Midraschim et fabliaux/La Sacoche

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Imprimerie Vve P. Larousse et Cie (p. 45-47).

Un jour, une forte brunette
Conduisit devant le cadi
Un jeune homme à figure honnête,
Et voilà ce qu’elle lui dit :

Je revenais seule au village,
Ce jeune homme me dit : bonsoir !
Je lui répondis : je suis sage.
Par malheur, je me laissai choir.

Il me prit de force, le traître !
Je lui dis : il faut m’épouser.
— Eh ! quoi, comment, sans vous connaître ?
— Alors, il faut m’indemniser.


Tu possèdes, dans ta sacoche,
Beaucoup d’argent, donne-le-moi ;
Quand je l’aurai mis dans ma poche,
D’autres m’épouseront pour toi.

Le cadi dit au bon jeune homme :
Je ne vous croyais pas si fort ;
Allons ! donnez-lui cette somme,
Car vous êtes dans votre tort.

La brunette, toute joyeuse,
Prit la sacoche et puis sortit.
Voyant la mine malheureuse
Du condamné, le juge dit :

Tu n’es pas content, bon jeune homme !
C’est vrai, je n’ai pas jugé bien ;
Cours après, reprends-lui la somme
Agis de force, et ne crains rien.

Peu d’instants après, la brunette
Ramena devant le cadi
Le jeune homme à figure honnête,
Et voilà ce qu’elle lui dit :


Je revenais seule au village,
Ce jeune homme me dit : bonsoir !
Je lui répondis : je suis sage ;
Puis, il voulut me faire choir,

Essayant par force de prendre
L’argent que vous m’aviez donné.
Mais j’ai fort bien su le défendre,
Et, seule, je l’ai ramené.

Allons, mon doux seigneur, je pense
Que vous vengerez ce déni ;
Il a récidivé l’offense,
Il doit être deux fois puni.

— Non, ce jeune homme est sans reproche ;
Par toi l’argent sera rendu,
Pourquoi n’as-tu pas défendu
Ton honneur comme ta sacoche ?