortes ; sans quoi cet avertissement, la manière mystérieuse dont il avait été donné le lieu sauvage où il se trouvait et où l’étranger avait disparu à sa vue, auraient eu sur lui un effet inévitable. Il n’en fut rien. À la vérité, dans le premier moment, il résolut de retourner chez lui sans perdre un instant ; il écrivit même dans ce sens à sa femme ; mais, étant arrivé dans le lieu où il devait passer la nuit, il y trouva des lettres d’affaires qui l’y attendaient. Son correspondant lui annonçait la faillite probable d’une maison de commerce établie dans une ville éloignée de sa route, mais où sa présence pouvait être de la plus haute importance pour ses intérêts. Il y avait aussi des lettres de Montillo, qui lui disaient que la santé de son père était dans une situation si précaire, qu’il ne pouvait songer à le quitter avant que son sort fût décidé. La fortune du fils et la vie du père dépendaient également de cette décision.

Après avoir lu ces lettres, l’esprit d’Aliaga reprit son pli accoutumé. D’ailleurs, l’image mystérieuse de l’étranger et le souvenir de ce qu’il avait raconté se dissipaient peu à peu. Il se glorifia de cet oubli, et attribua à son courage ce qui n’était qu’un effet de son indifférence. Aliaga se mit donc en route pour la ville où ses intérêts l’appelaient, et il écrivit à son épouse que quelques mois s’écouleraient peut-être encore avant qu’il retournât aux environs de Madrid.

Le reste de la terrible nuit qui vit disparaître Isidora, se passa, de la part de dona Clara, dans un sombre désespoir : car, malgré la froideur de son caractère, elle conservait encore les sentimens d’une mère, et le bon père Jozé partagea sa douleur.

L’inquiétude de dona Clara était augmentée par la crainte qu’elle avait de la colère de son époux, et des reproches qu’il pourrait lui faire d’avoir négligé, d’une manière impardonnable, les devoirs maternels. Elle fut plusieurs fois tentée, dans le cours de cette affreuse nuit, de réveiller son fils, et de lui demander des conseils et du secours ; mais la violence connue de ses passions la retint ; et elle resta donc livrée, jusqu’au jour, à une douleur muette que rien ne put calmer. Puis tout-à-coup, mue par une impulsion dont elle ne put se rendre compte, elle se leva de son fauteuil, et se rendit, en toute hâte, à l’appartement de sa fille, comme si elle eût imaginé que les événemens de la nuit précédente n’étaient que les suites d’un songe inquiet que les premiers rayons de l’aurore devaient dissiper.

Tout en effet lui en offrit l’apparence. En s’approchant du lit, elle vit Isidora dormant du sommeil le plus profond. Sur sa bouche se peignait un doux, un tranquille sourire. Dona Clara poussa un cri de joie, dont le bruit réveilla le père Jozé, qui s’était endormi, sur une chaise, à l’approche du jour. Il accourut aussi promptement que le permettait sa rotondité naturelle, et son étonnement fut au comble au spectacle qui se présenta à lui.

« Ne la troublons pas, » dit-il enfin ; « elle est sans doute fatiguée après la nuit qu’elle doit avoir passée. »

« Ô mon père ! » s’écria dona Clara, « ne m’abandonnez pas dans cette extrémité ! Ce que nous voyons est l’ouvrage de la magie, des esprits infernaux. Ne le pensez-vous pas comme moi ? »

Cette question était, au fond, fort embarrassante : car le bon père, qui était un excellent homme, n’avait pas une instruction très-profonde. Il aurait voulu répondre à dona Clara d’une manière satisfaisante ; mais le fait est qu’il ne savait pas lui-même comment expliquer ce qu’il voyait. Il ouvrit les yeux, fronça le sourcil, serra les lèvres ; et, au moment où dona Clara s’imaginait qu’il allait enfin lui dévoiler le mystère qu’elle brûlait de savoir, il lui dit qu’excessivement fatigués l’un et l’autre, ils feraient bien d’imiter dona Isidora, et de prendre un peu de repos jusqu’à l’heure du déjeuner. Dona Clara voulut en vain le faire parler, elle n’en put obtenir davantage, et fut obligée de céder.

Le père Jozé fut réveillé de meilleure heure qu’il ne l’aurait voulu par un messager de dona Clara, qui, tourmentée par l’inquiétude ordinaire aux âmes faibles, le pressait de venir conférer avec elle sur le sujet qui la préoccupait. Son premier point était de cacher, s’il était possible, l’absence momentanée de sa fille ; et elle sentit son courage se ranimer, quand elle eut remarqué qu’aucun des domestiques ne paraissait s’en être aperçu, et qu’un seul vieux serviteur était absent. Elle fut encore plus tranquillisée par la réception d’une lettre de son mari, qui lui annonçait la prolongation de son absence. Il lui semblait avoir obtenu le sursis d’un arrêt. Elle fit part de ces circonstances au père Jozé, qui l’engagea à s’assurer du silence de ses domestiques par des cadeaux.

Il parlait encore quand Isidora entra dans le salon, et son aspect les étonna tous deux. Son air était calme, sa démarche tranquille ; elle paraissait n’avoir aucune idée de l’inquiétude et de la douleur que son absence avait inspirée. Après le premier silence causé par la surprise, elle fut accablée de questions, que sa mère et le père Jozé auraient pu s’épargner la peine de lui faire : car, pendant plusieurs jours, ni les remontrances, les prières ou les menaces de dona Clara, ni l’autorité spirituelle du confesseur ne purent tirer d’elle un seul mot d’explication. Quand on la pressait vivement, l’esprit d’Isidora montrait un peu de cette indépendance à laquelle sa première existence l’avait habituée. Elle avait été maîtresse de toutes ses actions pendant dix-sept ans ; et, quoique naturellement douce et traitable, quand la médiocrité impérieuse prétendait la tyranniser, elle éprouvait un sentiment de dédain qu’elle ne pouvait exprimer que par un profond silence.

Ce secret ne pouvait cependant pas en rester toujours un. Quelques mois s’écoulèrent, et les visites de son époux donnèrent à l’esprit d’Isidora une tranquillité et une confiance habituelle. Melmoth, lui-même, changeait peu à peu sa féroce misantropie contre une espèce de tristesse pensive. Isidora voyait ce changement avec une joie inexprimable. Elle espérait qu’une liaison assidue avec elle le ferait participer à la tranquille pureté du cœur d’une femme.

Une nuit, Melmoth la trouva chantant une hymne à la Vierge, et s’accompagnant sur son luth.

« Il me semble, » lui dit-il avec un sourire affreux, « qu’il est bien tard pour adresser à la Vierge votre prière du soir. Il est minuit passé. »

« On m’a assuré, » répondit Isidora, « que son oreille était ouverte en tout temps. »

— « S’il en est ainsi, mon aimable amie, ajoutez un verset pour moi. »

« Hélas ! » dit Isidora en laissant tomber son luth, « vous ne croyez pas à ce qu’enseigne l’Église ! »

— « Oui, j’y crois quand je vous écoute. »

— « N’y croyez-vous qu’alors ? »

— « Répétez votre hymne à la Vierge. »

Isidora obéit, et observa l’effet qu’elle faisait sur son auditeur. Il paraissait ému. Quand elle eut fini, il lui fit signe de chanter encore.

« Mon ami, » lui dit-elle, « ces répétitions si fréquentes ne ressembleraient-elles pas plutôt à une représentation théâtrale, qu’à une prière que j’adresse au Dieu que j’aime ? »

— « Et pourquoi parlez-vous comme si je ne partageais point cet amour pour Dieu ? »

— « Allez-vous à l’église ? »

Un profond silence fut toute la réponse de Melmoth.

— « Recevez-vous les sacremens ? »

Il ne répondit pas davantage.

— « M’avez-vous jamais, malgré mes prières réitérées, permis d’annoncer à ma famille inquiète le lien qui nous unissait ? »

Pas de réponse.

— « Et maintenant… que… peut-être… je n’ose exprimer ce que je sens ! Oh ! comment oserai-je paraître devant des yeux qui m’épient de si près ?… Que dirai-je ?… Femme sans époux !… Mère, sans père pour mon enfant, ou du moins avec un père que le serment le plus terrible me force à ne jamais déclarer ! Ô Melmoth ! ayez pitié de moi ; délivrez-moi de cette vie de contrainte, de fausseté et de dissimulation ; allez me réclamer comme votre épouse, en présence de ma famille, et votre épouse vous suivra, s’attachera à vous, périra avec vous ! »

En disant ces mots, elle le serrait dans ses bras, et ses larmes inondaient les joues de son époux. Une femme ne nous implore presque jamais en vain dans un moment de honte et d’effroi. Melmoth fut sensible à sa prière ; mais il ne le fut qu’un instant. Regardant sa victime d’un air sérieux et inquiet, il lui demanda si ce qu’elle venait de lui dire était vrai. Elle s’éloigna involontairement, et ne répondit que par son silence. La nature se fit entendre au cœur de Melmoth. Il se dit à lui-même : Cet enfant est le mien ; le fruit de l’amour, le premier né du cœur et de la nature ; il est à moi, et, quelque chose qui m’arrive, je laisserai après moi un être qui priera pour son père, même quand ses prières tomberaient dans les flammes qui me consumeront à jamais, et s’y évaporeraient comme une goutte de rosée sur les sables brûlans du désert !

À compter de ce jour, la tendresse de Melmoth pour sa femme augmenta d’une manière visible. Le Ciel pourrait seul expliquer la source du sauvage amour avec lequel il la contemplait, et auquel se mêlait toujours un peu de férocité. Il se peut qu’il ait cherché dans l’avenir quelque nouvel objet pour ses funestes expériences, et qu’il ait pensé qu’un enfant qui lui serait parfaitement soumis y serait plus propre qu’aucune autre créature. Quoi qu’il en soit, il parla de l’événement avec autant d’inquiétude qu’un père qui partage tous les sentimens de l’humanité.

Tranquillisée par sa conduite, Isidora supporta, sans se plaindre, tous les désagrémens attachés à sa nouvelle position, et qui étaient rendus plus pénibles par ses craintes et par le mystère dont elle était obligée de s’envelopper. Elle espérait que Melmoth la récompenserait enfin par un aveu public et honorable ; mais elle n’exprimait cet espoir que par son silence et son sourire. Le moment approchait cependant à grands pas, et les inquiétudes les plus cruelles commencèrent à l’agiter sur le sort d’un enfant né dans des circonstances si mystérieuses. Quand Melmoth revint, il la trouva en pleurs.

« Hélas ! » répondit-elle, quand il lui en eut demandé le motif, « N’ai-je pas assez de raisons pour pleurer ? Et cependant ai-je répandu bien des larmes ? Il n’y a que vous seul qui puissiez en tarir la source. Je sens que l’événement qui s’approche me deviendra fatal. Je sais que je ne vivrai pas assez long-temps pour voir mon enfant. Dans cette persuasion, j’exige de vous la seule promesse qui puisse me consoler. »

Melmoth l’interrompit pour lui dire que ses craintes étaient l’effet naturel de sa position, et que bien des mères, entourées d’une nombreuse progéniture, souriaient en se rappelant que chacun de leurs enfans semblaient devoir leur coûter la vie. Isidora secoua la tête, et dit :

« Les présages que je sens sont de ceux que les mortels n’ont jamais eus en vain. J’éprouve une impression profonde, aussi inexplicable qu’ineffaçable. Il semble que le Ciel me parle dans la solitude ; il m’ordonne de garder son secret, et me menace, si je le divulgue, de ne trouver que des incrédules. Ô Melmoth, ne souriez pas d’une manière si effrayante quand je parle du Ciel, et songez que, peut-être sous peu, vous n’aurez que moi pour y intercéder en votre faveur. »

« Mon aimable sainte, » dit Melmoth en riant et en se mettant à genoux, « permettez-moi de m’y prendre dès à présent pour m’assurer de votre médiation. Croyez que je n’aurai rien de plus pressé que de vous faire canoniser. Vous me fournirez sans doute une ample liste de miracles ! »

« Puisse votre conversion être le premier ! » dit Isidora avec une énergie qui fit frissonner Melmoth. Elle lui serrait la main, et s’étant aperçue qu’il tremblait, elle voulut poursuivre son triomphe imaginaire. « Melmoth, » s’écria-t-elle, « j’ai le droit d’exiger de vous une promesse. J’ai fait pour vous les plus grands sacrifices. Jamais femme n’a donné des preuves d’une plus parfaite soumission. J’aurais pu voir les époux les plus illustres mettre à mes pieds leurs titres et leurs richesses. Dans mon heure de souffrance, les premières familles de l’Espagne se seraient pressées autour de ma porte. Mais je dois souffrir cette terrible lutte de la nature, seule, sans soutien, sans secours, sans consolation ; tandis qu’elle est terrible même pour celles dont les souffrances sont adoucies par la présence d’une mère, et qui entendent répéter les premiers cris de leur enfant par les cris de joie d’une famille entière. Ô Melmoth ! que doit-elle donc être pour moi, qui souffrirai dans le silence et dans la solitude, qui verrai mon enfant arraché de mes bras avant que j’aie pu l’embrasser ? Accordez-moi donc une chose, une seule chose. Jurez que mon enfant sera baptisé selon les rites de l’Église catholique. Alors si mes funestes présages s’accomplissent, je mourrai du moins tranquille en songeant que je laisse après moi un être qui priera pour son père, et dont les prières pourront être exaucées. Ah ! si ma voix n’est pas digne d’être écoutée dans le ciel, celle d’un chérubin pourra l’être. Le Sauveur qui sur la terre a laissé approcher de lui les enfans ne les repoussera pas dans le ciel. Oh ! non… non ! il ne repoussera point le vôtre ! »

« Pourquoi vous refuserai-je ? » dit Melmoth, « non, non, votre enfant sera chrétien, mahométan, tout ce que vous voudrez : car si vous changez d’avis, vous n’auriez qu’à me le dire. »

« Je ne serais pas là pour vous le dire ! » reprit Isidora.

Dans ce moment, les cloches d’un couvent voisin se firent entendre. On distingua même un chant solennel et monotone. C’était l’office des morts que les religieux célébraient pour un de leurs frères qui venait de mourir.

« Écoutez, » dit Isidora. « La voix qui parle ainsi, n’est-elle pas celle de la vérité ? Ah ! si la vérité ne se trouve pas dans la religion, il n’y en a point sur la terre ! Celui qui n’a point de Dieu, ne saurait avoir de cœur. Ô mon ami, quand vous vous agenouillerez sur la pierre qui me couvrira, ne désirerez-vous pas que mon dernier sommeil soit adouci par une semblable musique ? Promettez-moi du moins que vous conduirez mon enfant vers ma tombe, et que vous lui ferez lire la simple inscription qui lui apprendra que je suis morte dans la foi chrétienne et dans l’espoir de l’immortalité. Promettez-le-moi ! jurez-le-moi. »

« Votre enfant sera chrétien, » dit Melmoth.